De la quintessence de l'égo [Borick]

Le Roi n’était pas homme de goût. Grossier, sûr de sa force, d’une vulgarité affolante, sa place ne tenait que sur le support friable de sa puissance personnelle, plus que par des qualités réelles de meneur. Ma fidélité, et celles de tous ses autres serviteurs probablement, n’était motivée que par une forme de crainte et non un attachement sincère à ses principes ainsi qu’aux valeurs qu’il défendait. Le bon Roi oubliait un peu trop aisément qu’il y avait toujours plus fort que soi, dans le Monde Creux.
Malgré toute la brutalité vulgaire de sa personne, il se trouvait en son palais certaines pièces emplies d’une grandeur involontaire; des erreurs fortuites d’un raffinement glorieux, des maladresses qui se révélaient être des bijoux baroques.

L’une des plus notables était une sorte de salle royale annexe, dont je n’en comprenais pas le complet usage, mais qui en imposait, réellement. J’avais assisté au temps des premières cathédrales, et aucun de ces monuments rustiques n’égalait la beauté de ce que j’avais sous les yeux. Face à moi, il y avait un escalier qui montait haut, plus d’une centaine de marches en avais-je compté, et tout au sommet, un trône immaculé, sans fioriture, sans ornement, d’une grâce tranchante et pure. Le mur derrière se façonnait de tubes et d’ajourages, donnant l’impression d’être devant un orgue gigantesque. Le plafond était percé d’un large cercle au travers duquel se dessinait la lune blafarde sur fond de ciel noir et dont la lumière évanescente se déposait grâce à un savant calcul directement sur le trône, l’auréolant d’une aura laiteuse quasi mystique. Cette œuvre, puisqu’il s’agissait bien de ça, de l’art, m’inspirait à vue un doux réconfort. Je m’interrogeais souvent sur l’incapacité de notre espèce à se fédérer en société. Depuis des millénaires, nous n’étions pas capables de partager une quelconque culture commune, ou un héritage qui nous unirait entre individus. Notre civilisation était morte née, et nous n’avions jamais réussi jusqu’à maintenant à la relever.
Pourtant, Las Noches et ses quelques trésors prouvaient qu’il pourrait exister un art Hollow. Je rêvais d’une société pour mon peuple à la façon de celle des Dieux de la Mort. Même les mortels réussissaient, pourquoi nous non ? L’Espada était ce qui ressemblait le plus à un gouvernement, et de par cet aspect-là, j’espérais en le rejoignant pouvoir donner naissance à un tel projet. Mais encore fallait-il que je sache dans quel bois étaient taillés mes frères et sœurs.

J’avais envoyé une invitation auprès de celui dont les rumeurs m’avaient rapporté être le plus cordial de toutes les Espadas. J’avais eu vent d’un certain narcissisme outrancier de la part de cet Empereur, mais je ne concevais nul malaise face à ce genre d’attitudes. Au contraire, je les encourageais, les jugeant saines pour l’esprit et la stabilité mentale.

Les bras croisés dans le dos, aussi raide et droit que celui d’une statue, je me tins en contrebas du trône, les yeux humides d’une vive émotion, un sourire extatique aux lèvres. Des bruits de pas derrière moi m’alertèrent. Mes sens spirituels m’indiquèrent qu’une masse importante d’énergie spirituelle venait vers moi, aussi me retournai-je promptement pour accueillir celui dont je supposais être mon invité. Un jeune garçon blond franchit le pas de la porte, et nous nous fîmes place, les Sixième et Quatrième Épées.

« Autrefois, les mortels représentaient les anges avec les traits d’enfants aux cheveux couleur blé. Je me demande, cher Empereur, êtes-vous un ange ?, dis-je d’entrée de jeu, souriant. »

- J'ai toujours apprécié l'imagination débordante des mortels. De véritables artistes en réalité. Mais si je suis un ange, je crains que l'on m'ait coupé les ailes.

La réponse n'avait pas tardé, laissant apparaître un visage souriant et amical. Ainsi, c'était lui Tibors Tiesce, la Quatrième Lame de l'Espada ? Il en avait entendu parler à plusieurs reprises mais jamais il n'avait eu le plaisir de le voir en personne. Il avait de l'allure, c'était indéniable, ce qui lui attirait d'emblée la sympathie de Borick. Les notions de politesse et de savoir-vivre étaient étrangères à ce monde terne et vide. Au point qu'il faisait figure d'exception lorsqu'il s'adressait à ceux qui appartenaient à l'élite. Ainsi, il ne pouvait qu'être heureux de voir qu'un autre que lui partageait ces valeurs. La curiosité avait poussé le Sexta à accepter l'invitation de cet homme, ne serait-ce que pour se rendre compte par lui-même de qui était réellement Tibors. Se fier à de maigres rumeurs n'était pas dans ses habitudes après tout. Il était trop facile d'utiliser celles-ci à sa guise.

