Among Gods. [Fuan]

Bien qu’ils ne soient constitués que d’une brume opaque et dense, les sabots du destrier rythmaient sa lente progression sur le bitume à la manière de ses congénères organiques. A défaut d’avoir pu mettre la main sur une écurie et donc une bête de chaire plus à même de répondre à ses exigences princières Yachka s’était contentée de faire appel à son pouvoir, lequel lui offrit alors après une longue phase d’incantation ce rebus chevalin aussi bête et malingre que s’il était à l’article de la mort. Un mal pour un bien puisque qu’il ne serait pas plus soumis aux lois mortelles qu’à celles de la physique, pouvant en effet sans mal changer de forme selon les vœux de sa cavalière tout en poursuivant sa route jusqu’aux confins du monde. Tout cela sous le regard médusé de badauds craintifs voyant d’un très mauvais œil le fait de vagabonder ainsi dans les ruelles improbables de la forteresse sans nom ni remparts.

Et que dire de ces gigantesques pylônes de roche lisse accueillant comme à leur habitude le questionnement de la jeune femme à mesure qu’ils défilaient devant ses yeux sceptiques. Encore trop peu d’informations récoltées, hormis peut-être un mot qui les désigne et une utilité bien plus obscure que leur ombre recouvrant sa cuirasse auréolée de brume jade. Quelle que fut la durée de son coma au fin fond du désert de Gobi, le démon n’arrivait toujours pas à comprendre comment on avait bien pu en venir à un tel niveau de laxisme et d’improbabilité, qu’il s’agisse de la raréfaction d’éléments naturels ou végétaux, de l’absence flagrante d’infrastructures militaires ou de ceux qui devaient à son époque en constituer le corps. Au point que sa folie meurtrière post natale était presque passée inaperçue, à un détail près.

Sa rencontre avec une divinité ou plutôt, ce qui en aurait été une plusieurs siècles en arrière au même titre qu’on l’avait prise pour telle et par conséquent scellée dans une grotte avec son sarcophage. Une illumination, pour ainsi dire. Le dénommé Fou-Lu et son millénaire d’existence éthérée l’obnubilait chaque instant. Trop de questions. Absorbée par cet entretien décisif et la joie de ne plus se sentir seule à être dotée de pouvoirs surhumains, l’imperturbable Fléau des steppes n’entendit le vacarme des klaxons et des crissements abominables la seconde précédant le choc. Elle venait d’empiéter très largement sur un carrefour sans prêter attention au trafic, ce qui provoqua un incroyable carambolage. Est-il nécessaire de préciser qu’elle n’a absolument pas conscience de ce qu’est une voiture ?

- Quel foutu pécore est donc responsable de pareille ineptie ! Des chars sans monture… Une chance que la mienne ait été là pour me défendre de cette attaque ! Oh non, ils n’oseront plus ma belle…

D’attentat prémédité il n’en fut évidemment pas question, sauf pour elle. Tandis que sa cavalière peinait à s’extraire de l’amas de tôles et autres débris généré par l’accident le cheval, ayant alors prit la forme de hydre à cinq têtes tenant chacune dans sa gueule les reste des véhicules endommagés relâcha son étreinte mortelle afin de répondre à un ordre de sa maîtresse. A savoir : l’annihilation totale de toute forme de vie environnante en guise de punition pour avoir porté atteinte à leur existence. Une épaisse brume opaque se répandit donc bientôt au cœur de l’embranchement, accompagnée du désormais habituel concert de cris et de hurlements.

Il ne fait pas bon réveiller la Mort qui marche.

Spoiler:

Le gazon s’arrache sous son passage effréné. Propulsé par un nouveau sonido, un détail ruine son extrême concentration pour le faire virevolter sur les bandes vertes du parc, quelques mines organiques éclatant sur sa mine endolorie de temps à autre. Roulé boulé, sa course rectiligne cesse de freiner une vingtaine de mètres plus loin. Toujours en vie. Un miracle. Au vu des risques encourus à chaque sonido, c’était à se demander pourquoi lui, pleutre de nature, s’acharnait à entretenir ces entraînements intensifs, dangereux, carrément mortels. Une peur viscérale. La figure imperceptible d’un bourreau hantant ses nuits, son exécution en élément déclencheur de réveils brutaux, comme si on venait de lui asséner un coup d’électrochoc. Cette crainte plus envahissante qu’accoutumée, celle de disparaître. Un effroi qui a subitement resurgit pendant son dernier essai, justifiant qu’il soit désormais partiellement couvert de déjections canines, notamment sur sa tronche, tronche qu'il essuie avec ses manches.

