Physician, heal thyself! [Pv Asuna]

Depuis quelques temps, la toute relative tranquillité du Seireitei laissait à Taka le loisir de s'atteler à ses tâches de Vice-Capitaine. Si tant est que le terme loisir convienne, tant il en avait par dessus la tête. Entre les rapports à rédiger pour tel ou tel supérieur, les différentes sessions d'entraînement avec de jeunes Shinigami, ou simplement le fait de garder les épaules droites et la tête haute pour sa division, le blondinet était sans cesse à courir à droite et à gauche. Et si peu à peu il s’accommodait à son poste, et avait depuis son ascension gagné un peu d'estime pour lui-même, il y avait encore quelques cafouillages. On l'avait sermonné pas plus tard que la veille parce qu'il avait laissé deux simples Shinigami de la Onzième le traiter de petit être chétif. Lors de l'évènement, il s'était contenté d'encaisser, gardant un sourire neutre, mais ça n'allait pas. Selon les autres, il aurait dû faire valoir le brassard accroché à sa manche et ne pas laisser ces hommes dire ce qui leur plaisait. Si les supérieurs commençaient à se laisser faire, alors toute l'organisation du Gotei 13 finirait par s'écrouler. Dans une armée, les supérieurs doivent être suffisamment solides pour lier les différents corps. Et si, à force de voir Shu, le Kazegai savait comment se comporter, il éprouvait encore quelques difficultés à appliquer ce comportement. Sa tête lui suggérait quelque chose, mais son corps faisait autrement. Les habitudes ont la dent dure, après tout. Mais pas aujourd'hui.

Aujourd'hui, il se devait d'être irréprochable. La coopération entre la Quatrième Division et la Dixième durait depuis quelques temps, et aucun incident majeur n'était à déplorer, à peine quelques broutilles rapidement réglées par l'homme aux yeux d'émeraude, encore un point positif à ajouter à son curriculum vitae. La plupart du temps, c'était un siège de la Quatrième qui se chargeait de transmettre les informations et recommandations de l'équipe des médecins. Mais il se murmurait dans les chaumières qu'aujourdhui, la Capitaine en personne, Kuragari Asuna, viendrait voir de ses propres yeux comment s'en sortaient les blessés légers. Aussi, excité comme une puce, Taka virevoltait à droite et à gauche, dansant avec son angoisse pour essayer - en vain, toutefois - de l'oublier. Il avait entendu beaucoup de choses sur la Capitaine de la Quatrième, mais n'avait jamais eu la chance (ou la malchance, qui sait?) de la rencontrer. Aussi, il ne prêtait pas forcément foi à tous les on-dits, mais il devait avouer que certains lui faisaient froid dans le dos. Pour la cinquantième fois, au moins, depuis le matin, il astiqua le carreau d'une des fenêtres du bâtiment alloué aux blessés légers. Ce ne serait jamais assez propre à son goût.

Il se pencha sur un Shinigami, ici depuis peu pour un bras cassé à l'entraînement. La chose avait l'air de bien se remettre, et il pourrait sans doute repartir du bon pied le lendemain, ou peut-être dans deux jours. Le Vice-Capitaine de la Dixième se récita intérieurement les raisons de la présence du type ici, son nom, sa Division, tout le baratin à savoir au cas où Asuna-sama l'interroge là-dessus. Puis, bondissant presque, il se rendit dans la pièce voisine, et commença à mettre de l'ordre dans les divers dossiers. Mais comme il les avait déjà rangés vingt fois au moins, il n'y avait pas grand chose à faire. Soupirant, il se mit à espérer qu'elle arriverait rapidement... Plus vite ce serait fait, plus vite il serait libre. Mais en même temps, est-ce que ce n'était pas un peu suicidaire que d'attendre ça avec impatience ? Enfin, il n'allait pas mourir... Enfin, il espérait. Et si elle ne l'aimait pas ? Et si elle avait entendu du mal de lui ? Tant de questions, si peu de réponses. Il n'y avait qu'une seule solution...