Et pour le moment, la surprise était agréable. Tout comme lui, l'homme portait un costume qui tranchait avec ce que portait d'ordinaire un Espada. Bien que la couleur les sépare évidemment. Un charisme certain émanait de cet être inconnu, qui l'avait visiblement attendu avec patience. Et cette assurance n'était pas feinte. Certaines créatures se cachaient derrière des comportements stéréotypés afin de taire ce qu'elles étaient réellement. En un sens, la plupart des Arrancar agissaient de même, laissant leur nature profonde scellée grâce à leur Zanpakutô. Mais il était difficile de se faire passer pour un autre si l'on ne possédait pas une vraie force de caractère. Les instincts reprenaient toujours le dessus, faisant alors fondre le masque humain pour laisser apparaître la bête. Aux yeux de l'Empereur, devenir plus humain avait été une bénédiction. Enfin, sa véritable nature pouvait s'exprimer. Enfin, il sortait de sa condition animale. Était-ce la même chose pour son hôte ?

En pénétrant dans la pièce, Borick avait incliné légèrement la tête pour saluer Tibors. En général, il se serait présenté officiellement mais en l'accueillant par son titre, le Quarta soulignait qu'il connaissait l'ange blond. Tout du moins sa réputation. Les autres employaient le terme "Empereur" qu'avec parcimonie, ne reconnaissant pas ce titre comme valable. Ils ne comprenaient pas ce qu'il représentait, ce qu'il apportait. Mais dans la bouche du Quarta, ce mot sonnait comme naturel. Peut-être y avait-il là une occasion unique de se faire un allié véritable. Mais ne bousculons pas les choses... Il était temps de connaître les intentions de celui qui se trouvait au-dessus de lui dans la hiérarchie du Hueco Mundo. Sous couvert de discussion, l'un comme l'autre chercherait à mieux cerner la situation. Du moins, si cet homme était aussi malin qu'il semblait le paraître.

- Cette pièce a été préservée de la brutalité et de la cruauté des animaux du Yermo. Je doute même que les autres en connaissent l'existence, ce qui est mieux je suppose. J'aime beaucoup cet endroit... Un lieu parfait pour discuter en toute sérénité, n'est-ce pas ?

S'il l'avait fait mander, ce n'était certainement pas sans raison. D'un geste, il réajusta les manches de sa veste immaculée, tout en parcourant du regard les ornements présents. Mais il revint vite à son intérêt principal. Cet homme... Il était sans doute temps de comprendre ses raisons. Sans presser les choses toutefois. La manipulation était un art subtil qui reposait sur deux choses seulement : la connaissance et la patience. Sans connaissance, on ne parvenait à rien. Sans patience, on risquait de brûler les étapes primordiales à la mise en confiance. Et ce qui manquait à El Emperador en cet instant, c'était justement des informations sur celui qui se dressait face à lui.

- Que me vaut le plaisir de cette rencontre formelle ?

J’éclatai de rire, franchement, sans retenue. Non pas par moquerie envers la Sixième Lame mais parce qu’en quelques échanges, je devinais que moi et le garçon partagions plusieurs points communs. L’amour du bon mot, en premier lieu.

« Ce qui vous vaut le plaisir de cette rencontre ? Et bien, mon plaisir de rencontrer une des très fameuses Espadas. Je suis suffisamment habitué à ma propre compagnie pour ne plus totalement m’en satisfaire, et il n’ait rien de plus enrichissant que d’échanger avec autrui plutôt qu’à soi-même, ne pensez-vous pas ? Bien que moi-même soit malgré tout fort charmant. »

Je levai au dessus de ma tête un chapeau invisible et m’inclinai légèrement, marquant là une forme de respect révérencieux. Puis, de nouveau droit, j’enfournai dans mes mains dans les poches de mon pantalon et m’avançai lentement vers lui, mes souliers claquant contre le sol froid de la pièce. Je m’arrêtai à un mètre de sa position en estimant qu’il s’agissait d’une distance suffisante pour parler, et que ni moi ni lui ne voudrions voir franchie. Ce jeune homme s’autoproclamait Empereur, il attendait certainement les convenances dus à son rang et il ne m’incombait pas le rôle de braver le protocole. Je n’avais qu’un intérêt, le mettre dans de bonnes dispositions vis-à-vis de moi afin de pouvoir discuter dans les meilleurs conditions possibles.

