Une déflagration de source inconnue avait éclaté dans le Yermo, non loin du palais. Le nuage de poussière témoignait de la puissance du coup, plutôt moindre lorsqu’on constatait par la suite la modeste taille du cratère qu’avait formé le Cero dans le sable. À quelques mètres de là, une Cinquième Lame aux cheveux ébouriffés et au souffle court pestait contre son inaptitude à améliorer sa maitrise des techniques spirituelles. Qu’il s’agisse d’un Cero ou de sa forme amoindrie, en l’occurrence le bala, elle était incapable de faire mouche sur la chaise qui faisait office de cible improvisée. Elle ne l’avait de plus jamais frôlé et cette constatation suffisait à amplifier sa rage. Quoiqu’elle ait une certaine facilité à réunir l’énergie au bout de son doigt, elle était dans l’incapacité de la contrôler avec justesse pour qu’elle ne s’échappe pas. Le résultat de cette lacune était simple; la création difforme filait contre toute attente dans des directions aléatoires.

Quoi qu’elle en pense, la raison de son inaptitude était simple : elle avait du mal à se calmer durant la formation de la sphère. Cela s’expliquait notamment par son caractère de nature hâtive et irascible qui l’empêchait de conserver une sérénité exemplaire malgré les nombreux échecs essuyés. Par ailleurs, plus souvent elle essayait une tentative et moins belle cette dernière était, preuve qu’elle perdait peu à peu patience au point de ne plus du tout s’appliquer. Elle en était rendue au point d’imaginer la chaise en train de la narguer, tellement indemne que personne ne croirait qu’elle avait servi de cible d’entrainement. Pour la énième fois, elle façonna avec lenteur la boule d’énergie noirâtre, mais avant même qu’elle n’atteigne sa taille maximale, elle s’évadait déjà de son emprise pour cette fois-ci faire collision à ses pieds. La déflagration était par chance diminuée par le manque progressif de force, mais suffit pour projeter la Cinquième à un mètre derrière, non sans l’étourdir en même temps. Quel échec.

Heureusement, elle ne s’était pas blessée. Après, difficile d’en dire de même pour son orgueil. Avouer être dans l’incapacité de surmonter sa pire faiblesse en termes de combat blessait énormément sa fierté, d’autant plus que ladite faiblesse concernait justement les bases mêmes du style de combat chez les Arrancars. Encore heureuse qu’elle puisse créer un Garganta, cela aurait bien été la honte finale de demander à un de ses comparses de lui ouvrir le passage à chaque envie de voyage qui lui prenait. Elle se releva immédiatement après sa chute, se libéra de la poussière accumulée sur ses vêtements, puis lasse de tous ces innombrables échecs, s’avança en direction de la chaise pour la sectionner d’un coup de katana précis, mettant ainsi un terme à sa « piètre existence ». Voilà qui mettait fin à son entrainement. Les résultats escomptés ne s'étaient pas réalisés, mais elle avait triomphé de son duel contre cette foutue chaise. L'idée de demander de l’aide à un de ses frères lui frôla l’esprit malgré le dégoût que cela pourrait engendrer si ça se réalisait. Certains d’entre eux devaient être passés maitres dans cet art. C’était à réfléchir.

Quoi? Hein? HEIN? Tu me cherches?

La folie de l’échec l’avait piquée, voilà que la jeune Lili s’adressait de vive voix à la chaise qui jonchait le sable, séparée en deux fragments depuis l’intervention de sa lame. Énervée, la Cinquième dégaina une fois encore son arme après avoir brutalement repoussé l’un des morceaux plus loin par un majestueux coup de pied. Le débris restant toujours à ses pieds, probablement en train d’implorer sa pitié. Non, pas après toute cette nargue dont elle avait été victime durant le tout début de son entrainement. Elle n’avait qu’à se prendre les Cero, cette chaise! Maintenant qu’il était trop tard, qu’elle goûte à son châtiment. La danse de sa lame avait débuté, venant déjà s’en prendre au pauvre morceau de chaise de plus en plus écorché. Dans d’habiles mouvements, vifs et précis à la fois, la chaise n’était désormais plus. Si Lili était un boulet en matière de Cero, au moins pouvait-elle se vanter de son habileté à manier les armes. Lorsqu’elle eut terminé son manège, elle ricana, satisfaite. Dans sa satisfaction, elle n’avait pas vu approcher une silhouette qui l’observait depuis moult secondes déjà…

