Une rue large et dégagée du Rukongai, serpentant entre les cahutes telle un long fleuve tranquille, et surchargée d'étals en tous genres. Vue du ciel, cette grande braderie annuelle aurait probablement offert pareil spectacle. Mais le vol d'oiseau n'était pas la discipline de prédilection des visiteurs, pour qui il y avait de quoi avoir des sueurs froides tellement il fallait jouer des coudes pour s'approcher des stands. Fort heureusement, Ryuhei, lui, n'avait pas à se donner cette peine. Notre homme, tout de noir bleuté vêtu, détonait au milieu des acheteurs lambda, puisqu'il était vendeur. Et quand bien même il y avait d'autres vendeurs alentour, son stand attisait beaucoup les curiosités des uns et des autres: Un Vice-Capitaine des treize au Rukongai, c'était assez rare pour être signalé. Mais il se tournait les pouces, le gradé en question, et il jetait un regard noir à l'amas de porcelaine et de tableaux du dernier kitsch qui couvrait la longue table en bois dont il avait la charge. Est-ce que franchement on confiait les vides greniers au bras droit du capitaine dans les autres divisions ? Est-ce que c'était une mise à l'épreuve tordue ?
Certes, le nouveau capitaine, qui était arrivé il y avait de ça quelques mois maintenant, avait vite fait vœu de s'approprier l'apparence de la division, ou du moins du bureau qu'il partageait à présent avec Ryuhei. Ils étaient les seuls dans toutes les divisions à devoir ainsi se voir en permanence, pour une raison qui échappait au grand escogriffe. Jusque là, il n'avait pas vraiment eu à se plaindre, ils traitaient la paperasse chacun de leur coté et le capitaine s'était montré efficace dans ce domaine, mais aujourd'hui il avait perdu des points. A présent son second donnait des pichenettes à l'anse d'une tasse ouvragée, fasciné par ses courbes si obsolètes et si réelles à la fois. Il aurait préféré être n'importe ou. Aux sources chaudes, au salon de thé, a la morgue de la quatrième ou même empaillé dans un musée plutôt qu'ici. Et ce fut lorsqu’une énième voix, insistante et légèrement outrée, s'éleva qu'il dut quitter sa bien-aimée anse des yeux.
- Ouais ?
- Excusez-moi, c'est combien cette jolie tasse juste là ?
Ah non, pas sa tasse, pas sa seule compagne d'infortune dans cet océan de babioles rococo.
- C'est pas encore a vendre. Tu passes ton chemin, avec le bonjour de...
Tiens, de qui ? Décidant que cette nana était sans doute trop inculte pour savoir que les capitaines portaient un manteau blanc, il décida de s'extirper de son ennui à coups de sarcasmes bien placés et autres astuces de forme.
- Avec le bonjour du capitaine Igarashi. Toute réclamation est à adresser à mon bureau, et c'est à affranchir de facon, hum, sonnante et trébuchante. Pour les postiers Shinigami, voyez.
Lesquels postiers n'existaient bien sur pas, mais il se disait qu'il ne manquerait pas de poster un clampin ou deux vers la porte la plus proche de la rue de la braderie afin de se faire passer pour les PTT et de récolter plus de fonds encore pour la reconstruction de la division. Car il n'était pas un mauvais bougre au fond. Il était juste un peu retors sur les bords. Et retors toujours, ignorant les marmonnements à son encontre, il se remit à mettre des pichenettes à son anse préférée. Et, ne contrôlant pas vraiment aussi bien qu'il l'aurait du, expédia la tasse sur les pavés. Le bruit de casse retentit à peine dans le brouhaha des conversations environnantes, et Ryuhei choisit de faire comme si de rien était en contemplant nonchalamment la foule, le menton sur le poing et le coude sur le genou. Braderie. Ouais. Tu parles.