« Il est vrai qu’il s’agit d’un bel endroit. J’en admirai justement la qualité avant votre arrivée, et m’étonnai de trouver un tel lieu ici. Je pense même, dis-je en me tournant de quelques degrés pour désigner le trône, que notre Roi aurait tout à gagner en termes d’image à poser son séant là-dessus plutôt que dans son fauteuil officiel. J’embrassai alors la pièce des yeux en écartant les bras pour marquer mon enthousiasme. Je ne sais pas vous, mais je trouve cette pièce réellement royale. »

Je saisis que peut-être, j’en faisais un peu trop et que la Sixième Lame n’était pas venue ici pour m’entendre parler d’architecture, bien que j’aurais pu le faire avec grand plaisir. Un sourire complice plaqué sur les traits, je continuai mon monologue avec emphase, ravi d’entendre le son de ma voix :

« Non, et bien pour dire vrai, j’adore badiner. Cela me rappelle les cours de France du seizième siècle. Vous y étiez ?
Oh… »

J’écarquillai les yeux en prenant brutalement conscience de ma plus complète impolitesse. J’esquissai une quinte de toux, signe chez moi d’un certain malaise.

« Mes excuses, avec tout ceci j’en ai oublié de me présenter. Monseigneur Tibors Tiesce, ravi de vous rencontrer, Empereur. Je retrouvai mon aplomb en un instant, de nouveau tout sourire aiguisé dehors. J’ai été ogre nocturne, dieu païen, et même démon auprès de la chrétienté mais jamais empereur. Quel effet cela fait-il de régner par le droit du sang, mon cher ? Je suis curieux. »

Bras croisés dans le dos, la stature raide, le regard terrible mais bienveillant, et le trône derrière moi, je devais furieusement en imposer.

Borick ne cachait désormais plus le plaisir qu’il avait à discuter avec un Arrancar civilisé. Le sourire béat qui restait inscrit sur ses lèvres en était la preuve ultime. Maîtriser les mots n’était pas à la portée de tous, encore moins parmi les rangs de l’Espada. Grimmjow était une brute et la majorité de son équipe avait été coulé dans le même moule. Si bien que l’Empereur avait fini par penser qu’il était sans doute le seul être doué de manière dans le Hueco Mundo. A son grand étonnement, il constatait que ce n’était pas le cas. Décidément, cette rencontre s’annonçait véritablement palpitante, et pas seulement parce qu’il avait trouvé un compagnon à sa hauteur. Le défi de contrôler cet homme devenait d’office plus intéressant. Peut-être que pour une fois, il aurait un challenger qui ne se dégonflerait pas trop tôt…

Maniéré, Tibors l’était. Autant que pouvait l’être le blondinet. Entre gens de haut standing, on ne pouvait que s’entendre. Plaçant ses mains dans ses poches, Borick restait là, à écouter son vis-à-vis, tout en se demandant si cet homme n’essaierait pas de jouer à son propre jeu. La partie s’annonçait serrée. Bien sûr, il savait que sa manie de vouloir toujours vouloir tout contrôler était dangereuse mais cette dernière était si ancrée dans son esprit qu’elle était devenue une seconde nature.

- Royale, elle l’est très certainement. Je ne partage toutefois pas votre avis quant à la possibilité de laisser notre Roi prendre place ici-même. Saurait-il apprécier la nature profonde des lieux à sa juste valeur ? Je n’en suis pas persuadé. Cet endroit mérite mieux que d’être le témoin de quelques malheureuses réunions de guerre, ne croyez-vous pas ?

Et il ne parlait évidemment pas des autres membres de l’Espada. Sans trop en dire, le Sexta laissait toutefois entendre qu’il n’appréciait guère la folie guerrière de ceux qui constituaient l’élite de Las Noches. Son manque d’intérêts pour ses compagnons d’armes était une chose qu’il ne cachait pas. Pourquoi donc se forcer alors qu’il se savait au dessus de la masse ? Se cacher derrière un simple numéro pouvait lui permettre de ne pas trop se faire remarquer par Grimmjow, cela ne justifiait pas pour autant qu’on puisse le prendre de haut. Or les Espada restaient trop focalisées sur ce chiffre. Du bétail, tout au plus. Les excuses de Tibors le firent sourire. D’un geste de la main, il fit signe que cela ne le dérangeait aucunement.

- Il n’y a pas de mal, mon cher ami. Pour répondre à votre question, je ne saurai décrire précisément l’effet que cela procure. Il s’agit de ma nature profonde, de fait il m'est difficile d’être très expansif à ce sujet. Par ailleurs, rare sont ceux à prendre au sérieux ce statut, ne le comprenant de toute évidence pas. Evidemment, je ne peux les en blâmer… Un animal ne fonctionne qu’à l’instinct et seule la notion de meute prédomine dans leur esprit. L’Espada n’est malheureusement pas l’exception confirmant cette règle élémentaire. Vous avez sans doute eu l’opportunité de vous en rendre compte. L’esprit est une notion inconnue de beaucoup, les autres lui préférant la force brute.

