Je me promenais du côté d'Asakusa en ce début d'après-midi, poussée par mon envie dévorante de pratiquer l'une de mes activités préférées. Je n'avais pas pris mon gigaï pour cette fois, je me contentai de m’asseoir sur un mur et d'attendre. C'était simple, dans ce quartier, on pouvait voir de nombreux passants, des touristes pour la plupart, qui visitaient Tokyo pour la première fois. Il y avait aussi toutes sortes de membres du personnel des musées et autres expositions culturelles alentours qui vadrouillaient et essayaient parfois de rameuter des gens. J'aimais bien aussi les espèces d'agglomérations d'humains menées par des guides qui s'efforçaient de leur présenter le plus fidèlement possible l'histoire de la ville. Je les observais tous, pendant des heures, en train de faire leur train train quotidien, ce n'était pas très constructif comme attitude et d'autant plus pour une guerrière comme moi.

Je m'étais remise à m'entraîner plus intensivement ces dernières semaines, j’estimais donc que j'avais tout à fait le droit de prendre un peu de repos pour une fois. Je n'étais pas fainéante, loin de là, je me laissais juste des occasions de me libérer un peu l'esprit, c'était important si on voulait tenir le coup en général. Je regardai passer un couple, ils se souriaient, main dans la main, l'un comme l'autre n'ayant aucun doute sur les sentiments que sa moitié pouvait porter à leur égard. C'était magnifique, mon cœur se mit à battre la chamade. C'était ça que je préférais ici, j'adorais combler mes petits plaisirs, nourrir mon côté un peu trop romantique. Je m'étais toujours demandée pourquoi je n'avais moi-même jamais trouvé quelqu'un, cependant il y avait plusieurs raisons que je soupçonnais être la cause de ma solitude. J'avais rejoins les shinigamis il y a longtemps, ce qui s'apparentait à peu près à une organisation militaire, ça ne laissait pas trop de champ libre à une relation durable. De plus, j'avais été dans la onzième division, il n'y avait pas beaucoup de types raffinés là-bas, ou du moins ils n'étaient pas à mon goût.

La météo était calme, il faisait ni chaud ni froid et il n'y avait pas trop de vent. Un temps idéal. Je posai mon couvre-chef sur mes genoux puis penchai ma tête en arrière en fermant les yeux, souriant. J'avais des manières un peu rude, et même si je savais être aimable, j'avais un peu trop tendance à dire ce que je pensais quand je le voulais. Mon tact faisait fuir, ou m'avait valu la réputation d'être une garce, ce qui donnait les mêmes résultats. Je relevai la tête lentement et rouvrit les yeux, puis soupira. Je savais que je n'étais pas repoussante, et bien que cela m'indifférait dans la vie de tout les jours, ce facteur devait être pris en compte dans mes calculs. Je n'étais pas une manipulatrice, je ne savais pas jouir de mes atours comme il le fallait et je ne voulais pas me rabaisser à ça, peut-être était-ce ça mon problème ? Non, il n'y avait pas moyen que j’emploie ces méthodes.

Puis l'amour véritable, comme celui que j'avais maintes fois pu voir ou lire dans des tonnes de livre, il était censé ne pas se brider à de si basses limitations. Alors oui la première impression comptait et reposait essentiellement sur le physique mais moi je ne voulais pas de ça. Je voulais avoir la coup de foudre, être consumée par la flamme d'une passion dévorante, ne plus réussir à rester seule une seule seconde sans être auprès de lui, l'élu... Je me mis à rougir puis joignis mes mains au dessus de ma poitrine. J'aurais tellement aimé vivre tout ça, oui, je le désirais mais ma vie de déserteuse et de Vizard ne me le permettrait certainement jamais. Je restai dans cette position, sans faire attention au monde qui m'entourait, ne décelant aucune menace particulière et étant de toute façon trop distraite pour me rendre compte de quoi que ce soit.

*Peuh, reprends-toi ma pauvre*

« - Je t'ai pas sonné toi... M'exclamais-je à l'attention de mon hollow. »

La chasse.

En pleine journée cela n'avait désormais plus d'importance pour celle qui écumait les sorties des écoles primaires comme un prédateur devant un terrier de lapins. Oh parfois il y avait bien des adultes étranges qui lui proposait une sucette qui promettait d'être exceptionnel mais cela ne disait rien au petit chaperon rouge qui préférait le goût si particulier des enfants de son âge. Et en cette nouvelle journée Elen sortait de sa piaule avec toujours dans son cartable Nours' qui se faisait de plus en plus pressant ces derniers temps. Stupide peluche jalouse de toutes les attentions que l'enfant portait aux autres jouets qui rejoignaient sa collection. Une véritable petite armée qui servirait bientôt lors d'escarmouches avec des êtres puissants et dont le combat ne serait probablement que l'unique issue pour la petite fille de s'en sortir.

