- Faut que t'y mettes du tiens aussi. Un deal est un deal. Tu fais mumuse avec ton équipe de ninja là mais en échange, tu t'occupes de ça. J'te jure : j'vais m'énerver hein !

- Et comme si c'était pas suffisant, v'là qu'on vient me faire chier avec la disparition de l'autre tarlouze de Kyoya. J'savais bien qu'il fallait que je refuse sa venue. Son dossier puait à dix kilomètres. J'ai vraiment été trop con ! Oh et te marres pas... t'es autant dans la merde que moi. Je t'avais demandé de garder un œil sur lui !

Asuna fixa, médusée, la pile monstrueuse de dossiers s’étalant sur son bureau. Elle cligna, un peu bêtement, n’osant trop croire à ce qu’elle avait sous les yeux. Elle espéra même qu’à force de battre des paupières, l’hallucination se dissiperait. Il n’en fut rien. Asuna avait passé la journée précédente à accomplir son travail avec un acharnement conséquent, pour ne plus avoir Satô sur le dos, et voilà qu’elle découvrait de nouveaux dossiers à classer, signer, ranger, distribuer, aussi nombreux que la veille, voire plus encore. Elle poussa un gémissement long et affligé, sincèrement troublée par cette infinité incessante de tâches quotidiennes à remplir. À son sens, la Quatrième ne comptait ni autant de patients, ni assez de médecins pour avoir besoin de rédiger tous ces rapports. Aussi songeait-elle régulièrement que beaucoup étaient fictifs, et la coupable d’une telle mascarade se trouvait bien évidemment toute désignée en la personne de la Lieutenante, qui soutenait allègrement les vertus du travail bien fait. Une guerre entre elle et Asuna qui se finirait probablement dans un bain de sang sous les chœurs enjoués de la Dame et ses Nuées.

En attendant, la Troisième siège avait à faire. Le plus urgent était cette ‘énième remise des différents rapports sur les pertes du Hueco Mundo. Sujet qui occupait ses journées alors même que l’assaut fut fini depuis des semaines. Mais certains soldats trop gravement touchés trouvaient encore le moyen de mourir même en étant entourés de nombreux médecins. Des sangsues qui absorbaient à eux toutes les ressources de la Quatrième pour finalement mourir, sans se préoccuper des efforts réalisés pour eux. Ou peut-être était-ce la compétence des médecins qui devait être remise en cause. Une armée d’inaptes confrontés à des vagues d’imbéciles blessés, une merveilleuse affaire. Dans tous les cas, la morgue se remplissait plus qu’elle ne se vidait, et cela était un problème.

Asuna interrompit brusquement le fil de ses pensées. Elle se rendit brutalement compte qu’en à peine quelques semaines, elle avait réussi à calquer la logique de Satô et à la faire sienne. Voilà qu’elle se souciait d’autres choses que sa propre existence. En conclusion, la Lieutenante était en passe de transformer sa subordonnée à son image. Asuna sourit intérieurement. Jouer les caméléons restait le jeu dans lequel elle excellait le plus, même inconsciemment.

Mais quelque fut sa volonté à répondre aux exigences de son grade, il lui incombait toujours ses devoirs dont elle ne pourrait pas se débarrasser aussi facilement. Aussi, il lui restait à emmener les rapports des pertes militaires à certaines divisions, et en mains propres, puisque cela était tâche qu’elle ne pouvait donner à ses subordonnés, étant elle-même la subordonnée.
Asuna se détourna brutalement de son bureau, et sortit de la pièce en trombe. Elle revint quelques instants plus tard, armée d’un charriot, décidée comme rarement à prendre à bras le corps cette épineuse contrariété. Elle chargea sa pile de dossier sur le brancard dont le métal couina sous le poids de l’administration. Lorsque tout fut empilé plus ou moins correctement, Asuna se positionna derrière l’astucieux moyen de transport à roulettes, et poussa. En vain. Le charriot ne bougea que de quelques centimètres, les maigres forces physiques de la jeune femme ne rivalisant clairement pas face à lourdeur administrative. Rapidement essoufflée, Asuna finit par abandonner, réfléchissant à une autre façon de déplacer son lourd chargement. Elle quitta une nouvelle fois la pièce, et s’immobilisa au milieu du couloir, plongée dans ses pensées et à la recherche d’une issue.
Quelqu’un profita de sa distraction passagère pour se rapprocher et l’interpeller familièrement. Asuna se redressa ; ses yeux se perdirent dans ceux de son interlocuteur. Un homme à l’allure avantageuse dont l’arrogance affichée était proportionnelle à la taille de ses différents tatouages ; le cigarette aux lèvres, il grimaçait hilare, se voulant probablement séducteur. Il baragouina quelques phrases, parmi lesquelles la jeune femme saisit son propre nom ; l’homme la cherchait, pour une raison ou une autre. Il l’avait trouvé, et plus encore par ailleurs, puisque le regard de l’énergumène se posa sur les formes d’Asuna, enjoué d'une telle vision. Loin de s’offusquer pour si peu, la jeune femme réfléchit à toute vitesse. Soudainement, les poses de son corps se modifièrent légèrement, et la Troisième siège parut plus maladroite, fragile et vulnérable.

« Oh !, s’exclama-t-elle avec une candeur touchante. Elle s’inclina respectueusement et se tourna vers la porte de son bureau, manquant de trébucher dans son volte face précipité. J’ai des dossiers pour la Troisième Division, venez. »

Elle avait bredouillé en disant ces quelques mots, à dessein. Son personnage se devait d’être ingénu, naïf, et piqué d’une innocence légèrement érotique. Un charme de femme enfant dont elle espérait qui pourrait lui servir. Elle le conduisit dans son bureau où attendait toujours la pile conséquente de dossiers. Elle s’y plongea, en fit tomber quelques uns par inadvertance, les ramassa, les remit et parvint enfin à mettre la main sur celui qu’elle recherchait.

« Excusez-moi, quel est votre grade ? »

Elle sourit, tenant serré contre sa poitrine les papiers, comme pour les protéger. L’une de ses mains passa une mèche pendante devant son visage derrière une oreille, ajoutant une dernière touche de joliesse à ses traits.

« Et, euh…, commença-t-elle timidement à celui qu’elle espérait être un vaillant chevalier servant, je dois déplacer tout ceci jusqu’à la Onzième division en priorité mais je ne suis pas assez forte. Il n’y a pas beaucoup d’hommes charpentés à la Quatrième comme vous, donc je me demandais… Oh, pardon, laissez, je ne veux pas vous faire perdre votre temps, vous devez être très occupé, conclut-elle en bafouillant, se rendant compte de son audace. »

Le rouge aux joues, elle fixa ses pieds, terrifiée d’être mal jugée par cet homme impressionnant. Et surtout potentiellement utile.