Dis, dis, c'est bien toi ? [PV Daestra]

[Ce RP se passe chronologiquement après la réunion des Espadas.]

« C'est trop pas juste... »

Alvaro dessinait des ronds dans le sable du bout de son doigt, accroupi contre l'un des immenses murs du Palais. La mine abattue, ce qui n'était pas son habitude, il se lamentait depuis plusieurs dizaines de minutes, plus précisemment depuis qu'il avait appris que se tenait une réunion de tous les Espadas auprès du Roi.
Arriver à rassembler plusieurs Arrancars d'un tel niveau sans que cela finisse en bain de sang, c'était un exploit dont seul Grimmjow était capable. Alvaro le savait bien : même lorsqu'il conversait seul à seul avec un Espada, ça finissait toujours par une distribution de trempes, alors s'ils étaient plus que deux... ! Pour une fois qu'il avait la chance de pouvoir assister à ce qui avait tout d'une réunion familiale, le candide avait été mis de côté parce que la réunion stipulait "Espada". Et le Chef de l'Exequias ? Hum ? C'est important, un Chef ! Chef de personne, certes, mais le titre méritait qu'on lui laisse la possibilité de participer aux réunions. Prendre des décisions, il s'en foutait, Alvaro voulait juste être présent dans des moments d'une telle importance, avec tous les copains en plus ! Ca lui suffisait amplement !

Du coup, il boudait.
Le sujet de cette réunion exceptionnelle l'intriguait aussi. Depuis quelques temps, même lui sentait que le Hueco Mundo bouillonnait. Il se passait quelque chose, quelque chose qui risquait fort de troubler la quiétude de son existence, faite de rencontres, de plaisanteries et de harcèlement moral envers ses pairs. Et ne pas savoir de quoi il retournait, c'était on ne peut plus frustrant ! Il ne pouvait pas rester passif. Il état Chef de l'Exequias, crénom, et le Roi attendait de lui qu'il s'implique !
Il se redressa d'un bond, son expression anéantie remplacée par de la détermination, et s'élança vers les portes du Palais.

xxx

La porte de la salle du Trône était certes majestueuse, mais elle avait un défaut : elle était fermée. Et du coup, impossible pour Alvaro de savoir ce qui se tramait à l'intérieur. Depuis combien de temps les Espadas étaient-ils là-dedans, il l'ignorait. Plus la discussion se prolongerait, plus cela signifierait que ce qu'il se passait était important ; et plus ca serait important, plus longtemps il aurait à poireauter jusqu'à qu'ils sortent et qu'Alvaro puisse se mettre au parfum. Dark ne serait pas forcément très content de le voir, mais si le Segunda voulait se débarrasser de lui, il saurait qu'il valait mieux lui donner les informations qu'il voulait. Le Chef de l'Exequias se fit violence pour rester tranquille et patienter. Lorsqu'enfin la porte s'ouvrit, avec son brouhaha de pas, il se réveilla de la sieste qu'il avait improvisé et jeta un œil.
Son sang ne fit qu'un tour.
La réunion étant bien réservée aux Espadas, qui était cette pétasse qu'il n'avait encore jamais vu ? Là, on allait entendre parler de lui ! On invite des morues, mais pas le Chef de l'Exequias ? Alvaro dissimula aussi bien qu'il le put son Reiatsu et entama une filature. Exercice difficile compte-tenu du nombre de gradés et leur niveau de perception, mais il réussit à ne pas se faire remarquer et à suivre l'inconnue sans être repéré... Ou alors, on l'ignorait, tout simplement.
A mesure que la mystérieuse participante s'éloignait de la Salle du Trône, Alvaro se calma et réfléchit. Tous les Espadas n'avaient peut-être pas participé. Les rangs étaient encore clairsemés, l'organisation de l'armée du Hueco Mundo n'était pas encore parfaite... Il y avait même des Espadas en promenade dans le désert, comme la Terce-
Son sang ne fit qu'un tour - encore. Une journée pleine d'émotions, vraiment.

« Hey, hey, hey ! Attends ! »

Il quitta sa cachette et son camouflage, s'élançant à toutes jambes pour rattraper l'Arrancar. Enfin, enfin !

« C'est bien toi la Tercera, dis dis dis ? Dé... Dé... Ah, zut. Destrier ? »

Alvaro avait entendu parler de la troisième plus puissante Arrancar de l'armée de Grimmjow, qui n'avait pour ainsi dire jamais fait acte de présence à Las Noches. Il s'était toujours demandé s'il aurait un jour l'occasion de la rencontrer. Et maintenant qu'il tombait sur elle — du moins, il pensait bien que c'était elle — il ne pouvait pas laisser passer l'occasion de lui parler et de sympathiser !
Mais ça aurait été quand même mieux s'il s'était rappelé son nom.

Un conseil en huis clos, où une brochette d’officiers débat sans véritablement comprendre ni entendre. Et cerise sur le gâteau, une menace que l’on ne peut que considérer vu son obscure identité. Certes nous avions affaire à la crème du Hueco Mundo, néanmoins leur nombre ne permettrait pas d’agir sur tous les fronts en même temps avec une force équitable. Car en plus de cette chose qui visiblement s’amusait à faire disparaître les fils et filles du royaume de la lune éternelle, il ne fallait pas perdre de vue l’essentiel : maintenir des défenses solides dans l’hypothèse d’une invasion. Après tout, cela pouvait très bien être une arme secrète. Entre la Soul Society qui n’avait pas hésité à mettre ce domaine en péril à maintes reprises, et les rumeurs d’une organisation terrienne visant aussi à combattre dans ce misérable tableau manichéen, le monde des Hollows avait de quoi s’occuper. Alors s’ils devaient de surcroît enquêter sur la présence d’un monolithe dévoreur d’âmes….

Toujours est-il qu’après s’être murée dans le silence faute d’être écoutée dès le départ, Daestra ne se fit pas prier pour rejoindre ses congénères une fois le conseil clos et leur emboîter le pas vers une échappatoire commune. Vivre entre les murs de son ancienne geôle, la Principessa ne pouvait le tolérer que très peu. Trop de cauchemars sur son passé, de hurlements et d’effusions de sang hantent les pièces immaculées du palais d’ivoire. Aussi il lui était plus approprié de se soumettre au néant de sable, davantage en accord avec ses convictions. Tout en discrétion, tout dans la sérénité… Ou dans la crainte de voir surgir quelque chose prêt à vous engloutir. Un prédateur n’a sa place dans des infrastructures proprettes et régies par des lois ou des civilités. Son trône n’a de forme, ses frontières s’arrêtent là où le gibier ne gambade plus faute de couverture ou de gîte. Une pensée qui lui rappela d’ailleurs son dernier repas, digéré aussitôt pour laisser maintenant place à une faim tordante. Et c’est précisément à cet instant que son instinct lui indiqua une présence.

