Les épées du Roi

&&La main gratte le pansement.
&&Je ne pensais pas que cela allait être aussi gênant.
&&Il la retire du bandage. « Il doit rester une semaine pour bien imprégner la peau », avait respectueusement précisé cet homme. Reikosu tire sur son col et agite la tête. Il va être patient même s'il est contrarié. Pour s'apaiser, on respire une bonne bouffé, marche dans les couloirs de Las Noches en pensant au repas à venir.
&&Midi approchait et il allait se rendre en cuisine. C'était un endroit qu'il fréquente souvent. Parfois, Jôan apprécie de prendre la place du gros chef et de se mijoter des plats à sa convenance. Midi sera léger, on prend quelques forces pour tenir la journée, en attendant le festin du soir. Sa langue pointue sort et est déjà alléchée par cette pensée. Pour ne pas baver et être ridicule, Reikosu avale sa salive.

&&Il sait pertinemment qu'un nouveau comme lui va devoir faire les présentations avec, il le croit, à peu près tout le monde. Alors il marmonne des formules de politesses, des manières de tourner ses phrases, des mots différents pour se faire connaître à chacun d'une façon unique. Se répéter était ennuyeux. Et puis c'est amusant !
&&Sur la route de cette cantine qu'il adore, Reikosu Jôan continue de marche.
&&Trop immense.

&&On le salut.
&&Il s'arrête et se retourne avec une grimace accueuillante. Certes, il est très placide, mais lorsque prend place l'heure de dévorer... « Tiens... J'ai faim. » Jôan décide d'être complaisant et prend la pose adéquate. L'homme s'identifie comme étant le tout récent dixième de l'escouade et félicite notre ami pour son arrivée.
&&Se serrer la main ?
&&C'est une coutume humaine, pas de doute. Chez les Hollows on sort les crocs et se croque carrément. Reikosu ne peut s'empêcher d'être surpris. Il a un mouvement de recule involontaire. Or, sa décision était déjà prise. Il devait être sympathique.
&&D't'façon Joe, ils vont te trouver des défauts assez vite.
&&Jôan change son bol à nouille de main et conclut la poignée de main avec le grand monsieur. Quand il y a quasiment une tête de différence, c'est flagrant. Ce Jack a une allure de cow-boy : il est barbu, a de longs cheveux. Comme Jôan est petit, il doit lever la tête. Alors il aperçoit, il lui semble, un masque. Un petit truc ridicule qui se voile sous le couvre-chef.
&&En parlant de chef...

&&– Reikosu Jôan, commence-t-il pendant que l'autre siffle un autre objet humain en jouant les shérifs.

&&Joe penche légèrement la tête, intrigué. Il va falloir qu'il prenne vite l'allure d'un haut gradé, s'il ne voulait pas être démonté à chaque rencontre et réunion. Il nettoie sa main sur sa poitrine puis l'amène à sa bouche pour tousser. Il n'y a pas que la fumée qui le dérange.
&&– Segunda Espada, poursuit-il. Je te souhaite également la Bienvenue dans l'élite.
&&Il ouvre le chemin du couloir en ne quittant pas de vue cet homme.
&&– J'étais sur le point de déjeuner, conclut-il avec un corps et une voix très engageante tout en signalant son bol rouge, voudrais-tu te joindre à moi ?

&&Il lâche un sourire.
&&C'était le genre de moue qu'on ne pouvait refuser. Il allait partir. Si on voulait continuer de parler avec lui, on n'avait pas le choix que de le suivre. Ses yeux étaient à demi-clos. Il est plus intéressé par son repas qu'à « Jack ».

Les épées du Roi

&&L'homme, non, le Hollow a accepté sa proposition. Jôan n'a pas plus réagit quand se mettant en route, son bol rouge en première ligne. C'est plutôt sur la manière dont il a répondu que Jôan aurait à redire. « Son pote ? » ... Où se croit-il ? Sur le chemin, notre Reikosu affichait une mine haute, ses lèvres pincées avaient pour destinataires : son appétit, qui aussi Hollow soit-il existait et le décima, qui prenait beaucoup de libertés.
&&– Respectons les formes, a-t-il quand même dit.
&&Il s'était également parlé à lui-même ; il s'était aperçu de sa propre erreur.
&&Une main dans la poche était sortie avec en prise un mouchoir blanc, il se l'était passé sur le visage au masque en croix avant de le faire disparaître. Il lui faudra un moment avant de s'habituer à l'ambiance et la chaleur des lieux, fortement chargé d'énergies spirituelles. La vie « Là-bas » était bien plus fraiche et vide.


