Petites traces. Bribes et autres clopinettes. Des images d'éboulement, puis le néant. Nul souvenir de ce qui précède ce moment. Qu'elle tente de s'en rappeler, une migraine la ramène à d'autres pensées. Combien de temps était-elle demeurée dans cet état, inconsciente ? Assez longtemps pour que s'incrustent maintes sévices dans son esprit. Du plus loin que la fillette pouvait se rappeler, un visage ; celui d'une femme, profondément blême, au point de douter. Était-elle humaine ? De manière plus pragmatique, ne rêvait-elle pas ? Mais alors, était-ce là le prélude à ce songe interminable manifeste des longs mois de léthargie ayant figé son existence sur un drap ? L'avoir cru, toute inconsciente qu'elle était. Monde irréel dans lequel elle était enfermée, fourmillant de souvenirs saccadés et entremêlés qu'elle ne se connaissait pas, oubliés dans l'abysse des interstices de ses pensées.

Et malgré tout, vint le jour où ses paupières tremblèrent. À ce moment, ses larmes couvraient ses prunelles sans s'en départir, lui empêchant, dans un premier temps, de bien identifier son environnement proche. Une luminosité propre à éblouir des iris nimbés de ténèbres depuis une bonne éternité. Une impression viscérale, au point de se sentir née ce jour. Mais alors, qui étaient ses géniteurs ? Une personne l'ayant accompagnée pendant sa phase d'éveil. Un homme. Visiblement, il connaissait son nom, Eimi. Un proche ? N'éprouver de lui aucune chaleur. Cet homme l'indifférait, et par conséquent, peinait à s'accaparer son attention. Lui posait-elle des questions sur son passé, ses origines, sa famille... qu'elle ne put trouver satisfaction que pour la dernière.

Une mère ? Rien qu'une mère ? La manière dont il la décrivait... la connaissait-il seulement ? Muda ? Une ombre de scepticisme sur son expression, tandis qu'Eimi l'écoutait. Au contraire des enfants de son âge, que son regard ne soit imbibé d'aucune étincelle de vie. Apathique, au point de donner l'impression que rien ne la touchait. Cela aurait été ignorer ses aptitudes manifestées en filigrane après son réveil, notamment celle d'assimiler les informations à une vitesse difficilement soupçonnable de la part d'une fillette. Une assimilation en elle-même glaçante. Il suffisait de voir comme le fait d'avoir réchappé à une catastrophe ayant foudroyé des millions de ses semblables ne lui avait fait ni chaud ni froid, l'acceptant crûment. Une approche somme toute pragmatique. Son corps s'en remettrait. Elle ne souffrait pas. Même son esprit s'était préservé, gardé de ce drame. Ne l'avoir vécu, ni l'événement, ni la perte qu'aurait dû engendrer ce dernier. D'ailleurs, n'en avait-il pas engendré ? N'entendre aucune réponse digne d'attention. L'écouter éluder ses questions, avec un petit mépris lassant. Définitivement, cet homme ne lui plaisait pas.

-Je suis fatiguée, allez-vous-en...

Sept ans, et déjà sujette au souci harassant d'obtenir de l'autre la paix, sans trop heurter son orgueil. Déjà qu'il rechignait à préciser son passé, Eimi savait qu'elle pouvait se lever tôt pour mettre à jour ne serait-ce qu'une vérité sur ce qu'était cet individu. Ne rien savoir de lui, et par conséquent, ne rien savoir de ce qu'il était capable de faire. En cela, bien comprendre comme il pouvait être aventureux de le contrarier, même un peu. Une chose de sûre, sa confiance ne lui reviendrait pas, ce qu'il ne saurait jamais.

Seule, prendre le temps de réfléchir. Repenser à la véracité de ce qu'il lui avait été donné d'entendre jusque là. N'avait-elle vraiment qu'une seule famille ? Celle présentée existait-elle vraiment ? Des questions qui pourraient ne l'atteindre qu'en surface, si elles n'était pas si déterminantes de ce qu'elle deviendrait dans un avenir plus ou moins proche. De nombreuses prises de sang depuis qu'elle était apparue dans cette chambre, dont elle ne sortait jamais. Un traitement pour une maladie, que ce médecin répétait à tout bout de champ. Pourtant, ne rien éprouver de cette maladie. Qu'elle demande des précisions sur celle-ci. Des tentatives jamais concluantes. Et cette sangle au poignet... Qu'en penser ? L'image d'une bête de foire gardée en captivité n'était pas usurpée dans la situation présente, et se confortait à mesure qu'elle persistait dans la durée.

