- BARMAN ! OH, BARMAN !
- Ouais ? Y’a un problème ?
- Bah ouais, un peu que y’a un problème mon p’tit gars ! Y’a un truc qui flotte dans ma bière !
- C’est votre mégot, Monsieur…
- Hmm ? Ah ouais… J’ai dû l’laisser tomber… Merde…

Oui… Bon… On ne prendra pas la peine de dépeindre en détail son début de soirée, cette simple conversation jaugeant de son degré d'alcoolémie prononcé. Peut-être, il est vrai, commençait-il à tourner de l’œil, mais fallait-il réellement lui en tenir rigueur ? Après près d’une semaine d’éreintantes cavalcades et de crapahutages plus cahoteux et bourbeux les uns que les autres, il pouvait enfin passer une soirée en toute sérénité, sans avoir à garder constamment une oreille levée, sans craindre de se faire passer les menottes durant son sommeil ou, pire, de se faire voler sa couverture ! Un plaisir qu’il s’octroyait de droit puisqu’il avait fini par trouver un moyen tout ce qu’il y a de plus légal de se remplir les bottes d’un foin généreusement moissonné dans les comptes en banque des Tokyoïtes, avides de distractions nouvelles et spectaculaires. Et quoi de mieux, me diriez-vous, qu’une racaille ambulante fagotée comme un as de pique et manipulant l’acier comme un cracheur de feu manipulerait les flammes, pour libérer cette passion ne demandant qu’à se déverser fougueusement ? Pas grand-chose assurément, sa notoriété grandissante au sein de certains quartiers et le nombre de ses spectateurs s’accroissant radicalement de jour en jour ne pouvant que le conforter dans ce choix de carrière provisoire – cette condition de larron en foire n’étant après tout pas à la hauteur de ses ambitions, aussi lucrative soit-elle.

«Magic Mendiant » ou « Afro-Métal » ponctuaient l’interminable liste de surnoms qu’on lui prêtait de bouche en bouche, sobriquets souvent déformés ou remodelés d’une personne à une autre, ce qui lui valait bientôt d’être connu plus vulgairement comme une sorte de monstre de foire aux différents visages. Et c’était justement cette mystérieuse image insinuée dans la pensée des gens qui façonnait, brique par brique, son intraitable succès. Il aurait été le premier à nier mordicus la possibilité que ces petits tours prennent une telle ampleur, et pourtant, aujourd’hui, il était également le premier à se féliciter d’une telle popularité, et espérait bien que ce ne soit que le prélude de jours plus confortables.

Aussi ce soir, pour la première fois depuis qu’il avait posé pied sur la capitale japonaise, il pouvait laisser libre cours à son penchant pour l’alcool et les femmes, sans avoir à truander de quelque manière que ce soit pour s’offrir ces mets dont il était irrémédiablement accroc. Voilà près de deux heures qu’il était vissé sur ce tabouret, le coude fixé au comptoir, s’enquillant des verres frénétiquement tout en reluquant deux ou trois paires de fesses. Mais alors que les résonances musicales crachées par les enceintes réparties aux quatre coins du bar commençaient à lui engourdir l’esprit – à moins que ce ne fût cette remarquable quantité d’alcool ingérée -, Guriko fût interpellé par une silhouette. Celle d’un homme balafré qui déambulait entre les corps vacillant de pochards sans que ces derniers ne semblent y prêter la moindre attention, trop éméchés et transcendés par la musique pour y faire cas. Il ne lui fallut pas plus d’une poignée de secondes - en dépit de son ivresse naissante – pour comprendre que ce type à l’allure enténébrée n’était pas quelqu’un d’ordinaire. Son instinct, certainement. Secrètement, il pensa même qu’il devait être membre d’une organisation criminelle à en juger par cette trogne menaçante qu’il se traînait, du même acabit que la sienne. Et il n’en fallait pas plus pour susciter son intérêt, lui qui ne demandait qu’à récupérer ses galons et reprendre du service dans le monde du grand banditisme, celui-là même qu’il avait presque réussi à rallier sous sa bannière lorsqu’il était encore sur Karakura-city.

- HEP TOIII !! beugla-t-il en direction du balafré tout en agitant les bras de droite à gauche, comme pour s'assurer d'être remarqué malgré la proximité de ce dernier.. T’veux boire un coup ?! C’est ma tournée, je m’en suis mis plein les fouilles aujourd’hui bwahahaha !

Sur la forme, cette proposition pouvait paraître abrupte et déplacée, mais sur le fond, elle était animée d’une foule de bonnes attentions, à n'en pas douter.

- A leurs dépends, je suppose ?

- Mets-moi la même chose que toi. La journée a été dure et j'ai besoin d'un remontant.

- Je suis Akito. Et toi ?