Il n’en était pas désolé pour autant, malgré le petit soupir qu’il venait de lâcher. Cette situation l’arrangeait. Qu’on ne le prenne pas au sérieux ne changeait pas son quotidien, bien au contraire. Et puis chacun utilisait les armes fournies par la nature.

- Ainsi vous avez porté bien des titres auprès des Hommes. Je vous retourne donc la question… Quel effet cela fait-il d’être craint par ces mortels ? Je dois admettre n’avoir que peu voyagé sur Terre ces derniers temps. Mais j’apprécie particulièrement cet endroit… Ils sont si intéressants.

Je le laissais monologuer avec révérence, sans l’interrompre un seul instant, simplement attentif à ses propos et plus particulièrement aux termes dont il fit usage. Les mots en révélaient beaucoup sur ceux qui les maniaient. Ainsi, l’Empereur opposait à son esprit civilisé l’animalité instinctive de ses congénères.
Avec un acharnement que je devinais, Borick entretenait un fossé entre lui et les autres, la civilisation face à l’empire primitif de ses frères. Mais je savais que sous son vernis de bien paraître se cachait le même animal furieux, une férocité que les sourires enjôleurs ne pouvaient faire disparaître, simplement cacher. L’Empereur rejetait-il la bête féroce sommeillant au fond de son être ? Je ne savais. Mais le dédain de sa voix quand il mentionna la sauvagerie de ses semblables en dit long. J’acquiesçai, moins parce que j’étais d’accord que par pure politesse. J’étais un animal, comme les autres, à n’en pas douter, je revendiquais même cet état. Toutefois, j’avais l’intelligence de ne pas me laisser totalement dévorer, pour laisser ma volonté prendre le pas sur l’instinct afin de revendiquer ce que je voulais être, et non ce que j’étais simplement. Je dépassais chaque jour par ma force ma nature pour la transcender. L’Empereur n’avait pas tort en un sens. Nombre des nôtres se contentaient d’amasser la puissance brute, sans intelligence, guidés uniquement par leurs désirs premiers. Des idiots ignares, bien entendu, qu’il fallait éduquer.
La discipline valait bien plus que le pouvoir martial, j’en étais convaincu.

« À vrai dire, je me trouve en léger désaccord avec vous, rétorquai-je sur le thème du trône, la valeur du Roi, en tant que roi, n’a finalement que peu d’incidence. Son statut est un symbole qu’il faut embellir au mieux, et ce malgré le comportement disons...désordonné de la Panthère.
J’ai crainte que notre dirigeant actuel mésestime l’importance de l’image : la peur qu’il incarne sera toujours moindre à coté de la fidélité qu’il pourrait faire naître chez ses sujets, ne pensez-vous pas ?
J’ai comme espoir que le Roi prendrait plaisir au charme de la pièce, et qu’il travaillerait sa personne pour la tourner à l’image du lieu. Agité et grimaçant, il deviendrait alors froid et démesuré, méritant enfin le qualificatif de royal. »

Un discours auquel je ne croyais pas, il va s’en dire ; je me trouvais simplement porté par un optimisme faussement naïf. Grimmjow n’avait rien d’un roi : ni les manières, ni l’attitude. Un guerrier plus fort que les autres, certainement. Mais un meneur ? Nullement. Il n’entendait rien aux requis fondamentaux pour être un bon chef. Quelques faits d’armes ne lui assuraient l’attachement de ses sujets, simplement une obéissance craintive qui laisserait place, le temps venu, aux trahisons.
La Panthère tomberait et un autre prendrait sa place. Parmi ce flot incessant de candidats au trône, j’espérais qu’un jour peut-être l’un d’eux se montrerait plus éclairé que les autres.

« Vous ne semblez pas accorder un très grand crédit aux Lames. Vous êtes la première que je rencontre, pour tout confesser. J’espère que vous n’aurez pas une si piètre opinion de moi. Sachez que j’ai eu des siècles pour aiguiser mon esprit, autant que mes talents martiaux, il serait dommage de me sous estimer, dis-je en souriant, dévoilant mes dents prédatrices. »

Je fis brutalement volte face et m’éloignai, les bras croisés dans le dos, en sifflotant. Je me dirigeai vers le trône et, comble de l’audace, j’en gravis les marches.