&&Mal installé sur une chaise, Jôan fait la moue. Il aurait préféré être assis sur autre chose qu'une chaise. Juste contre le mur de l'entrée, il y avait une très longue table couverte par de longs bancs. Il s'y assoit plutôt. Mais l'impatient collègue a choisi une table modeste et des chaises en carton. Soupire : il prend la serviette proposée et la pose sur ses genoux.
&&Son sens de la retenue est aussi grand que son savoir-vivre. Après avoir supprimé un masque encombrant, notre antagoniste s'est pris d'affection pour les règles de la table. On ne mange plus la bouche ensanglantée des restes ennemis. En utilisant le fichu à nettoyer et le bol parfaitement tenu, Joe le nettoie alors que l'on apporte les premiers mets.

&&C'est un serveur agile qui apporte la pitance. Seulement, il y a tellement à ramener que tout le buffet ne passe pas. Une grande partie est re-dirigée en cuisine, maintenu au chaud. Joe a un mouvement de recule...
&&Qu'est-ce qu'il bâfre !
&&La nourriture était un mélange de faibles hollows cuisinés et des saveurs propres au monde humain. Ils étaient présentés avec esthétique. Jôan avait demandé dès son arrivée que le chef fasse un grand effort de présentation. Il pose son bol sur le côté après avoir vu arriver quelque chose de vraiment pas bon.
&&Avec ses yeux surpris, l'Arrancar ne percute pas de suite les questions. Trois doigts massent une tempe et le ramènent dans la conversation, malgré qu'il fronce les sourcils pour ne pas retomber dans l'horreur.
&&Tout ceci est ...

&&– Je me suis fait discret, fait-il entre deux propres bouchées, préférant les grands arbres de la forêt à l'étendue ridicule du désert. La vie n'a pas été facile dernièrement, il repose sa fourchette, chacun a dû faire ...
&&C'est alors qu'il se sent interrompu par ce même jack, qui lui tend un morceau de viande qu'il trouve terriblement goûteux. Reikosu Jôan met la serviette devant son nez et la tourne. L'autre main rejette la proposition avec vigueur.

&&– Ce n'est pas possible, se lève-t-il en repoussant sa chaise. Si le cuisinier ne s'améliore pas ...
&&Il laisse sa phrase en suspens, les présents auront compris. « ... il va finir dans l'assiette. »
&&Il jette sa serviette sur la table, ne s'excuse aucunement auprès de Jack et s'enfuit rapidement dans le coin cuisine.
&&Bien qu'on ne sache pas ce qu'il fait, l'écho des murs reproduit parfaitement ses propos :
&&– C'est pourtant pas compliqué ! Je ne demande pas quelque chose d'exquis et de juteux, mais au moins j'aimerais que cela soit mangeable. Regardez-moi ça, on entend des objets tomber au sol, bon à jeter.
&&– Reikosu-sama ... tente vainement l'autre.

&&...

&&– C'est bon, souffle le segunda, allez-vous-en. Allez !
&&L'arrancar énorme passe la porte et trébuche jusqu'à la sortie. Ses cheveux blond gras épaississent la graise qu'il a en trop. De l'autre côté, Reikosu Jôan donne des ordres à toute vitesse. Les exécutants ne s'expriment qu'avec des « Oui, Reikosu-sama ! ». Le jeune serveur au visage d'enfant referme la porte derrière lui et se tient devant.
&&– Pardonnez Reikosu-sama, délivre comme message l'être soumis, il a ordonné qu'on ne le dérange pas. Il vous demande de l'attendre. Il rougit tête baissée. S'il vous plait.
&&Il était apeuré que sa conduite ne convienne pas à Jack parce qu'il a suivi celle d'un autre Espada. Les serviteurs étaient très peureux; au moins ils étaient capables de transmettre les intentions de leurs supérieurs.

