— Dites-moi, qu’y a-t-il de si intrigant dans une ombre pour qu’elle vous encourage à la traquer ?

Une question qui n’attendait pas réellement de réponse, mais qui encourageait à raison la réflexion. Le susnommé Ryuu devait être couramment distrait si une simple ombre avait raison de sa route pour l’encourager à changer d’itinéraire. Ce n’était pas tant intriguant que de percevoir dans les ténèbres une forme se mouvoir, d’autant plus que cette projection pouvait appartenir autant à un oiseau qu’à un mammifère perdu, les lieux quelque peu déserts et malfamés encourageant la présence de vermines. Qu’importe la raison exacte qui l’avait mené à ses talons, il était trop tard maintenant pour se faufiler loin de cette compagnie. Ladite ombre se détachait à cet instant des ténèbres pour se dévoiler au curieux Shinigami, cela sans qu’un bruit ne vienne troubler la quiétude des lieux.

Quiétude qui n’allait certainement pas demeurer maintenant qu’une discussion était inévitablement sur le point de naitre. À savoir maintenant si elle était offensée d’être prise en chasse par le blondinet, il était plus exact de répondre qu’elle était loin d’en être satisfaite, et cela en dépit du sourire sibyllin qui flottait sur ses lèvres. Lorsqu’une personne préférait la promenade dans les ténèbres aux déplacements sous les projecteurs, ce n’était certainement pas pour être dérangé. Mais faute d’excuses valables pour se défiler – et afin d’éviter un mensonge trop apparent, elle n’allait avoir d’autre choix que d’échanger avec l’intrus, dans l’espoir qu’elle puisse couper court la conversation le plus tôt possible. Elle n’avait pas de crainte à ce sujet.

Quiète en dépit d’une certaine irritation – que rien sur ses traits ne laissait percevoir, il ne lui suffit pas moins d’une seconde pour notifier le brassard que l’homme portait à son bras, preuve qu’elle avait de surcroît fait la rencontre d’un supérieur – ce qui soit dit en passant n’était en rien surprenant vu le siège qu’elle occupait. Elle procéda à un léger hochement de tête en guise de plus convenables salutations, et cela même si elle avait de la difficulté à ne pas reconnaitre ce visage. Si Ayane avait la réputation de n’être qu’un fantôme parmi les esprits, elle savait au moins tendre l’oreille sur les nouvelles de la Soul Society, et elle ne se souvenait définitivement pas avoir ouï l’arrivée d’un nouveau vice-capitaine. La promotion devait être toute récente pour ne pas avoir d’ores et déjà glissé au creux des oreilles les plus attentives.

Il était surprenant de constater à quel point il s’opérait de si nombreux changements au sein des hautes strates du Gotei 13. Ayant été depuis très longtemps une simple siège de la Treizième Division, elle avait vu à de nombreuses reprises des visages se donner le relais pour un poste, et cela quand bien même elle faisait du surplace avec son propre niveau. Il faut dire aussi que ne pas savoir libérer son Zanpakuto jouait dans la décision de son Capitaine à ne pas lui faire gravir les échelons, mais ce n’était pas comme si cela importunait la jeune femme, qui préférait la discrétion de son vulgaire poste au grand intérêt porté aux plus forts. Même sans Shikai, elle réussissait à accoter les sièges supérieurs au sien – fait qu’elle préférait garder pour soi, soucieuse de conserver sa modestie.

Mais avoir en vis-à-vis un vice-capitaine venait légèrement compliquer ses plans, elle qui souhaitait se dérober à la moindre occasion, en plus d’ignorer les questions qui allaient fort probablement pleuvoir d’une minute à l’autre. Le respect de la hiérarchie ayant toujours été de mise chez elle, il était difficile de croire qu’elle puisse se débarrasser de sa présence avec efficacité, cela sans le froisser. Résignée à devoir se plier à cet échange, c’est sur une base positive qu’elle entama la discussion, se disant qu’elle allait en apprendre davantage sur cette figure. Et puis, avec un peu de chance, elle allait demeurer tout au long en contrôle de la conversation, qu’elle prendrait bien soin de diriger en tout temps sur ce Karot Ryuu.

— Offensée, non. Je suis rarement offensée, pour ne pas dire jamais. Enchantée de faire votre connaissance. Il est bien rare qu’un vice-capitaine s’adresse de son propre chef et sans raison apparente à la basse siège que je suis, mais vous m’en voyez flattée.

Il était d’autant plus rare qu’un personnage de la Onzième Division ait quelque chose à dire à un siège de la Treizième, ces derniers préférant tant échanger à l’aide des poings qu’Ayane avait décidé de les éviter autant que faire se peut. Celui-ci en revanche était déterminé à converser, car en plus d’être poli – ce qui n’était pas donné à tous les Shinigami de son groupe, il ne l’aurait tout simplement pas suivi si ses intentions n’avaient été de discuter. Quant à avoir l’apanage de sa présence, il va sans dire que la jeune Shinigami s’en balançait royalement, mais son perpétuel sourire venait brouiller ses pensées acerbes que jamais au grand jamais elle n’oserait partager, quitte à ce qu'elle soit un poil hypocrite.

— Je ne puis que vous féliciter pour votre promotion, vice-capitaine Karot. Le Gotei 13 semble avoir trouvé le potentiel recherché en vous pour vous avoir offert une pareille place, et ce doit être tout mérité. Étiez-vous de cette même division avant cette grande nouvelle ? Je ne me rappelle pas vous avoir déjà croisé… Après, il faut dire que je suis plutôt sédentaire, et que faire la rencontre des autres divisions n'a jamais été une pratique courante chez moi.