Quelque chose, ou quelqu’un d’une puissance non négligeable se croyait suffisamment malin pour la suivre sans se faire détecter. Une filature bien vaine, manœuvre qui exclut d’office un membre de l’Espada car aucun d’entre eux ne serait à ce point demeuré pour tenter la chose avec celle qui représentait le mieux l’art de la traque. Pourtant il ne s’agissait pas d’un vulgaire larbin, sa marque spirituelle se situant au-delà de tout individu sans la moindre force. Et tandis que l’hybride relâchait progressivement sa fureur pour bondir sur sa proie, celle-ci la prit de court en l’inondant d’interjections frénétiques. Ce à quoi elle répondit sur le champ, sans toutefois prendre la peine d’un volte-face.

- Le dernier à m’avoir importuné se trouve actuellement dans mon estomac.

Ce ne fut qu’après avoir volontairement ou non écorché son nom que la jeune femme lui offrit son expression la plus neutre et donc la plus dangereuse qui soit. Mais son ardeur s’estompa la seconde suivante. L’individu, qui bien que recroquevillé devait sans mal la surplomber, n’avait rien de plus que la peau sur les os. Littéralement. Longiligne, un crâne grimaçant à la place de la tête, et un accoutrement digne des plus braves vendeurs d’électroménager terriens. Sans oublier le timbre de sa voix, aussi agréable à l’oreille que le bruit d’une craie sur un tableau.

- Je n’ai pas vocation à ronger les os, en revanche toi tu possèdes celle de te faire apprécier dès la première phrase. Qui demande quoi, et pourquoi ?

Croqueuse de gêneurs ? Alvaro ne fut pas le moins du monde effrayé par cette remarque, qui aurait dû faire trembler les genoux de n'importe quel Arrancar indigne d'adresser la parole à la Troisième Lame. Le Chef de l'Exequias n'était pas soumis aux inquiétudes de ses pairs, par insouciance ou par crétinerie ; même lorsqu'on lui adressait une menace à peine voilée, il ne la saisissait pas toujours. Au contraire, il poussa un peu plus loin le vice. A quand remontait la dernière victime de la jeune Hollow, il ne le savait pas, mais il eut quelques secondes avant qu'elle ne se retourne et il en profita pour faire glisser son regard sur le corps de la Tercera.

« Hé bien, je sais pas qui était l'opportun en question, mais il n'a laissé aucune trace de sa digestion, hé hé... »

Il toussota pour reprendre le peu de sérieux qu'il était capable d'investir dans une conversation. Ses yeux retrouvèrent leur malice. Fallait croire que c'était bien elle, puisqu'elle ne contestait pas son identité. Et Alvaro, qui avait cru se tromper en l'appelant "Destrier", fut bien forcé de croire que, pour une fois, sa mémoire ne lui avait pas joué des tours !
L'Arrancar bouillonnait de contentement. Son cercle d'amis s'agrandissait.

« Je suis Alvaro ! Videla

Il compta sur les immenses tiges blanches qui lui servaient de doigts.

Il conclut par un immense sourire ingénu, tête penché en avant. Tout du chiot demandant à jouer.

Le chef de L’exequias, rien que ça. Fallait-il donc que le Hueco Mundo soit à ce point en pénurie d’officiers pour nommer à la tête de l’unité spéciale un hystérique filiforme tout juste bon à effrayer les corbeaux dans un champ de maïs ? La Principessa but les paroles du bougre sans broncher d’un cil, car déjà elle s’imaginait quel diable pouvait bien habiter cet amas d’os pour qu’on lui offre un tel siège. Après tout, ce ne serait qu’une preuve supplémentaire pour décrédibiliser Grimmjow aux yeux de la Tercera. Un vulgaire félin sanguinaire qui envoie l’artillerie avant l’éclaireur sur le front, sans connaître l’ennemi, pouvait bien être stupide au point d’offrir le poste à une brindille. A moins que celle-ci ne cache habilement son jeu, parfait cliché du grand sec légèrement débile qui dégage une formidable puissance le moment venu. Encore un qui jouerait avec ses nerfs et la conforterait dans sa misanthropie.

- Alvaro. Ma réputation ne dit-elle pas que Daestra rejette tout contact avec ses congénères, sauf s’ils finissent dans son assiette ? Laisse-moi donc t’épouvanter, l’épouvantail…

L’hybride se dirigea vers son interlocuteur, d’un pas lent et sensuel. Son œil d’ambre fixa un instant l’étrange masque au sourire carnavalesque, ce corps démesuré qui suintait la débilité profonde malgré un arrière-goût de mort et de haine lui indiquant bien une menace potentielle. Après lui avoir reniflé la figure en quête d’indices elle se recula tout aussi doucement et souleva sa large jupe à volants partiellement déchiquetée. A cet instant précis rien ni personne n’aurait pu décrire précisément le geste qui suivit. On ne put qu’apercevoir dissimulé le long de sa cuisse gauche une masse semblable à celle d’un katana menu et discret, disparaissant sous le voile de tissus épousant à nouveau les courbes de la jeune femme dont les lèvres se teintèrent de pourpre. Le maigre cou de son compagnon se zébra, d’une minuscule entaille à peine plus imposante qu’une vulgaire griffure mais suffisamment profonde pour en extraire une goutte de sang, fluide qui ornait justement la bouche de Daestra. Sans qu’il ne puisse intervenir de quelque manière que ce soit, Alvaro Videla venait d’être prélevé d’une part de son être et ce dans un but bien précis.

- Je t’offre ce cadeau. Grace à ton involontaire contribution mes fils ne te feront aucun mal la prochaine fois où tu auras cette irrépressible envie de m’interrompre. Ne te considère pas pour autant comme « ami »… Disons que tu ne figures plus sur ma liste de proies potentielles. A toi maintenant de me faire un cadeau.