Les épées du Roi
&&Le temps passe.
&&C'est long.
&&Les mets sur la table refroidissent, mais au moins la boisson est en abondance sur les comptoirs. Il y a de quoi, embellir le palais de saveurs, titiller la gorge avec des bulles, faire glisser un liquide plat jusque dans l'estomac, voire de simplement donner envie de vidanger.
&&Quinze minutes plus tard, la porte s'ouvre et le serveur tourne la tête. Il est décalé. Le regard noir de Jôan l'inquiète. Le mignon voudrait avouer, mais le voilà pris entre deux feux.
&&– Ce n'est ...
&&La main du Segunda Espada se pose sur son épaule avec délicatesse. Jôan affiche un sourire satisfait et châleureux. C'est un changement immédiat - et encore plus flippant. Alors, il lui donne un immense bol de soupe. Le faible l'apporte bêtement jusqu'à la grande table.

&&– Monsieur Jack, apostrophe la nouvelle lame du roi, veuillez vous asseoir sur le banc, je suis à vous dans peu de temps.
&&Le Segunda Espada ne demande pas si cela lui plait d'aller poser son derche là où il le commande. S'il veut continuer de manger et bien sûr de discuter, il faudra bien faire comme l'entend le petit dinosaure.
&&Il laisse passer une serveuse sans masque visible, en combinaison blanche, dont la taille surpasse celle de son maître. Elle tient soigneusement de la viande dont les queues s'agitent hors du bocal et repart, la porte est laissée ouverte et c'est le début des aller-retours de ces mains.
&&Elles apportent une quantité phénoménale, même les serviteurs sont étonnés qu'il ait pu cuisiner autant en si peu de temps. Il y a du froid, du chaud, du sucré, du salé, du croquant, du fondant, de l'amer, de l'épicé... de quoi faire découvrir toutes les saveurs ! Bientôt, les deux tiers de cette longue et infinie pièce de bois sombre est couverte de raffinement, loin des fricots et pitances de base. De la fumée s'échappe des couvercles et s'accompagne d'une odeur tout bonnement divine.

&&– Nous allons pouvoir papoter sans interruption, déclare Reikosu Jôan en jetant son tablier sur le plus proche larbin.
&&Son ton léger peut valoir toutes les excuses du monde. Lui qui était parti avec une telle rage semble en ce moment magnanime, merveilleux ... miséricordieux. Il excuse même la grande domestique de le bousculer.
&&Il s'approche tranquillement de la table, glisse deux doigts sur le rebord et continue :
&&– Je vous en prie Décima, servez-vous et parlez-moi un peu de votre parcours. Joe choppe une serviette au passage. Ce ne doit pas être simple de gravir ainsi les échelons.
&&L'immense différence entre eux portait sur ce point. Reikosu avait gagné en puissance sans jamais demander une reconnaissance. Et puis, d'un jour à l'autre, on l'avait établi sur le sommet. Il était clair que pour son interlocuteur, il a fallu se battre et agir. Une esquisse d'orgueil se marque sur le coin droit de ses lèvres fines.

&&Il prend son temps pour s'installer. Sa position doit être commode pour apprécier son chef-d'oeuvre gustatif. Il s'accapare de son bol rouge et plonge une louche dans une soupe verte et orange. Bien sûr, on sent qu'il porte une attention à ce que peut vomir son nouvel allié - même s'il va s'apercevoir vite que ... -, cependant son corps fixe, n'a d'yeux et ne semble passionné que pour sa merveille.
&&– Dites-moi, raconte l'affamé sans faire attention s'il lui coupait ou non la parole. Il a une question et n'attend pas pour l'exposer. Que savez-vous de l'Espada actuelle ? Joe agite un morceau de Hollow vivant brillant de soupe avec deux baquettes. Je n'ai pas encore eu l'occasion de faire copain-copain avec l'armée du Roi.
&&Il croque dans le masque de la pauvre et bête, mâche et siffle son corps de serpent comme un spaghetti.
&&Il frissonne ; son repas est réussi.