Une manifestation soudaine d’énergie spirituelle dans la ville. Une aura meurtrière s’en dégageant. Un danger non de moindre mesure. Une menace proche. Assez proche pour que le jeunot entende les explosions à l’épicentre du carnage vraisemblable. Assez proche pour que l’arrancar puisse voir des humains paniqués fuyant par le parc, parc où il se trouve. Assez proche pour être lui-même atteint de frissons, amorces à la dite panique.

Passablement effrayé, l’arrancar froussard trouve tout de même la force d’avancer, de se rendre en courant en direction des hurlements, près du centre-ville. Plusieurs sauts sur le vide pour se retrouver en haut d’un bâtiment. Le spectacle sous son regard abasourdi. Une sorte de brouillard bizarre, pas net. Surplomb celui-ci, Un monstre à cinq têtes. C’est quoi ce truc ? Un hollow ? Non… La signature spirituelle ne correspond pas. C’est autre chose de bien plus puissant. Une silhouette humanoïde… Non de non. Un type en armure ! Vient d’une autre dimension celui-là… Peu importe. Détails inconvenants au vue de la situation. En effet, les bêtes siamoises broient des véhicules dans leur mâchoire, piétinent des vies, préparent les prémices d’une hécatombe.

Fuan tremblote. Paralysé. Les multiples effusions de sang ne manquent pas de glacer le sien. Survivre… Le premier réflexe de tourner les talons lui vient. Le second d’écouter son surmoi, cette entité aigrie, s’impose à lui, l’arrête dans ses bas instincts de conservation. Il pense à ses capacités. Son pouvoir est insuffisant pour vaincre ce monstre, il s’en rend parfaitement compte. Toutefois, ralentir cette chose suffisamment de temps pour que les humains sur place prennent la poudre d’escampette… Ses yeux sur cette bête sortie tout droit de ses pires cauchemars. Ses doigts pressent son arcade sourcilière, ses crocs mordent sa lèvre inférieure.

Le souvenir de sa conversation avec Koshiro lui revient inopinément. Les oreillettes… Il tâte l’appareil mais n’en comprend pas le fonctionnement. Plusieurs fréquences…Il ne suffit que d’une pression de doigt pour ouvrir l’une d’elles. Laquelle choisir ? Une humaine se fait écrabouiller, sa progéniture pleure devant son cadavre. Cette scène matraque ses dernières appréhensions, bloque le flux de ses pensées. Spirituellement, Fuan n’est pas là. Il n’existe pas, même en faisant disparaître son bras gauche pour matérialiser son fendoir, même en murmurant le nom de son zanpakutoh, entamant ainsi sa discrète libération. Aucune perception environnante n’est suffisamment développée pour prendre compte de sa présence. Une orbe constituée de milliards de particules de sable cache sa silhouette et se dispache par la propulsion d’une délicate onde de choc. Ces particules s’incrustent sous les paupières des gens aux alentours, les deux monstres compris. Une nuit blanche pèse dorénavant sur leur conscience, entrave à leur concentration.

L’orphelin sanglotant s’apprête à se faire dévorer par l’une des têtes. Un saut furtif, un choc, les griffes de l’arrancar transpercent, par-dessus, la boîte crânienne de cette dite tête. Cervelle empalée. Fort de l’effet de surprise, le fou se détache difficilement de cette masse épaisse, le passage de ses griffes au travers n’ayant été possible que par la force procurée par sa chute. Détourner l’attention ailleurs… Fuan use d’un sonido pour se retrouver de l’autre côté de ses adversaires, ou presque. En effet, ses tibias frappent le capot d’une voiture au cours de sa manœuvre de déplacement, son dos s’écrasant contre le pare-brise. Sonné, son champ de vision transcrit une version floutée de la réalité. Encore quatre têtes imposantes en plus d’un chevalier à affronter. Reprendrait-il la pleine possession de ses moyens à temps ?

La riposte se voulait brutale, dévastatrice et sans possibilité de fuite. Ces misérables humains n’étant guère capables de se défendre autrement que par leur seul corps, la plupart ne tentèrent rien. Pour autant, aucun n’en réchappa, si loin que leur jambes aient pu les porter. L’épaisse brume s’immisça dans le cœur flétri des âmes affolées pour les extraire avec force du réceptacle de chair en un concert de hurlements. A la manière de tentacules elles arrachèrent ainsi le fruit convoité, traînant l’enveloppe éthérée jusqu’à ce qu’elle rejoigne en sanglotant la source du maléfice. Yachka, imperturbable, attendait ainsi sur sa monture la venue des proies pour qui elle adressa les ultimes sacrements avant que leur visage déformé sous le coup de la douleur ne disparaisse, littéralement avalé par son heaume aussi noir que les ténèbres de la mort. Ce qui entraîna bientôt un surplus d’énergie, qui tel un geyser verdâtre se répandit davantage au sein du carrefour baigné dans la brume, laquelle vit sa force et son périmètre décuplés en l’espace d’un instant. Quant à l’hydre, elle ne tarda pas à lâcher son emprise sur les malheureux desséchés, au moment même où l’une des têtes fut victime d’une attaque aussi soudaine qu’inespérée. Par chance la créature ne jouissant pas des inconvénients propres à la physique, se dématérialisé autour de l’arme en cause pour aussitôt rejoindre le manteau d’émeraude.

