Démarche longiligne, sourire en coin et cheveux au vent, Shogo souriait de toutes ses dents. Laissant dans son sillage des mines étonnées ou rassurées, le shinigami le plus cool des treize divisions ne laissait jamais indifférent, et il faut dire que son col largement ouvert sur un tatouage représentant deux sirènes enlacées dans un acte sapphique assez explicite n'y était pas pour rien. Le soleil tapait sérieusement, ce qui lui donnait un prétexte pour plisser les yeux et mater à son aise. Depuis une dizaine de minutes, il suivait dans le dédale de ruelles qu'était le quartier de Zaraki une charmante créature toute droit sortie d'un rêve érotique. Katana au coté, honneur en bandoulière, il était un digne représentant de l'ordre, et aussi un type grave stylé, il fallait bien le dire.

Clinquant, c'était le mot, et alors que la jeune femme s’arrêtait enfin à un stand de teriyaki, notre lascar eut son ouverture. Il se saisit d'un bol, et jeta une ou deux pièces vers le vendeur interloqué par tant d'incivisme. Il n'avait laissé que le strict minimum d'espace vital à sa future conquete, et il était à présent occupé à faire tourner le bol en équilibre sur son majeur. Une vague de sourcils plus tard, et sa voix enjôleuse battait déjà le fer tant qu'il était chaud.

- Salut beauté. J'ai comme dans l'idée que ta journée a été d'un ennui mortel jusqu'ici.

- Beauté ? Pour qui vous v...

Il posa un index précis et doux comme la peau d'un nouveau-né sur ses lèvres. Elle écarquilla les yeux, visiblement interloquée. Il sourit, tout feu tout miel. Une combinaison qui avait fait ses preuves.

- Moi aussi je m'ennuie. Je suis artiste, et avant que tu ne continues, laisses moi clarifier mes intentions. Je voudrais te croquer, splendide créature. Poserais-tu pour moi ?

Le rouge avait inondé les pommettes de la donzelle, qui jeta un regard long et éloquent aux avants bras et au torse de Shogo, ornés de somptueuses créations. C'était dans la poche. Il rangea son majeur et son index dans ladite poche, main comprise, et attendit une réponse qui ne tarda pas: elle acceptait, à la condition que ça ne dure pas plus de vingt minutes. Le retard et la paresse ne faisaient visiblement pas partie de son vocabulaire.

~~

Une heure plus tard, c'est un cinquième siège débraillé et satisfait de sa petite sauterie qui arpentait les rues du Rukongai, se rapprochant toujours plus des beaux quartiers. A mesure qu'il progressait dans cette direction, les gens lui lançaient de plus en plus de regards courroucés. En effet, les manches de son Shihakusho tombaient au niveau de ses genoux, laissant apparaitre le coté bariolé de la peau du jeune homme, et il avait une filtre au coin des lèvres. Il représentait à cet instant la décadence des Shinigami, et des murmures ne tardèrent pas à s'élever.

- Eh ! vous ! Ouais vous !

Un autre shinigami visiblement courroucé vint se planter devant Shogo. Il lui intima, sur de lui, de se rhabiller au nom du Gotei 13 tout entier. Le cinquième siège, dont le grade était tout récent, eut un grand sourire.

- Nan, mon vieux, j'aimerais d'avantage qu'y'ait d'autres zigues dans mon genre par ici. A commencer par ta face de rat.

Inutile de préciser que l'autre se rua tête la première sur le tatoué, lequel le mit à terre sans la moindre difficulté, utilisant des mouvements basiques de boxe wing chun. Bientôt, il avait le pied sur le torse de l'autre et haranguait la foule amusée. Il ne ratait jamais une occasion de se faire remarquer, pour sur.