Et sa journée monotone continua, elle chassait déguisée en écolière les enfants dont l'odeur juteuse la rendait presque folle. Oh combien elle adorait l'idée d'extraire toutes leurs essences vitales afin de faire festin et de se repaitre. Mais les effets seconds de toutes les assimilations commençaient à se faire voir, trop voir pour être ignorer continuellement. Lors des nuits calmes et dénués d'activité nocturne elle se surprenait à porter son pouce dans sa bouche et à trembler lors de ses rêves. Des rêves, c'était récent et inquiétant, d'habitude elle ne rêvait pas s'endormant lorsque le sommeil prenait le dessus sur son physique fragile et se réveillant au petit matin affamée et engourdit. Et ce n'était pas tout, des cauchemars oui des cauchemars! C'était impossible et pourtant elle s'en souvenait, elle s'imaginait en monstre mutant et gonflant avant d'exploser et de relâcher tous les enfants qu'elle avait dévoré. Sa jeunesse s'envolant par la même occasion! La petite fille trembla à cette idée et secoua la tête. Elle trouverait un remède, bientôt elle le jurait sinon les conséquences n'en serait que trop dramatique.

Et pendant qu'elle se perdait dans ses pensées elle ne voyait pas la présence malsaine d'un être qui la suivait depuis qu'elle avait traversée près d'une sortie d'une école primaire. Un humain abjecte communément appelé pédophile par ses pairs, un vice à l'état pur dont même Eden n'imaginait pas l'existence. Il savourait le fait de tomber aussi facilement sur une enfant seule et marchant visiblement aléatoirement, des jours qu'il en rêvait et que ses pulsions sexuelles ne marchaient plus. Il en était sur si il attrapait celle la alors tout irait mieux et sa femme ne s'en douterait même pas. Mais le chaperon rouge le remarqua alors qu'elle tournait rapidement dans une autre direction et que ses sens se mirent en alerte, elle ne connaissait que trop bien la chasse pour ne pas savoir quand c'était son tour d'être une proie. Mais aujourd'hui elle n'avait pas du tout envie de combattre et de toute manière son corps refuserait d'obéir, se mettant alors à accélerer le pas elle se retrouva à courir aussi vite que possible tandis que l'immonde personnage se gaussait de la peur visiblement viscérale chez la petite fille.

Et sans savoir comment au détour d'une fuite improbable elle sentit le choc de sa personne contre une autre. Elle se releva bégayant et ébahie, son corps tremblant et la faisant passer pour une petite chose tétanisée, des larmes chaudes coulèrent bientôt le long de ses joues alors que la présence menaçante esquissait un rictus de dégout en tentant une approche courageuse. Il se présenta comme le paternel de la petite et son ton violent et froid ne provoqua chez Eden que de nouveaux soubresauts et des pleurs plus abondants. Si seulement elle était capable de prononcer un mot, elle espérait juste que l'inconnue ne l'abandonne pas à son triste sort.

C'était donc ça qu'on nommait la peur infantile?

Non elle ne pouvait se résoudre à finir de cette manière et alors que l'inconnue d'un ton acerbe et froid parlait au chasseur d'enfants la petite fille s'enfuit. Alors que sa peur prenait le dessus Nours, son fidèle compagnon, mué par le pouvoir de Elen sortit de son cartable.

Et la colère gronda tandis que se positionnant en barrière entre le pédophile et sa proie il grogna. Assurément la scène ne passerait pas inaperçue mais qu'importe. Elen pleurait toujours et l'ours n'était présent que pour arrêter la raison de la tristesse de sa maitresse.

De là où j'étais, j'avais vraiment une bonne vue sur les alentours, peu de détails pouvaient m'échapper. Deux jeunes gens s’échangeant un fugace baiser, un guide un peu trop enthousiaste qui se trompait sur à peu près toutes les infos qu'il donnait à ses clients touristes, une vieille dame avec des fringues de luxe en train de promener son affreux clébard, une petite fille courant et se heurtant à un homme, poursuivie par un type des plus suspects. Tiens, cette scène là n'était pas commune, de plus cette fillette avait une apparence peu orthodoxe de ce que je savais des us et coutumes humaines en matière de vêtement. Je n'étais clairement pas qualifiée pour parler de ce genre de chose, je laissais ça aux bonnes femmes, mais quand même, j'avais un minimum d'esprit pour me rendre compte que quelque chose ne collait pas dans le tableau. Puis elle dégageait un rien de surnaturel, encore une fois je n'étais pas une experte en repérage, je devais donc m'assurer de mon pressentiment sur place.

