[pour se mettre dans l'ambiance]



Elle vagabondait dans les faubourgs, loin du commun tumulte citadin. Lorsque ça s’est produit, d’un coup. Comme si des millions de bouches s’étaient mises à hurler ensemble l’espace d’une seconde, au loin. Un évènement qui stoppa net sa monture famélique. Yachka, elle, se sentit… Absorbée, aspirée d’une certaine manière vers la source de cette plainte éphémère. D’innombrables particules s’échappèrent également de son armure, spectacle auquel elle assista sans véritablement en connaître la cause. Ses sens, ainsi que son sonar spirituel à peine plus développé que celui d’un être humain lambda ne furent d’un grand secours. Elle se contenta donc de hausser un sourcil, parcourir le paysage un bref instant pour finalement fouetter les flancs du palefroi et continuer sa route le plus naturellement du monde. La lucidité ne s’imposa qu’après avoir dressé son camp pour la nuit et s’être installé en périphérie sur une colline surplombant la gigantesque fourmilière incroyablement silencieuse.

Quand subitement la nuit fut littéralement soufflée. Un flash, suivit du souffle impitoyable qui non content d’éteindre son foyer incandescent manqua déraciner l’impassible guerrière de son trône végétal. Au lieu de quoi celle-ci, après moult efforts pour se stabiliser et recouvrer un tant soit peu la vue planta ses prunelles en direction du phénomène, une expression de stupeur et de crainte vissée sur son visage habituellement froid et sévère. En lieu et place de la ville de Karakura une sphère, aux dimensions grandissantes, creusa son nid dans un vacarme assourdissant. Avant de disparaître aussi vite qu’elle était venue, laissant pour seule preuve de son existence un monstrueux cratère fumant. Et le silence, une nouvelle fois. Macabre. L’obscurité regagna à son tour la place qui lui était due, plongeant la reine immortelle dans les abysses de l’incompréhension. Figée, tout comme ses deux billes d’agent qui ne quittèrent l’horizon que pour balayer les environs une dernière fois à la recherche d’une explication.

Cette nuit-là, fut la première d’une longue série où le sommeil ne vint pas malgré les suppliques incessantes du corps et de l’esprit torturé par cette image à jamais incrustée dans la rétine de celle qui pourtant, avait déjà vu bien des choses.

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“All worldly shapes shall melt in gloom,
The sun himself must die,
Before this mortal shall assume
Its immortality.”

Ses doigts s’attardent sur ces lignes, puis s’en éloignent. Le livre quant à lui chute, et s’écroule sur le sol dans un bruit sec. The Last Man, en mourant ainsi soulève un voile de poussière fine dansant sous les caresses du soleil qui perce en cette fin de journée les vestiges d’une quelconque bibliothèque à l’abandon. Seule, Yachka l’est. En souffre. Elle ne comprend toujours pas. Après toutes ces années à parcourir le monde, à côtoyer la mort, la vie. Son entourage se fade, et meurt lorsque sa propre silhouette elle, traverse les âges sans prendre une ride. A vrai dire il n’existe en ce monde qu’un seul ami capable de l’étreindre, de l’aimer. Pourtant, la matriarche sait pertinemment qu’un jour lui aussi tirera sa révérence. La laissant à jamais seule dans l’obscurité la plus totale. Elle lui adresse donc un énième sourire de façade, accepte son doux baiser. Le regard clos, sertit de perles scintillantes.

- Une existence infinie baignée dans la désillusion permanente… Est-ce là mon fardeau... Te perdre aussi ?

Les années de solitudes, à parcourir les ruines sur son fidèle destrier en quête de réponses affectèrent grandement son état tant physique que psychologique. Habituée à se repaître de l’âme humaine riche en informations et en nutriments spirituels censés la maintenir dans un état de jeunesse éternelle l’ancienne dirigeante slave devait aujourd’hui se contenter de peu. Toute matière organique animale ou végétale ne contenta l’insatiable monstre informe lui rongeant le cœur, d’autant qu’ils ne lui apportaient aucune connaissance. Ce pourquoi au gré de ses déambulations la vierge d’émeraude posait l’étrier afin de se rendre dans un kiosque, une boutique, une bibliothèque désertée dans le but de se munir. Les livres. Découverte incroyable pour celle n’ayant connu que les gravures et grimoires d’antan. Incroyables, ces reliquaires gorgés de Savoir. Nettement moins pratique et rentables que les souvenirs de ses congénères mais aussi utiles toutefois.