Le compte était bon pour cette chaise. Plus jamais cette dernière n’allait avoir le loisir de se moquer de la Cinquième. Il ne restait sur le sable que les vestiges de ce qui devenait lentement néant, enterré peu à peu sous la nappe immaculée qui se mouvait sous un zéphyr discret. Observer la nature nettoyer la scène du crime eut le drôle effet de faire apparaître à la commissure de ses lèvres un sourire satisfait. Après, impossible de deviner les pensées qui berçaient la meurtrière dans une pareille délectation, tant celles-ci étaient dénuées de toute logique. Son arme blanche était demeurée un instant pointée vers le dernier des fragments, dont la taille ne dépassait pas celle d’une pomme, dans l’attente évidente de sa disparition. Le sable venait lécher les contours du débris sans pour autant l’emporter. Allait-il représenter une menace? Fallait-il le sectionner jusqu’à ce qu’il devienne poussière? La méditation s’arrêta à la voix d’un inconnu. Tirée de ses rêveries dans un sursaut, le seul réflexe qui la prit fut d’envoyer paître le morceau d’un coup de pied hâtif.

Eh. Buh. Ah. Euh. C’est pas ce que tu crois!

Le dialecte composé de balbutiements était difficile à cerner, mais venait du moins transmettre au spectateur clandestin le malaise dans lequel était plongée la Cinquième. Plus encore, la teinte rougeâtre qu’avait revêtue tout son visage ne pouvait donner plus flagrant indice sur son embarras. Comme une gamine qu’on venait de surprendre en train de s’emparer sans permission d’un objet, elle avait abandonné l’arme du crime sur le sol et avait immédiatement joint les mains derrière le dos. Le silence qui suivit sa tentative d’explications venait envenimer la situation, et ce fut une lutte constante pour éviter le regard du témoin, par crainte sûrement qu’il porte jugement. Les secondes s’égrenaient dans la plus grande gêne et avec elles, son malaise perdait peu à peu du terrain au profit de son arrogance coutumière. Dès son aplomb repris, ce fut un habile mouvement du pied pour retrouver la garde de son arme en main qui suivit, non sans avoir allumé au creux de son regard la braise qui la caractérisait si bien.

L’assurance était revenue. Après, difficile de savoir si son visage avait perdu un peu en couleur. Elle l’espérait. Il n’y avait aucune raison d’être gênée. Peut-être cet Arrancar n’avait été témoin que de la destruction de sa chaise. De ce fait, il avait pu avoir loupé tous les éléments précédents qui étaient la source de son précédent malaise. C’était un triste espoir qui alimentait ces pensées, mais qu'importe, car pour l’heure, il était préférable de retrouver de son aplomb et de chasser tout inconfort, histoire de ne pas trop perdre la face. Le ton acerbe qui teinta sa seconde réplique contrastait énormément avec son dialecte précédent, preuve qu’elle avait réussi à reprendre le contrôle de la situation. Le katana dressé dangereusement vers son invitée-surprise n’était rien de plus qu’une menace sévère. Qu’elle soupèse ses mots si elle tenait à ne pas rejoindre la défunte chaise sous le tapis de quartz.

Et puis qui t’a permis de venir me mater? Qu’est-ce que tu me veux? Mh?

Ce qu’il y avait d’agaçant chez ces moins que rien, c’était qu’on ne savait pas s’ils cachaient un quelconque jeu, ou s’ils étaient de nature lèche-cul. D’une part, cela faisait plaisir à Lili qu’on sache la reconnaitre et la respecter à sa juste valeur, mais à trop vouloir bien faire, un zeste de soupçons ne tarda pas à poindre dans son esprit. Que manigançait cet insecte à son insu? Ça, elle n’en avait aucune idée, mais elle ne se sentit guère plus hantée par ce scepticisme, plutôt flattée d’être traitée de la sorte. Bien sûr, elle ne montra pas même une parcelle de sa satisfaction; elle n’allait pas lui faire un tel plaisir, d’autant plus qu’elle devait conserver une attitude impeccable, comme l’exigeait le titre qu’on avait pris soin de lui rappeler. Et puis, elle n’allait pas se départir de l’arrogance qui la caractérisait si bien pour une poignée de louanges, au contraire.