Aux premières paroles de la Tercera, l'expression candide d'Alvaro se transforma subtilement. On pouvait maintenant y lire l'incompréhension. Il mit déjà quelques secondes à saisir que le véritable nom de l'Arrancar était "Daestra". Hé, pas loin, n'empêche ! Il essaya de le graver dans sa mémoire, cherchant à y déloger le nom de "Destrier", qui se substituait si facilement au vrai. Puis il passa à la seconde partie du message. Le rejeter ou le manger ? Cela laissait guère la place à une solution tiers : ne pas le manger et sympathiser avec lui. Mais Alvaro n'abandonnerait pas si facilement. Si telle était la réputation de la Tercera, il en serait l'exception ! Peut-être trouvait-elle que ses pairs étaient trop ordinaires, trop faibles, trop austères ? Qu'elle n'ait pas à s'inquiéter, il n'était rien de tout cela !
Il en était encore à ce point de son analyse lorsqu'il arriva à la dernière phrase, sauf qu'il n'eut même pas le temps d'en détailler le contenu. Daestra approchait. Accroupi, Alvaro ne la dépassait pas. Il était à la même hauteur qu'elle, comme il le faisait à chaque fois qu'il s'adressait à une autre personne. Un instant, leurs regards se croisèrent, à quelques centimètres d'un de l'autre.
C'était... curieux.

Et en plus elle levait sa jupe !

FUCK YEAH !

A cette pensée heureusement silencieuse s'ajouta un épistaxis léger, une fine coulée de sang qui glissa sur son visage depuis l'un des deux trous lui servant de narine. Son cœur n'eut le temps de s'emballer qu'un quart de seconde, avant d'être stoppé net. Une légère douleur au cou et la sensation du métal froid dans sa chair, sans pour autant qu'il ne voit quoi que ce soit. Les deux neurones encore en activité dans son cerveau réalisèrent une opération complexe et Alvaro comprit que le rouge cramoisi qui ornait maintenant les lèvres de la Tercera était son propre sang. Il porta mécaniquement une main à son cou.

Il ne comprit pas un traître mot du reste. Encore sonné par l'attaque surprise, qui était aussi rapide que non létale — il était habitué à l'inverse — Alvaro, qui ne saisissait pas grand chose d'habitude, était perplexe. Il sortit de sa torpeur au moment où elle terminait sa dernière phrase, et se concentra donc uniquement sur le contenu de celle-ci. Il tâcha de reprendre sa contenance, essuya la goutte cramoisie qui perlait à son nez et déclama de sa puissante voix, comme si de rien n'était :

« Ah mais dis ! Je viens de te donner de mon sang ! Si ça c'est pas du cadeau ! »

Mais il comprenait bien que, pour que la Tercera l'accepte pleinement dans sa vie — de gré, ce serait mieux — il faudrait faire mieux. Mais que lui offrir ? Il n'avait aucun bien, sinon ceux que lui avaient confié le Roi, et il y avait une caution dessus. Son amitié, ca ne lui suffisait pas ?

« C'est bien la première fois qu'on me demande de faire un cadeau. Généralement, c'est à peine si on m'autorise à rester dans les parages. Mais je ne suis pas du genre radin en amitié, moi, non non non ! Qu'est-ce que tu aimerais ? Hum ? Là, comme ça, vu le personnage, je m'attends à quelque chose du genre : "te bouffer un bras" mais j'aimerais autant qu'on évite. »

A force d'avoir eu affaire à des gens plus malins que lui, Alvaro avait fini par développer une sorte d'instinct de conservation, lui permettant sinon de comprendre les gens, au moins d'assimiler leurs motivations, surtout si celles-ci étaient cannibales.

- Je t’aurais bien demandé de jouer l’appât, mais je crains que le plus affamé des Hollows ne daigne se pencher sur ta misérable carcasse d’insecte…

A vrai dire Daestra elle-même, bien que déchirée par la faim maintenant qu’elle savourait la perle de sang provenant d’Alvaro, se tâtait pour en faire un amuse-gueule. Ronger les os, ce n’est certes pas son pêché mignon mais lorsqu’une telle fringale s’invite aux portes de votre estomac la moindre parcelle de viande fait office de carburant. En temps de crise, on se chauffe avec tout ce qui passe et même si cela revient à croquer des pierres arrosées de sang frais. Pourtant ici, et pour la première fois depuis fort longtemps l’hybride ne succomba à son coté bestial. Elle venait de quitter son précédent repas et se dirigerait vers un autre dès que la forteresse lui tournera le dos. Sauf si bien entendu, le chef de l’Exequias se sentait d’humeur attachante au point de la suivre dans son sillage et ce qu’importe l’allure. Ce qui, évidemment, est plus qu’envisageable. C’est ainsi que lui vint une idée tordue. Tant qu’Alvaro lui tenait la jambe, il lui serait impossible de partir en chasse et donc : de se nourrir. Ce qui risque de causer bien des torts aux âmes environnantes ainsi qu’aux infrastructures à long terme. Alors dans ce cas, autant l’utiliser. S’il tient tant à se faire des amis, et s’il ne sait pas ce que désire la jeune femme celle-ci se chargerait de faire d’une pierre deux coups.

Ayant pris grand soin d’analyser son interlocuteur d’un œil envouté, l’oreille attentive à son questionnement et son argumentation multi directionnelle la Tercera fit d’abord mine de réfléchir, une moue candide accrochée au visage et un index innocemment posé sur sa lèvre inférieure. Telle une diva qui affiche sa fourberie, son sourire carnassier s’imposa guère plus d’une poignée de secondes plus tard avec un naturel désarmant. Elle voulut se rendre crédible en petit ange sociable, débuter par une réponse sans prétention mais se ravisa aussitôt et tomba pieds joints dans son propre jeu. La suite des évènements ne dépendraient que de sa bonne volonté et d’une touche de patience.

- A vrai dire je ne demande qu’une chose. Invite mon prochain dîner dans mes appartements, en ta compagnie si possible. Le reste dépendra de ce que tu auras choisis comme type de plat.

Sur ces mots la Principessa fit une nouvelle fois preuve de ses talents, en ne laissant qu’une image rémanente de sa personne le temps que sa phrase disparaisse en échos dans la nuit. Le temps d’un souffle et voilà que le clone s’évapore en grésillant, tandis que raisonne au loin un petit gloussement teinté de noirceur.

Difficile de savoir si Daestra l'appréciait ou non. Alvaro était généralement fixé assez rapidement quant à l'estime que lui portaient les autres Arrancars. Dans la majeure partie des cas, il finissait par être projeté contre un mur, frappé, torturé voire parfois tout simplement ignoré. Et sinon, on lui accordait au moins une écoute respectueuse avant de, finalement, se joindre à la majorité et le faire taire par la force. La Tercera, elle, jouait sur les deux tableaux. Alvaro aimait jouer avec ses proies et avec les nerfs de ses camarades, mais il avait trouvé du répondant en la personne de Daestra. Il fallait croire qu'ils jouaient tous deux au même jeu, avec des règles légèrement différentes pour l'un et pour l'autre.
Alvaro n'avait pas poussé sa compréhension du caractère de la Troisième Lame jusqu'à ce point. Mais il sentait se refermer sur lui un piège intangible.

