L’esprit de meute, un concept. Une idée encore trop vague et indomptable pour la Principessa jusqu’alors habituée au calme, à la sérénité offerte par la traque en solitaire. On lui avait pourtant imposé Aleksi, bouclier humanoïde de premier ordre dont la folie n’avait d’égal que son manque de discrétion ce qui, souvent, l’amenait à tenir un rôle d’appât tout trouvé. Il en aura fallu du temps pour que sa présence ne soit plus un fardeau, pour que sa fougue incontrôlable puisse être dirigée vers une proie commune, pour qu’il s’affiche comme seconde lame et non plus sous les traits d’une bête sans cervelle. Il en aura fallu du temps, trop peu malgré tout. Or cette fois la Tercera ne devait pas composer avec un unique disciple, mais bien quatre. Quatre jeunes femmes ayant chacune son propre potentiel, sa propre personnalité, tempérament, et ce qui va avec. Autant dire, un sacré paquet d’ennuis supplémentaires puisque son binôme ne brillait certainement pas dans l’art d’ignorer la gente féminine. Au grand dam de sa supérieure, il disposait maintenant de l’embarras du choix pour assouvir ses basses besognes lorsque toutefois la victime concernée ne le renvoyait pas à grands coups de pieds dans le fondement. Si seulement cela pouvait suffire à calmer ses ardeurs…

Fort heureusement ce jour-là le bougre vaquait à ses occupations dans un quelconque endroit perdu du Yermo, suite aux directives impériales. Car subvenir aux besoins d’un groupe, de ses filles adoptives notamment, passait bien entendu par la case « Chasse et pêche ». Mais sans la pêche, du moins si l’on ne considère pas l’océan de sable comme tel. Un souci de taille, le gibier se faisant rare depuis les récents troubles au sein du Hueco Mundo. D’autant plus que les besoins nutritionnels quotidiens se voyaient aujourd’hui quintuplés, et que la Tercera ne s’abaisserait ô grand jamais à se repaître par d’autres moyens que la chasse. Si la plupart de ses congénères de l’Espada se contentaient d’un service à la personne et d’installations leur évitant une telle pratique, pour la jeune femme et sa meute on aurait tôt fait de les jeter dehors devant le constat d’impuissance face à la disparition dudit personnel de maison au fil des jours. S’y ajoutait le problème lié aux forces armées de Las Noches. Le roi Guignol voyait d’un mauvais œil le fait que ses troupes soient également sujettes aux lois de la nature. Ce pourquoi dès lors qu’on l’en informa, l’impératrice des sables prît grand soin d’apprendre un nouveau tour à son escadrille. Aveugle, elle disposait sous sa forme la plus primitive de sens accrus dont l’odorat, qui en accord avec l’analyse de son banc d’acier virevoltant pouvait sans mal répertorier n’importe quelle trace spirituelle digne d’intérêt pour ensuite la canaliser et la garder en mémoire jusqu’à ce que la mort les sépare. Ou que l’individu vire de bord, comme ce fût le cas jadis pour son éternel rival Dark.

Toutefois, bien qu’elle prenne un soin rigoureux et tout particulier à l’accomplissement de cette tâche pour éviter tout problème, il ne lui était jamais possible de suivre le mouvement. Lorsque vous vivez loin de la fourmilière difficile de se tenir au courant des mutations, du recrutement. Il arrivait donc, en de rares occasions, qu’elle prenne en chasse un membre non répertorié de la cité Blanche. Ce qui est généralement regrettable pour la cible en question.

- Encore un qui veut jouer à cache-cache. Les filles on ratisse. Manœuvre spéciale aujourd’hui.

Sans un bruit, le commando fut littéralement absorbé par le manteau d’ivoire. Leur royaume, leur terrain de jeu, et la tombe de leurs victimes. L’esprit de meute, c’est aussi une façon de communiquer. Depuis que le quatuor l’avait rejointe, Daestra eut pour obligation d’apprendre un nouveau langage proche de la télépathie et de la transmission par ondes spirituelles complexes. Le seul moyen pour Betelgeuse de se faire comprendre car la pauvre ne possédait pas d’organe buccal. On ne choisit pas sa forme animale…