Ouais, et je suis trop forte pour toi! Alors écrase, microbe.

Son arme retrouva le confort de son fourreau, venant mettre enfin terme à cette atmosphère tendue. Nul besoin de la menacer plus longtemps. Le nùmeros avait de quoi se considérer chanceuse qu’elle l’épargne de la sorte, et peut-être cette fortune avait été forcée par le comportement adéquat de cette dernière. Chose sûre, Lili aurait eu du mal à baisser les armes face à un jeune effronté. Considérant qu’elle ne croisait que cela, des microbes bravaches, elle allait bientôt être responsable d’avoir mené à leur extinction ces idiots. Heureusement pour l’insecte en face d’elle, Lili ne punissait pas les serviteurs respectueux. Après, qu’elle ait été témoin de son lamentable échec ne voulait pas nécessairement dire qu’elle allait répandre ces vérités aux quatre coins de Las Noches. Il y avait moyen de se faire entendre, et de faire respecter ses volontés.

Elle allait justement la questionner à ce sujet, lorsqu’elle remarqua la distraction soudaine sur le visage de son interlocutrice. Intriguée à son tour, c’est en lorgnant ce qui semblait se trouver derrière qu’elle vit un escadron de Hollow se diriger sur eux. Ils avaient fort probablement été attirés à la suite des entrainements de la Quinta qui n’avaient pas été des plus discrets. Alors qu’elle s’était déjà mise à l’esprit de devoir les en chasser, notamment parce que sa compagne était « bien trop faible pour cela », la voilà qu’elle osait le premier pas en direction des monstres, non sans adresser à Lili quelques mots qui ajoutaient au ridicule de la situation. La Vasto Lorde la regarda prendre les devants, non sans arquer un sourcil, intriguée à connaitre l’idée qui animait ce moucheron d’un si grand courage.

Qu’est-ce que tu fo…

Quand elle vit poindre au creux de sa main une lumière familière et écarlate, elle n’eut d’autre réaction que de serrer des poings et des dents, soudainement offusquée. Et à peine allait-elle souhaité interrompre la formation de son Cero, qu’elle le vit fuser en ligne parfaite en direction des monstres, offrant une magnifique explosion, non sans terrasser en même temps quelques-unes des grandes créatures. À côté de sa maîtrise, Lili ne valait absolument rien. Elle était beaucoup trop enragée. Il ne s’agissait-là qu’une flagrante provocation venant ainsi confirmer que la nùmeros avait été témoin de ses incalculables échecs, et donc aussi avait été spectatrice de la mise en pièces de cette détestable chaise. Foule d’idées malsaines traversèrent son esprit durant une fraction de secondes, avant qu’une seule lui soit suffisamment pertinente pour l’exécuter dès maintenant.

Alors que le nùmeros donnait la forte impression de la narguer en l’invitant à prendre part à ces lancés de Cero, Lili empoigna cette dernière par le col de son vêtement et, sans même en donner l’alerte, balança son corps frêle en direction des Hollows restants. Voilà qui était chose faite. Au vue de leur nombre et de la rapidité à laquelle ils avançaient, elle ne tarderait pas à souffrir. Le regard embrumé par une rage meurtrière, elle attendait avec impatience que son heure arrive. Pour ajouter à son plaisir malsain, elle extirpa une fois encore son arme de son étui et exécuta de brefs moulinets, un air malicieux peint au visage :

Soit tu crèves par ces Hollows, soit c’est par ma lame.

