L'épaisse fumée blanche qui se diffusait dans la petite pièce rendait l'air irrespirable en hauteur. Un mélange prononcé de senteurs étranges se faisait sentir. Par ici, sapin et camomille se mariaient difficilement. Par là, on avait droit à un splendide cocktail d'iode et de caramel. Encore à un autre endroit s'accouplaient les effluves de menthe et de jonquille. Bref, la pièce entière était le théâtre d'une orgie olfactive. Au milieu de cette mer de fumées et de vapeurs aux couleurs inquiétantes se tenait, debout au milieu de la pièce, le Troisième Siège de la Douzième Division. Il avait les yeux fermés, et paraissait parfaitement serein malgré l'ambiance de fumerie dans la petite pièce. Gardant les yeux clos, il pris un bambou, jusque là posé sur une table à côté de lui. Il le leva, le porta à ses lèvres, et inspira profondément. Les nuages de fumées se précipitèrent dans le tube végétal, puis dans le corps du scientifique, emplissant ses poumons de leurs vapeurs hallucinogènes. Bientôt, dans l'organisme du jeune homme, ce fut un théâtre fou. Les battements de son coeur ne se faisaient plus régulièrement. On pouvait presque y discerner un rythme familier.
Soudain, le scientifique se tordit de douleur sur le sol froid. Il laissa échapper un cri de douleur. La plainte déchirante se transforma néanmoins assez vite en un rire guttural, qui vint frapper les parois métalliques de la salle. Le scientifique se releva d'un bond, et s'approcha d'une table d'acier froid. Riant toujours, d'un rire rauque, il inscrivit sur un petit carné, et d'une écriture tremblante: "Effet secondaire notable: battements du coeur au rythme d'une valse.". Il jeta ensuite son stylo sur le bureau, et se retourna vivement, les yeux écarquillés, comme si il avait senti une présence. Il resta ainsi un moment, avant de s'approcher lentement du fauteuil de velours épais qui trônait au centre de la pièce, vide. D'une voix si basse qu'on aurait dit un murmure, il dit:

"Voudriez-vous sortir de mon fauteuil ?"

N'obtenant pas de réponse, il réitéra:

"Je vous le répète, chère demoiselle, enlevez votre croupion dégarni de mon fauteuil !"

Il donna un violent coup de pied dans le dossier de la chaise, la faisant tomber en arrière. Il rappela aussitôt sa jambe vers lui, son visage prenant maintenant une expression de désolement.

"Excusez-moi, je ne voulais pas vous chassez ainsi. Non, non revenez !"

Il s'était mis à poursuivre dans toute la pièce quelque chimère de son esprit. Il commença bientôt à sauter sur les murs pour se projeter dans une direction complètement aléatoire. Les bras devant lui, on aurait dit qu'il essayait d'attraper quelque bête féroce. Il finit enfin, dans un craquement sinistre, par se jeter sur son bureau qui s'écrasa sous lui. Alambics, fioles et tubes à essais se renversèrent au sol dans un horrible bruit de verre cassé. Mais Ashikaga Seito n'en avait que faire. Il tenait dans ses mains l'objet de sa convoitise. Allongé sur le carrelage froid, il regardait avec des yeux ronds et emplis de l'admiration enfantine une petite figurine de résine à l'image d'une licorne, qui se trouvait dans son bureau pour quelque obscure raison.

"Oh vous êtes ... Vraiment magnifique."

Puis, il s'écroula, endormi.

Ce n'est que quelques minutes après qu'il se réveilla en sursaut. Aussitôt, il se leva d'un bond.

"Pic d'adrénaline, pas bon, pas bon du tout ! Anxiété, hallucinations ?"

Il jeta un coup d'oeil autour de lui.

"Pas d'hallucinations, bien ... Effets secondaires ?"

Il commença à se tâter la langue, les paupières, la peau des joues ...

"Tout va bien de ce côté-l ... Oh ! Brillant, s'exclama-t-il en portant une main à son coeur ! Mon coeur bat aux rythmes de Chopin et Bach ! Excellent !"

Sur ces derniers mots, il tourna des talons, et sortit de la pièce. Juste avant de franchir le seuil de la porte, il s'exclama:

"Ventilation !"

Et cette dernière se mit aussitôt en marche.
Il commença à marcher dans le couloir d'un pas énergique. Cette dernière expérience l'avait mis dans un tel état d'excitation qu'il se sentait prêt à faire n'importe quoi. En passant devant une pièce, il constata qu'un nouveau Capitaine était arrivé. Tant pis, il irait le voir une autre fois. Il ne s'arrêta donc pas et poursuivit sa route à travers les innombrables et tous semblables couloirs de la Douzième Division. Cependant, il constata très vite un problème. Au coin d'un corridor, il croisa une laborantine. Lorsqu'il la vit, il se figea net. Celle-ci l'avait aussi remarqué, et semblait terrorisé en voyant le regard qu'il lui lançait. Il s'agissait d'un regard plein de surprise et d'intérêt. En effet, la laborantine, bien qu'elle soit parfaitement banale, ne l'était pas dans l'esprit de Seito. Il la voyait comme une chenille épaisse à la peau bleu et légèrement translucide, bavant abondamment.