Torture... Ramenée à son ignorance. Quoiqu'elle fasse, dise ; aucune progression. Réduite à l'attente. Purgatoire dont elle ne voyait les tenants ni les aboutissants. Sortir. Le souhait irrépressible de s'évader. Perdre patience. Laisser tomber son masque d'indifférence. Irritée. La fin de son consentement. Se débattre juste quand la seringue s'apprêtait à atteindre la veine de son bras. Dissimuler ses cachets sous la langue, les cachant ensuite entre les lattes et le matelas quand plus personne ne la surveillait. Refuser de coopérer, de plus en plus violemment. De toute, plus filait le temps, et plus la perspective d'un ailleurs paraissait surfait.

Une journée de plus. Cet homme s'approcha avec ce médecin. Quelque chose de nouveau dans l'atmosphère. Une intention qui éveillait un mauvais pressentiment. Faire pour résister. Une résistance vaine, en définitive. Un sédatif, et elle était ramenée à son impuissance. Que lui réservait-on ?

[48 lignes]

Vision trouble au réveil. Émerge-t-elle qu'une pression sur son lit intègre ses perceptions. Une femme, sa tête reposée sur ses bras, ceux-ci étendus sur le matelas. Une longue chevelure d'ébène. Selon toute vraisemblance, assoupie. Un élan d'hésitation avant de l'effleurer. Tressaillir en constatant que cette femme n'était qu'à demi-endormie. Une réaction, sa figure se levant doucement pour la scruter. Là, une fascination réciproque d'empreinte sur leur figure. Cette femme... la même que dans son rêve le plus vieux et persistant. Cette femme... Qu'elle existe vraiment... Quelle place avait-elle dans sa vie ? Cette expression... des pleurs ? Se faire enlacer, tandis qu'elle affichait un profond ébahissement. Nettement prise au dépourvue. Au fond de la pièce, cet homme, un sourire de dessiné sur la trombine. Impossible... Ses iris orientés vers cette crinière d'encre. Sa... mère ? Que grandisse en son sein une chaleur bien humaine, montant jusqu'à ses yeux pour les noyer. Une figure placide, pourtant incapable de contenir ses larmes.


Une étincelle de vie retrouvée en passant le seuil de sa chambre, puis de l'hôpital. Des images, comme elle en avait vu dans ses rêves, mais éminemment plus enivrantes. Que ce soit la brise matinale, le bruit de la circulation ainsi que des piétons, l'odeur de la boulangerie ; tout dans cet environnement d'une richesse innommable pour une petite fille amnésique allait pour donner de l'éclat à son regard pétillant. Ne savoir par où commencer lui procurait une joie bonne à faciliter l'acceptation de celle l'accompagnant. De sa mère, un ressenti aux antipodes de celui qu'elle avait éprouvé envers ce type détestable. Oui... une relation des plus naturelles... d'être capable de lire en elle comme dans un livre, ce qu'Eimi mit sous le compte d'une complicité construite ; sans envisager un instant la résultante d'une personnalité plus sujette à l'intuition qu'aux réflexions diverses et variées.

Pour autant, se rendre bien compte de cette dernière caractéristique, notamment quand il s'agit de faire un premier achat. Toutes deux arrêtées, le visage accolé contre une vitrine qui mettait en valeur une fontaine aux chocolats. Admiratives, l'estomac grondant.

-Maman ? On peut en avoir ?
-...
-Maman ?

Un sursaut, comme si la dénomination ainsi empruntée la surprenait. Ne relever l'incongruité de la réaction. Simplement, profiter d'avoir capté son attention pour se répéter. Trouver une mine décomposée devant une question a priori bénigne.

-Je... euh... je sais pas... On peut ?
-Bah oui, c'est une boutique. Alors ? On entre ?
-Euh... oui...

Ombre de scepticisme sur la figure de Muda, couvrant une mine somme toute bien naïve qui se faisait une interprétation commode de ce qu'elle entendit là. Qu'elles entrent. La plus jeune se perdait dans les rayons présentant toute sorte de bonbons. À peine fit-elle un tour qu'elle trouva au bout de son chemin sa tutrice, du chocolat plein les mains et la bouche, se faisant interpeller par le vendeur.