« Les mortels sont passionnants, continuai-je au cours de mon ascension. Je conçois une très grande affection pour eux. Leurs attachements, leurs espoirs, leurs peurs, leurs tragédies, les guerres qui secouent leurs sociétés, les révolutions qui bouleversement leurs principes, les conquêtes qui clament leur génie, sont autant d’histoires incroyables qui méritent d’être entendues.
Je suis amoureux du genre humain, c’est incontestable. C’est curieux, car je suis probablement plus humaniste que nombre d’entre eux. Ils ont peur parce qu’ils ne me comprennent pas. Je ne leur veux pourtant aucun mal.»

Je parvins au dossier royal, et me tins face à lui aussi immobile que la pierre le composant. Enfin, je me rangeai sur l’un de ses cotés, ma main posée sur l’un de ses accoudoirs. Depuis le sommet, je surplombai la Sixième Lame.

« Je n’ai jamais ambitionné les rennes du pouvoir. Même si la divinité a quelques saveurs plaisantes. J’ai toujours préféré me tenir aux cotés des puissants pour me rendre nécessaire à leur régime, si ce n’est vital.
Je me demande, très cher, si votre nature est en adéquation avec vos actes, plus qu’avec vos mots. Les empereurs ne sont-ils pas supérieurs aux rois, après tout ? Que diriez-vous de prendre possession de ce qui vous revient de droit ?, conclus-je, complice, en désignant le trône de ma main libre. »

La discussion était effectivement aussi enrichissante qu’il l’avait espéré. Pouvoir discuter avec un être susceptible de comprendre réellement les mots prononcés, c’était une chance peu commune au sein de Las Noches et du Hueco Mundo dans son ensemble. Alors certes, ils ne partageaient pas les mêmes points de vue surtout certains sujets mais Borick estimait justement que c’était mieux. C’est ainsi que l’on s’enrichissait spirituellement. Un pantin docile n’apportait rien de constructif. Se nourrir de ses propres opinions sans prendre en considération ceux d’un être aussi évolué que soi, voilà qui pouvait conduire l’homme le plus malin à sa perte. El Emperador buvait les paroles de Tibors. Et s’il n’était pas parfaitement d’accord, il en ressortait tout de même des arguments justes et logiques.

Bien sûr, ayant déjà exprimé ses doutes quant à l’emploi de cette salle pour le Roi, le blondinet n’allait pas surenchérir. Inutile de marteler ses propres arguments puisqu’ils avaient été parfaitement compris par son interlocuteur. Le but de la manœuvre n’était pas d’imposer ses idées mais seulement de les exprimer. Ce que l’un et l’autre faisaient à merveilles et avec beaucoup de professionnalismes. A croire qu’ils avaient fait cela toute leur vie. Ce qui était en partie le cas de Borick.

- Vous n’avez pas tort, bien qu’il ne s’agisse nullement d’estime. Je n’apprécie pas les manières de cette élite. Les Espada sont sensément les Arrancars les plus violents et les plus puissants du Hueco Mundo. Une armée à l’image de notre Roi et qui n’a jamais eu d’autres but que d’asseoir la suprématie des « nôtres ». Les épées règlent les problèmes les plus immédiats mais il en surgit toujours ailleurs. Je ne condamne pas cette pratique. Seulement, je conçois les choses d’une toute autre manière.

Ce qui avait tendance à dérouter ceux qui l’écoutaient. Lui qui se disait Empereur ne désirait pas imposer sa vision des choses. Car imposer signifiait seulement reporter le problème. Il devait changer les mentalités et atteindre son objectif en faisant croire aux autres que c’était naturel, que c’était ainsi et qu’il n’existait aucune autre alternative. Cela prenait du temps bien sûr mais lorsque l’on a un don pour ça, on ne le gaspille pas sans raison.

- Sachez toutefois que je ne sous estime personne. Ce serait une grossière erreur.

Alors que Tibors se dégourdissait les jambes, Borick restait étrangement statique, observant seulement son hôte du jour. Il semblait se délecter de cet échange, ce qui amusait également le Sexta Espada. Curieux personnage que voilà mais qui ne manquait pas de panache, il ne pouvait le nier. Mais ce que l’Empereur cherchait à découvrir, c’était de savoir s’il était sincère ou tout simplement joueur. Sans doute un peu des deux. Il y avait toujours une part de jeu dans les manipulations de l’esprit. Malheureusement pour Tibors, il avait face à lui un homme qui maîtrisait à la perfection les arts obscurs du contrôle. Ce qui expliquait l’apparente décontraction du Sexta.

Son petit laïus sur les humains avait comme un petit quelque de déjà vu. Borick n’était pas étranger au concept avancé par cet homme et avait également partagé cette impression. Sans pour autant pousser au point de se dire plus humanistes qu’ils ne l’étaient. S’il exécrait sa condition de bête et faisait tout pour la cacher, il n’en oubliait pas l’essence divine qui coulait en lui. Présomptueux ? Non, tout simplement réaliste. Le droit de gouverner n’était pas donné à tous et il comptait bien le faire le jour où il l’aurait réellement décidé.