Pestilence, d’abord étonnée par tant de courage se ravisa la seconde suivante et, armée de son rire démoniaque pivota en direction du malheureux tout en marmonnant dans une langue inconnue. Peu à peu, les silhouettes macabres d’une multitude de trépassés en armure émergèrent du néant pour les encercler tous deux, prêts à fondre sur la proie en joue. Vaguement atteinte par ce qui devait être les relents d’une gueule de bois en accord avec son récent sommeil l’immortelle dominatrice des royaumes oubliés pointa son sinistre gantelet de plaques ébène vers l’individu avant d’articuler dans un japonais approximatif.

- Nul ne saurait renvoyer dans la tombe celle qui possède la Mort pour alliée ! Si cet attentat vient d’être commit au nom de la justice Divine, permets-moi d’y répondre avec une force telle que les chrétiens qui t’envoient regretteront amèrement leur geste des générations durant !

Sur ces paroles le poing désormais fermé alla s’ancrer fermement dans la tôle sur laquelle se tenait le bourreau en armure. Ce qui provoqua une gigantesque onde de choc tandis que la brume, portée par l’indicible se rua en compagnie des hordes mort vivantes sur la dernière créature vivante dans tout le quartier. La prison opaque regorgeait maintenant d’assassins et autres soldats de brume qui, à l’image de l’hydre ne saurait mourir à moins qu’on ne leur oppose quelque sorcellerie. Une façon bien à elle de savoir exactement à qui elle avait affaire.

- Que ma peste t’emporte dans les limbes afin que je puisse me repaître de ton âme mortelle ! Si tu fais l’affront d’y réchapper alors seulement je t’accorderais le droit de t’expliquer avant que le couperet de ma propre Justice ne s’abatte sur toi définitivement.

Spoiler:

Vue brouillée en quête de netteté, netteté passablement retrouvée en trois secondes, trois secondes interminables. Ce grondement intérieur tant aussi à se clarifier chez l’arrancar froussard pour mieux capter le rire terrifiant du chevalier démoniaque. Danger omniprésent. Perception accrue du temps. Il se glisse sur le capot, finit sur le bitume. Sa figure endolorie s’enlaidit à la constatation de l’ampleur du massacre. D’étranges tentacules qui happent les humains et les donnent en pâture à une armure décidément bien vorace. Tout juste revenu à lui, Fuan s’étonne de l’absence du monstre à cinq têtes. A-t-il disparu ? L’a-t-il vaincu ? A-t-il rêvé ? Rien. Il ne comprend rien à cette situation rocambolesque, surréaliste, absurde. Un chevalier qui débarque de nulle part et dévore sans discrimination.

D’ailleurs, cette voix, aussi traumatisante soit-elle, n’appartient-elle pas à une guerrière au lieu d’un guerrier ? Détail minime en comparaison des silhouettes naissantes partout dans le quartier. Choses humanoïdes, toutes armées jusqu’aux dents. Présage de mauvais augure ? Eux, si nombreux… Lui, si seul. Un frisson caresse le long de son échine. Elle compte le bouffer… Lui dans la bouche de cette armure goinfre… Le même sort qu’aux autres malheureux l’ayant précédé… Son cœur palpite, bourrine sa cage thoracique avec une force telle qu’il entend distinctement chaque battement. Il serait bien temps de choper une crise cardiaque…

Un choc, une masse invisible qui le fait tomber sur le séant… Voilà qu’une armée mêlée à un drôle de brouillard s’abat sur lui. Un pas en arrière. Une masse spirituelle derrière sa tête, tête qu’il tourne au dernier moment, l’empêchant de se faire empaler par une lance. Gerbe de brume qui effleure sa peau. Terrible désagrément. Quoi que c’est que ce truc ? Un trou noir à énergie ? Manquait plus que ça… Vrai qu’il n’accumule pas les désavantages depuis tout-à l’heure. Non. En aucun cas.