-Maman ?
-Eimi ! Je comprends pas ! Qui c'est ? Pourquoi il me dispute ? Je fais quoi là ?
-Madame ! Ne jouez pas à l'imbécile avec moi ! C'est du vandalisme ! Du vandalisme ! Remboursez-moi ! Vous allez tout me rembourser ! Tenez le vous en pour dit !
-Aaaaah... Aide moi Eimi... Je sais pas ce qu'il veut... Rembourser ?
-La carte ! Le monsieur de tout-à-l'heure ne t'a pas donné une carte ? Montre lui ta carte !
-Ma carte ? Quelle carte ? Ah !

Qu'elle sorte de ses affaires l'objet ainsi réclamé.

-Ce truc ?
-C'est ça. Donne lui !
-Mais... c'est qu'un bout de... truc... Il va arrêter de me gronder avec ? Pour de vrai ?
-Je n'ai pas tout mon temps... Madame... Vous me la donnez, oui ou merde ?
-M...merde ?
-L'écoute pas ! Montre lui !

Pendant que s'effectuait la transaction sous les yeux dépités de sa mère, de nombreuses observations. La première, de n'avoir pas tout oublié de sa vie passée, son corps se souvenant visiblement de pratiques anciennes, de l'ordre du banal. La deuxième, non des moindres, l'incapacité délirante de sa mère à des pratiques pourtant élémentaires, au point d'animer bien des interrogations. La plus importante... Était-ce vraiment cette femme qui l'avait élevée ? Un élément de réponse, qu'elle n'ait été seule dans cette tâche. Un père ? Avare d'information qu'était ce scientifique décérébré, cette possibilité ne semblait pas fortuite. Une mère handicapée ? Une réponse à ce constat. Son père trépassé, elle devrait s'occuper d'elle, pendant que celle-ci la prenait à sa charge. Un jeu curieux. Se demander à cet instant si c'était à sa portée.

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-C'est quoi ?

Surprise par Muda à ranger une fleur dans une petite boite en bois aux motifs incrustés. Lui renvoyer une mine vaguement étonnée.

-Ce n'est pas de toi ? C'était dans mes affaires quand on est parties.
-Parties ?
-Tu sais bien ! À...

S'arrêter nette à la vue d'une silhouette derrière. Une silhouette familière, celle de ce scientifique dégénéré. Aussitôt, se renfrogner.

-Qu'est-ce qu'il fait là lui ?
-C'est... je...

Qu'il se rapproche, laissant derrière une Muda en proie à un malaise palpable. Afficher sa réprobation, mais au fond, bien comprendre l'impasse dans laquelle elles se trouvaient. Un toit et de quoi tenir financièrement. En échange, une visite mensuelle de sa part où il pouvait faire les prélèvements et autres expériences de son souhait. Des questions de posées, intimistes pour la plupart. En réponse, un mur de silence. Un soupire de sa part. Changer d'expression tandis qu'il sortait son matériel. Un quotidien dont Eimi ne s'accommoderait jamais. Un quotidien vieux de plusieurs mois. Que ça ne puisse plus durer... S'approche la seringue. Son avant-bras d'effleuré. Un tressaillement soudain, suivit d'un cri de douleur. S'éloigner. Qu'il se rapproche, elle se débat. En arrière-plan, un regard en alerte. Une main empoignant avec force l'épaule, arrêté dans son action. Profiter de ce moment de tension pour se défausser de leur attention.

-Eimi !

S'échapper le plus loin possible. Traverser le peu de foule en périphérie de la capitale. Courir jusqu'à dépasser le seuil de la banlieue. Un bois par où elle s'échoue, le souffle court. Une vision trouble partagée entre baisse de tension et larmoiements. Trottiner chancelante, en dehors du sentier. Trébucher sur une racine dépassant, la faisant dévaler un talus. Qu'elle échoue dans les broussailles, la chute s'avère assez brusque pour que les ronces l'écharpent et la tiennent immobile. Sa boite sortie de ses poches, hors de portée. Investir toute son énergie à la récupérer aux dépens de sa chair un peu plus écorchée à chaque effort supplémentaire. Presque, à quelques centimètres de l'atteindre. L'effleure-t-elle à peine qu'une lumière en est émise, perdant son caractère matériel en vue de l'envelopper dans un écran d'énergie pure faisant croître et se resserrer les ronces sur elle. Filent les minutes, les heures ; n'avoir plus la force d'esquisser le moindre geste. Une douleur au fond nécessaire pour ne pas sombrer dans la folie. Libérer sa souffrance dans des sanglots étouffés.

