C'était encore une journée calme.

Fumiko courait, talonnée de deux médecins chevronnés, usant de tant à autre d'un Shunpo bien placé. Heureusement leur lieu de destination n'était pas trop loin, et même si Fumiko n'avait que peu eu l'occasion de s'y rendre, elle en connaissait le chemin par coeur. On n'oubliait pas les visites à la Neuf, et Fumiko n'avait que peu apprécié le premier et dernier volet de ses aventures à la Justice. A vrai dire, quand on lui avait annoncé une « urgence indéplaçable » dans les locaux même, un petit tressaillement au coeur lui était né. Il ne s'était pas démenti quand on avait confirmé le grade élevé du blessé. La Lieutenante n'allait pas pouvoir y couper, d'autant plus qu'elle se devait d'entretenir des relations diplomatiques avec chaque Division, et encore plus avec la Justice.

Et c'était la raison pour laquelle elle s'engouffrait maintenant dans les vieux et élégants bâtiments de bois, conduite par quelques bureaucrates affolés vers les lieux du crime. Alors, de quoi s'agissait-il ? Le Capitaine s'était-il encore coupé l'index avec une enveloppe ? Shinjiro avait-il eu une envie soudaine de refaire la décoration de la salle à manger à grand coup de hachoir ? Un rire aurait-il soudain éclaté au milieu du Palais des Glaces, provoquant la stupéfaction des autochtones et des ruptures d'anévrisme chez les plus vieux fossiles de la Division ?

Ou alors peut-être allait-elle découvrir la raison de la mutation de ce foutu Teippei... Peut-être bien.

Ils arrivèrent enfin dans la salle où gisait le patient, après un enfer de dédale. Ses deux assistants se jetèrent sur le mourant, qui apparemment s'était pris un vilain coin de tiroir sur le coin de la gueule. Elle écarta la foule de curieux d'un geste, les chassa d'un mot. D'un coup d'oeil, Fumiko estima que sa présence n'était que fort peu utile. Elle s'éloigna un petit peu, observant d'abord ses hommes agir. Ils n'étaient peut-être pas bons au combat, c'était difficile à nier, mais ils excellaient absolument partout ailleurs. Soin, Kidô, Shunpo... Elle n'avait pas à avoir honte de sa Division.

Elle alla s'appuyer sur un mur, ne perdant pas un geste de ses subalternes, les corrigeant parfois d'un mot. Ils se trouvaient dans une salle très large, ouverte sur une cour intérieure ornée d'un jardin à la « zen », spécialité de la Justice. Les murs étaient couvert d'armoires assez laides en fer, complètement anachroniques en les lieux bien que d'une grande praticité, et qui débordaient de papiers et de dossiers, beaucoup marqués d'un sceau « Top Secret »...

Un endroit intéressant, vraiment.

Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, putain !?

Non mais, c'est vous qui avez foutu ces armoires horribles dans mon jardin ? Je viens de tout faire retaper, c'est pas pour que vous me salopiez le boulot hein ! Alors maintenant, vous me dégagez ça et fissa !

Non mais pourquoi vous me faites ça hein ? Pourquoi ? Qu'est-ce que je vous ai fait moi ? Démone, harpie ! Pourquoi, hein ?

* * *

Fumiko posa la pile de dossiers sur le bureau de sa très chère Troisième Siège. Comme à l'habitude, elle y avait incorporé un document de plus par rapport à la veille. Elle était quand même super sympa, la Lieutenante; elle donnait le travail par dose gradée pour mieux faire avaler la couleuvre à sa nouvelle esclave de poche. Et il fallait avouer, aussi étonnant que cela puisse être, qu'Asuna était assez efficace. Évidemment, pour s'attirer les bonnes grâces de sa supérieure, il eut fallu qu'elle traite deux fois plus de dossiers de son propre chef, mais cela n'aurait en aucun cas atténué les soupçons terribles que Satô nourrissait envers elle. En fait, il était plus à craindre que cela les aurait renforcé, la Lieutenante pouvant toujours être portée à penser que l'insupportable lavasse voulait son poste, ou pire, celui d'Isane.

Nom d'un chien, c'était Fumi la future Capitaine, et personne d'autre !

Et sur cette remarque intime et rageuse d'orgueil mal refoulé, Satô sortit une clope pour se la coller au bec, avant de partir dans une recherche désespérée d'un briquet, d'une allumette, d'une bougie, d'un âtre... N'importe quoi qui pourrait lui permettre d'accomplir son vice, parce que bien sûr si la jeune femme avait toujours un paquet sur elle, le briquet était une option qu'elle chassait un peu trop aisément de son esprit. Ou plutôt qu'elle faisait inconsciemment porter par son merveilleux Ryu, acheter officiel de clopes illégales, avant de l'envoyer faire ceci ou cela à l'autre bout de Rukongai.