La jeune femme disparut, avec un dernier ensorcellement dans la voix. Alvaro parvint à la conclusion qu'elle était aussi étrange que lui, à sa manière. Voilà qui les rapprocherait d'autant plus ! Dans un coin de son esprit, il songea que rester à proximité d'une Espada capable de le blesser et de disparaître si facilement, avec de toute évidence un fort instinct Arrancarophage, ce n'était pas la meilleure idée qu'il ait eu. Lui qui avait toujours voulu trouver des Hollows capables de lui survivre, il était peut-être temps d'intégrer dans l'équation sa propre survie, à lui. Mais le temps de la remise en question viendrait ! Pour l'heure, on lui avait confié une mission !

« Bah, d'toute façon, j'ai un peu rien à faire en ce moment ! J'espère juste que c'était pas une astuce pour se débarrasser de moi ! »

Il resta un instant songeur, immobile, l'index sur les lèvres. Voulait-elle se débarrasser de lui ?

« Naaaaaaaaan, ca m'étonnerait ! »

XXX

Pour trouver un candidat au repas de la Tercera, il avait dû chercher avec soin un Hollow au service de Las Noches, suffisamment imposant pour contenter sa nouvelle amie. Il ne savait pas si elle avait un appétit d'oiseau ou de requin, mais dans le doute, mieux valait trop que pas assez. Il avait fait le choix de la quantité plutôt que de la qualité, avec un des larbins imposants gardant le Palais, tout aussi idiots qu'inutiles à ses yeux. Il y avait des Espadas, ici, pas besoin d'Hollows de seconde zone ! Sa cible désignée, un Gillian inférieur à l'apparence de méduse, était suffisamment puissante pour survivre parmi des Arrancars de haut niveau, mais condamnée à rester simple plot. Et désormais condamnée à service de casse-dalle.

Le Chef de l'Exequias, malgré son rang, avait eu grand mal à convaincre le Hollow de le suivre. Ce dernier n'était apparemment pas au courant de l'autorité dont Alvaro disposait — et qu'il n'utilisait que très rarement — et avait longuement hésité avant d'enfin accepter de lui obéir et de le suivre. L'Arrancar n'ayant pas la prestance des Espadas, ses ordres étaient le plus souvent ignorés. Mais là, l'obstination légendaire d'Alvaro vint à bout de la suspicion du garde, qui fit traîner ses tentacules derrière lui en suivant le Clown de Las Noches. Le Hollow ignorait qu'il servirait de menu à la Tercera, Alvaro considérait que ce genre de détail ne ferait que rendre plus difficile son travail. Généralement, les habitants du Hueco Mundo devenaient un peu nerveux à l'idée de remplir la panse d'un de leurs congénères.
Ils arrivèrent finalement devant la porte de Daestra, après plusieurs questionnements du garde qui ne savait toujours pas où il allait, ni pourquoi. Plus le temps passait, plus Alvaro sentait l'impatience de sa proie grandir et ses intentions guerrières faire de même. S'ils avaient un peu plus tardé, le Chef de l'Exequias aurait sans doute été contraint d'apporter un cadavre d'ancien rebelle à l'autorité à la Tercera. Ce qui serait dommage, il avait bien entendu le mot "inviter", ce qui suggérait que le plat de résistance devait encore être en vie une fois servi.

Alvaro se remémora les reproches qu'on lui avait fait par le passé et oublia l'idée d'ouvrir la porte d'un grand coup de pied, comme il le faisait à ses débuts à Las Noches. Il porta son poing à peine plus gros qu'une articulation contre la porte et toqua un unique coup.

« Hééého... C'est moi, Alvaro ! Tu me l'as demandé, il est là. Après, je ne sais pas ce que tu préfères, mais j'ai pris ce qu'il y avait de plus dodu. »

A ces derniers mots, le Hollow sembla saisir de quelle manière il terminerait la journée. Alvaro le sentit s'agiter à côté de lui. Vaudrait mieux que Daestra n'ait pas déserté Las Noches, sans quoi le Chef de l'Exequias risquait fort d'être contraint de tuer lui-même le gibier du jour. Et de le dévorer, évidemment.
On ne gâche pas la nourriture, au Hueco Mundo.

Une subtile odeur d’épices parfume la pièce. Les appartements de la Tercera, trop peu convoités par son hôte n’ont rien perdus de leur austérité première. Une literie parfaitement en ordre, quelques meubles de bois blanc pour le nécessaire de toilette et une commode comprenant plusieurs exemplaire d’une tunique jamais portée sont seuls ornements car l’hybride ne prête aucun intérêt particulier aux arts de la décoration d’intérieur. Ici aussi, tout reflète la bestialité et l’absence d’altruisme puisqu’elle ne prend guère la peine de recevoir quiconque en ces lieux, même pour les besoins les plus primaires. Pourtant ce soir, contrairement à la majorité des autres, une étrange silhouette épouse de ses courbes généreuses le centre d’un amas de coussins disposés en demi-cercle au fond de la chambre, chimère offerte en silence à la pénombre dans l’attente du tendre amant. A la différence près que cette sirène guettait patiemment son marin dans le but d’en faire son repas, à une heure où d’autres plongeraient dans la débauche la plus évidente.

Lorsque sa porte devint l’objet d’assauts fébriles, une perle d’or illumina le fin fond des ténèbres. Telle une mygale prête à bondir sur sa proie la prédatrice demeura ainsi immobile, jusqu’à ce que s’introduise le valet de chambre filiforme et son insupportable voix de crécelle. Surgit alors dans un rai de lumière une main d’ivoire, tendue en direction du battant qui s’ouvrit instantanément sous la pression spirituelle. On devina aisément la silhouette d’Alvaro se penchant sur l’entrée béante, mais ce qui attira l’œil ambré fut cette curieuse masse en retrait. Ainsi le bougre avait suivi ses directives, et lui offrait un cadeau digne de son rang. Restait à savoir de quelle manière elle se l’approprierait. Car là où n’importe quelle autre brute se serait contentée de fondre sur sa proie pour la déchiqueter, Daestra agissait tout en finesse. Un gibier qui a peur donne une viande sans goût, pleine de nerfs et aussi agréable à mâcher qu’une vulgaire semelle de botte. Afin d’éviter cela, il était préférable d’agir promptement non sans avoir apaisé le cœur du malheureux au préalable. Et rien de mieux pour ça qu’un brin d’exhibitionnisme. Les mâles du Hueco Mundo sont des porcs et ne s’en cachent pas, autant leur offrir une vision de rêve avant leur trépas.