Elles déambulèrent ainsi près de la zone ciblée en quête de leur repas du jour. Lequel visiblement cherchait consciemment ou non à se défiler, ce pourquoi l’escouade opta pour un balayage intégral. Une fois repéré, car à moins de se cacher également sous terre il n’était clairement pas possible de leur échapper, toutes se positionnèrent de manière à l’encercler. L’hybride s’avança, tourna un instant juste au-dessous de lui pour finalement ordonner l’assaut. De multiples geysers de sables crevèrent les cieux. Le requin jaillit, empoigna les épaules du gibier qui en une fraction de seconde se retrouva à terre, le monstre à califourchon sur son torse et une poignée d’autres prêts à le démembrer. Sauf que…

- Dites-moi que je rêve… Encore un pion du roi, je me trompe ? Bordel, je vais finir par foutre des pancartes, s’il faut en venir là pour qu’on arrête de piétiner mes plates-bandes…

Après un bref signe de la main indiquant à ses ouailles l’avortement du processus, la Tercera prit quelques secondes pour renifler soigneusement l’individu d’apparence trop humaine pour n’être qu’un vulgaire poulet. Cruelle déception. Avant de se retirer et d’opter pour une stature plus décente lui parcouru néanmoins l’envie subtile de lâcher ses filles sur le malheureux en guise de punition. Au moins pour subvenir à des besoins plus… Passionnels même si tout aussi macabres dans le cas de Stup. C’aurait été faire preuve de clémence à l’encontre du jeune mâle étalé sous ses yeux caves. Elle se ravisa.

- Des choses, oh oui… Tout un tas de choses, laisse donc tata…

- Stup, pas maintenant !

La nonne commençait à perdre patience, à sinuer tout autour du malheureux dans l’espoir de se jeter dessus la première. Un ordre, juste un seul aurait suffi pour qu’elle le taille en pièces non sans l’avoir au préalable forcé à accomplir d’inavouables desseins. Comme sa maîtresse ne l’entendait pas de cette oreille, la Manta se mit à pester de manière puérile tout en se défoulant sur le sable à grands coups de pieds. Si la dompter est un véritable jeu d’enfant, contenir sa soif de luxure en revanche n’est pas mince affaire. Aussi prit-elle l’initiative d’exclure son équipe histoire que les filles ne commencent pas à régler leurs comptes faute de mieux.

- Flip, changement de secteur. Faites ce que vous voulez, mais loin d’ici. Je vous retrouverais au bercail, le moment venu. Exécution.

Elle n’eut besoin que de mots, accompagnés par un vague signe de la main pour que sa meute prenne le large sans demander son reste. De braves bêtes loyales, obéissantes mais têtues. Il est fort probable qu’elles ne s’éloigneraient de trop, soucieuses malgré tout du sort que leur mère réserverait à son invité du moment. Lequel semblait, à juste titre, visiblement mal à l’aise et craintif. Sa requête le trahissait, de même que son sourire de façade. Pour une aveugle experte dans l’art de la dissimulation, voir au-delà du rempart de chair est indispensable. Vital, et cela compense de très loin la perte de son regard incandescent, qu’elle ne retrouve d’ailleurs que de façon partielle les rares fois où elle s’échappe de la chrysalide ivoire. A ce jour d’ailleurs, personne ou presque ne pouvait se vanter de l’avoir aperçue sous l’armure. Outre la bête sanguinaire ayant constamment besoin de chasser il y avait aussi cette peur d’être reconnue, de paraître faible et accessible. Civilisée, comme avant. Mais que reste-t-il de sa vie d’antan ? Que reste-t-il de la jeune Shinigami aux milles prouesses et au sourire en double teinte ? Rien, tant que l’on ne brise la carapace immaculée. Or depuis sa libération dans les ténèbres, un seul homme avait accompli cet exploit. Malheureusement le colosse n’avait eu le temps d’en jouir et l’avait très probablement accompagnée dans les limbes. Si seulement elle avait un nom…

- Il n’y a rien à excuser, ma clémence elle-même est impardonnable. Mais tu vas me servir, comme les rares pour qui j’en ai fait autant…

Lui servir, lui être utile. D’une quelconque manière. En l’état, sa misérable carcasse ne lui servirait qu’à se repaître, à imposer les lois de la sélection naturelle que l’impératrice incarnait sans doute possible. Pourtant ce requin-ci, à la différence de ses congénères dont elle revêtait le costume n’agissait pas uniquement par instinct. Être un monstre ne veut pas nécessairement dire être dénué d’intelligence. L’exception à la règle, pour le plus grand malheur de ses ennemis ou alliés qui ne la voyaient que sous la forme d’une bête. Que son humanité s’efface progressivement est une chose, toutefois Daestra demeure une Chibiko. Fille d’un stratège hors pair et d’une vice capitaine militaire. Les deux ne sont plus de ce monde certes, mais elle bénéficie toujours de leur enseignement. Pour l’instant, et donc, d’un minimum de jugeote.