Soudain, une lueur d’espoir dans ses prunelles d’opale. La chance de parler s’il survit. En espérant qu’il n’aurait pas la gorge nouée au moment fatidique si pareil miracle se produisait. Quoiqu’elle semble n’accorder qu’un destin unique à son encontre à mieux l’écouter… La Mort comme alliée ? Allié… N’en a-t-il pas ? Juste appuyer sur un petit bouton pour mener à lui un gros bras qui serait plus à même d’immobiliser cette démone… Petit geste vers l’oreille… Pas le temps. Une lame manque de peu de lui trancher la main. Unique avantage sur ses adversaires, celui de percevoir chaque fluctuation d’énergie spirituelle, prémices de chaque mouvement, lui permettant de mieux anticiper les coups. Peut-il s’en sortir ? Trop nombreux, bien trop nombreux… Une brèche, à l’opposé de l’invocatrice. Sa main portée vaguement en cette direction. Petite orbe lumineuse qui prend quatre secondes à se former entre une nuée d’esquives grotesques, sans agrément stylistique.

-Cero !

Rayon pathétique qui recouvre une faible portion de l’espace. Sept combattants s'évaporent sous son passage. Le Candide rentre dans l'ouverture ouverte par ses soins, petit répit éphémère. Il aurait bien aimé en profiter pour fuir à l’anglaise, cependant, un gros bazar lui bloque le chemin. Ce squelette imposant arme son marteau avec un timing parfait pour l’écrabouiller dans sa course. Ne pas ralentir, accélérer. Un sonido pour se propulser contre son buste et rentrer dedans ses griffes, le faisant disparaître par la même occasion. Un soldat mit hors d’état de nuire, un bon gros paquet en renfort derrière. Voilà qu’il se met déjà à haleter. Ses mouvements sont plus lents, moins précis que d’ordinaire.

Moment d’inattention trop prolongé, une massue à droite de son crâne prêt à faire un home run avec. Juste le temps de vaciller à gauche pour éviter un fracas directe, aller dans le sens de la frappe. Cette initiative ne l’empêche pas de faire un tour sur lui-même suite au choc. Son enveloppe charnelle glisse sur la route. Des perles de sang rougissent sa chevelure grisâtre. Sans espoir… Il peine à se relever. Scène cauchemardesque. Un énième ennemi fonce vers lui, épée à deux mains, prêt à le pourfendre. Une grimace imbibée d’appréhension, d’effroi sur la figure de l’arrancar froussard. Ses paupières se ferment avec force, prêt à subir le coup de grâce.

Un gémissement. Toutefois, pas le sien. Celui de son vis-à-vis. Fuan rouvre ses yeux. Une bête sphérique, ailée vient de rentrer ses crocs acérés dans le cou de la menace, fermant sa mâchoire pour en extirper le bout de brume le composant et laisser sans vie sa victime en voie de disparaître dans la nature.

-Genkaku !

Son premier allié. Son allié le plus sûr. Son ami imaginaire, rendu à l’état de matière du fait de la libération de sa resureccion.

-Sacrebleu ! Dégoûtant ! L’est périmée cette espèce de nuage sur pattes ! Quoi que c’est que c’foutoir ?

Fuan trouve la force de se relever. Bien qu’épaulé par un allié précieux, il n’en est pas assuré de survivre pour autant, obligé de s’expliquer en même temps qu’essayer d’esquiver au mieux ses divers agresseurs.

-J’te jure que c’est pas ma faute ! C’était déj… ouh… déjà comme ça quand chui arrivé ! Dis… C’quoi un chrétien ?
-Un crétin ?
-Nan ! Un… Huuuu… Un chré-ti-en.
-J’en sais autant qu’toi t’sais ! Autant que toi ! Que toi ! Que toi que toiquetoiquetoitoitoitoitoi ! T’comp… Attention !

Une flèche sur le point de planter l’arrancar, Genkaku s’interpose entre les deux, se la prend, disparaît, puis réapparaît presque aussitôt. De temps à autre, Fuan parvient à couper un bras, une jambe, faisant disparaître, chaque fois très difficilement, un nouveau combattant.

-Fais gaffe caca doigt ! Doigt caca ! Cadocagit !
-D… Désolé…
-Alors, ces crétins, qu’est-ce qu’ils viennent faire dans l’histoire ?
-J’en sais rien justement ! Paraît que c’est eux qui m’envoient ! Tu penses que c’est vrai ?
-Raconte pas de conneries ! C’est pour les sons of inferno qu’tu bosses ! Ranavoir avec des religiolisos religieux !
-Religieux ? Hein ? J’croyais q… Houpla… Que tu ne savais rien.
-T’occupe ! Trouve plutôt un moyen de t’sortir de làliloulààààà !