- Merci bel épouvantail, tant de formes ne sauraient me laisser indifférente… Toi, oui toi l’enrobé. J’ai grand besoin d’être contentée et te voilà avec ta robuste carcasse, prêt à m’empaler tel un taureau. Approche donc, il y a une génisse ici qui ne demande qu’à mieux te connaître...

A partir de cet instant Alvaro n’exista plus au regard de la Principessa dont le seul but était désormais d’attirer sa victime, l’hypnotiser par ses charmes et la vaincre d’un geste. Celle-ci mit d’ailleurs quelques secondes avant de réagir et d’enjamber le seuil. Son expression d’abord souillée par la crainte se mua peu à peu en excitation à mesure qu’il découvrait le requin en tenue de sirène. Cette robe antique devenue haillons ne cache effectivement plus grand-chose, aussi que dire lorsqu’elle en joue comme ici, offerte aux pulsions hormonales du steak ambulant. Manœuvre calculée pour attendrir ses chaires, détendre presque tous ses muscles en vue de la mise à mort qui s’en suivit. Avançant langoureusement vers sa proie Daestra prit d’abord fermement appui sous la ceinture du bougre afin de prendre sa température puis, remontant cette même main le long du torse elle accompagna la caresse en faisant également remonter l’une de ses jambes contre les siennes ce qui ne manqua pas d’attirer son regard en direction des volants retroussés et de ce qu’ils dévoilèrent. Là, sa main guida le visage primitif du Gillian contre le sien quand soudainement, la pièce entière glissa dans un voile pourpre.

Le crâne une fois détaché alla embrasser le sol, puis roula jusqu’à l’encadrement de la porte où se tenait encore le chef de l’Exequias. Deux ou trois borborygmes achevèrent de répandre le fluide rougeâtre en provenance du mutilé dont l’un des bras manquait déjà à l’appel. Affamée, affalée sur son manteau de coussins la Tercera baignait dans une véritable mare. Les crocs affairés sur les tissus encore tièdes, elle souriait.

- Je t’en prie, prends. La tête, c’est le morceau du roi. Dans le pire des cas, cela t’en fera une de rechange, hé…

« Reste là, toi ! Non, j'ai pas dit "dodu" j'ai dit... euh... Moussu. Ouais, t'es moussu bin, chacun son p'tit défaut ! »

Le Hollow cherchait encore à comprendre le sens du mot par rapport au contexte — et s'il devait en être vexé — lorsque la porte s'entrebailla. Ses inquiétudes se portèrent plutôt sur ce qui l'attendait dans cette pièce, qu'il savait être une des chambres des Espadas. Alvaro haussa un sourcil pourtant inexistant. Pas de Daestra, pas de message d'accueil, si ce n'était un parfum envoûtant et un peu suffocant. L'Arrancar attrapa la porte, l'ouvrit et glissa son regard curieux à l'intérieur, ne se souciant pas le moins du monde des bonnes manières. Il s'attendait à quelque chose de plus princier. Mais tout était plus... fonctionnel. Hormis l’opulence de coussins qui parsemaient la couche de la Tercera, le mobilier était pour le moins classique, jusqu'à en être froid. Alvaro songea que l'occupante étant rarement présente, personnaliser l'endroit ne lui était pas prioritaire.
Les paroles de Daestra mirent le Clown un peu mal à l'aise. Il avait déjà eu un avant-goût de ses charmes et savait que ça avait fini dans le sang : une seule goutte, certes, mais cela aurait pu être bien plus. Il comprit un peu plus la personnalité de la Troisième Lame. Elle aimait bien jouer avec sa nourriture et peut-être le voyait-elle comme un repas sur la durée, du genre à réchauffer — sensuellement — de temps en temps. Il aurait à se méfier, dans un avenir proche, il le sentait !
Dans tous les cas, la Tercera ne s'abaisserait jamais à partager ne serait-ce qu'une seconde d'intimité avec une créature de si basse condition. Le Hollow pouvait bien s'avancer, les yeux brillants de luxure, il allait tout droit à la boucherie mais ne s'en rendait pas compte. Cependant... Elle jouait tellement bien la comédie qu'Alvaro se posa la question. Tout ceci devenait bien charnel... Presque malsain. Inconsciemment, la main d'Alvaro monta comme une araignée blanche aux immenses pattes jusqu'à son visage et lui cacha les yeux. Geste inutile, puisque ses doigts noueux offraient plusieurs interstices lui permettant d'assister malgré tout à la scène. Celle-ci finirait-elle dans une débauche de stupre ou en festin sanguinaire ?

Deuxième option. Alvaro poussa un soupir lorsqu'il sentit la tête du Hollow lui rouler contre la jambe. Il préférait autant ça ! Partager des activités avec ses amis, c'était bien, mais il y avait certaines choses qu'il préférait laisser à l'intimité de tout un chacun. Cela incluait les parties de jambes en l'air et... Non, en fait, il n'y avait que ça.
Il ramassa l'hideux crâne et le porta à hauteur de ses yeux. Dans une parodie involontaire d'Hamlet, il plongea ses yeux dans les deux globes vides de vie du décapité et se demanda s'il devait être ou ne pas être camarade avec Daestra. Même si sa victime était d'un niveau clairement inférieur au leur, sa technique pour ensorceler le garde trépassé avait de quoi faire frissonner. Peut-être Alvaro était-il déjà sous son emprise, sans même le savoir ? Il s'agissait du troisième Arrancar le plus puissant de Las Noches. Mieux valait ne pas la prendre à la légère. Faisant montre d'une sagesse qui ne lui était pas habituelle, il décida qu'il devrait toujours, en sa présence, se montrer un peu plus méfiant qu'à l'ordinaire. Ne pas changer son comportement et ses habitudes, mais se tenir prêt. Il sentit le poids de son Zanpakutô dans sa manche. S'il le fallait, si c'était une question de survie...

« Tu plaisantes ? Hors de question de remplacer mon superbe visage par celui-ci ! Tous mes amis ne me reconnaîtraient plus, et ça m'embêterait beaucoup. »

Alvaro constata que le sang qui coulait de la bouche du Hollow faisait des petites bulles, qui contenaient le dernier souffle du condamné. Il repensa au mot "moussu" employé plus tôt et eut un petit rire, dont il ne partagea pas l'explication avec la Tercera. Cette mousse-la ne méritait même pas qu'on s'attarde dessus. Elle disparut dans une première large bouchée, alors qu'il croquait à pleine dents dans le museau de leur repas.