Je me levai de mon mur et partis à la rencontre de ces énergumènes, la main posée sur la garde de mon arme. Je compris assez vite que la situation exigeait une intervention, la gamine était traquée par ce gars, ça ne faisait plus aucun doute. Il ne pouvait pas me voir techniquement, j'étais sous ma forme originelle, celle de shinigami, néanmoins je pouvais le neutraliser très facilement. Je me glissai derrière lui, il devait faire un bon mètre quatre-vingt, mais sur mes talons je le dépassais d'une tête, il n'était pas si impressionnant de près. Je l’assommai du tranchant de la main, un coup net et précis, parfait pour faire dormir la marmaille trois ou quatre bonnes heures. Je ne savais pas ce que ce porc avait prévu de faire à cette fille, mais je me doutais qu'il n'avait pas eu que des bonnes intentions à son égard. Je souris, je n'étais pas une bonne samaritaine ou une connerie comme ça, mais je n'étais pas sans cœur non plus, c'était tout le contraire à mon grand dam et à celui de mon hollow intérieur. Si j'avais fait encore partie du Goteï 13, j'aurais été sévèrement réprimandée voire même emprisonnée pour avoir interféré avec les affaires du monde terrestre. Comme quoi, être une déserteuse avait ses bons côtés parfois.

J'entendis un bruit étrange plus loin, j'avançai et remarquai alors une espèce d'énorme ours bizarroïde qui faisait barrage, protégeant la fillette. Pas besoin d'être un génie pour deviner qu'il y avait de l'énergie spirituelle dans cette affaire, elle devait donc me voir, j'avais beaucoup de chance aujourd'hui. J'étais constamment contente quand je faisais des rencontres improbables, et surtout avec de potentiels partenaires de jeu. Ce n'était un mystère pour personne et ce depuis longtemps parmi mes anciennes connaissances, j'adorais dérouiller des gens, combattre, vivre le danger. Du coup, avec ma nouvelle condition, qui était plutôt solitaire, je n'avais plus trop d'occasion d'éprouver mes capacités, de m'entraîner, de me surpasser. Il semblerait qu'il y ait d'intéressants individus à Tokyo, des fullbringers comme on les nommait, et c'était un plaisir de les trouver et de les confronter.

Je détaillai mon vis à vis du regard, elle ne payait pas de mine mais elle semblait avoir de la ressource. Elle semblait un peu paniquée, mais bon je n'étais pas psychologue, je ne pouvais pas rentrer dans sa tête pour savoir de quoi il en retournait et je m'en fichais à vrai dire. N'étant pas non plus un barbare, je pouvais pas juste lui foncer dessus et la tarter, pas comme ça, je devais tenter de dialoguer un peu avec elle avant. J'avais développé un certain sens de l'honneur, et puis si ça se trouvait, je pourrais pas vraiment m'amuser comme je le voulais. Je n'affrontais jamais les ennemis qui refusaient mes avances, ou du moins ceux que je suspectais capables de ne pas vouloir en arriver là. Je savais que mes habitudes de vieille de la Onzième en rebutaient certains, par contre quand je sentais qu'il n'y aurait aucun problème, là je n'hésitais pas et je fonçais. Je décidai de parler la première, scrutant l'ours d'un regard doux, prenant un ton calme et posé :

« - Hey petite, fais gaffe avec ça, tu pourrais blesser quelqu'un tu sais. Il n'a pas l'air commode ! (J'eus un rire joyeux, sincère). Le gars là, qui te suivait, il ne pourra plus te faire de mal, tu saisis ? Moi, c'est Cornélia. (Je me désignai des deux mains puis croisai les bras). Je ne sais pas qui tu es, mais c'est clair que tu as, disons... Des possibilités. On pourrait exploiter ton potentiel, t'en dis quoi ? On aurait juste à aller sur un toit, tranquille, puis discuter un peu si tu en as envie. Tu t'appelles comment ? »

Je n'étais pas passée par quatre chemins, comme d'habitude, les fioritures c'était pas mon truc. J'avais essayé d'être gentille et un peu maternelle dans mes propos, je savais pas si ça avait été perçue comme tel, en somme j'avais fait de mon mieux pour être sympa. Je n'arrivais pas à définir son âge, ça faisait depuis longtemps que j'avais arrêté de juger quelqu'un uniquement à son apparence. La preuve, physiquement j'avais à peu près vingt et un ans, mais en vrai j'avais beaucoup plus. Un avantage, pas pour le fait de ne jamais avoir à devenir fripée, mais surtout parce-que je pouvais conserver une certaine « forme » en fournissant les mêmes efforts, ce qui n'était pas le cas lorsqu'on souffrait des maux de la vieillesse. Bref, je me trouvais là, j'attendais d'entendre ce qu'elle avait à dire, impatiente de connaître la suite du programme.