Les épées du Roi
&&Son repas est tellement bon qu'il en oublie entièrement son voisin de table. Jôan ne vas pas mentir ; il savait qu'en proposant à Jack de déjeuner avec lui, le dialogue allait être écourté par les sensations papillaires de ces fabuleux préparations. La cuisine est une matière où l'on ne blague pas. Le passé est empli de dîner sans saveur ; Joe ne veut plus manger du sable pour survivre.
&&Lorsque l'on a les moyens, il faut les employer. C'est n'est pas compliqué !
&&Il savait aussi que l'attente et la patience ne vivait pas dans tous les corps. Surtout chez les monstres. Après huit cent années d'existence, on doit s'être résolu à jouer avec la brume temporelle. Parfois elle est capricieuse et l'on ne peut rien anticiper. Parfois elle est sociable et les projets avancent. Jack n'est pas de ce type, serein. Dès qu'il a fallu moisir deux minutes, Joe l'a perdu.
&&C'est dommage. Il a l'air sympathique.

&&Il laisse le Reikosu terminer son repas tranquillou et se carapate. Assez abruptement d'ailleurs : vite fait, bien fait ! Bon, il n'en apprendra pas plus sur lui aujourd'hui. Le Segunda Espada congédie tout le monde avec un soupçon de nervosité. Ses bras gigotent et son visage se fronce. Les insectes qui tournent autour dans l'espoir d'un peu de reconnaissance ... « Bzz ! Bzz ! Allez oust ! Du vent ! Bzz ! Bzz ! »
&&Il est très impoli ce mec ! Partir, comme ça ... Rex, tu devras t'y habituer.
&&En sirotant une soupe à l’œil d'Hollow, il soupire. S'ils sont tous comme lui - ou pire -, il serait difficile de s'y accoutumer. Vraiment. Son vocabulaire est légèrement primaire. Cela se comprend, il n'est peut-être pas homme taillé pour l'aventure, pour une position d'importance. Lorsque l'on place un ouvrier mal rasé, illettré et benêt, on doit s'attendre à des erreurs, des faux-pas ... des conneries oui !
&&Il a cette manie, aussi, qui plongera vite notre héros dans la perplexité. Mâcher du tabac. Qu'est-ce que c'est que ça ? « Une vieille habitude » a-t-il dit. Mouais ... C'est vraiment laid. Il rumine comme les bovins. Ridicule. Ces trucs et bidules de mortel ne l'intéressent pas. Le dinosaure ne comprend pas non plus que l'on puisse leur donner une moindre valeur. Ce sont des proies. On les mange, on ne les étudie pas. Il serre les mains, mange comme un porc et mastique. Un truc cloche. Oui, mais quoi ?
&&C'est pour croquer dans de l'herbe qu'il a refusé mon excellence en plus !

&&Il repose le bol, y remet du jus et joint une cuisse d'Hollow volant. La chair et son goût s'approchaient de la pintade et le sirop réduisait le dessèchement du morceau lors de sa cuisson. Mijoter un « 'tit que'qu'chose » est satisfaisant. La kryptonite de Jôan le rend abominablement minable. Doux comme un agneau. Lui-même arriver à se haïr lorsqu'il se laisse trop aller.
&&Je suis un Arrancar merde !
&&En tout cas, s'imagine-t-il en hésitant sur deux plats, rien ne m'a été révélé. Très très utile ce petit entrevu. Je dois découvrir l'Espada tout seul ? Pas le choix. Deux sur Dix, je sens que cela va être long. Tant pis.
&&Tant qu'il peut repaître sainement ...
&&Tant qu'il est dans la salle à manger, seul, l'individu fait le plein. Sur le moment, il vient à percevoir les signaux de son corps. Il a assez mangé. Il a assez emmagasiné pour attendre jusqu'à ce soir - ou le goûter.
&&Sans demander son reste, il s'essuie la bouche, nettoie ses mains avec un verre d'eau puis quitte la salle. Le bazar reste sur la table de bois, aux faibles de faire le nécessaire.



End