« Content qu'il te plaise, en tout cas ! dit-il après avoir mâchonné la viande tendre du Hollow. C'est là que tu habites, donc ? Enfin, quand tu n'es pas dans le Yermo. Jamais, quoi, en fait. D'ailleurs, si ce n'est pas indiscret... »

Daestra comprendrait de toute façon bien vite que la discrétion était loin d'être une qualité présente chez Alvaro.

« Pourquoi tu es tout le temps dans le désert ? »

- Ton indiscrétion a débuté au moment où tu es venu à ma rencontre, l’épouvantail…

Allait-il un jour comprendre le pourquoi de tout ce petit stratagème ? En effet, si Daestra se donnait autant de mal pour ne pas détruire Alvaro jusqu’à présent, pour que la plus misanthrope des Espadas veuille bien tolérer la présence du plus insupportable de ses congénères au cœur même de son terrier, cela avait un sens. Encore faudrait-il pour cela y être attentif, et guetter les indices. Maintes fois la prédatrice soupesa ses paroles afin d’y cacher un message, une preuve que sa patience progressivement se consumait. A de multiples reprises son geste fit office de lien avec lesdits messages, allant jusqu’à récolter innocemment une perle de sang sur le cou du pantin. Vaines tentatives, puisque l’individu en question se fichait éperdument de tout ce qu’on pourrait bien lui insinuer. Ce qui lui importe, c’est elle ou du moins, son consentement apparent. Or il n’en est rien, la Principessa demeure prostrée dans sa cage psychologique, persuadée que le monde se moque de ce qu’elle est devenue et de ce qu’elle deviendra un jour. Pourtant, fous sont ceux qui se l’imaginent et plus fous encore ceux qui osent l’approcher en ami. Une bête ne connaît pas l’amour, la fraternité, l’humour. Si elle en use, mieux vaut s’enfuir en courant.

- Le Yermo...

Elle le cracha sans suite, entre deux morsures. Toujours langoureusement affalée sur son lit de coussins, l’hybride engloutissait sa proie muscle après muscle, offrant à son interlocuteur un formidable spectacle sons et lumières. Disposée ainsi dans la pénombre, entièrement couverte de sang, on aurait pu croire qu’il s’agissait de la victime et non du bourreau. Du Gillian ne subsistait déjà plus grand-chose, l’autre jouissant d’un appétit à la hauteur de son pédigré. Les requins sont de pitoyables intendants : tout doit disparaître. Ce qui est également valable dans son cas, en bonne représentante du statut hybride elle ne déroge que très rarement à la règle. Au plus grand dam du personnel de maison qui non content de ne pas la voir régulièrement au palais doit malgré tout subir ses outrages à la propreté et la morale lors de ses trop rares passages. Et que dire de sa robe, déjà souillée par le temps et désormais par le sang (une fois de plus), condamnée au lavage par le sable faute de mieux. Oui c’est cela. Du sang, du sable, du temps et aucun vêtement. Voilà qui résume à merveille ses besoins.

- Ce que j’y fais, hm ? J’y vis, j’y baise, j’y bouffe. Tu voudrais faire quoi, un documentaire ? Autant te prévenir, tu n’en sortirais pas indemne…

Il lui fallait avant tout jouer franc jeu, ou plutôt jouer tout court mais le nier. L’art de la manipulation passe essentiellement par « l’enniaisement » d’autrui. Lorsqu’autrui, c’est Alvaro, la tâche est plus simple qu’il n’y paraît au premier abord. Non pas qu’il semble complètement en dehors des réalités et donc prêt à manger n’importe quel plat, non. Un trait de sa personnalité se charge de tout : le coté hystérique, attachant et bienveillant. Même si une odeur de crainte naissante se dégage actuellement de lui, Daestra reste persuadée de son sort. Un jouet de plus, à ranger dans son armoire et à ressortir le moment venu. Un requin, ce requin, est perfide. Sournois. Ce requin porte un masque intégral, une armure qui la protège d’elle-même. Mais pour combien de temps encore, avec un luron pareil dans les nageoires ?

On bâfrait joyeusement dans les appartements de la Tercera, et Alvaro n'aurait pas cru que sa rencontre fortuite avec la prédatrice l'aurait amené à savourer la chair du personnel de maison. On commence la journée en voulant connaître des gens, on la termine en en mangeant d'autres...
Question appétit, Daestra tenait de la classe olympique. Le monstre qui avait pénétré la pièce en occupait une bonne partie de l'espace, mais cette masse diminuait à vue d’œil. La lente disparition du Hollow n'était ralentie que par les pauses que prenait l'Arrancar pour répondre à Alvaro qui, lui, avait fini son assiette depuis bien longtemps. La politesse aurait voulu qu'il mange lentement pour ne pas terminer avant la Tercera, mais il avait manqué quelques leçons et ne s'en soucia pas. Pire, il commença à se balader dans la chambre, observant chaque coin et recoin d'ombre à la recherche de quelque chose qui puisse attiser sa curiosité.
C'était Daestra qui remplissait ce rôle, pour le moment.

Le langage cru de celle-ci continuait de mettre l'Arrancar mal à l'aise mais, étonnamment, il sentait qu'il s'y habituait. Plus que tout autre individu, Alvaro était capable de s'adapter aux différents caractères de ses compagnons et celui de la Troisième ne ferait pas exception. Au delà de son caractère, c'était ses intentions qu'il avait dû mal à cerner. Il était venu apporter un présent, en l'occurrence un repas, à l'Arrancar de sexe féminin le plus puissant existant à ce jour, cadeau qu'il avait livré jusque dans ses appartements, où elle l'avait attendu sur sa couche avant de dévorer tout cru leur festin commun. Un peu particulier, comme première rencontre et clairement à l'opposé de tout ce qu'il avait connu jusqu'alors. Vers quoi tout ceci allait mener ? Plus gagné par sa curiosité maladive que par la méfiance, Alvaro ne fit pas volte-face. De toute manière, ce n'était pas vraiment son genre de tourner le dos à une amitié en devenir.

« Je te trouve bien hostile à l'idée. C'est juste que lorsqu'on a des amis, il faut apprendre à les connaître pour mieux partager ses expériences ! »

Il avait accompagné sa remarque en adoptant une stature de premier de la classe, dos droit, index levé, comme récitant une leçon apprise par cœur.

