Elle ne manquait pas de courage, sans doute est-ce cela qui lui sauva la vie. Riful n’avait rien d’une créature attentionnée et avait volontairement accéléré sa marche pour voir jusqu’où cette Arrancar pouvait aller. Et malgré ses blessures, malgré son état, elle n’en démordait pas. Lorsqu’elle perdait de vue Riful, elle pistait sa trace. Quand elle s’arrêtait, elle en profitait pour dormir un peu afin de récupérer. Pas une plainte. Pas un soupir. Seul son courage et sa force de conviction qui poussaient cette femme à suivre celle qui avait exécuté son ancien seigneur. Pas pour le plaisir, bien sûr. Mais pour respecter sa parole. Riful l’observait du coin de l’œil et était étonnée de voir tant de caractère. Surtout chez une hybride, elle qui avait bien du mal à considérer cette espèce comme appartenant à son monde. Et pourtant…
Une semaine entière se passa. Et l’autre résistait. Mais ses forces déclinaient. La fierté interdisait sans doute à cette femme de se plaindre mais le Vasto Lorde n’était pas dupe : une journée de plus et elle perdrait sa nouvelle compagne de voyage. Et elle devait admettre qu’elle s’était un peu prise d’affection pour son entêtement. Tout du moins pour les qualités certaines qu'elle possédait. Ainsi prit-elle la décision de faire une halte. Une vraie pause de plusieurs jours. Qui serait le test ultime pour elle : si elle ne parvenait pas à se remettre, alors elle mourrait.
- Nous allons rester un peu par ici pour chasser et nous reposer. Profite-en pour te remettre. J’en ai assez de te voir traîner la patte comme un pauvre animal blessé. Ton nom ?
Interloquée, l’Arrancar haussa un sourcil, comme si elle ne comprenait pas les paroles de Riful. Celle-ci, passablement agacée, s’emporta :
- Que tu es sotte ! Je te demande ton nom ! A moins que tu préfères que je te siffle ?
La gratifiant au passage d’une claque d’un revers de la main qui projeta l’Arrancar au sol. Cette dernière, en se relevant, ne montra aucune émotion, aucune colère, aucune volonté de se venger. Seulement une impassibilité étonnante au regard du comportement de sa maîtresse. Elle savait qu’elle n’était pas au niveau. Tout comme elle s’était attendue à subir les brimades de cette guerrière sans cœur. Se frottant la joue endolorie, elle porta le regard vers sa nouvelle maîtresse. Il fallait qu'elle montre ses forces, sans quoi elle se savait perdue. Et la mort n'était pas une option. Plus maintenant qu'elle s'était fixée un objectif.
- Je suis Isis, maîtresse. Et je ferais en sorte de ne plus être un poids. Permettez-moi de me retirer pour que je puisse me guérir complètement.
Poussant un soupir, Riful l’a congédia d’un geste impatient de la main. Elle lui avait laissé la vie sauve et il était dans son intérêt de ne pas s’éteindre trop rapidement. Rufus aussi avait toujours subi la colère de la belle. Aucune raison pour elle de changer ses habitudes. À la différence que cette Isis, contrairement à son ancien soldat, ne souhaitait qu’une chose : sa mort. À cette idée, le sourire lui revint. Ce jeu s’annonçait captivant, c’était une certitude. Encore fallait-il qu’elle puisse survivre à cette route.
Cette trêve dura deux jours pleins. Ce fut Isis en personne qui vint à Riful pour lui annoncer son rétablissement. Sa guérison avait tout de même été rapide et arrangeait évidemment les affaires de la Destructrice. Ses plans nécessitaient d’aller vite pour prendre de cours ceux contre qui elle guerroyait. Annexer ce territoire n’avait finalement été que la première étape – certes importante mais qui ne représentait rien si derrière elle ne poursuivait pas son effort – et il lui fallait désormais accélérer la cadence. Mais avant de partir, et maintenant qu’elle était pleinement remise, il était temps pour Riful de s’assurer qu’elle pourrait se servir de cette créature. Et pas seulement pour faire la conversation ou jouer au chien-chien.
- Ma proposition tient toujours, tu sais... Si tu veux me tuer, il te faut devenir plus forte. Mais en attendant, il te faut me servir sans poser de question. C'est un compromis intéressant, je trouve.
Si elle connaissait les motivations premières de la créature, elle ne savait pas encore si elle pourrait compter sur elle en cas de besoin. Bien que solitaire, elle savait se faire entourer si nécessaire. Et la détermination qu’elle avait entrevue chez elle était porteuse d’espoir. Cette épée qui se trouvait à ses côtés était-elle capable de défendre les intérêts de sa nouvelle maîtresse ou n’était-elle là que pour tenter de lui porter un coup fatal ? Il était tôt encore pour s’assurer de sa dévotion, à défaut de lui faire confiance. Isis ne se démontait pas pour autant et se savait sur la corde raide. Elle pouvait trébucher au moindre faux pas.
- Oui, Maîtresse. Je sais ce que je vous dois et je ne suis pas une ingrate. Je ne désire qu'une chose : vous voir tomber. Il est évident que votre mort me satisferait. Mais celle-ci doit vous être apportée par ma lame et par nulle autre. Tant que je ne serais pas capable de vous défier, je ferais en sorte que rien ne puisse vous arriver.
Riful ne put retenir son hilarité. Voir une si frêle créature ainsi la défier avait quelque chose d’extrêmement amusant pour elle. Elle restait calme en s’exprimant, comme si elle ne doutait pas de pouvoir l’atteindre un jour. Il lui serait si facile de l’écraser ici et maintenant. Mais le culot dont elle faisait preuve et ce petit grain de folie lui plaisait. Mieux, elle voyait en cet Arrancar des parcelles de sa propre personnalité. Insoumise. Impétueuse. Mais patiente. Il lui en faudrait, du temps. Mais cela ne semblait pas l’effrayer. Et en attendant, elle se servirait d'elle pour atteindre ses cibles.
- Rien que ça ? Nous verrons bien, mon petit oiseau. Nous verrons bien. J’espère seulement que ce ne sont pas que des paroles en l’air. Ton ancien maître te portait une certaine affectation. C’est d’ailleurs ce qui te sauve. Je suis curieuse de voir ce que tu as de si spéciale pur l’avoir ainsi captivé. En dehors d’être là pour combler certains de ses désirs, bien sûr.
La colère. De nouveau. Isis comprenait ce que Riful sous entendait mais se taisait. A quoi bon tenter quelque chose alors qu’elle ne pouvait de toute façon rien faire. Et Riful exultait intérieurement. Elle ne trouvait rien de mieux que d’humilier les autres et avait une cliente de choix à ses côtés.
- Prends ta forme véritable. Maintenant ! Je n'aime pas cette apparence et je veux voir ce dont tu es capable. Tu es douée pour parler. Mais je veux plus qu'un simple petit colibri. Montre-moi !
Il lui fallait se découvrir pour Riful. Il lui fallait reprendre une apparence animale. Mais si cela satisfaisait sa nouvelle maîtresse, alors elle resterait à ses côtés. Et seule cette raison comptait en réalité.