Il n’en fallait pas plus pour attiser la curiosité de Shinjirô. Alors même qu’il comptait rentrer au Seireitei après son petit tour habituel, il avait été surpris de voir la foule s’amasser à proximité, apparemment captivé par un spectacle qui valait le coup d’œil. La carrure imposante de Shinjirô lui permettant de se frayer un chemin au travers de la foule sans difficulté, il comprit rapidement ce qui se passait ici-même. Faut dire que le spectacle face à lui avait de quoi décontenancer. Surtout lorsqu’il entendit plusieurs passants raconter à leur manière l’histoire. S’il comprenait que ce Shinigami ait voulu donner une leçon à celui qui était à terre, le colosse n’appréciait que peu l’humiliation qu’il imposait au perdant. Il n’y avait aucune gloire à agir de la sorte… Encore un qui se croyait le roi du monde parce qu’il sortait du lot.

Qu’à cela ne tienne, Shinjirô poussa les derniers types qui lui barraient le passage et se rapprocha de ces deux idiots. Il est vrai que le premier avait une certaine allure, pied posé sur le torse de son compagnon. Et à voir la tronche de ce tapis de sol improvisé, nul doute qu’il n’appréciait pas la blague. Bien qu’ayant laissé Kaimetsu dans ses quartiers, Kiryû portait son traditionnel Haori sans manche, arborant ainsi le signe de sa division. Mais même sans cela, la carrure du Kenpachi était réputée pour être la plus impressionnante du Seireitei. Ainsi, généralement, il n’y avait pas de doute quant à son identité. S’arrêtant à leur niveau, il intima l’ordre au coq de laisser filer son petit pote.

- Tu t’es bien amusé, c’est bon ? Maintenant, laisse-le se relever ou c’est toi que j’écrase… Quand aux autres, j’vous laisse le choix. Vous dégagez ou je vous offre un autre spectacle. Un spectacle dont vous serez les vedettes, croyez-moi.

Il avait haussé le ton pour les dernières paroles, celles-ci concernant les âmes alentours qui se délectaient de ce genre d’animation. Joignant le geste à la parole, il fit craquer ses cervicales avant de ricaner, laissant son regard parcourir la foule. Il donnait l’impression qu’il allait en choisir un ou deux au hasard pour s’éclater. Ce qui ne semblait pas du goût de tous. Les passants se dispersèrent en quelques secondes, laissant alors les trois Shinigamis tranquille. Il put reporter son attention sur ces deux-là.

- Ce qui s’est passé, perso, j’m’en tamponne. J’sais juste que vous venez de ridiculiser les rangs du Gotei avec votre p’tit manège. Et si j’suis pas super à cheval sur les règles, j’aime quand même pas passer pour un con devant ceux que vous êtes censé protéger. Sérieux, que vous vous mettiez sur la tronche, c’est pas mon problème. Mais faut le faire correctement. Toi là, la carpette, retourne auprès de tes potes et va te décrasser. J’vais encore dire deux ou trois mots à ta copine.

Celui qui s’était retrouvé face contre terre se leva précipitamment et partit vers le Seireitei sans demander son reste. Il aurait pu être ravi de la tournure des événements si seulement ça n’avait pas été Shinjirô en face. Mais la réputation de ce dernier était telle que tous – ou presque – savaient qu’il ne valait mieux pas le mettre en colère. La suffisance qui se lisait sur l’autre ne dérangeait pas le Kenpachi. Des Shinigamis sûrs d’eux, il en côtoyait au quotidien à la Onzième.

- Tu vas me dire qui tu es et à quelle division tu appartiens. Sans déconner, qu’est-ce qui t’as pris de l’humilier comme ça, hein ? J’peux te dire que t’as de la chance d’être tombé sur moi. J’en connais certains qui se seraient fait un plaisir de t’envoyer croupir en tôle quelques jours.