« Et j'ai envie de mieux de te connaître, Daestra. Les dégâts, aussi bien physiques que psychologiques, ne m'inquiètent pas. Dans le premier cas, j'ai mon Hierro, dans le deuxième... »

Il songea à ce qu'aurait dit le Segunda à ce moment. Il tenta d'imiter sa voix et ses manières.

« D'toute façon, les dégâts sont d'jà faits, alors pour c'que ça changerait... »

Mouais. Non, pas réussi. Il devait oublier la carrière d'imitateur.

« C'était censé être Dark, ce que j'ai fait avant. Enfin, bon. Sur tout ce que tu m'as dit, il y a une chose qui m'interpelle, Daestra : je ne t'ai pas entendu dire que tu t'y amusais, dans le Yermo. Et ne me dis pas que bouffer et baiser te suffisent, je t'en prie. »

Et c'était peut-être là ce qui ferait toute la différence entre une vie d’errance dans le désert et la promesse de beaucoup de rebondissements — agréables ou non — à vivre à Las Noches, avec lui.

- Dans la mesure où j’éprouve ce sentiment pour les trois, il ne me semblait pas utile de le préciser…

Le plaisir, un terme bien vaste. Et très subjectif. Prenez Dark par exemple, il en retire manifestement à grands coups de poings dans la figure. Alvaro quant à lui ne perd pas une occasion de le vomir aux oreilles de quiconque croise sa route. Pour les autres la Tercera ne le savait pas encore soit parce qu’elle n’avait pas eu droit à leur version, soit parce qu’ils n’en avaient pas. A vrai dire, cela ne lui apportait pas le moindre intérêt car sa propre version du plaisir était applicable à tout. Exception faite de l’altruisme, qu’elle a en horreur. L’hypocrisie dans toute sa splendeur, voire pire : la stupidité. Tous ces monstres, vernis par la condescendance et qui parfois se penchent vers les autres pour renouer avec les vestiges de leur citoyenneté. Balivernes. A quoi bon se nourrir des autres et de leur ambition alors qu’ils ne sont plus l’incarnation passée. Le Hueco Mundo regorge de bêtes, de vulgaires animaux qui cherchent avant tout à ne plus l’être. Pathétique.

Porter des vêtements, instaurer l’ordre et la hiérarchie, combattre pour la suprématie d’un tel, parler, parler et encore parler. Qu’ils organisent donc un gigantesque banquet et qu’ils se dévorent tous les uns les autres sans motif apparent. Voilà, ce qu’est la véritable nature d’un Hollow. Que dire alors de cet épouvantail rachitique dont la seule arme est évidemment sa voix. Comment une telle aberration dans le règne animal a-t-elle pu évoluer, survivre, et accéder aux hautes sphères du royaume des ténèbres ? La pauvreté de sa viande ? Sa ressemblance avec le phasme et donc, le camouflage ? Son Hierro ? Qui sait. En attendant, l’apôtre des sourds continuait de prêcher tout en pataugeant dans la sombre mare vermeille. Ce qui eut pour conséquence d’éveiller le requin.

- Devrais faire installer une évacuation tiens…

Loin d’être désagréable, cette sensation de nager dans le sang changeait du sable et ses propriétés absorbantes. Toutefois, ne voulant pas s’éterniser en compagnie du chef Exequias dans son cocon personnel l’hybride daigna se lever, péniblement certes, mais avec suffisamment d’habileté pour faire de nouveau honneur à la gravité. Là, elle disparut un instant derrière ce qui ressemblait à un paravent. Une fois dévêtue elle ne se débarrassa pas de ses haillons, non, trop facile. Elle les trempa simplement dans un seau d’eau rempli à cet effet, histoire d’évacuer le plus gros puis enfila la serpillère et rejoignit l’épouvantail. Trempée, ensanglantée, mais nullement incommodée.

- Tu souhaites voir comment je m’amuse ? Suis-moi donc, que je te montre mon meilleur compagnon de jeu.

Sur ces mots elle lui adressa son plus beau sourire crochu, avant d’enjamber les reste du Gillian et de franchir le seuil de ses appartements. Une équipe ne tarderait sans doutes pas à venir ici et faire place nette, que ce soit en notant l’absence prolongée de sa proie ou par les effluves macabres qui ne tarderaient pas à envahir tout le palais. Une habitude chez elle, sa signature.

Alvaro n'était pas philosophe pour deux sous, mais il se questionnait sur un point : Daestra s'amusait-elle vraiment à ses occupations habituelles, ou en éprouvait-elle simplement du plaisir ?
On pouvait dire que toute sa vie reposait sur cette nuance tenue. Il éprouvait du plaisir à demeurer dans son uniforme désert, à chasser des Hollows et à dévorer leur chair. Pour peu que ceux-ci soient un tant soit peu doués d'intelligence, ils pourraient même lui procurer de l'amusement au cours d'une chasse à l'issue certes immuable, mais au déroulement pouvant offrir de chouettes rebondissements. Mais le vrai amusement, celui qui élève l'esprit et gonfle le cœur, celui-là demandait aux yeux du Clown un prérequis indispensable : un autre Arrancar. Au moins. Un Hollow de haut niveau, capable de converser, peut faire l'affaire, mais l'idéal est encore de rester entre individus de la même espèce. Cela évite les accidents malheureux, où le plus faible trépasse malencontreusement.
L'amusement demandait d'échanger avec quelqu'un. De partager une expérience. La solitude ne peut mener à l'amusement, il est le toboggan vers le renfermement sur soit et la haine de l'autre. La Tercera, dans ses échanges futiles avec d'autres de ses pairs — échanges gastronomiques ou charnels — ne parvenait pas à connaître l'amusement, non non non. Elle se berçait d'illusions. De cela, Alvaro était sûr. Mais il ne lui en fit pas part. La conversation glissait déjà sur un autre sujet, et Alvaro faillit faire de même lorsque son pied se posa sur un intestin imbibé de sang. Il se rattrapa au mobilier et se regard chercha celui de Daestra, espérant partager un éclat de rire ; le premier qu'il lui arracherait sans pour autant avoir l'impression qu'elle attendait patiemment qu'il s'engraisse pour le croquer tout cru. Mais la Tercera avait disparu. Lui avait-elle faussé compagnie ? Non, elle émergea d'un paravent, souillée par le sang — ce qui lui allait plutôt bien — et trempée par l'eau. A la voir, on douterait qu'elle avait le rôle de troisième Arrancar le plus puissant, l'Espada jouant en général la carte de la dignité et de l'élégance. Alvaro avait bien essayé de les imiter, mais n'y était jamais parvenu.
Le fait que cette prestance passait d'abord par le comportement lui avait toujours échappé.