D’ailleurs, le petit manège du Cuarta n’était pas passé inaperçu. Lui aussi cachait terriblement bien son jeu. Bien entendu, l’Empereur dominait le Roi. Mais qu’importe de diriger une faction et un monde croulant sous le sable ? Les prétentions de Borick étaient bien au dessus d’un simple trône de circonstance. Se rapprochant de Tibors et de ce trône, Borick le contourna sans tenter de s’y asseoir. Comme s’il prenait plaisir à le détailler de plus près encore. Le Cuarta le dominait de cette position mais il y était habitué. Courber l’échine n’était pas digne d’un Empereur. Mais se laisser aller à l’ambition sans avoir les moyens de la canaliser était sans doute pire encore. Qu’il garde le trône. El Emperador lui préférait un autre monde.

- Ce qui me revient de droit ne se trouve pas ici, très cher. Je n’ai jamais eu pour vocation de soustraire ce monde à l’autorité de Grimmjow. Ni de quiconque se voulant maître du Hueco Mundo. Je vous laisse le sable et les bêtes… Ce trône n’est pas à moi et ne le sera jamais.

Ses propos englobaient Tibors au même titre que les autres. Et s’il restait flou dans ses paroles, ce n’était pas sans raison. On ne se dévoile pas à l’inconnu sans prendre ses précautions. Qu’il suppute, qu’il s’imagine. Mais rien ne serait clairement exprimer. Car sa vie en dépendait.

- Vous avez attisez ma curiosité… Comment pouvez-vous vous rendre indispensable auprès des Puissants, dites-moi ? Je m’interroge.

S’adossant à un mur à proximité, il remit ses mains dans ses poches, à l’écoute de ce que son vis-à-vis avait à lui dire.

Un petit garçon aussi blond que malin. J’avais face à moi un être angélique mais aux mots retors, aux inspirations cachées, et aux projets habilement dissimulés. D’une compagnie agréable, il découlait une autre forme de plaisir à simplement badiner ; les traits d’esprit, les jeux rhétoriques m’étaient connus, mais comme l’avait si bien précisé la jolie tête blonde, ce genre de distractions ne se trouvaient pas auprès de ceux de notre race.
Quelques humains avaient su me tenir tête dans les babillages, jusqu’à présent, aucun Hollow et Arrancar n’avait pu, trop occupé à vouloir me manger, ou me fixer bêtement sans comprendre. Parler m’était toujours agréable, quel curieux sentiment toutefois que de découvrir pour la première fois un de mes semblables capable de suivre une conversation décente. Mieux encore, de m’enrichir.

Le charmant poupin m’informa qu’il n’aspirait à régner sur le trône. Du moins, pas celui-ci. C’était chose compréhensible. Qu’y avait-il de moins passionnant que du sable, une lune, et des crétins agités dans un château blanc ? Dès le premier demi-siècle, cela devenait réellement barbant.
Or, s’il n’avait aucune prétention à chaparder la place de la Panthèse, cela réduisait déjà de un l’un des trois mondes sur lequel il souhaiterait régner. À moins qu’il n’en ait découvert plusieurs autres. Mais l’hypothèse semblait peu probable.
Qui éveillait son intérêt des humains et des Dieux de la mort ? Tout comme moi, trouvait-il si fascinants ces petits pantins de chair à un tel degré qu’il voudrait mettre sa main menue sur leur royaume ? Ou avait-il des ambitions plus guerrières, jusqu’à désirer renverser la Société des Âmes ? Je n’en avais pas la moindre idée.
Mais c’était intéressant.

« Si j’attise votre curiosité, vous en faites de même, mon cher Empereur, dis-je tout sourire. »

En plus de l’ambition, je pressentais chez Borick la force nécessaire pour l’accomplir. Combien de fois avais-je côtoyé des rois de pacotille, des empereurs d’opérette, se voulant divins, n’étant que fétus de paille et poupées de papier ? Lui, n’était pas de ceux-là.

« Je peux bien vous le dire, je présume, nous sommes après tout dans le même camp. Oui ?, je pris une mine vaguement interrogative, ne doutant finalement pas de mon affirmation. Comment se rendre vital, donc ? En satisfaisant leurs besoins les plus primordiaux.
Cela varie d’un dirigeant à l’autre, tous n’ont pas les mêmes appétits.

Je m’écartai du trône sans lui accorder un regard et m’avançai vers les marches. Je sortis un mouchoir de ma poche, époussetai le sol de la première marche, et m’y assis, simplement. D’un geste, j’invitai mon compagnon à me rejoindre, sans réellement savoir s’il accepterait.

