Une rue, déserte, l'asphalte vieillissante noircie par les trajectoires de milliers d'automobiles passant ici depuis les années 70, voire avant. Dans cette banlieue de Karakura, il y avait un nombre de retraités saisissant, ce qui expliquait notamment que les boulangeries avaient un chiffre d'affaires florissant et que les jardins étaient si bien tenus, avec leurs rangées d'hortensias de rigueur. Un peu plus loin, vers un carrefour au bord duquel se trouvaient les enseignes de quelques cafés ou les piliers devisaient matin comme soir, un passage clouté à moitié effacé s’apprêtait à être traversé. Dans les deux sens, d'ailleurs. En effet, une vieille dame armée d'un déambulateur, le pas hésitant et sinueux, venait de s'engager, profitant de la sacro-sainte sécurité du personnage vert sur l'écran de l'autre coté de la rue.
Au loin, pourtant, un vrombissement sourd commençait à se faire entendre. Et allait en s'amplifiant, passant d'un doux bourdonnement à un vacarme assourdissant, probablement du au fait que le conducteur avait une sérieuse inexpérience des boites de vitesse manuelles. La vieille dame, probablement aussi sourde qu'une statue en bronze de Bouddha, ne bronchait pas. Ses yeux chassieux étaient en effet rivés sur la lumière verte, et sur l'échoppe du fleuriste ou elle s’apprêtait à aller acheter les fleurs mensuelles de feu son époux. Probablement. Mais elle fut totalement prise au dépourvu lorsqu'un bolide non identifié lui fila devant les moustaches, et tomba aussitôt à la renverse, évanouie mais indemne.
Izuko, ayant mis le siège à hauteur maximum afin de voir par dessus le volant, collée à ce dernier, pesta par la fenêtre ouverte de façon à ce que tout le monde sur la petite place puisse entendre sa voix flutée et revancharde. Un splendide juron résonna aux oreilles de ces retraités d'habitude si tranquille, alors que la citadine gris métal s'éloignait déjà à toute allure, zigzaguant dangereusement au rythme des coups de volant de la gamine qu'ils avaient entraperçue. Oui, aujourd'hui, Izu avait volé une voiture pour s'amuser. Et alors ?
Prenant un virage serré dans une petite rue sur sa droite et manquant de s'emplafonner un vélo, elle continua sa course à toute allure vers un autre quartier résidentiel, un peu plus animé celui là, du moins elle l'espérait. C'est qu'il lui fallait du monde pour démontrer ses talents de pilote ! Et du beau monde, en plus. Elle avait hésité à aller caracoler en centre ville, mais elle ne tenait pas à ce que son Gigai passe la nuit au poste. Elle alluma l'autoradio d'une main distraite, faisant pétarader de la techno à plein volume dans les rues de Karakura en ce beau week-end. Elle avait un sourire énorme plaqué sur les lèvres, qui lui donnait un vague air dément, d'ailleurs.