C’est en parcourant plusieurs de ces manuels spécialisés qu’elle réussit à entrevoir un élément de réponse. Et nombre d’éléments susceptibles de servir ses intérêts dans un futur proche.

Il ne lui avait été donnée l’occasion jusqu’ici de se confronter au feu nucléaire, ou du moins à un phénomène tout aussi spectaculaire et destructeur. Ni même à la technologie militaire moderne dans sa globalité. Son expérience la plus récente étant la découverte des couleuvrines, qui par ailleurs jouèrent un rôle non négligeable dans sa relation toute particulière avec la Mort. L’odeur surtout, le souffre, les monceaux de cadavres déchiquetés. Un travail sale, imparfait car il ne tuait pas toujours à l’instar des armes blanches. Mais leur efficacité sur le traitement à grande échelle éveilla sa curiosité. Ce qui la poussa donc à approfondir sur le sujet, encore et encore. Jusqu’à tomber un jour sur une image sans queue ni tête, une représentation de la plus puissante arme jamais créée par l’homme. Atomique. Des milliers de vies soufflées, envolées. Que serait-il advenu de son corps si, par mégarde elle s’était retrouvée en ces lieux, en ces âges ? Se serait-elle également évaporée ? En aurait-il été de même là-bas ce fameux soir, ou était-ce autre chose encore ? Son immortalité pourrait-elle être mise à mal par la technologie militaire ? Et surtout, que faire pour s’en protéger le cas échéant ? Des questions, encore des questions, marmonnées de manière indicible sans cet étouffant masque pour dissimuler la folie dépeinte sur son visage angélique. Seule, à contempler le désastre. Le vide. Ce temps figé, ces rues jonchées de cadavres depuis longtemps putréfiés ou préservés grâce à elle de la morsure temporelle. Pourquoi ? Pour sa propre survie sans doute, ou encore à des fins stratégiques.

- Courir après le temps, poursuivre mon Soleil… Et quoi ? Combien de vies vais-je encore devoir faucher pour libérer la mienne ? Plus grand, plus loin peut-être…

Oh, elle s’était bien décidée à partir un jour. Après tout, pourquoi rester en un lieu où il ne lui est plus guère possible de se nourrir ? Pourtant, la chose ne se fit pas. Encore aujourd’hui, sa carcasse empoisonnée déambule dans les quartiers ravagés, les cliquetis de son armures brisant le silence à peine couvert par le souffle du vent qui lui aussi s’engouffre librement à travers la ville sans rencontrer la moindre résistance. Peut-être existait-il malgré tout d’autres survivants, d’autres être surnaturels nostalgiques. Impossible à dire, elle n’en vit jamais aucun de ses propres yeux. Elle ne les cherchait pas vraiment d’ailleurs. Car sa véritable quête elle, trouva son but. Une base militaire qui, selon ses connaissances appartenait aux United States of America. Vaste pays, vastes terres encore inconnues et qui visiblement s’étaient pour des raisons historiques implantées un peu partout sur l’archipel. Là non plus d’âmes à moissonner, uniquement des corps. Décor. Véhicules aussi improbables que divers, dont ces fameux oiseaux de fer découverts quelques années auparavant en même temps que l’une de ses congénères surnaturelles. Des armes encore, partout. Des couleuvrines améliorées, gigantesques, vomissant semble-t-il des boulets de forme étrange.

Depuis ce jour le fléau des steppes apprend, s’acclimate et ne redoute plus ceux qui jadis la mettaient en garde. De ces ruines elle ferait bientôt son fief, sa forteresse. De ces corps pourrissants une armée, de ces engins autant d’armes prêtes à faire feu. Et de cette ville fantôme, un terrain de jeu. L’Apocalypse en selle, préparant ses fauves.