Genre, Tenzen…

Notre débraillé préféré faisait bien sentir tous les cals acquis au prix de décennies d’entraînement à son adversaire, honteux, qui gobait la poussière par louchées sans même pouvoir ne serai-ce que lui dire de bouger de là. Shogo se sentait bien, et il se permit même un ou deux clins d’œil aux plus jolies demoiselles de la foule. Il avait déjà scoré aujourd'hui, mais une doublette ne faisait jamais de mal à son homme. Perdu au milieu de la vallée sinuant entre les jumeaux rebondis d'une de ces deux sirènes, c'est à peine si le cinquième siège remarqua que celle-ci s'était faite bousculer par... une gigantesque célébrité du Gotei 13, en la personne du Kenpachi. Il tenta tant bien que mal d'essuyer le filet de bave qui commençait à poindre à la commissure de sa lèvre, et instinctivement relâcha son souffre-douleur d'un pouce ou deux.

Puis contraint et forcé, il le laissa filer. Quelle lavette, se cacher derrière le Mr. Muscle le plus célèbre de la Soul Society. Franchement. Devant cette totale absence de swag, Shogo n'eut d'autre choix que de revoir sa partition et de se préparer pour les remontrances du capitaine Kiryu. Lesquelles vinrent en abondance s'abattre sur ses pauvres oreilles.

- C'est bon, c'est bon, en même temps pour ma défense ce tocard m'a provoqué !

Puis

- Euh... ce tocard m'a provoqué Capitaine, pardon.

Ne pas oublier les honorifiques et les grades. C'était une des règles d'or au Gotei, et il la transgressait régulièrement, malheureusement pour ses états de service. Le tatoué avait beau être stylé, il ne payait pas de mine face à la montagne de muscles qui présentement lui faisait de l'ombre. Il fallait qu'il se tienne à carreau, bla, bla, bla... Il se prenait toujours le même refrain alors que c'est les autres qui manquaient de respect à un gradé en le provoquant. Justement, il se hâta d'éclaircir ce point afin de se dédouaner.

- Eh mais non ! euh... je sais qu'il faut qu'on fasse bonne figure, mais moi je pense aussi que si on commence par se respecter entre nous, alors les gens, les mecs et les nanas autour, ben ils nous respecteront déjà plus. Si vous voyez qu'est-ce que je veux dire, mon capitaine.

Sa voix traînante et son accent résolument Tokyoïte pouvaient laisser penser qu'il faisait preuve d'un détachement frisant l'insolence face à son supérieur, mais il n'en était rien. Ou presque, il fallait dire aussi que Shogo avait un léger problème avec l'autorité depuis aussi loin qu'il puisse se souvenir. Il savait bien qu'il avait de la chance de tomber sur ce capitaine plutôt qu'un autre, mais son tempérament impulsif et coureur le ramenait souvent à ses dérives. Dans une semaine, un mois, deux jours peut être, il serait de nouveau assigné à faire des corvées.

- J'suis Tatsugami Shogo, de la huitième. Cinquième siège. Et ce type s'est adressé à moi comme à un vulgaire larbin. Moi j'peux pas, ça, je suis monté en grade depuis deux semaines et des lavettes dans son genre s'amusent à me rabaisser en public ? naaaaan. Sauf vot' respect, capitaine, et j'ai beaucoup de respect pour vous et vot' division, j'ai pas pu me contenir sur celle là.

Il s'était expliqué, et ce faisant il avait pris soin de se remettre son shihakusho sur les épaules, couvrant les dragons et autres mythes et légendes qui peuplaient son enveloppe charnelle. Il commençait à ressentir ce qu'il appelait un besoin post-galipettes. Il alluma une clope, sans quitter son supérieur des yeux, afin de voir si cette action désinvolte provoquerait d'autres remontrances. Après tout, s'il avait bien tout compris, il était mort, donc la clope ça pouvait pas l'tuer ou montrer le mauvais exemple. Il exhala, s'étira, essaya tant bien que mal de ne pas rajouter quoi que ce soit de désobligeant pour son ex-descente de lit.