La cigarette s'écrasa dans la main frustrée de celle qui aurait du la fumer avec volupté, finissant sa course sur le sol, laissant s'évader quelques brins de tabac. Elle fut écrasée une dernière fois par un talon rageur, avant d'être oubliée là, désespérée de ne finalement pas accomplir son destin et d'aller plutôt rencontrer le voleur du siège préféré de Kuragari, qui lui ferait alors connaître les joies de la poubelle.

Satô sortit de son bureau en claquant la porte, faisant sursauter le médecin qui passait là. Elle se rappela de justesse les protocoles, salua l'homme d'un coup de tête, et s'éloigna à grands pas vers... Nulle part. Elle voulait juste un moment pour se poser, pour se vider la tête, pour réfléchir enfin à tout ce qui lui tombait sur le poil ces six dernières semaines. Mahô Tsukaï, promotion, déménagement, blessés, collaboration, vols de matériel, entraînement, concurrence, Troisième Siège, nouvelle Capitaine, soins, Vieille, livres, et tutti quanti... Fumiko n'avait même plus le temps de s'en griller une tranquille, et cela lui manquait, parfois. Jusqu'à ce qu'elle se rappelle la largesse de son nouveau bureau et les crédits supplémentaires pour ses petits projets. Mais le cafard était là, et elle saturait.
L'accumulation la perdrait, si elle ne prenait pas un peu de temps pour elle. Comment faisaient les autres Divisions ? C'était un mystère pour elle, notamment parce qu'elle était incapable de se rendre compte que la plupart des autres Lieutenants étaient plutôt du style à se reposer surtout sur leurs subalternes, à un bien autre degré que la Vice-Capitaine des Soins. Et ils n'avaient également pas la sale habitude de se coller des hobbies et des passe-temps en tout genre.

Elle en était là dans ses réflexions quand, à un carrefour de couloir, tournant vaguement la tête, elle aperçut comme une silhouette, mêlée à la foule de ses compatriotes. Une silhouette qui dominait la foule et qui a vrai dire la glaçait sur place.

Fumiko fit un arrêt sur image. Réfléchit un instant. Recula de quelques pas, traversa le couloir en courant, arriva dans le dos de la silhouette hautaine. Les passants esquissaient une grimace de frayeur et de je-suis-pincé-du-cul, parfaitement adapté au personnage au haori: un mimétisme comportemental des plus intéressants, nota Fumiko, et qui ferait un excellent sujet d'étude. Mais là n'était pas le plus urgent... Il fallait encore savoir pourquoi le Capitaine de la Neuf, réputé pour être aussi bon en soins que la crème de la crème de la Quatre, était là.

« Capitaine Yakushiji, puis-je vous aider ? »

En espérant qu'il l'entende... Et qu'il daigne se retourner.

Satô-Fukutaishô... Oui, vous pouvez m'aider. C'est justement vous que je cherchais.

Pouvons-nous parler sans oreilles indiscrètes ?

Midorima Teippei. Voilà ce qui m'amène. Comment se comporte-t-il depuis qu'il est sous la garde de la Quatrième ?

Le Capitaine s'était éloigné de quelques pas, fuyant ainsi les oreilles indiscrètes. Il s'enfonça dans un petit couloir étroit et peu fréquenté: les médecins comprirent instinctivement qu'il y avait aparté. Satô savait que dans les minutes à venir, le couloir où se tenaient précédemment les deux gradés se viderait, jusqu'à être un désert de silence. Elle le suivit, la mine grave et le pas lent.

« Je dirais... Egal à lui-même. »

Fumiko ne s'étendit pas sur la question. On n'allait pas lui faire croire que Yakushiji croyait un seul instant à une rémission potentielle du malade aux voix, et encore moins qu'il s'en souciait un quart de seconde. Ce dernier avait assassiné -c'était le mot- le fabuleux jardin zen de la Neuf, que Satô savait être un paradis sur terre pour s'y rendre de temps à autre afin d'y trouver un peu de paix. Bien que le bel havre eut été refait, et plus grandiose encore, le Capitaine n'avait pas pu absoudre le criminel aussi vite, si tant est qu'il eut envie de le faire. De même, on ne pouvait penser que la Neuf chercherait à réintégrer en ses rangs le jeune Teippei, même si celui-ci guérissait jusqu'à devenir la copie conforme de Yakushiji. Enfin, s'il avait voulu des nouvelles, la tête de la Justice aurait envoyé un pécore quelconque, et ne se serait jamais déplacé de lui-même. Surtout quand on savait, comme Fumiko, que le Capitaine vivait selon des horaires très rigides et que cette heure de la journée était le plus souvent consacrée à la pratique de son instrument de musique.
En somme, la demande de nouvelle n'était qu'une diversion pour entrer dans le vif du sujet. Et Fumiko n'avait absolument aucune envie de faire remarquer au Capitaine qu'il serait bon qu'il se remue le contenu du hakama, parce que schtroumpf, elle avait une cigarette à fumer et un coin d'herbe verte à trouver. Maintenant.