Que Kuragari Asuna vienne. Et rapidement, si possible. Sans quoi, ses doutes feraient exploser son crâne avant quoi que ce soit d'autre.

Asuna n’y avait pas réellement cru, à vrai dire. Ce calcul lui avait semblé être vaguement hasardeux, facilement gâché d’un rien, ruiné du moindre conflit qui aurait pu naître entre les deux divisions. En dépit de ces prévisions sceptiques, cette pseudo-alliance avait fonctionné. La Capitaine admettait son tort, et avouait sans fard avoir peut-être sous-estimé la docilité des membres de la Dixième. S’il était apparu plus rapidement que ceux-ci ne rechignaient à se faire racketter leurs quartiers, la jeune femme aurait pu exiger davantage d’Igarashi et faire plier les quelques réserves mollassonnes de ce dernier. L’idée qu’en insistant, il aurait été possible d’obtenir l’entièreté de la division pour loger l’hôpital, prodiguait à Asuna un sentiment proche de l’amusement.
Bien entendu, elle ne sourit pas, ses prunelles ne pétillèrent d’aucune joie, et c’est la figure inerte comme le marbre, figée dans son inconsolable inexpressivité, que la jeune femme franchit les portes de la Dixième.

Les hommes et les femmes qui la croisèrent s’écartèrent, dans un mélange de respect et de crainte, tandis qu’elle marchait d’un bon pas, sans leur accorder plus d’attention qu’aux pavés qu’elle foulait du pied. Asuna savait où elle se rendait, tout comme elle supposait qu’on l’y attendait, d’autant qu’elle avait prévenu de son arrivée. S’agirait-il du Capitaine Vizard en personne ? Ou un quelconque subordonné ? Dans tous les cas, qu’importait.
Elle pénétra dans les bâtiments affiliés à la Quatrième, et le fit comme celle qui se savait ici chez elle, sans crainte, au cœur même d’un royaume étranger. Cette insouciance possédait un caractère plaisant, bien que bizarre dans sa nouveauté. Asuna erra dans les couloirs tranquillement et entrait parfois dans les chambres aménagées afin de les inspecter le plus soigneusement du monde ainsi que les blessés qui y résidaient.
Au détour de l’une des pièces, elle croisa un homme qui n’y avait pas sa place. Tout du moins, pas celle attendue. La Capitaine s’immobilisa dans l’entrée, le dévisagea sans s’en cacher, jeta un coup d’œil à son brassard, et se détourna de l’inconnu pour finalement se rendre auprès du patient.

« Vous êtes le lieutenant du Capitaine Igarashi, je présume. Que puis-je pour vous ?, dit-elle affablement mais sans chaleur, en souveraine de son empire. »

[Désolé pour le temps de réponse! Et pas de souci pour la longueur, je ne fais pas forcément plus.]

Aucune rumeur n'aurait jamais pu le préparer à ça. Quelque chose dans l'apparence même d' Asuna la rendait froide comme la glace. Peut-être la clarté de ses cheveux, coupés mi-longs, dans une coupe plutôt martiale, ou bien ses prunelles bleues-grises qui semblaient être deux icebergs incrustés sous le masque de porcelaine qu'était son visage. Et ses agissements concordaient avec cette apparence, puisqu'elle n'avait pas même accordé un regard conciliant à Taka, ou alors un très bref sur son brassard, se contentant de le dévisager ouvertement. Peut-être s'attendait-elle à voir là Shu? Il faut dire que pour une collaboration entre les deux Divisions, initiées par les Capitaines, ce serait plus logique que ce soit l'un de ces derniers qui se charge de surveiller la bonne entente et l'accomplissement du projet. Qu'à cela ne tienne, il avait été nommé à ce poste, sûrement pour alléger son supérieur, qui avait déjà énormément à faire. Mais quand même, quelque chose dans Asuna lui rappelait Farune, ne serait-ce que le ton de sa voix. Cette façon de considérer les autres, comme s'ils n'étaient là que pour son bon plaisir... Le Vice-Capitaine retint à grand peine un frisson, de peur d'empirer l'impression qu' Asuna aurait de lui. Il ne devait pas manifester son trouble, ou c'en était fini de lui. Posant le poing sur sa poitrine, il mit un genou à terre et baissa la tête, saluant la femme en face de lui, bien qu'elle ne le regardât toujours pas. D'un ton monocorde, il s'annonça:

- Exactement, Capitaine Kuragari. Je suis Kazegai Taka, Vice-Capitaine de la Dixième Division et en charge du quartier des blessés légers que vous avez transféré chez nous.

Il se mordit la langue pour s'empêcher de dire qu'il pensait que c'était trop pour lui. Pour une raison inconnue, il n'avait pas envie de laisser cette femme le voir faible. Était-ce le parallèle qu'il faisait avec Farune dans son esprit? En tous les cas, il se devait de faire honneur à son poste et à ses capacités. Qu'il pense ainsi, c'était une petite victoire. Shu aurait été heureux de le voir dans cet état d'esprit. Il se releva et se porta aux côtés de la Capitaine de la Quatrième, observant lui aussi le patient. Sans sourire lui non plus, il lui annonça que plutôt que ce qu'elle pouvait pour lui, c'était ce qu'il pouvait lui pour elle qui l'intéressait. Après tout, c'est elle qui venait visiter et lui qui était à sa disposition. Histoire de ménager son effet d'annonce, il commença à évoquer le point d'honneur que mettait la Dixième à respecter l'accord : les Shinigami s'efforçaient d'apprendre au mieux les sorts de soin les plus accessibles, pour avoir une garantie supplémentaire sur le terrain, et les blessés étaient traités avec tout le confort possible, comme elle pourrait le constater si d'aventure elle désirait visiter l'endroit plus en profondeur. Il s'interrompit, cherchant ses mots l'espace d'un instant, puis reprit de plus belle.

Il précisa que les conflits, déjà très rares au départ, émanant notamment de quelques esprits chagrins de la Dixième qui souhaitaient voir ces bâtiments employés à meilleur usage, avaient été tous désarmés par sa personne. Puis il se tut : ça sonnait un peu trop comme des louanges à son égard. Et ça ne lui plaisait pas trop, surtout que ça venait de lui.

La jeune capitaine se pencha vers l’homme lové au cœur de la mer blanche de ses draps. De la clarté de ceux-ci, le teint légèrement verdâtre du patient en offrait un contraste délicat qu’Asuna saisit du regard tel le peintre face aux merveilles de la nature. À la différence qu’elle ne s’en ébahit pas, et considéra le coloris comme tout à fait inapproprié à la couleur qu’aurait dû arborer le malheureux. D’un geste ample, elle écarta la couverture pour la rabattre jusqu’au pied du lit afin de mieux statuer sur la source de l’intrigant problème. Elle aperçut en premiers les bandages cerclant le bras du malade, ensuite seulement, elle vit les taches de pus souillant l’immaculé du matelas ci et là comme autant de coupables.

« Oui. D’accord, répondit-elle simplement au monologue précipité du Lieutenant.»

Sans plus accorder d’attention au gradé de la Dixième, Asuna saisit le dossier du Shinigami grabataire ; elle parcourut rapidement les différents rapports, les raisons de l’entrée de ce prénommé Zangai Inujini, avant de refermer d’un coup sec les pages. Lestement, la jeune femme fit glisser jusqu’à elle un tabouret, s’y assit, puis entreprit le dépouillement des bandes salies du souffrant. À mesure que la peau du bras se découvrait apparurent au grand jour des sortes d’excroissances boursouflées, d’où suintait un liquide terreux.