« D'accord, je te suis. Dommage de laisser un... »

Daestra avait quitté la pièce sans qu'il ait eu le temps de finir sa phrase. Il s'était donné du mal à ramener leur repas et elle ne le terminait pas ! Certes, il n'en restait pas grand chose... Mais tout de même ! C'était de la qualité ça, ma p'tite dame, pas le genre de produit qu'on laisse pourrir sur son carrelage pour aller faire je ne sais quoi ailleurs ! Alvaro posa un regard contrarié sur les viscères, posées comme une œuvre d'art sur le sol blanc. Le rouge des entrailles semblait redonner vie au Hollow. C'était joli.
Ses deux mains raclèrent le sol et se réunirent en coupe. Il aspira le mélange gélatineux des organes et du sang, tête penchée en avant pour ne pas salir ses précieux habits. D'un coup d’œil, il comprit qu'il ne pourrait jamais terminer. Déjà, la trace énergétique de la Tercera se volatilisait. Il ronchonna à l'idée que les bas individus de Las Noches pourrait se régaler de ces restes et se rua vers l'extérieur.

« Hé ! Hé ? Daestra ? Ah, là-bas ! Daestra ! Attends-moaaaa ! »

D'un Sonido, il la rattrapa. Arrivé à sa hauteur, il sentit des gouttes de sang perler sur son visage. Sortant un mouchoir qui avait dû être dans un très lointain passé blanc, il essuya le liquide cramoisi qui lui donnait un air bien plus barbare qu'il ne l'était réellement.

« J'ai... j'ai goûté un peu, héhééééééé...

Bon ! On va où maintenant ? C'est qui ce compagnon de jeu ? Je croyais que tu n'avais pas de copain moi ! Ah, hé, du coup, ca me fera deux copains en un jour ! Dont une fille ! »

L'Arrancar se calma un peu en constata qu'il avait dépassé la Tercera d'une bonne dizaine de mètres. La perspective de rencontrer un nouvel ami lui donnait des ailes et lui faisait oublier que sa taille lui permettait une démarche ridiculement grande. Il attendit sa camarade et s'appliqua à ralentir l'allure. Il ne faudrait pas qu'il la perde.
Parce qu'il l'aimait bien, déjà, et parce qu'il ne connaissait pas trop cette partie du Palais. Du coup, ce serait lui qui serait alors perdu.

Enfin, de l’air. La fraîcheur du soir, cette petite brise qui s’engouffre par les meurtrières du corridor et vient lécher son écorce humide comme pour lui ordonner quelque chose qu’elle ne comprendrait pas de toute manière. Daestra est actuellement perdue, en proie aux songes. Aussi ne demeurent que les automatismes de son corps : la marche, la respiration, la digestion. Pour le reste, suffit de plonger un œil dans le sien pour se rendre compte de la supercherie. La pupille apparaît aussi terne et fade que le paysage alentour, exception faite des minuscules veines parcourant le blanc de cet orbe mort. La raison de son absence ? Un appel, très lointain. Et une indisposition qui progressivement s’installe. La Tercera ne supporte pas la compagnie, sauf si on la lui impose pour des raisons évidentes et généralement liées à son rang. Pourtant une fois extraite de la coque militaire, elle ne souhaite plus exister dans le regard d’autrui. La bête s’éveille, réclame inlassablement et finit toujours par maîtriser l’autre. Dans ces moments de soumission, on ne détecte plus chez l’hybride la moindre trace d’humanité. Son visage se ferme, son regard s’éteint, ses mouvements trahissent la perte de contrôle et néanmoins conservent toute l’élégance nécessaire. Il faut dire que ses atouts sont une arme redoutable, une fois entre les griffes du monstre.

Malheureusement Alvaro ne semblait vouloir entendre ou comprendre ce que sa congénère n’avait eu de cesse de lui dire par divers procédés. Bien qu’il soit à un poste de choix et donc doué de compétences proches des siennes l’épouvantail, sans le savoir, jouait avec la boîte de Pandore. Il est vrai que personne au sein de Las Noches ne connaît de près ou de loin la véritable nature de cette jeune femme arrogante, bestiale et sanguinaire. Son unique exploit connu est d’avoir littéralement pulvérisé l’ancienne porteuse du numéro 3 avec une facilité désarmante. Le tout sans que personne, encore une fois, ne sache d’où elle sortait et pourquoi elle l’avait fait. Se contenter d’offrir un siège à qui possède la force, mais ne pas poser de questions sur le reste. Tout allait si bien jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi fallait-il que quelqu’un veuille en savoir plus ?

En parlant du guignol, voilà qu’il la dépasse brusquement et l’éjecte ainsi de sa torpeur animale. A quelques enjambées plus loin il se retourne, la fixe innocemment et ralenti le pas. Après tout, c’est elle qui mène la danse. Mais ce regard, que diable manigance-t-il à la fin ? Un Arrancar ne peut, par définition pas se faire d’amis sans avoir un plan vicieux derrière la tête. La gentillesse est une faiblesse que l’on arrache volontiers à grands coups de crocs. A moins de s’appeler Alvaro, de n’avoir qu’un tas d’os en guise de corps et donc, d’en profiter pleinement. Oui mais, il existe des bêtes qui ne tuent pas forcément que pour se nourrir. La vermine, Daestra s’en débarrasse. Si elle ne le peut avec le temps ou par d’habiles stratagèmes, elle le fera dans le sable et le sang. Le sable, voilà son échappatoire !

Son compagnon de toujours, celui dont elle parle à son ami du jour, et qu’elle lui présente là, maintenant. Car elle se tient en effet derrière lui, devant Alvaro, et bientôt ailleurs. Du haut du rempart où le vent souffle plus ardemment, son œil subitement s’allume et colore l’éclat ébène de sa crinière devenue folle. Après une profonde respiration et un soupir très éloquent, elle se tourne vers le chef de l’Exequias et lui offre une ultime fleur.

- Je te le présente donc, mon compagnon. Il est d’ailleurs le seul, et le restera…

Sur cette dernière intervention elle se laisse alors tomber en arrière et chute. Le temps d’une impulsion vigoureuse, et il ne reste plus rien d’autre qu’Alvaro, Las Noches… Et le Yermo.

Sujet: Re: Dis, dis, c'est bien toi ? [PV Daestra]

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Dis, dis, c'est bien toi ? [PV Daestra]

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