Qu’importe les « capitaines », Shinjirô n’était pas de ceux à se gargariser d’en être un. Et s’il restait fier de ce qu’il était et de comment il avait atteint cet objectif, il n’en restait pas moins peu attaché à ce genre de réaction de lèche-botte. Il n’était pas aussi stupide qu’il le laissait paraître et comprenait d’instinct que cet homme se fichait royalement de l’autorité. Comment passer à côté alors qu’il pareil ? C’était d’ailleurs l’unique raison de sa retenue pour le moment. Car ce mec transpirait la suffisance et il ne devait certainement pas se rendre compte qu’il était face au seul Capitaine dans tout le Gotei qui n’hésiterait pas à lui défoncer le crâne s’il l’estimait nécessaire.

Mais pour le moment, Shinjirô gardait son calme. Si seulement Noboru avait été là… Son Lieutenant avait un don pour anticiper les réactions de son capitaine, évitant généralement à ses interlocuteurs de prendre une mandale pour des propos ou réactions mal interprétés. Là, il serait en roue libre avec un homme qui visiblement était habitué à ce genre de comportements. Un écho dans son crâne semblait lui dire « comme toi à l’époque mon gros ». Un écho qu’il n’écoutait déjà plus.

- Tu t’ foutrais pas un peu de ma gueule là ? Non parce que me sortir qu’il faut se respecter les uns les autres et te voir lui marcher dessus, j’pense qu’il y a comme un décalage quoi ! J’te l’ai dit… Que tu lui en colles une pour lui apprendre à respecter les gradés, c’est une chose. J’m’en balance. Mais contrairement aux autres, tu peux pas te permettre autant de chose.

Par les autres, il faisait surtout référence aux capitaines et, à moindre mesure, aux Vice-capitaines. Lui-même était le premier à remettre les autres à leur place mais comme il venait de le souligner, il pouvait se le permettre. Alors certes, il prenait de temps à autre une belle engueulade de Shunsui, mais parfois ça en valait le coup. En tout cas, cet énergumène venait tout droit de la Huitième division et malheureusement, Shinjirô comprit la raison de ce comportement. Otsu était une capitaine plutôt jeune et assez inexpérimenté. Si ses compétences étaient assez bonnes, elle ne donnait clairement pas l’impression de pouvoir tenir une division par l’autorité. Or, les calins et les bisous n’aidaient pas à se faire obéir et respecter.

Poussant un soupir en entendant sa division, et voyant que son vis-à-vis se payait le luxe de sortir une clope, le colosse attrapa un cure-dent de sa poche et le plaça entre ses mâchoires, commençant à le mastiquer. Un réflexe qui avait tendance à calmer ses nerfs en réalité. Et pour ceux qui le connaissaient, il s’agissait aussi d’un signe pour évaluer son agacement général : s’il crachait le bout de bois au sol, alors sauve qui peut. Il continuait à le mastiquer ainsi, alors c’est qu’il était encore relativement calme. Malheureusement, il pouvait passer d’un stade à l’autre avec tant de rapidité qu’il valait mieux rester prudent à ce que l’on disait.

- Cinquième siège de la Huitième, hein ? M’ouais, j’capte un peu mieux le bordel. En tout cas, tu peux être sûr qu’il retentera pas avec ce que tu lui as mis dans la tronche. Mais laisse moi te dire un truc mon gars… Tu peux pas demander aux autres de respecter ton grade si tu respectes déjà pas ceux de tes supérieurs. J’te connais pas mais t’as le même regard que j’avais à l’époque. Et j’peux te dire que j’ai jamais plié le genou face à l’autorité. M’enfin… J’dois dire que j’ai eu plus de chance que toi. Y’avait pas un mec avec ma corpulence, capable de me calmer rapidement. Si tu vois c’que j’veux dire.

Le message était clair : il acceptait que l’autre reste naturel à la condition qu’il ne joue pas les gros bras avec lui.