"Vous êtes ... splendide."

La laborantine laissa échapper un cri aigu et courut à toutes jambes dans un couloir adjacent. Seito la regarda s'éloigner avec étonnement, puis poursuivit son chemin.
Il déboucha bientôt dans les rues animées du Seireitei. Et là, il eut devant lui un spectacle bien singulier. La rue pavée accueillait, dans son esprit du moins, une foule de créatures au caractère bien trop fantaisiste pour être réel. Tortues à deux pâtes, licornes, dragons miniatures et tengus se croisaient nonchalamment. Seito laissa échapper un petit sifflement.

"Et bien, très chère, vous faites des merveilles sur mes neurones ..."

Il sentit soudain que sa gorge était désagréablement déshydratée. Il fit claquer sa langue, devenue râpeuse, contre son palais sec. Sensation très désagréable que celle de la soif. Il tourna vivement la tête, maintenant presque paniqué, vers la droite. Avec soulagement, il y découvrit une taverne. Avec l'énergie du fauve chassant, il s'y précipita. D'un geste violent il ouvrit la porte, se dirigea d'un pas assuré vers la bar, s'assit avec énergie sur un haut tabouret, et d'une voix rendue rauque par le manque d'eau dit au barman, qui avait l'apparence d'un élégant papillon monarque:

"Une grenadine, beauté."

Seito était tranquillement installé, assis sur sa haute chaise en bois, sirotant son sirop vermillon, dilué dans l'eau. A dire vrai, son activité résidait plus dans sa contemplation du papillon monarque qui essuyait nonchalamment des vers devant lui. Il était vraiment magnifique, aux yeux de Seito. Ses ailes gigantesques, couleur de caramel, laissaient légèrement filtrer quelques rais de lumières à travers elles, déversant une clarté orangée derrière l'insecte. Des motifs linéaires et noires venaient parcourir leur surface dans d'élégantes courbes. Enfin, les ailes étaient bordées d'un noir d'encre, lui même parsemé de points blancs semblables à des étoiles. Le tout était d'une beauté propre au règne animal. Mais ce n'était pas tout, car le corps de la bête était également d'une stupéfiante beauté. Seito n'avait jamais examiné de papillons de près, mais celui qu'il avait sous les yeux était un spécimen qui lui semblait d'un intérêt des plus importants. Son corps était poilu, magnifiquement poilu. L'abdomen était d'une remarquable finesse, comme si il avait été sculpté dans quelque pierre noire et malléable au plus haut point. Chaque pâte était dessinée superbement, laissant se dévoiler des courbes quasi-parfaites. Mais le plus impressionnant devait être la trompe. Magnifique, splendide étaient des adjectifs bien fades pour la décrire, selon Seito. Elle s'enroulait sur elle-même dans une superbe spirale d'or. Vraiment l'ensemble était du bonbon pour les yeux, et Seito ne pouvait détacher les yeux de la créature.

Le barman, qui s'était bien évidemment rendu compte que Seito le regardait avec insistance, lui jeta un regard furieux. Seito interpréta ce mouvement de tête comme quelque charme, et lui dit:

"Vous êtes vraiment magnifique."

Il accompagna cette phrase d'un clin d’œil malicieux. Le barman, loin de voir le rose lui monter aux joues, commença plutôt à voir rouge. Il posa son verre, jeta son torchon sur son épaule, et allait adresser quelqu'insulte à Seito, lorsqu'un chétif Shinigami s'approcha du scientifique, l'air inquiet, et lui demanda:

"Vous allez bien monsieur ?"

Seito tourna vivement la tête vers lui, et laissa échapper un soupir d'étonnement et de ravissement. Il approcha son visage de celui du nouveau venu, qui poussa un petit cri.

"Alors vous, vous êtes encore plus beau que l'autre. Regardez moi ça ! Non mais regardez-vous ! Vous êtes splendide !"

En effet, dans la tête de Seito, ou l'anarchie neuronale régnait en maîtresse, l'image d'une élégante fourmi brune lui était projetée, en lieu et place de celle d'un Shinigami de la Deuxième Division. Fébrilement, le scientifique prit un bras du soldat, et commença à le tâter avec ardeur.

"On dit que vous arrivez à porter cinquante fois votre poids avec de si fins bras. Dame Nature est ironique, se dit-il à lui-même. Peu importe, vous êtes ... splendide !"

Il s'apprêtait à examiner plus en détail le corps de la fourmi-soldat, lorsqu'une voix familière se fit entendre derrière lui.

"Hey Copain des sciences ! Tu fais du baby-sitting ?"

Il tourna brusquement la tête, et cette fois ne put pas même pousser quelque soupir tant la surprise était grande. Un scarabée verdâtre, d'une taille colossale s'approchait de lui, l'air arrogant. Seito approcha son visage du corps de l'insecte, aux reflets d'émeraude. Stupéfiant, il était vraiment stupéfiant.