« Morsure de Hollow dit le rapport. Anodine, soit disant. »

La Capitaine se pencha sur les plaies pour les humer d’une profonde inspiration. Ses narines frémirent violemment en percevant la flagrance nauséeuse et puissante dégagée par les cratères cutanés.

« Poison. Avec incubation longue, semble-t-il. Lieutenant ? Allez me chercher des pansements propres et du désinfectant. Un seau aussi, s’il vous plaît.»

Elle lui lança un rapide coup d’œil qui fut autant une invitation à l’empressement qu'à l'efficacité. Son attention se reporta sur le membre rongé par le mal pour ne plus s’en détacher, fascinée par ces plaines d’épiderme nécrosé et de monts croûteux suppurants.
Par un effort intense de volonté, la jeune femme s’arracha à cette sinistre contemplation dans le but de se consacrer à nouveau au soin du blessé. Usant de ses maigres forces, elle réussit à redresser le corps pesant de Zangai jusqu’au retour du Lieutenant Kazegai.

« Le seau, mettez-le là, tenez le fermement. »

Asuna désigna un espace libre entre les cuisses du Shinigami inconscient dont le menton venait frapper le haut de son torse, son cou aussi désarticulé que s’il eût été brisé. L’index de la jeune femme s’enfonça subitement dans le ventre du malade qui tressaillit avant de régurgiter une épaisse bile sombre dans le contenant

« Donc, certains de vos hommes considèrent qu’il y a un meilleur usage que le secours apporté à leurs camarades, Lieutenant. C’est une mentalité préoccupante. Espérons qu’elle ne fasse pas plus de partisans parmi les soldats de la Dixième Division.»

Les iris azures frappèrent celles du Lieutenant pour ne plus s’en défaire, pour ne plus les lâcher.

La première complication de la journée se déroulait sous les yeux du Vice-Capitaine de la Dixième. Il ne savait pas qui s'était occupé du Shinigami que le Capitaine Asuna souhaitait soigner, mais il avait certainement tiré des conclusions hâtives. Et il y avait fort à parier que les complications allaient lui retomber dessus. Aussi, peu désireux d'empirer son cas, il s'empressa d'aller chercher le matériel requis par sa supérieur. Lorsqu'il revint, ayant fait aussi vite que possible, il installa docilement le seau et le maintint fermement, même lorsque l'humeur noirâtre de Zangai Inujini s'y déversa, manquant éclabousser ses doigts. Il fronça le nez, mais s'efforça tout de même de rester le plus impassible qu'il put: pas question d'y mettre de la mauvaise volonté. Une fois la besogne terminée, la dirigeante de la Quatrième lui asséna une nouvelle remarque acide, accompagnée d'un regard pénétrant qui évoquait quelque saphir. Taka lutta l'espace d'un instant, puis finit par baisser la tête, penaud. Il le savait, que ça allait être une mauvaise journée. Sans mot dire, il imbiba un tissu de désinfectant, et commença à le passer soigneusement sur la blessure de son camarade, effaçant les traces suintant le pus et essayant de redonner à sa peau sa teinte initiale. Puis, avant de mettre le bandage propre, il interrogea Asuna du regard, pour savoir ce qu'elle pensait de sa méthode.

Dans le même temps, il héla un jeune de la Dixième, un certain Hattori, et lui demanda d'aller chercher des draps propres pour le lit et de prévoir une observation accrue pour Zangai. Hattori s'inclina bien bas, ayant sans doute reconnu le Capitaine Kuragari, puis fila au pas de course chercher le nécessaire, tandis que Taka commençait à retirer les couvertures et les draps, déplaçant avec délicatesse son patient pour pouvoir retirer le couvre-lit. Une fois sa besogne achevée, ayant rassemblé suffisamment de courage pour s'adresser à Dame Asuna, il se tourna vers l'intéressée, inspira un grand coup, puis se lança:

- J'en suis tout autant peiné que vous, Capitaine. De jeunes têtes brûlées, qui considèrent que cet endroit serait plus adapté en quartier d'entraînement. Tous des impatients qui rêvent d'enchaîner les prouesses et de devenir Capitaines... Mais la précipitation mène à la mort. Supposons qu'ils soient blessés, ils seront bien contents d'être soignés parmi leurs camarades. C'est ce que je ne manque pas de leur rappeler, mais je ne peux lire dans les pensées de mes hommes. Et la majorité silencieuse peut être la plus dangereuse.