- J’ai des questions pour toi. J’en ai toujours pour ceux que je laisse repartir. Echange de bons procédés, dirons-nous.

Sur ce la prédatrice redoubla l’intensité de son sourire carnassier et, tout en continuant de le dévisager sous son masque de chimère aux orbites creuses se mit en tête de tourner autour de sa proie, lentement. Surtout, qu’il ne baisse jamais sa garde.

- La raison de ta présence ici, ton allégeance, ton matricule, ce que tu tentes de cacher sous cet air d’abruti. Voilà ce que j’exige. Car on ne se promène pas, camouflé de surcroît, dans le désert avec un potentiel comme le tien. Question de logique, imparable. Prends garde alors à ce que tu vas chanter, petit oiseau, car je suis de ceux qui voient à travers le plumage…

L’entretien à huis clos prenait progressivement des allures d’interrogatoire militaire. Tandis que l’officier Daestra sondait sa victime du jour l’homme, en position de faiblesse mais néanmoins statufié comme le serait une première classe devant son chef de rang se mit à débiter de manière toute aussi académique un flot de réponses concises, brèves et efficaces. Il ne s’agissait visiblement que d’une façade, d’un rôle car sous ses airs craintifs le cowboy bouillonnait littéralement. La fureur et la soif de violence débordaient, et malgré le fait que son interlocutrice ne put en lire l’expression sur son visage elle sentait clairement la tempête ne demandant qu’à éclater. Une bonne chose que la proie ne succombe, auquel cas la situation ne tournerait certainement pas à son avantage. Combien même il pourrait lui tenir tête, cela ne prendrait qu’un instant avant que la sienne finisse loin derrière les restes de son corps sanguinolent. Inerte. Il en avait pleinement conscience.

- Un trappeur tend des pièges, dans le but de capturer et revendre le fruit de son labeur. Ce n’est pas mon cas. D’ailleurs, nous n’avons absolument rien en commun, malgré les apparences. Peut-être le découvriras-tu un jour, si tu vis assez longtemps…

Contrairement au jeune homme sans doute, la Tercera chassait avant tout pour son propre besoin et celui de sa meute. Pour se nourrir essentiellement, et satisfaire bien d’autres penchants. Tendre des pièges se limitait pour elle à de la logistique, une manœuvre coordonnée afin de mettre la créature hors d’état de nuire en une fraction de seconde. Pas de recourir à des artifices, preuve indubitable que leur créateur manquait d’imagination. Une sale besogne se doit d’être accomplie par ses propres moyens, quitte à finir avec le sang d’un autre sur sa belle tunique. Déléguer, toujours déléguer… bientôt plus aucun Arrancar digne de ce nom ne saura faire les choses en son nom. Il n’y avait pour cela qu’à voir leur tête à tous, et leur dégaine d’humains. Sans parler du fait que la plupart de ses congénères rencontrés jusqu’alors ne pouvaient s’empêcher de revendiquer le titre de chasseur. Comme s’il s’agissait d’un rang honorifique, ou d’une quelconque marque de valeur. Or chasseurs, ils le sont tous de nature. Sinon comment évoluer ? Malheureusement, ou heureusement pour elle, très peu savaient le faire à proprement parler. Un comble lorsqu’on sait que la jeune Chibiko n’est rien de plus que le fruit d’une expérience en laboratoire. Un cobaye. Une arme de guerre forgée dans la souffrance et la haine la plus pure.

- Mais passons. Tu viens de mentionner la quatrième Lame. Intéressant. Ainsi donc l’Espada compterait-elle de nouveaux larbins ? Quel est donc ton rôle là-dedans, celui de recruter la chair à canon ?

Cela faisait des lustres que le prédateur n’avait pas risqué ses nageoires par-delà le seuil de la forteresse. Personne ne la demandait, il n’y avait donc aucune raison pour qu’elle s’y rende avec sa tribu. On ne se libère généralement pas de ses chaînes pour ensuite revenir et tailler un bout de gras avec les nouveaux geôliers. Question de logique. Sans compter la foule de cadavres qui finiraient par joncher le dallage blanc au bout de quelques heures seulement, voire pire, tomber sur Dark et ainsi s’engager dans du gros œuvre visant à ajouter d’innombrables ouverture indésirables au hard de leur éternelle rixe. Que de bonnes excuses donc, pour ne pas en plus se tenir au courant. Sauf bien évidemment, dans le cadre d’une rencontre en plein cœur du désert qu’elle revendiquait de droit. Et pour l’heure, cet individu suffirait amplement à combler le retard.

