Le bonheur. Insaisissable. De nombreuses fois j’ai cru y goûter mais la simple peur de le perdre m’a dissuadée de cet espoir. Alors je me suis tournée vers des convoitises plus accessibles. Le plaisir instantané, la satiété, la plénitude, la paix du corps ont constitué ma nouvelle quête. Si faciles à acquérir pour un être tel que moi… Quelques mois suffirent à combler toutes mes aspirations et à renverser la situation catastrophique dans laquelle je vivais.

Snö contempla silencieusement le plaisant reflet que lui renvoyait le large miroir face auquel elle se tenait depuis de longues minutes. Les traits de son minois étaient encore juvéniles mais les prunelles de ses yeux verts exhalaient une maturité qui leur était jusqu’alors totalement inconnue. Un éclat malsain qui illuminait non seulement ses iris mais aussi tout le reste de son visage. De l’enfant candide, elle n’avait déjà plus que le masque.

J’ai changé. J’ai perdu ce qui faisait ma valeur ; j’ai gagné bien mieux. Je sais que je ne suis pas dans le droit chemin, pas dans celui qu’on avait espéré pour moi, pas même dans celui auquel je rêvais autrefois mais qui oserait m’en blâmer ? J’ai trouvé ce qu’il me fallait, c’est tout. Je ne dirais pas pour autant que je suis satisfaite. Je suis insatiable, ou plutôt je ne sais plus ce que je cherche. Je ne pourrai pas continuer ainsi éternellement. Je me dis que quelque chose va forcément m’arracher à la frustration.

Un sourire étrange étira ses lèvres. Lentement, sa main droite glissa dans sa chevelure immaculée, défaisant méticuleusement les nœuds qui s’y étaient formés lors de la nuit passée. Elle ne se quittait pas du regard, comme si elle espérait que sa propre image lui apporte les réponses qu’elle cherchait. Mais dans le silence opaque du matin, dans la pénombre diaphane de l’aurore, même l’écho de son visage restait totalement muet. Sourd à ses prières.

Je ne veux plus de ce don. La boule à neige moisit dans la poussière, dans un carton au fond du grenier. Quelque part, j’ai réussi à tourner la page sur mon passé. Je suis devenue normale. Pourtant, je sais que viendra l’heure où je devrai accepter la réalité, si redoutable soit-elle. Je l’attends sans impatience, avec une sérénité dont je ne me serais jamais pensée capable. Un calme intérieur surprenant.

Elle tourna le visage de trois-quarts pour regarder derrière elle. Il dormait paisiblement dans les draps de soie du grand lit. Son mari. Elle soupira discrètement. Il n’était qu’un substitut, salvateur certes, mais substitut tout de même. Richesse, renommée et pouvoir se fondaient parfaitement en lui et en faisaient un protecteur privilégié. Mais qu’était-il face à la vraie puissance ? Une simple punaise. Il ouvrit les yeux et se mit à la contempler avec béatitude.

Profite-en car je ne serai pas éternellement tienne. Je ne t’appartiens qu’en surface et de façon éphémère. Je causerai probablement ta perte comme j’ai causé celle de tous ceux qui ont veillé sur moi. Chéris-moi, adore-moi autant que tu le pourras. Admire-moi, je suis ta damnation. Tu crois être celui qu’il me faut mais tu te trompes. Tout en moi n’est que mensonge lorsque je suis auprès de toi. Ne sens-tu pas cette hypocrisie intense qui imprègne jusqu’aux battements de mon cœur ?

Je la regarde et j’ai l’impression de la profaner, comme si quelque chose en elle restait sacré, même pour moi. Je suis un collectionneur, un esthète. De toutes les œuvres d’art que j’ai en ma possession, Snö est la plus fascinante. Mienne. J’ai encore de la peine à y croire. Elle a fait irruption dans ma vie sans prévenir ; fragile et brisée, vénale et intéressée. Je sais qu’elle ne m’aime pas. Peu importe que son cœur soit de glace tant que je peux m’endormir dans l’environ de son parfum, m’éveiller à la lumière de son image.

Le regard accroché au sien, il se leva sans un mot et vint à elle. Il l’étreignit, toujours en silence, la serrant contre lui avec possessivité. Protecteur. Lorsqu’il l’avait trouvée, elle avait déjà tout perdu. L’appâter avait été tellement facile… L’apprivoiser s’était montré bien plus compliqué. Inconstante et sauvage et pourtant déjà si précieuse et si raffinée, la jeune femme avait ravi son cœur avec une aisance surnaturelle.

Malgré toutes mes attentions, en dépit de la protection solide que je lui offre, elle a encore peur. Peur de quoi ? Je sens cette terreur silencieuse qui s’agite au fond d’elle. Elle fait tout pour la dissimuler mais elle transperce jusque dans le moindre de ses regards. Elle suinte dans ses yeux. Par quel orgueil ai-je espéré être celui qui l’en affranchirait ? Il me manque quelque chose pour vraiment lui venir en aide. La clé du mystère. Je crois bien que je périrai avant de l’avoir trouvée…

- Tu as bien dormi ? demanda-t-il.

- Pas vraiment, répondit-elle dans une curieuse risette, j’ai fait un terrible cauchemar.

Mais pourquoi sourit-elle ainsi, alors ?