Shogo se sentait un peu comme l'oiseau obligé de picorer les chicots d'un alligator, en ce moment. S'il se foutait de sa gueule ? Eh non. C'était un type honnete notre tatoué, un peu trop meme. Le genre à vous balancer les vérités que personne n'ose vous dire à un moment, puis à mettre la main aux fesses d'une poulette la seconde d'après. Un authentique mystère de la science. En ce moment, il prenait son temps avec sa cigarette, qui se consumait au rythme de ses lentes bouffées, prouvant encore une fois son absence totale de stress. Une désinvolture qui pour le monde extérieur pouvait facilement passer pour un comportement suicidaire.

Le cinquième siège regardait le géant dans les yeux, pas qu'il se sente obligé de les baisser, non, mais c'était toujours mieux quand on se parlait sans avoir l'air d'une lavette, entre hommes. Car ce capitaine là était tout sauf inconnu de Shogo. Il avait même entendu dire qu'il avait pris son frangin Senji sous son aile, en quelque sorte. Un beau geste, sachant que celui-ci bossait pour cette frigide de Tsunemi. Mignonne, mais complètement à coté de la plaque quand il avait essayé de la mettre dans son pieu à l'époque. Bordel.

- Ouais, j'avoue, j'aurais du éviter de lui faire manger la poussière en plus. Déjà, d'une, ça fait tousser, et ça c'est galère, et pis de deux je me suis pas arrêté au bon moment. Je sais que j'aurais juste du lui coller une mandale et passer mon chemin, mais...

Il chercha ses mots, fébrile l'espace d'un instant. Il avait pas spécialement envie de passer pour un tocard devant un supérieur, malgré le fait que c'est probablement ce qu'il venait de faire en utilisant un collègue comme paillasson de luxe.

- Je vais toujours trop loin, c'est gravé dans mon ADN mec. Euh, capitaine. Mais j'vais essayer de prendre des leçons de self-contruc, comme ils disent.

Maintenant, décroisant les bras, il se mit à parler avec des gestes, sa voix nasillarde exposant tout ce qu'il avait sur le cœur en même temps que sa fierté que le Kenpachi le compare à lui-même. Enfin, vu sa taille au type, il devait pas coucher souvent, de peur d'écraser ses partenaires. Il devait souffrir le martyre, le pauvre.

- Donc je m'excuse, mais bon, ouais, comme vous dites, tout ce truc avec le genou ou j'sais pas, je fais jamais. Déjà, d'une, nos uniformes sont noirs, alors avec la poussière et tout, ben c'est pas classe, et de deux vous êtes tellement gigantesque que c'est comme si j'étais à genoux genre, maintenant. C'est juste que quand je sais que je peux battre facilement un gars, comme ce type là, ben je le montre à la terre entière.

Il marqua une pause.

- Je sais pas comment vous faites vous, je sais bien que personne ose vous manquer de respect, moi le premier, mais j'ai entendu dire que vous étiez du Rukongai vous aussi. Ben je suis un peu devenu Shinigami parce qu'on m'a provoqué, aussi, alors vous voyez le tableau, ici c'est la jungle urbaine.

Il écrasa sa clope au moment de prononcer les mots "jungle urbaine", accentuant un peu plus son ressenti sur l'endroit. Il aimait son quartier, et le Rukongai en général, d'ailleurs il y retournait souvent, mais la mentalité de certains, il s'y ferait jamais. La loi du plus fort et la survie du plus adapté, tout ça. Alors il cognait, c'était un peu sa façon d'exister. Ça et coucher avec le plus de nanas possible, aussi. Il se sentait vivant après, et depuis qu'il était devenu shinigami on n'avait de cesse que de lui enlever ces plaisirs simples de l'existence. Pire encore depuis qu'il était gradé. Il soupira.