Inerte ; le regard creux, introspectif. Des repères friables, parfois contradictoires, donnant matière à la perdition. Une mère ? Des incohérences nombreuses, plus ou moins évidentes, ou tout du moins suffisantes pour l'amener à s'interroger sur l'identité réelle de cette femme. Jusqu'où la part de mensonge ? Jusqu'où celle de vérité ? Incapable de démêler le vrai du faux. Seule. Absolument seule. S'en persuade-t-elle tout juste qu'une ombre la trouve. Sa tutrice, l'air paniqué, la dégageant de ses entraves puis l'enlaçant, en larmes. L'expression d'un soulagement des plus authentiques. Cette femme... pourquoi importait-elle à ce point à ses yeux ?


Un regard a priori distrait sur sa boite. Renfermée sur elle-même. Visiblement, achever de ruminer dans son coin. Dans son esprit, que tout se joue en cet instant.

-Je ne veux plus le voir.
-... Je ne peux pas...
-Bien sûr, tu es de son côté. Je n'ai pas raison ?
-C'est pas ça... Moi aussi... Moi aussi je l'aime pas... Mais j'ai pas le choix...
-Et pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'on est obligé de faire tout ce qu'il dit ? C'est parce que c'est sa maison ? Son argent ? Et pourquoi c'est comme ça d'abord ? On peut pas se débrouiller par nos propres moyens ? De toute façon... tout ce qui vient de lui me rend malade... Je te l'ai dit ! Je ne l'aime pas ! Je le déteste ! Je ne veux plus le voir ! Toi aussi tu le détestes ! Allez ! S'il te plaît Muda ! Partons ! Allons ailleurs ! Je ne veux pas rester !
-Je... Oui... C'est ce que je veux... Mais j'ai essayé... Je te jure ! Mais j'ai pas réussi... Il sait toujours où je suis... Toujours... Je ne sais pas quoi faire...

Une étincelle étouffée aussitôt apparue. Un espoir déçu, celui que cette femme soit de son côté. Un sentiment paradoxale. Toutes les raisons du monde menaient à la conclusion d'avoir affaire là à une imposteur. Pour autant, l'impression inintelligible d'un discours sincère. Avoir vécu assez de temps à ses côtés pour se rendre compte que le mensonge ne figurait pas parmi ses qualités. Une facilité aberrante de lire en elle. Et pourtant, le constat improbable de n'arriver en bout de ligne à la comprendre. Des non-dits manifestes, donnant lieu à maintes spéculations harassantes. N'être plus en capacité de garder pour elle plus longtemps ce besoin viscéral de savoir. D'ainsi murmurer, de manière à peine audible, pendant qu'elle fuyait le regard de son interlocutrice.

-Tu ne peux pas être ma mère... De toutes les questions que je t'ai posées sur mon passé... tu n'as jamais été capable de me répondre... Je ne sais pas à qui je parle... Qui es tu ? ... Je peux vraiment te faire confiance ?

Un blanc fait son chemin. Lève-t-elle un instant ses yeux qu'elle trouve une expression des plus choquées. Pas de colère de discernable ; simplement, une panique silencieuse. Une attitude qu'elle avait pris l'habitude d'afficher chaque fois que leur lien se voyait mis en péril. Que craignait-elle ? Qu'avait-elle à craindre ? Pourquoi le craindre ? D'alors dériver sur des soucis plus personnels. Une ligne de franchie ? Si le pire devait se vérifier, ne venait-elle pas de se condamner ? Des risques... Quels types de risques... Seule ? La perspective terrifiante de perdre la seule attache à ce monde, aussi mensongère puisse-t-elle être. La gorge nouée. Apparemment, plus aucun mot ne serait capable de sortir. Du moins, pas avant que ne soient satisfaites ses interrogations. Sa vis-à-vis bafouille, oubliant de respirer tandis qu'elle essayait de lui répondre tant bien que mal.

-C'est... Je... Oui... d'accord... Je... Ne t'énerve pas ! Oui... C'est vrai... Je t'ai trouvée cette fois là... Tu étais sous plusieurs pierres... Seule. Je l'étais aussi... Et je... J'ai voulu m'occuper de toi... Mais je t'ai perdue... Puis il m'a trouvée... et je t'ai retrouvée...
-...
-Je te promets Eimi ! Je ne t'ai pas menti ! Je t'aime vraiment ! Je laisserai personne te faire mal ! Donc s'il te plaît Eimi... S'il te plaît... Ne me laisse pas... Ne me laisse pas seule... J'y arriverai pas sans toi !
-...
-Parle Eimi ! Je t'en prie !
-...