« - Concernant les humains, c’est assez simple. Il y a l’argent, il y a les plaisirs, il y a la gloire. Peu d’horizons à exploiter, autant de filons usés jusqu’à la corde dont je fais pourtant mon marché. Ceux qui sont morts, c’est tellement plus compliqué. Je parviens à faire entendre raison à certains Hollows qu’ils auraient tout intérêt à me servir, en échange d’une grande profusion d’âmes offertes. L’évolution à moindre frais.
Concernant notre Roi, et bien… Je n’ai pas totalement gagné ma place au sein de l’Espada par mes seules capacités létales. Tout roi a nécessité d’une armée, et je suis celui qui lui façonne.

Je lui lançai un coup d’œil afin de m’assurer que j’avais toute son attention. Ma sincérité ferait preuve de bonne foi.

« - Je réunis des âmes, et je crée des Gillians. J’escompte qu’à moyen terme, ceux-ci deviendront Adjuchas, voire Vasto Lorde. Ensuite, ils rallieront Las Noches en tant que soldats. Et d’autres viendront, encore et encore. Voilà comment je justifie ma place dans ce palais, Empereur. »

Le même camp ? Oui en effet, cela semblait être le cas. Mais si Borick ne se considérait pas comme un Espada, ce n’était pas sans raison. Pour le moment, il se satisfaisait de cette position en attendant qu’une occasion bien meilleure se présente à lui. Tout était calculé dans son esprit, il ne cherchait qu’à accomplir son but ultime et la patience ne lui manquait pas. Qu’importe que cela prenne encore plusieurs siècles : seul le résultat comptait. Tibors pouvait le comprendre. Car sans doute que l’homme était issu du même moule, finalement. Bien sûr, il comprenait tout comme le blondinet que l’intérêt premier de cette discussion était avant tout de mieux connaître l’autre. De savoir qui jouerait un rôle important dans ce vaste jeu auquel ils participaient. Ils n’étaient pas naïfs. Prudent, seulement. Et cette prudence n’était pas inutile.

La réponse ne tarda pas. Satisfaire les besoins de tous, voilà le secret de cet homme. Et il valait bien celui de Borick, sans le moindre doute. Car pour combler les attentes d’un être, encore fallait-il savoir ce qu’il recherchait. Et forcément, cela nécessitait enquêtes et autres lubies de ce genre. Tibors était plus proche de lui qu’il ne le pensait. Mais cet homme ne possédait pas les mêmes aspirations, ce qui était la principale différence qui les caractérisait.

- Façonner une armée… Il est vrai qu’un souverain ne peut rien faire sans une suite conséquente. Pour autant, il s’agit là d’un travail long et fastidieux. La Panthère n’est pas la personne la plus patiente qui soit. De plus, je crois bien n’avoir jamais jusque là entendu parler d’un fournisseur officiel de quoi que ce soit au sein de la Citadelle.

Borick ferma un instant les yeux, un sourire sur les lèvres, et souffla les dernières paroles à mi-voix, comme s’il se confiait en évitant que les oreilles indiscrètes ne puissent l’entendre. Un simple effet de style en réalité.

- Ce qui prouve que vous êtes bien votre travail.

Il rouvrit les yeux, plongeant son regard dans ceux de son vis-à-vis. Il comprenait ce soucis de discrétion car qui saurait ce qu’il faisait, pourrait alors attenter gravement à sa personne, paralysant en partie l’effort de guerre de Las Noches. Tibors n’était en réalité qu’un accélérateur. Car la nature pourvoyait déjà aux besoins du Hueco Mundo. Seulement lui, il essayait d’accélérer le processus de transformation. Intéressante stratégie, bien qu’il ne soit pas donné à tous de pouvoir manipuler ensuite ces créatures, régie par un instinct plus meurtrier encore que les Arrancars. Avec moins de puissance toutefois. Il était amusant de voir que Tibors créait certaines de ces créatures, tandis que lui, il les manipulait et les contrôlait à sa guise.

- Nous sommes plus proches encore que je ne l’aurai cru. Sachez que je possède le pouvoir de contrôler ces créatures que vous prenez plaisir à former. Je trouve la situation amusante... Et pour le moins étrange. Je comprends mieux le rôle que vous jouez au cœur de cette guerre. Ainsi que la place qui est vôtre. Je vous remercie pour la confiance que vous me portez, je doute qu’il s’agisse là d’une information que vous criez sur tous les toits.

Il n’en avait aucune idée mais à sa place, il n’aurait sans doute pas partagé cette information ainsi. Ses expériences semblaient pour le moins passionnante et le blondinet se promettait de tirer au clair cette activité. Adjuchas aurait du travail. Une fois encore.