Il se tut en voyant Hattori et des draps immaculés approcher, et récupéra le tout. Les déposant sur une commode à proximité, il déroula les bandages propres, prêt à en finir avec Zangai. En attendant, il rassura toutefois le Capitaine Kuragari: il était probable que la plupart de ses hommes soient favorables à cette installation, malgré son ton dramatique. De plus, ils mettaient tous énormément de cœur à l'ouvrage en ce qui concernait leur apprentissage des sorts de soin.

Un voile passa sur le visage de la Capitaine, et il ne charria pas une franche chaleur. Les traits de la jeune femme gardèrent leur dureté mais son regard acier déjà incisif le devint plus encore. Les propos de son interlocuteur, bien qu’étant motivés par une bonne volonté, possédaient des relents de faiblesse qui firent frémir les narines d’Asuna, comme si soudainement une mauvaise odeur venait lui chatouiller le nez.
Kazegai ne semblait pas incompétent, simplement mou. Et étant donné le modèle qu’il avait pour capitaine, cela n’avait rien d’étonnant.

« J’imagine que ces jeunes gens atterriront à la morgue d’ici peu, s’ils sont si idiots. Vous n’avez qu’à me les envoyer. Je leur montrerai les corps de ceux tombés avant eux. Peut-être comprendront-ils alors que ce que nous faisons ici, elle désigna Zangai, a de l’importance. »

Non qu’elle se sentait la fibre éducative pour les marmots de la Dixième Division, cependant si Asuna pouvait rallier à elle les sceptiques, les convaincre du bien fondé de l’association, son autorité sur l’Igarashi s’en retrouverait grandie.

« Il y a quelque chose que je ne comprends pas. La majorité silencieuse, dangereuse ? »

Elle se saisit des draps propres avant d’entreprendre de refaire le lit, non sans un certain inconfort en raison du corps du malade. Puis, d’un geste rapide, elle attrapa les bandages entre les doigts du Lieutenant et se chargea, seule, de s’occuper du bras du blessé.

« Si vous ne pouvez pas lire dans leurs pensées, lieutenant, vous pouvez les orienter dans la direction voulue. Vous semblez tout à fait capable. Mais je ne suis pas certaine qu’une attitude de conciliation soit appropriée à votre statut. Vos hommes sont vos hommes, et vous avez pleinement autorité sur eux. Qu’il y ait eu des contestations sur un sujet aussi trivial que des bâtiments, et bien…
N’hésitez pas à recadrer les têtes brûlées avec plus de fermeté que les mots. Vous êtes leur supérieur, non leur parent. »

Elle lui lança un regard furtif, quoique pénétrant.

« Je ne souhaite pas m’immiscer dans la façon dont vous gérez votre division avec votre Capitaine. Ce n’est qu’un conseil. »

Asuna acheva finalement sa tâche, non sans noter que l’immaculé du bandage commençait déjà à se salir légèrement de pus.

« Il faudra quelques jours pour que les humeurs se vident entièrement. Changez le bandage toutes les deux heures. »

Elle déposa délicatement le bras contre le flanc de son propriétaire puis rabattit la couverture jusqu’aux épaules de l’homme.

« Montrez-moi l’infirmerie. »

[Désolé du retard, j'ai eu event+ révisions cette semaine!]