Il ne put réprimer son rire alors que l'autre laissait échapper un "mec" au lieu d'un "capitaine". Les convenances avaient la vie dure au Seireitei et rare était celui capable d'assumer son caractère jusqu'au bout. Shogo semblait faire partie de cette caste plutôt rare mais restait un Shinigami soumis aux règles les plus élémentaires du Gotei, en cela il ne pouvait être blâmé. Et s'il pensait sortir du lot en se la jouant cool, le colosse voyait bien les limites de son comportement. Des problèmes suite à sa manière de se comporter, Shogo en avait obligatoirement eu. Mais il ne se rendait sans doute pas compte que plus on évoluait dans les hautes sphères, plus on était dans l'obligation de renvoyer une image parfaite de soi. Bien sûr il existait quelques exceptions - Shinjirô en faisait évidemment partis - mais dans l'ensemble, il était recommandé de ne pas dépasser les bornes. A moins d'être fou... L'était-il ?

Quant au fait qu'il ait besoin de reconnaissance, il n'y avait pas d'autres mots et il l'admettait volontiers, c'était assez habituel parmi les Shinigamis. Le besoin de se faire connaître par ses pairs était au moins aussi important que de découvrir les pouvoirs de leur zanpakuto. Ainsi était la vie réelle du Seireitei. Et si c'était vraiment gonflant, Shinjirô s'était résigné, sachant qu'il ne pourrait rien y faire. Au moins pouvait-il corriger ce petit défaut sur les hommes de sa propre division, où il était le seul maître à bord, n'en déplaise à Shunsui.

- T'as surtout pas le choix, mon pote. Les gars du Seireitei - les hauts placés hein - n'aiment pas vraiment les têtes de cons dans ton genre. Ils préfèrent écraser toute possible rébellion avant que ça ne dégénère. Et crois-moi, ils savent y faire.

C'était une évidence. Même s'ils leur arrivaient parfois de se casser les dents sur quelques cas, ils arrivaient quand même généralement à leur fin. Ainsi était le Gotei, l'élite des Shinigamis. Des pions tout au plus, utilisés pour les batailles importantes mais qui dans l'ensemble n'étaient pas écoutés.

- J'te l'ai dit, j'étais un peu comme toi. Et puisque je venais direct du Rukongai, on ne me respectait pas. Jusqu'à ce que je fasse preuve de Diplomatie.

Shinjirô levait son poing droit. La petite blague entre Noboru et lui était de donner des noms à leurs poings. Celui qu'il venait de lever - Diplomatie donc - faisait souvent la différence.

- Mais faut juste faire gaffe quoi... Montre qui tu es en respectant les autres. Ensuite, tu pourras en faire qu'à ta tronche. J'ai eu moins d'emmerdes que toi car j'étais le plus fort, point barre. Tu piges ?

Pinçant les lèvres, ressentant déjà le manque alors que la nicotine venait pourtant d'emplir son cerveau, le cinquième siège abandonna la position proche du garde à vous pour relâcher les épaules, comme à son habitude. Ouais, il s'en fichait un peu de passer pour le dernier des demeurés, même devant un capitaine. Mais celui-là, de capitaine, il était à la tête de la division que tout le monde lui avait rabâché de rejoindre à sa sortie de l'académie, alors forcément il se disait que c'était un type cool. Un type qui avait du style, même.

Après, il avait choisi de rejoindre la huitième parce que la onzième ne comptait clairement pas assez de nanas à son gout. Et à voir la montagne de muscles en face de lui, qui faisait plutôt arracheur de tête que Latin lover, on comprenait pourquoi. Si Shogo était capitaine un jour, dans sa division il aurait un harem de poulettes, et ce serait même une condition d'entrée. Sa vice capitaine, ses officiers de siège... aaah... il en bavait. Il s'essuya la lèvre et se concentra de nouveau sur l'engueulade.

- J'sais bien qu'ils savent y faire, y seraient pas ou y sont sinon. J'suis pas un rebelle moi, hein ! toujours été loyal au Gotei, je suis prêt à m'battre en première ligne si y faut. Mais bon j'ai mes... euh...