- Je n’aimerai pas abuser de votre temps, mon cher Tibors. Ainsi je vais prendre congé de vous. Sauf si, évidemment, vous souhaitez m’entretenir d’un tout autre sujet ?

Borick s’était complètement redressé, marchant vers le Cuarta qui avait prit place à proximité. Il ne souhaitait pas nécessairement quitter les lieux mais l’un comme l’autre avaient sans doute encore à faire. Et El Emperador comptait bien en découvrir plus quant aux activités de cet homme. Or, cela passerait obligatoirement par une enquête personnelle. Car il ne savait encore s’il pourrait se fier à lui ou non. Un tel ami serait un bond gigantesque pour lui. Mais s’il s’avérait être un ennemi, alors la prudence serait doublement de mise. Un adversaire à sa hauteur. Ainsi, il était préférable qu’il puisse savoir rapidement dans quelle catégorie le ranger.

J’éclatai d’un rire franc, qui résonna sous les voûtes. Mon hilarité demeura, quelques instants en suspens, avant de décroître, et de se taire tout à fait. L’enfant avait de l’esprit, indubitablement. Je me penchai vers lui, conspirateur, tout en analysant les environs à l’aide de mes maigres qualités de détection.

« Notre Roi possède effectivement un caractère enflammé, je murmurai, complice. Mais il est capable de faire taire son impatience pour se montrer lucide sur certains sujets. Il est un dirigeant pragmatique, et pour lui, tout est bon à prendre pour le renforcer. Alors certes, la création d’une armée est longue et fastidieuse. Mais pour nous autres, immortels, une telle tâche n’est coûteuse qu’en temps, et du temps, nous en avons à profusion. Donc quel mal y-a-t-il à essayer ? »

Je souris, toujours assuré, tout en appuyant sur l’extrême sympathie que je souhaitais lui faire éprouver à mon égard.

« Vous êtes bien aimable, cher Empereur. Le Roi a été difficile à convaincre, mais j’ai su lui faire comprendre la nécessité de mes talents. »

Borick continua son discours et parvint à relancer un plus grand intérêt pour sa personne. Il m’avoua sans détour pouvoir contrôler les Gillians, impliquant peut-être une plus grande capacité à le faire que la moyenne des Arrancars. Et ça, c’était intéressant. En quelques secondes, je saisis toutes les applications que pouvait représenter une telle faculté. Finies les nombreuses nuits à attendre de voir les géants noirs dodeliner stupidement la tête. Avec une capacité de les contrôler, je pourrais directement les forcer à s’entredévorer, et ainsi accroître l’efficacité du processus.

« Ce n’est pas une information que je partage spontanément mais je ne la cache pas non plus pour autant. Je le répète, nous sommes dans le même camp. Pas simplement celui du Roi, mais celui de la Race Hollow. Du moins, j’ose le croire. Enfin, toute personne assez folle pour interférer dans mes affaires devra répondre de cet acte face au Roi lui-même. Celui-ci verrait d’un très mauvais œil que l’on tente de stopper l’effort de guerre. Fort heureusement, rares sont les fous à tenter pareille audace.

Le plaisant entretien sembla toucher à sa fin, pourtant. Une conversation qui avait été enrichissante sur tous les points de vue.

« Et bien cessons donc ici, si vous le souhaitez. Vous n’abusez pas de mon temps, mais tous deux sommes effectivement des hommes occupés par nos responsabilités

Je me redressai à mon tour pour me tenir aux cotés de l’adolescent. Mon pied s’avança dans le vide et s’y appuya, comme sur un sol invisible. Lentement, je gravis un escalier imperceptible, menant tout droit vers la grande ouverture au plafond qui quelques minutes plus tôt avait éveillé mon admiration.

« Toutefois, ce n’est que partie remise. Je souhaiterais vous inviter visiter l’un de mes champs de Gillians. Vous pourrez me montrer comme vous le contrôlez, et en échange, je serais tout à fait disposer à partager quelque chose avec vous de même valeur.

Suspendu dans le vide, je me tournai une dernière fois vers lui :

« Ce fut un plaisir, très cher Empereur. Mes salutations, passez une bonne soirée. »

Sur ces mots, je parvins enfin au niveau de l’ouverture, menant à l’extérieur. Après une ultime révérence, je m’éloignai depuis le toit. Peut-être une amitié venait-elle de naître. Ou bien une vaste farce.

Sujet: Re: De la quintessence de l'égo [Borick]

» Allégeance [- Borick -]
» Borick - Recherche rp
» Messe [Borick]
» X et Quias [Borick]
» Orientation [Borick]

De la quintessence de l'égo [Borick]

De la quintessence de l'égo [Borick]

Sujets similaires

Sujets similaires