Le souci était le poison de l’homme de bien. Il vous empoisonnait le corps, vous flétrissait l’esprit, et vous rongeait jusqu’à la moindre parcelle d’enthousiasme. Je n’aimais pas le souci. Hélas, il composait mon quotidien. Si j’avais été encore mortel, mes cheveux en auraient été repeints par un triste gris, et mes traits étirés en une grimace fatiguée. Fort heureusement, je n’étais plus soumis à cette piteuse condition, et je n’avais jamais été plus beau qu’en ce jour.
Pourtant, être prémuni des stigmates physiques de la contrariété n’immunisait certainement pas à ses effets les plus pernicieux. L’épuisement se faisait de plus en plus ressentir, tout comme le stress, celui lié à une situation dont l’issue, encore inconnue, pourrait se montrer aussi réjouissante que pénible.

Mon souci avait un nom. Syllabique, court, vulgaire, un nom sans grâce. Mais ce cher souci était important à présent dans la hiérarchie du Monde Creux, et ne pouvait être ignoré aussi aisément qu’auparavant. Jack l’Hollow-Boy s’était hissé parmi les Grands après avoir arraché son numéro d’Epée à son ancien propriétaire, dont l’existence de ce dernier était passée complètement inaperçue. Plus important, Jacko et moi avions une affaire sur le feu depuis longtemps, que j’avais reportée sans cesse, car doutant de plus en plus des biens fondés de notre échange.`À présent que le garçon se trouvait être une Lame du Roi, je ne pouvais plus l’ignorer aussi aisément, sans un grave manquement à l'étiquette.
J’avais donc envoyé un servant auprès de la Dixième Épée pour fixer un rendez-vous immédiat aux abords de la Forêt des Menos. Las Noches comptait trop d’oreilles indiscrètes, et si mésentente il devait y avoir au terme de notre entretien, je préférais qu’elle trouve sa résolution loin des commérages.

Ce fut donc seul que je me rendis à la lisière du bois sinistre dans lequel les Hollows de moindre importance trouvaient leur survie. J’avais quelques souvenirs vagues du temps où moi-même je me réfugiais à l’ombre de ces arbres, et de mémoire, cela fut existence déplaisante. Je plaignais davantage plus que je ne méprisais les habitants du bois.
Leurs problèmes n’étaient toutefois plus les miens, aussi fallait-il me préparer à la confrontation avec l’Hollow-Boy. Si nous nous étions quittés dans des termes tout à fait corrects, il demeurait une incertitude quant au paiement attendu. Jack n’exigerait sans doute pas un prix exorbitant pour quelques Menos, mais il existait certains roublards désireux de plumer leur prochain avec empressement. Ceux à avoir tenté de me jouer ce vilain tour l'avaient chèrement payé. Il demeurait l'espérance que Jack n'appartenait à cette caste d'inconscients fanfarons.

- Allez Kaeru on y va !!! Go go !!! Rattrape moi ce p'tit bâtard là-bas qui nous nargue !

Et la grenouille bondit à toute allure dans la direction de la silhouette au loin qui nous avait repéré et avait commencé à détaler à toute vitesse comme un lapin. Si c'en était un, il était vraiment moche pour un lapin, il était tout bleu avec des crocs comme un hippopotame et des antennes comme une guêpe, il courait à même le sol sur ses deux pattes postérieures tout en brassant l'air des deux membres supérieurs comme pour tenir l'équilibre. Y avait vraiment d'drôles de bestiaux, même pour des Hollows, celui-là était particulièrement zarbi et faible. Fallait cependant bien avouer qu'il était rapide - sans doute qu'il était habitué à fuir - mais pas autant que Kaeru malheureusement pour lui. Nous fûmes quasiment à côté de lui en un rien de temps et j'armais alors un Cero au bout de mon doigt histoire de lui tirer dans les jambes et qu'il arrête de courir, le coup partit et soudain...


- God dammit !