La il dut faire tourner la mécanique parfaitement huilée car très peu usitée qui sommeillait sous sa tignasse.

- Travers ! ouais, mes travers. Voilà.

Puis il se souvint, détaillant à nouveau le Kenpachi qui gesticulait en montrant un de ses poings, que cette asperge aux cheveux argent connaissait son grand frère. Voilà quelque chose qu'ils avaient en commun, outre le fait d'exsuder le style par tous les pores de leur beau bronzée. Il fit un grand sourire, qui s’effaça lorsqu'il commença à articuler sa phrase, car c'était pas le bon ton.

- Ouais, mon grand frère Senji y me le dit toujours, aussi. J'sais pas des masses la mettre en veilleuse. D'ailleurs y m'a dit que lui vous l'avez laissé coller une dérouillée à un d'vos gars. Faut que ce soit en combat loyal du coup ?

C'était une question sincère, et il avait des étoiles dans les yeux. A son oreille, la voix d'Obake lui disait: Vas y, tete de pioche, montres lui qu't'as pas froid aux yeux yeah ! Il était dans le même état d'esprit, jeune coq plein de swag debout au milieu d'une ruelle du Rukongai, parlant au capitaine le plus redouté du Gotei. Le potentiel crédibilité que ca allait lui donner auprès des gonzesses !

Il avait des rêves plein la tête.

Des travers, ils en avaient tous, c’était une évidence. Ce n’était d’ailleurs pas sans raison que les pires crapules aimaient se ranger aux côtés de Shinjirô. Mais il existait une réelle différence entre le Rukongai et le Seireitei. Les principes du deuxième groupe étaient trop importants à leurs yeux pour être enfreints. Une élite érigée pour protéger les âmes ne pouvait se permettre de laisser faire les esprits les plus libres. Canaliser les forces pour s’en servir en cas de besoin. Une méthode ancienne qui avait toujours court en ce monde. La discussion se passait et c’est à ce moment là que le nom de Senji sortit de la bouche de Shogo. Un instant, Shinjirô cessa de mastiquer son cure-dent, haussant un sourcil étonné. Il n’avait jusque là pas fait attention au nom de famille du Shinigami face à lui mais le lien s’était formé au moment où le nom de son frère avait été prononcé.

Un curieux sourire apparut sur les lèvres du colosse alors qu’il détailla du regard l’homme face à lui. A bien y regarder, il avait du mal à voir les ressemblances. Mais si ce dernier se disait son frère, aucun doute à avoir : quel intérêt après tout de se faire passer pour ce que l’on n’était pas ? En tout cas, il n’avait pas froid aux yeux, comme son frangin. Mais si Shinjirô respectait l’homme qu’il avait rencontré et testé, il n’était pas d’humeur à faire de même avec la raclure face à lui. Bien sûr, il avait du tempérament et des couilles. Mais ce qu’il avait montré en frimant devant la foule et en ridiculisant un frère d’arme, cela ne lui avait pas donné bonne impression. Et Shinjirô se fiait souvent à son instinct.

- Ton frangin, hein ? J’vais remettre les choses à leur place quand même, mon p’tit gars. Senji n’a pas mit une dérouillé à un de mes gars. Il l’a battu, oui… Mais de là à dire que c’était une trempe, pas sûr. Faut dire que ton lascar est douté, j’peux pas le nier.