La suggestion de tutoyer un supérieur, même en étant acquéreuse d’une permission, ne serait jamais accueillie par Ayane, qui nourrissait un attachement particulier aux règles de bienséance qui exigeaient en temps ordinaires un vouvoiement à l’égard de tout aîné et toute personne hautement placée dans la hiérarchie. Étant ne serait-ce qu’un ver au sein de la Soul Society, il était de mise pour elle – et tout à fait normal – de poursuivre cette discussion sur pareille note, note qui soit dit en passant ne gênait en rien la Shinigami. D’ailleurs, elle n’appréciait pas les impressions de confidences et de rapprochement que créait le tutoiement. Une louve solitaire telle qu’on pouvait la représenter ne donnerait sous aucun prétexte l’occasion de croire en une amitié naissante.

— Non. Je ne veux pas.

Laconique comme réponse, mais rien n’avait le mérite d’être plus clair. Le ton avait été d’un tranchant modéré, mais heureusement, le sourire qui perdurait sur son visage d’albâtre venait annihiler toute mauvaise interprétation issue de sa réponse. L’important étant du moins qu’il soit définitif aux yeux de Ryuu qu’elle ne souhaitait passer au tutoiement, et qu’une telle question ne saurait retrouver une place entre eux deux. Pour ce qui était de son comportement étrange, tant mieux si son mensonge avait su faire des heureux, elle n’allait pas non plus revenir sur ce point qu’elle déclarait d’office déjà clos. Ce qui était fait, était fait, et qu’on s’avoue quelque peu dérangée par l’initiative du vice-capitaine ne changerait en rien cette discussion à venir.

Il va sans dire qu’il s’agissait d’un curieux personnage qui se présentait comme son interlocuteur. Le susnommé Ryuu semblait à la fois intrigué et prompt à socialiser avec celle qui, visiblement, n’avait rien demandé de tout cela. Son caractère se trouvait définitivement aux antipodes de celui en vogue à la Onzième Division et c’est peut-être pour cette raison qu’elle était encline à demeurer, alors que de coutume elle se serait défilée sans laisser ses restes. Maintenant, à savoir si derrière ces drôles d’allure se cachaient quelques obscures intentions, elle ne le découvrirait qu’en temps et lieu. Mais de prime abord, il avait tout l’air d’un tout nouveau vice-capitaine en quête de quelques amis, ou d’un peu de renommée.

— Vous ne faites pas toute une histoire de la hiérarchie parce qu’il était de coutume pour vous, naguère, de parler d’égal à égal avec des gens tels que moi. Avant votre promotion, vous ne deviez être qu’un siège qui respecte ceux qui portent le brassard ou le Haori, et vous devez donc comprendre ce pourquoi je m’obstine à vouloir conserver cette marque de respect entre nous. Profitez donc des bénéfices que vous apportent ce tout nouveau rang en me laissant vous parler avec le respect que je suis en devoir de vous faire preuve.

Il était facile pour un supérieur d’exiger le tutoiement de la part de plus bas que lui, mais du point de vue de celui devant se conformer à une pratique qui va à l’encontre des convenances dans lesquelles on grandit rendait le tout beaucoup plus malaisé. Au moins, offrir un pareil discours à une personne récemment promue au titre de vice-capitaine certifiait sa compréhension, car Ryuu qui venait tout juste de quitter son pauvre siège devait avoir été confronté aux règles de respect s’appliquant à la hiérarchie. Dorénavant titulaire d’une position favorable à ce genre de flatteries, il devrait en profiter. Du moins, c’était ce qu’Ayane ferait si elle était à sa place – ce dont elle ne souhaitait pas particulièrement.

Et la question fatidique ne sut tarder trop longtemps, sa stratégie de garder contrôle de la conversation se révélant de ce fait être d’une inutilité déconcertante. Ce n’était pourtant là qu’une simple question de courtoisie qu’il était tout à fait banal de poser, mais si la demoiselle haïssait bien une chose, c’était de parler de soi. Que ce soit un nom, une division ou pis encore, son passé, elle avait tendance à se refermer comme une huître pour ne laisser transparaitre rien de sa personne. C’était un moyen de défense, rien de plus, comme l’était son stoïcisme ou son perpétuel sourire. Le mystère se cultivait, et depuis qu’elle était devenue maitre en ce domaine, elle s’était promis que plus rien ne passerait au travers de sa carapace pour s’inviter en son cœur. La souffrance issue de la perte d’un être cher lui étant tout bonnement insupportable. C’était une promesse de ne plus jamais s’ouvrir à quiconque.

Néanmoins, dans le présent cas, il ne s’agissait qu’un nom, et Ayane ne ferait certainement pas tout un plat pour sa simple identité, qu’il serait possible d’obtenir par d’autres moyens qu’une question directe. Toujours ses traits figés dans l’éternelle expression qui semblait être l’unique de sa collection, elle fit dos au vice-capitaine Ryuu pour poursuivre sa marche, cela tout en l’invitant d’une voix posée à le suivre. Avancer en même temps de converser rendrait la situation fortement plus agréable, en plus de condamner la discussion à se terminer une fois arrivés à destination.

— Marchons, si vous n’y voyez pas d’inconvénients. Je m’appelle Ayane, de la Treizième Division. Il y a donc une grande différence entre nos deux divisions, et je me demandais justement comment était-ce de devenir une influence parmi des gens aussi belliqueux? Ce ne doit pas être facile de se forger une place au sein de cette division, en particulier. Est-ce que je me trompe?