"Dis moi, Seito, j'vois que tu bois pendant le travail, c'pas très sérieux. Le petit pourrait se barrer. Ah oui , faudrait que je te parle concernant ce dont on avait commencé à parler la dernière fois."

Cette voix était familière, étrangement familière. Le scientifique continua d'observer les deux insectes pendant qu'ils échangeaient quelques mots. Spectacle étrange. Soudain, alors même qu'un souvenir proche lui revenait en mémoire, il perdit son souffle. Son tabouret tomba au sol, lui se tint au bar en haletant:

"Pic d'adrénaline, pas bon ... du tout pour le coeur !"

Il se redressa, chancelant. Le scarabée tendit vers lui une pâte amicale, qu'il s'empressa de violemment repousser.

"Ne ... me touchez pas !"

Il recula, restant face aux deux insectes. Il les trouvait soudain menaçants.

"J'ai tout compris. Plus la peine de jouer. Mais ... Vous ne m'aurez pas ! Vous croyez m'avoir ? Vous n'êtes que des insectes !"

Il se retrouva adossé au mur, faisant toujours face aux deux insectes qui s'étaient maintenant approchés de lui. Violemment, il continua à leur crier dessus.

"J'ai tout compris ! Plus la peine ... de jouer !"

Il se sentit faible.

"Vous ... Vous l'avez mangé !"

Un pic d'adrénaline aussi soudain que violent le remit d'attaque.

"Vous avez mangé Shin !"

Seito était déconcerté. Le scarabée d'émeraude, aux pattes sournoises, n'avait pas l'air dans son assiette. Il tendit son sabre vers la fourmi, lui disant si il voulait le toucher, tout en désignant l'arme comme une femme. Cette attitude ressemblait beaucoup trop à celle de Shin, mis à part qu'il n'avait pas l'air si stupide, d'habitude. Enfin, Seito ne l'avait vu qu'une fois, il ne pouvait donc pas tirer de conclusion quant à son attitude habituelle. Mais il pouvait cependant conjecturer qu'un soldat de la Quatrième Division ne serait sans doute pas aussi haut-gradé si il avait un comportement pareil en toutes circonstances. Le scientifique se repassa en tête le cycle de la digestion. Dr toute évidence, on ne pouvait pas absorber le caractère d'une personne, ni prendre sa voix, en la mangeant ... Et si ...

Seito fut brusquement interrompu dans ses pensées par un nouveau pic d'adrénaline, beaucoup plus violent et soudain que les précédents. Il s'appuya au mur, le souffle coupé. Avec précipitation et maladresse, il tira de sa veste jaune une seringue, remplie d'un mélange verdâtre, qu'il planta dans sa gorge. Le liquide se répandant dans ses veines lui redonna immédiatement contrôle sur ses fonctions respiratoires. Cependant, l'agréable sensation post-passage de l'adrénaline restait ... Seito releva finalement les yeux vers les deux insectes ... qui n'en étaient plus. La fourmi, élégante et gracile, s'était changée en un chétif Shinigami, sans originalité apparente. Quant au sournois scarabée, il avait laissé place à Hayako Shin. Il était maintenant évident, tant aux yeux de Seito qu'à ceux de vous, lecteur, que la fameuse Brown Betty avait quelques effets sur la perception visuelle. Sortant un carnet de sa veste, le scientifique nota précipitamment et d'une écriture illisible: "Effet secondaire notable: altère la perception visuelle.". Puis, d'un svelte et souple, il rejoignit le bar. En passant devant Shin, il lui murmura à l'oreille:

"Tu étais beaucoup plus menaçant en scarabée."

Il remit en place son tabouret, s'assit dessus, et sirota quelques gorgées de grenadine. Le breuvage vermeil lui procurait une agréable sensation. Réhydraté, le Shinigami se tourna ensuite vers ses deux comparses.

"Bon. Reprenons depuis le début. Mon nom et Ashikaga Seito, ravi, et cetera ... Toi, dit-il, désignant le chétif Shinigami, quel est ton nom ? Et toi, reprit-il, sans attendre de réponse et en se tournant vers Shin, pourquoi boire autant ? Non, en fait, ne répondez pas. Je pense que parler de moi est plus ... marrant. Comme vous avez peut être pu le constater, ce qui m'étonnerai fort, soit dit en passant, j'ai découvert le monde merveilleux des psychotropes. Et c'est franchement sympatoche."

Puis, sortant de sa manche une petite boîte en fer, il dit aux deux Shinigamis:

"Maintenant je pense qu'il est temps que je me sociabilise et apprenne à connaître des gens. Commençons donc par !"

Il planta une seringue, sortit de la boîte de fer, dans le bras de Shin.

"On rend sobre les saouls. Maintenant, calme-toi et parle."

Un blanc s'en suivit, pendant lequel Seito attendit que l'on prenne la parole. Comme personne n'en faisait acte, il se décida à commencer:

"J'aime le jaune. Et les licornes. Suivant !"