Je fus réveillé en sursaut par un bruit assourdissant et inquiétant accompagné de terribles tremblements. Sans m'en rendre compte j'avais tiré un Cero pendant mon sommeil dans un de mes repères et tout était en train de s'effondrer sur ma pomme. J'eus tout juste le temps de me redresser sur mes pieds et de prendre le chemin de la sortie quand tout s'écroula. Le trou était profond, presque cinq mètres, mais j'avais eu le temps d'en parcourir la moitié. J'avais donc environ deux mètres et demi de sable sur la tronche mais il était meuble donc je pouvais me mouvoir. Après quelques minutes à lutter pour me dégager, je finis par arriver à la surface, crachant mes poumons - du moins, si j'en avais eu -, encore entièrement couvert d'une fine pellicule de terre. Ca n'arrivait qu'à moi c'genre de conneries.

Bref, après cette petite mésaventure, il était temps d'aller au palais histoire de... de quoi au fait? J'avais rien de plus à faire là-bas qu'ici mais au moins je serais plus facilement trouvable si on me cherchait. Ca me ferait p'tet quelque chose à foutre de ma journée qui sait? Non pas que j'en avais spécialement envie mais après un réveil pareil j'avais bien envie d'me dégourdir un peu les jambes. Mais superstitieux que j'étais, j'décidais d'y aller à pieds, pas question d'appeler Kaeru cette fois. Si des fois j'roupillais encore jserais bien capable de foutre un coup de latte dans le mur en pensant la cogner elle. Bref, quelques minutes plus tard j'étais rendu sur place mais je n'avais pas encore franchi les portes qu'un petit arrancar vint à ma rencontre avec un papier dans la main.


- Jack-sama, un message pour vous !

Aaaah, ce "Jack-sama", je ne m'en lasserai jamais. Je remerciai le petit gars d'un léger coup de botte amical dans le train et il déguerpit sans demander son reste. J'regardais le papier qu'il m'avait remis en mains propres - façon de parler -, j'pouvais en deviner l'auteur sans même l'ouvrir rien qu'à la façon dont l'truc était plié et cacheté bien comme il fallait. Mais pour en avoir le coeur net, je le déchirai... un peu trop brusquement et le papier fut coupé en deux. Bordel ! Il pouvait pas faire un truc plus simple? Après avoir recoupé les deux morceaux, je pus enfin en lire le contenu. "blabla livraison blabla rejoignez moi blabla Forêt des Menos, signé : Tibors Tiesce" je l'aurais parié. A la forêt des Menos, comme d'hab quoi, c'était toujours là que j'devais lui amener les quelques Hollows que j'attrapais. Mais qu'est ce qu'il me voulait cette fois?

En ce qui concernait un quelconque paiement je n'avais toujours rien décidé, je n'avais pas spécialement besoin d'un service de sa part. Bref, si c'était pour ça qu'il me demandait de venir, j'arriverais bien à improviser un petit truc sur place. En attendant, je pris la route sans plus me presser que ça. Et après de nouveau quelques minutes, j'étais sur place, je n'eus aucun mal à distinguer son Reiatsu parmi tous les autres présents. Aussi, je me dirigeai vers lui en marchant tranquillement l'air le plus détendu possible en fumant ma clope. Si autrefois nos niveaux étaient bien différents, aujourd'hui l'écart s'était nettement creusé et je ne le craignais plus. Je n'irais pas lui chercher des noises pour autant mais si l'écart continuait à se creuser, je finirais rapidement par être meilleur que lui, c'était donc tout à fait dans son intérêt de ne pas m'la faire à l'envers. Sans doute qu'il avait été trop occupé à renifler et admirer l'odeur de ses propres pets pour s'entraîner ces derniers temps, huhuhu. Quoi qu'il en soit, j'arrivais en face de lui et lui tendit la main avec un sourire sur les lèvres.


- Monsieur Tibors, comment allez-vous?