Tout au long du speech de la Capitaine, Taka ne pipa mot, se contentant d'observer ses gestes méticuleux. Un peu d'expérience était toujours bonne à prendre, surtout quand le modèle n'était rien de moins que la meilleure guérisseuse de la Soul Society. Plusieurs fois, le rouge lui monta aux joues, mais il s'efforça de le masquer au mieux: au final, ça n'aurait fait qu'irriter, si le terme était le bon, encore plus la femme. Elle tenait grossièrement le même discours que Shu, sauf qu'elle y mettait beaucoup plus d'acidité, et cela semblait être la plus grosse différence entre les deux leaders: si le premier essayait d'être pour ses hommes un ami, la seconde mettait directement les choses au clair: comme elle l'avait si bien dit, elle était leur supérieur, pas un parent. Cela dit, pas besoin de lui asséner de nouveau le refrain, puisque le Kazegai le connaissait et s'efforçait de l'appliquer. Il était simplement insignifiant, et... Non, ce n'était pas la bonne façon de penser. Il se gifla mentalement et masqua son trouble en adressant un pâle sourire à Asuna-taisho, qui lui avait demandé de la conduire à l'infirmerie. Avec un geste de la main, il l'invita à le suivre, non sans jeter un dernier regard à Zangai... En aurait-il fini avec la femme dans deux heures? Dans le pire des cas, il transmettrait l'ordre. A coup sûr, cela contenterait la Capitaine de la Quatrième.

D'un pas mesuré, le frêle blondinet quitta le chevet du blessé et se dirigea vers l'infirmerie. En chemin, il observa les allées et venues de ses hommes, tout en réfléchissant à ce que lui avait dit la guérisseuse. La vérité, c'est qu'il était impossible de donner des ordres. Si en recevoir ne le gênait pas, et qu'il n'avait que faire d'être traité comme un moins-que-rien, il avait en revanche toutes les peines du monde à s'estimer suffisamment au-dessus pour commander. Quand il donnait des consignes, c'était à grand renfort de "S'il vous plaît", de "Je vous prie", et de toutes ces locutions qui encouragent le soldat à penser que s'il y a autant de simagrées, c'est que ce n'est pas important et que ça peut attendre. Il ravala sa salive et l'embrasure de la porte de l'infirmerie le rassura, chassant les pensées qui le troublaient. La pièce, d'ordinaire, était bien rangée. Les murs blancs couverts d'étals débordant d'artefacts médicaux, les armoires avec les draps et les bandages propres, et les brancards calés dans un coin étaient un véritable témoignage du soin qu'avait le Vice-Capitaine à l'égard de sa tâche. Seulement, un placard était ouvert et les draps étaient étalés pêle-mêle par terre. Sans doute le travail d' Hattori, venu chercher des draps tout à l'heure. Et, bien évidemment, il n'y avait pas âme qui vive dans l'infirmerie. Comme il y avait assez de place dans la grande salle, il y avait fait placer tous les blessés, qui se sentiraient sans doute mieux entourés d'amis que de médicaments.

Cette histoire n'arrangeait pas ses affaires. Il sentait déjà le regard pénétrant d' Asuna sur sa nuque, et ses remarques acerbes vantant son incompétence. Alors il prit les devants: retournant à l'entrée de la pièce, il héla Hattori d'une voix forte. Enfin, aussi forte qu'il le pouvait. Le jeune se ramena d'un pas traînant, l'air véritablement surpris. Quel comédien. D'un ton doux, le Kazegai l'invita à venir voir l'intérieur de la pièce, et une pointe d'inquiétude envahit le regard du subalterne, ce qui n'échappa pas à l’œil exercé du Faucon. Devant le fait accompli, le jeune essaya bien de se défendre, mais Taka coupa court à toutes suppliques:

- Il n'y a pas de mais, Hattori. Je me fiche que tu aies pris les draps au fond ou quoi que ce soit. Nous sommes dans une infirmerie, et les choses doivent être propres à tout instant. Que feras-tu si l'un de ces draps causent une infection chez un Shinigami déjà blessé? Rien, car tu ne peux rien faire, puisqu'en plus tu ne mets pas de bonne volonté aux cours dispensés par nos confrères de la Quatrième. Non, ne dis rien, je me fiche que tu ne soies plus à l' Académie ou quoi que ce soit. Tu vas immédiatement stériliser tous ces draps, les plier correctement et les ranger. Et si d'aventure tu y mets de la mauvaise volonté, tu seras d'astreinte pour le rangement toute la semaine. Si j'ai de nouveaux échos sur toi, j'en parlerai au Capitaine Shu... Non, je me chargerai moi-même de ta punition. Ai-je été assez clair?