Des semaines sans ne recevoir mots d'Eimi. Se torturer l'esprit dans son coin. Une obsession... La perdrait-elle ? Une idée somme toute effrayante, dont elle jaugeait, sans que ça ne lui soit intelligible, le dommage que lui occasionnerait une perte pareille. Que la créature blême se morfonde dans ses tracas, l'en arrache un bruit sourd dans la pièce d'à côté. Un frisson lui parcourt l'échine. Se précipiter, appréhendant une nouvelle fugue de sa protégée. Arriver à destination, et exprimer un ahurissement des plus brusques à la vue délirante du spectacle offert en pâture à ses pupilles. Un corps étendu au sol, inerte ; celui du scientifique, la tête retournée, des ronces animées s'en déroulant. Debout à ses côtés, une Eimi toisant sa victime, avant d'amorcer le contact visuel avec Muda, un masque de sérénité sur sa figure innocente.

-Voilà Muda, j'ai réglé le problème.

[78 lignes]

N'était-ce pas la solution ? Une claque dont la fillette se souviendrait. Première violence dont s'était permise son usurpatrice de mère. Une personne jusque là tellement gauche, qu'elle pouvait mener par le bout de la baguette tant un rien lui faisait perdre les moyens. Penser trouver un air hébété, et subir une colère qui n'y ressemblait pas. Pas une once d'irritation dans son expression. Cette impression... La même que si elle avait ouvert une boite, et y avait trouvé quelque chose qu'elle n'était pas censé voir. S'attendre à des brimades ? Aucune. Une attitude réprobatrice, mais rien dans les paroles qui ne vienne condamner l'acte. Saurait-elle le condamner ? Donner l'impression que ce n'était l'acte en lui-même qui la choquait, exprimant autant d'empathie pour la dépouille jonchant le sol que pour un chat qui viendrait de se faire écraser sur la chaussée par un camion de marchandise.

Qu'elle tâte sa joue endolorie, comprenant difficilement ce qui lui arrivait. N'était-ce pas ce qu'elle attendait ? Cette confession de l'autre jour, qu'elle souhaitait voir disparaître ce parasite. La besogne maintenant faite... Pourquoi n'était-elle pas capable de se réjouir ? Définitivement, que ce ne soit ce qu'elle attendait. Une peur grandit en filigrane. Du rejet ? À peine cette pensée l'effleure-t-elle, se retrouvant sur sa trombine, que Muda vient l'enlacer, sanglotante. Sa main s'apposant sur son dos, les yeux humides. Céder à son tour.

-Pardon maman... Pardon...


L'hébétement ; le trouver devant ce restaurateur, quand refusait de passer la carte bancaire à la machine. Paiement refusé. Que ça se répète ; des traces d'impatience, voire d'énervement, apparaissent dans le comportement de celui qui tenait la petite machine. Deux repas copieux de servis. Grillades de viande à volonté. Des clients ravis, révélant là leur incapacité de paiement. De la gêne, les deux contrevenantes passent à un regard complice. En première ligne, la petite fille aux airs candide.

-Monsieur, il y a un serveur qui vous appelle là-bas !
-De qu... HEY !

Il pouvait crier, les malotrus avaient déjà pris la poudre d'escampette, sous le regard vaguement offusqué des autres clients. Une leçon de cette mésaventure, la réalité de souci nouveau de se nourrir après que la magie se défausse de ce bout de plastique mit à la retraite parmi les ordures. Des journées et semaines longues pour la petite. Muda, en revanche, retrouvait là un quotidien, à l'exception près que le défi se trouvait désormais dans le fait de survivre sans chercher sa pitance directement dans les entrailles des divers passants, clodos et poivrots. Une promesse de tenue, et surtout, un exemple à donner à sa protégée déviante. En ce sens, les poubelles alimentaires se trouvèrent être des trésors d'une rare abondance, quand ça ne passait pas directement par des raids nocturnes de restaurants et autres points d'alimentation.

D'alors retrouver la trace d'une présence bien familière, la même que ce jour là, où la créature blafarde pensait avoir tout perdu. Quelques temps de passés, et ils avaient retrouvé contact. N'avoir été oubliée, ni rejetée. Acceptée dans ce qui ressemblait à... une espèce de famille. La surprise de retrouver Ganryu, et Sasha. Pour autant, cette crainte que l'accueil ne serait aussi chaleureux pour celle l'accompagnant. La cacher à leur vue, dans son placard. Toujours ramener une partie de ses repas dans sa chambre afin de les partager avec Eimi, jouant en sa compagnie la nuit. Restait à voir combien de temps filerait encore avant que ne soit découvert le pot-aux-roses.

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