Pour quelqu’un de « bien trop faible », l’insecte cachait quand même un bon potentiel. Si les ennemis à qui elle fut lancée comme plat n’étaient pas d’une puissance inégalée — et loin s’en faut pour le devenir, leur nombre aurait pu suffire à l’écraser, du moins, c’était ce dont Lili avait espéré. Peu importait, car la Cinquième avait eu la lucidité d’esprit de dégainer son arme, offrant ainsi une alternative qui conduirait sans problème au résultat escompté, soit la mort de cette insignifiante chose. Et quoique le microbe ait démontré une force exemplaire, ça ne faisait pas un pli qu’elle n’aurait aucune chance si l’Espada se décidait à abattre son arme. Curieusement, rien ne se fit, Lili demeura de marbre, le sabre pointée vers le quartz, sans que celui-ci ne soit propulsé mortellement sur la bête à ses pieds.

À dire vrai, la blondinette était interloquée. Elle avait bien souvent vu des Hollows à l’état primitif s’entre-dévorer et faire preuve d’une sauvagerie que pas même le plus féroce animal pourrait concurrencer, mais jamais elle n’avait rencontré un Arrancar empreint d’une pareille bestialité et animé d’une gourmandise insatiable. Même Lili, dont la forme évoluée n’était pas d’une esthétique notable, ne dévorait pas de la sorte les êtres inférieurs, d’autant plus que cela ne constituait même plus une activité à jour, elle qui ne ressentait plus du tout le besoin ni l’envie de se mettre sous la dent ces horribles monstres. Être spectatrice du repas du nùmeros lui rappelait quelques très vagues souvenirs où elle dégustait elle aussi les créatures, et ce qui avait été, naguère, un besoin d’évolution était devenu désormais tellement futile qu’elle avait perdu tout souvenir de cette période. Jusqu’à maintenant.

Donc voir un Arrancar manger autant de créatures à la fois la sidérait, bien qu’elle ne se doute pas qu’il existe en ce monde déjanté quelques humanoïdes dont la sauvagerie et la gourmandise ne s’étaient pas dissipées au fil de l’évolution. Il demeurait que voir de ses propres yeux ce qui n’était autre que la réalité, le reflet d’une chaine alimentaire présente en cette dimension, la surprenait, n’étant plus habituée du tout à cette pratique plutôt barbare. Et ce qui la médusait encore plus, ce fut les sincères excuses du paltoquet qui regrettait vraisemblablement d’avoir été prétentieux. Le sadisme de sa forme évoluée fut immédiatement échangée pour un repentir qui, au premier abord, semblait honnête. Cela n’allait certainement pas être suffisant pour se faire pardonner, mais ça mettait du baume au cœur à celle qui avait été largement offusquée par le comportement prétentieux de cet insecte.

De quel droit, vraiment, avait-elle cru pouvoir lui donner une quelconque leçon? Le grade qu’elle occupait ne lui donnait absolument aucune permission de s’adresser de la sorte à l’Espada, l’Élite du Seigneur le Roi Grimmjow. Et que ça ait été volontaire ou non avait très peu d’importance aux yeux de Lili, que pas même les plus plates excuses ne pourraient consoler. Après que quelques secondes se soient écoulées dans un silence parfait, la fureur revint frapper, provoquant ainsi l’érubescence de son visage. Le sang lui battait les tempes, et il lui fallut bien moult efforts pour ne pas laisser libre-court au bras qui gardait en maitrise le Zanpakuto, car une seule seconde de faiblesse suffirait à laisser la colère parler, aussi sanglant pourrait devenir le dialogue. D’un geste sec, elle se résigna au pardon, renvoyant par le fait même l’épée dans sa gaine, avant qu’elle ne change d’idée. La raison? Le microbe pourrait lui être d'une utilité un jour. Elle ne devait pas éliminer ces sacs à viande, leur rôle de chair à canon pouvait être très prisé.

Bien. Je suis généreuse. Je te pardonne pour cette fois, mais si tu oses tenter de m’humilier une fois encore, je te jure que tes tripes je te les fais bouffer.

Le ton avait été donné, le sérieux qui teintait ses menaces ne pouvait être pris à la légère. Prise d’une attitude soudainement plus hautaine, elle rajouta, alors qu’elle s’apprêtait à quitter les lieux :

Souviens-toi de ma gratitude, mais rappelle-toi qu’ils ne seront pas tous ainsi à ton égard Maintenant file, insecte. On se reverra...