Le jeune, qui avait pâli au fil du discours, hocha la tête d'un air penaud, et Taka pivota juste assez tôt pour ne pas montrer ses joues cramoisies. Il se mordit la langue pour s'empêcher de s'excuser et de rassurer Hattori. Pas devant Asuna. Il s'excuserait plus tard pour l'offense. Nouvelle gifle mentale. Ce n'était pas la bonne mentalité! Une fois le jeune parti avec ses draps sous le bras, il se tourna vers son interlocutrice et s'excusa pour le dérangement, avec une authentique gêne.

La jeune femme emboîta le pas à l’homme, notant au passage que celui-ci semblait bien plus assuré tant dans sa démarche que dans son maintien. Elle l’examina scrutant ses subordonnés qui passaient auprès d’eux, et tenta de déceler si, sous ce visage triste, il y avait l’âme d’un chef. Asuna ne formula pas une conclusion définitive sur le sujet ; le lieutenant Kazegai avait les attitudes d’un enfant pris en faute, pourtant il était difficile de dire ce à quoi il pourrait prétendre une fois sorti de ce travers, si tant est qu’il y réussissait un jour.
Enfermée dans son mutisme et ses analyses, la Capitaine manqua de s’heurter à son guide quand celui-ci s’arrêta net devant une porte. Elle se pencha de coté pour entrapercevoir la pièce, cligna des paupières, et porta son regard d’azur vers celui manifestement paniqué du lieutenant. Elle n’énonça pas une remarque concernant le piteux chaos qui se présentait devant eux, et son silence pesa peut-être bien plus qu’un constat mordant.

Asuna s’écarta pour libérer l’accès du couloir à Kazegai ; elle se posta dans un coin de la salle sans accorder une réelle attention à la scène d’autorité qui se jouait à quelques pas. Elle ouvrit les battants d’une armoire pour en inspecter le contenu, mesurer la quantité de fournitures médicales et si tout était en ordre. Elle entendit le lieutenant revenir, se livrer à des excuses, encore. La Capitaine n’y répondit pas immédiatement, absorbée qu’elle était par sa tâche. Une fois qu'elle eut fini, elle se retourna, et ne parut ni fâchée ni joyeuse, neutre comme à son habitude.

« Ce n’est rien, Lieutenant, dit-t-elle, votre subordonné ne commettra plus cette erreur, j’imagine. Du moins tant que vous serez là pour lui rappeler. »

Encouragement ou énoncé logique, la Shinigami se garda bien de laisser transparaître l’essence de ses mots. Son interlocuteur l’interpréterait comme il l’entendrait, et dans les deux, cela le rendrait plus efficace.

« Les stocks de certains produits sont bientôt épuisés. Je vais demander à ce qu’on vous en apporte de nouveaux. »

Elle le dévisagea, s’attendant presque à le voir fondre en lui-même, écrasé par ses remords imaginaires.

« Respirez, Lieutenant. J’en ai fini ici pour aujourd’hui. Je ne pense pas avoir besoin de revenir avant quelques temps. Soyez ferme, voilà tout. »

Finalement, elle l’avait lâché son compliment, quoiqu’à demi. Un calcul qui ne coûtait rien était un bon calcul. Elle s’inclina légèrement en guise de salut, le dépassa, et s’immobilisa à la porte. Elle le considéra un temps, parut vouloir dire quelque chose d’important avant de se raviser :

« Bonne journée, Lieutenant. »

Elle partit, et avec elle ses secrets.

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