Elle s’approcha donc de lui doucement, laissant croître la pression spirituelle autour de son corps histoire de jouer avec l’aura contenue du trappeur. De cette façon, elle imposa sa suprématie tout en le mettant en garde. Le moindre faux pas, lui serait fatal.

- Toi qui dois sans surprise leur nettoyer les bottes à coups de langue, toi qui semble si… Libre tout en étant immanquablement soumis au dictat des Lames. Dis m’en plus sur eux, enfin, dans la limite du possible. Il me plairait de savoir qui compose la cour du Roi Guignol. Qui je risque de trouver un beau jour sur mon chemin et qui je dois, comme pour toi, laisser en vie faute de mieux.

Tibors Tiesce. De toute évidence ce nom ne lui revenait absolument pas. Non pas qu’elle mésestimait les individus de son « espèce » en se basant uniquement sur un patronyme, mais toute créature se servant de plus faibles dans le but de déléguer et donc, éviter de se salir ne méritaient à ses yeux que le plus pur mépris. Par ailleurs, en se basant sur le ton employé par le cowboy, on pouvait sans mal affirmer que celui-ci ne semblait pas non plus le porter dans son cœur. Ou ce qu’il en restait. Il l’utilisait pour nourrir d’obscurs projets, ce qui pourrait en dire long sur leur nature. Capturer des Hollows ? Si ce n’est pour constituer une armée rebelle ou des sujets d’expérience et mettre en place un système capable à termes de nuire au Roi Guignol, alors quoi ? On ne demande à personne de chasser en son nom dans l’unique but de se subvenir à ses besoins primaires. A moins de s’appeler Daestra. Or la Principessa se dressait précisément en face de l’outil chapeauté censé servir ce mystérieux Cuarta. Cela méritait donc qu’on s’y attarde un moment, mais en d’autres lieux. D’autres temps.

- Tout service demande contrepartie en ce monde, surtout dans le nôtre. A moins d’agir sous la menace, ce qui ne semble pas être ton cas puisque tu chasses librement dans ce désert infini l’énigmatique Cuarta doit t’avoir fait miroiter quelque récompense. Ou un service en retour. Peu m’importe tout cela. Toutefois sache que ma clémence est à usage unique. Le Valet de Pique grille son Joker et chatouille la Reine de Cœur.

Le jeu de mots douteux lui avait explosé au visage, en remarquant par une analyse plus poussée que son interlocuteur portait en de multiples endroits quantité d’objets en rapport avec une sorte de jeu aperçu sur Terre lors de sa dernière ballade. Des gens généralement attablés s’en armaient et se les lançaient comme autant de lames dont la valeur se limitait au nombre ou à la figure royale y figurant. Comment peut-on éprouver autant de plaisir à défaire son ennemi sans coups ni effusions de sang ? Encore une chose qui lui faisait hausser le sourcil, encore une raison valable pour ne pas considérer les êtres humains comme autre chose que du gibier. Gibier savoureux qui plus est.

- Je te congédie. Ton utilité, proche du néant fut néanmoins suffisante pour que je t’épargne et te remette aux mains de la nature. Informes donc ton Maître qu’à partir de ce jour je ne tolèrerais plus aucune intrusion sur mon territoire. Et s’il faut t’aiguiller pour savoir où se situent les frontières de mon empire, c’est simple : Plus rien n’y vit. Quant à tes pièges, je veillerais à les détruire dès que j’en localiserais un. Je ne partage pas, c’est aussi ça, être chasseur. Maintenant va, et ne revient jamais par ici.

La mise en garde fut claire, sans options ni discussions possibles. Maintenant qu’elle pouvait mettre un, voire plusieurs visages sur la cause éventuelle de sa pénurie et sur l’abondance de pièges alentours nul doutes qu’elle serait maintenant en mesure de riposter. Sans besoin de déléguer. L’esprit de meute, c’est aussi donner l’exemple et se mettre en avant. Appuyer son autorité. Et dieu sait que la Tercera en avait besoin, avec celles qui lui collaient aux basques. Ce qui lui rappela d’ailleurs que ses filles devaient sans doute rôder non loin. Ce pourquoi elle ne s’attarda plus longtemps en compagnie du sous-fifre et, après lui avoir offert son plus beau sourire accompagné d’un bref signe de la main, disparut aussi vite qu’une goutte d’eau en plein désert aride.