« Hélas, vous n'ignorez pas que les traitements que nous avons administré jusqu'ici au jeune Midorima ont été inefficaces, pour notre plus grande honte. Cependant, nous n'avons pas abandonné tout espoir: la Douze nous a promis d'ici peu de nouveaux remèdes qui pourraient avoir d'excellents résultats. »

Fumiko esquissa un sourire de circonstance, pensa un instant au temps que sa Vieille mettrait à soigner le jeune homme, réalisa, amusée, qu'il serait ridiculement court et qu'il n'était pas plus mal que l'Ancêtre reste dans les tréfonds du Rukongaï.
Et elle se tut, attendant patiemment que son hôte lui révèle le sujet de sa visite. Avant de réaliser qu'il serait peut-être plus diplomatique de lui offrir une tasse de thé, comme cela se faisait. Et Fumiko allait poser la bonté jusque là, quand soudain une voix bruyante passa dans les couloirs, et un médecin et sa compagne d'apparaitre et disparaitre dans l'encadrement de la porte. Une clope allumée en main.

Fumiko perdit tout bon sens.

« Mais peut-être puis-je vous rediriger vers le Capitaine Kotetsu ? Elle est plus à même que moi de vous éclairer sur les nouveaux projets de la Douze. »

C'était évidemment faux, puisque Fumiko connaissait par coeur tous les dossiers, archives, papiers qui traînaient dans les locaux. Mais là, elle était en mode clope, et c'était parti pour durer.

Très bien. J'espère que la réponse aux problèmes de ce Shinigami sera trouvée au plus tôt, je ne voudrais pas qu'il reste trop longtemps un tracas pour vous. Comme vous me le conseillez, je tâcherai un jour d'aborder ce sujet avec votre Capitaine. Je n'ai malheureusement pour l'heure pas le temps de lui réclamer une entrevue. À la rigueur, faites-lui savoir que je suis venu, qu'elle sache qu'il est possible que je me présente à nouveau dans le but de parler de ce cas.

Quoi qu'il en soit, merci du temps que vous m'avez accordé. Je m'en retourne à mes occupations et vous laisse faire de même !

Citation :

Finalement pas trop inspiré par la situation, autant en rester là donc plutôt que de s'acharner. Au moins nos persos se seront rencontrés, ça pourra servir pour de futurs Rps.

Et... Le Capitaine de stopper là la discussion pour s'en retourner vaquer à ses occupations diverses. La silhouette massive de l'homme s'éloigna, à mesure qu'elle mesurait l'étrangeté de la discussion. Elle eut à peine le temps de le saluer, surprise, avant qu'il ne se détourne d'elle.

« C'est tout naturel, Capitaine. Je vous souhaite une bonne journée. »


Il était parti. Aussi vite qu'il était venu, et de toute évidence tout n'avait pas été dit. Encore une fois, nul ne pourrait faire croire à la jeune femme que celui qui était réputé pour être le bras armé de la Justice avait pu réellement venir en ces lieux avec pour seul but de s'enquérir de la santé d'un fou incurable. Cela dit, Yakushiji pouvait être de ce genre d'homme qui se souciait de ses hommes par-dessus tout crime, mais au vu du scandale qu'avait été la destruction du précieux jardin...

Le doute était fermement ancré dans le coeur de la belle. Tout n'était pas dit. De là à ce qu'elle puisse chercher à en savoir plus... Fumiko n'avait pas forcément très envie de se mêler de près ou de loin des affaires de la Justice. Une plaie encore béante lui courrait encore sur l'esprit, et qu'elle ne voulait pas voir violer par les bureaucrates de la Neuf... Elle ne pouvait qu'espérer que le but de la visite de Tenzen n'était pas lié à son passé douteux. Espoir tout naturel, d'ailleurs, pourquoi sinon ne serait-il pas allé jusqu'au bout de sa démarche ?

Elle pinça sa cigarette entre ses lèvres fines, la mine songeuse, adossée au mur. Une flamme partit de son doigt, alluma le mince fuseau de papier. La première bouffée ne fut pas aussi libératrice qu'elle aurait pu, et pour cause. Finalement, la venue de l'homme terrible avait éveillé plus de questions que s'il était allé droit au but... Elle allait devoir être plus prudente. IL était hors de question que quiconque sache quoi que ce soit au sujet de son petit souci, même si les probabilités que ce soit le cas étaient infimes. Car si jamais un tel homme venait à apprendre la chose, alors... Les conséquences seraient terribles, pour tous.

Elle glissa à genoux, le souffle coupé. Une main de fer venait de broyer ses intestins en une angoisse terrible. Il avait peur. Il ne voulait plus connaitre la Cage. Ni dedans, ni dehors. Et Fumiko était dans le même état d'esprit. Une main sur la tempe, l'esprit comme une anguille se faufilant à travers les décombres de l'antre de l'Immonde, elle tenta de le calmer, d'apaiser son courroux terrible.
Et tendit qu'elle se relevait, le regard plein de brumes larmoyantes, une seule question s'imposa dans son esprit: Yakushiji Tenzen savait-il pour Kumo ?