Attila avait tiré leçon de son combat contre Senji. Et d’après ce que disait la rumeur à la Onzième, il attendait avec impatience de pouvoir se frotter de nouveau à lui. Pas pour une revanche, seulement Senji était parvenu à marquer les esprits des Shinigamis de la Onzième et il était considéré comme un frère par pas mal. Une chance dont peu pouvait se vanter, car il ne suffisait pas de cogner fort pour se faire respecter et intégrer par eux. Bien au contraire…

- Quand on combat, chez nous, on parle d’honneur. J’parle évidemment pas d’un combat contre l’ennemi où là, c’est juste la victoire qui prime. Pas de cadeau, tous sur eux ! Là j’te parle d’un duel en bonne forme, tu vois. Donc oui, à la loyale. Mais j’permet pas ça à tout le monde hein. Toi, tu vois, t’as encore du chemin à faire avant qu’un de mes gars te respecte réellement. T’es un soldat. Mais comme ton frangin l’dit, t’as une trop grande gueule pour être crédible.

Shinjirô ricana. A lui aussi, on avait dit qu’il avait une grande gueule. Mais à la différence du freluquet face à lui, il avait toujours eu des arguments pour se justifier. Ses poings, Kaimetsu, sa corpulence. Lui là, il n’avait montré que de l’arrogance mal placée. Mais bon, au moins savait-il désormais à qui il avait à faire. Et puisque la remontrance était passée, il allait pouvoir se tirer. Tournant le visage vers sa droite, il cracha au sol son cure-dent avant de reporter son attention sur le lascar.

- Allez, c’est pas tout ça, mais j’ai des trucs à faire. Toi, j’espère que t’as capté la leçon. La prochaine fois que j’te vois ridiculiser un mec comme ça, j’te démonte. Ah ! Et passe le bonjour à ton frère.

Il se détourna et quitta la place. Il était temps d’aller voir Tenzen…

Il écouta avec intérêt le récit du combat de son frère, puis réalisa avec une pointe de déception qu'il s'était gouré. Senji, galérer à battre un simple fantassin ? Vraiment ? Il en reparlerait avec lui pour avoir les deux versions. Vous me direz, il n'était pas objectif, son frère étant la seule personne pour laquelle il avait du respect et même de l'admiration dans tout le Gotei 13. Un trait que, visiblement, il lui fallait changer au plus tôt sous peine d'ennuis. Il voulut maugréer, mais s’arrêta à temps. Il ne tenait pas à finir en pâtée pour chats.

Alors comme ça il était pas capable de faire manger ses dents à l'un des plantons de la sacro-sainte onzième, hein ? Il aimait le challenge, plus que tout au monde, et il décida que dorénavant ce serait son objectif. Se battre contre un des types de la division du combat, pour le simple plaisir d'échanger des gnons et de montrer qu'à la huit, fallait pas non plus nous prendre à la légère. Et puis, avec un peu de chances, ça impressionnerait suffisamment le capitaine Nakatoto pour... Il eut un sourire niais à cette pensée, qu'il effaça aussitôt.

- Un vrai duel à la loyale, y a que ça de vrai, moi j'dis. J'suis pas de ceux qui dénigrent ces valeurs là, moi.

Tentative morte-née de rattraper son cas, mais tentative tout de même.

- J'm'en souviendrai, capitaine. Et j'lui dirai quand il rentrera, vous en faites pas.

C'était une chose difficile pour le tatoué que de ravaler sa fierté, surtout qu'il sentait nettement que le Kenpachi le sous estima. Il ne vivait que pour le combat, il s'entrainait sans doute plus que certains à la onzième, et la seule chose qui les différenciait à proprement parler était son appartenance à une autre division... dont la capitaine était bien plus sexy que l'argentée, disons-le. Il secoua la tete, regardant le colosse s'éloigner. Oh, il lui prouverait sa valeur en temps voulu. Pas ici, pas maintenant, mais ca viendrait.

Finalement, sous les regards des badauds qui pour certains souriaient après avoir été témoins d'une telle engueulade dans les règles, il retourna lui aussi vers le Seireitei, mains dans les poches, une nouvelle filtre au bec. Quand il arriva dans ses quartiers, ce ne fut que pour prendre ses bandes protectrices sur le futon et aller pratiquer son wing-chun au dojo le plus proche.

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