Une éraflure sur sa joue par un objet tranchant. Peu de temps après, un coup violent sur son genou. Chaque seconde filant, ses chances de s'en sortir s'amenuisent. Existe-il seulement un tel moyen ?

Succès fulgurant. Piégée dans l’épaisse prison de brume sa proie semblait livrer une bataille homérique pour sa seule survie. Les yeux de Yachka ne pouvant évidemment pas voir ce qu’il se tramait au sein de son sortilège, elle usa tout naturellement de sa proximité fusionnelle avec le nuage pour en intégrer l’essence afin que celui-ci lui transmette par le biais de ses sens la moindre information susceptible d’alimenter son intérêt morbide. Elle put donc sans difficultés le voir à l’œuvre, sentir sa peur, jauger sa puissance, allant même jusqu’à diriger certaines de ses lames intentionnellement. Comme s’il ne s’agissait après tout que d’un vulgaire jeu macabre. Une façon de renouer avec ses antécédents de tortionnaire psychopathe trop longtemps enfouis avec le reste de son âme corrompue au plus profond de Gobi. Chaque fois que l’un de ses minions tombait sous les coups du jeune homme cela lui procurait une sorte de frisson, un plaisir malsain et pourtant nécessaire car cela lui permettait notamment de se représenter la bataille se livrant sans merci et par la même en apprendre davantage sur son issue.



N’y tenant plus elle se redressa promptement avant de fouetter l’air d’innombrables tentacules, lesquels s’empressèrent de récolter la plus infime parcelle d’énergie alentours dans le seul but de nourrir encore et toujours cette Mère insatiable. Il faudra probablement quelques jours supplémentaires avant que le processus de récupération en vienne à son terme et que le Fléau puisse entamer celui de la rééducation. Ce faisant, la guerrière en armure sauta du haut de la carcasse ce qui en plus de générer une formidable onde de choc soulevant poussière et débris trancha nettement avec le silence. Nullement gênée malgré l’encombrante cuirasse elle usa d’une énième pulsation spirituelle. Son enveloppe se fit plus légère, ses couleurs plus évidentes en comparaison des ténèbres habituelles, ses mouvements plus rapides. Ne prenant pas garde au projectile de nature inconnue percutant avec force son épaulière blindée la démone dégaina sa double faux extensible puis, en une série d’enjambées improbables parcourut la faible distance s’imposant entre sa proie et la justice maléfique.

Après avoir finalement eut raison des rares mais imposants obstacles jonchant l’asphalte Yachka pénétra à grands renforts de lames dans le voile impénétrables que les faucilles coupèrent à la manière d’une vulgaire feuille de papier. Deux étincelles ivoire, tels des phares dans la nuit, incendièrent l’opacité brumeuse en quête de la cible. Ils se braquèrent instantanément sur une curieuse chimère volante qui, l’instant d’après dût subir une rencontre forcée avec le métal aiguisé. Sans véritablement savoir si ladite bestiole s’en sortirait indemne, le Fléau continua sa route en suivant les signaux surnaturels transmis par son sortilège et, une demi-douzaine de victimes alliées plus tard la silhouette finit par se dessiner. Elle pointa alors immédiatement son index en direction du malheureux, hurlant quelque incantation dans sa langue natale. Finalement le nuage dans son ensemble se racornit, s’atrophia pour ne former en définitive qu’une espèce de prison toxique aux larges barreaux.

- Ma тюрьма te maintiendra sans doute hors d’état de nuire tant que je n’aurais pas décidé quoi faire de ta misérable carcasse d’assassin. Car tu n’as visiblement rien d’un être de chair, auquel cas ta mort serait venue dès l’instant où ma brume t’aurait enveloppé. Alors parle, promptement.

Pour une raison aussi obscure que celle qui anime les tréfonds de son âme vengeresse l’ancienne impératrice daigna accorder une seconde chance à sa cible, comme convenu tantôt et ce en omettant le fait qu’il n’ait pu terminer son combat. Bras armés de leur faucille respective, prêts à frapper, elle attendit donc une justification. Les flammes blanches jaillissant de son regard donnèrent l’impression d’entamer le métal ébène qui malgré tout continuait de laisser chanter ses reflets jade au rythme de son propre cœur. Une image à la beauté terrifiante.

-Du nerf Fuan !

Facile à dire pour une boule immortelle. Lui, pauvre arrancar de chair et de sang, est loin de l’endurance d’une chimère de son imagination, parasite tenace, quoique bien pratique. Une lame dans son dos, voilà que Genkaku prend l’objet de la menace entre ses dents pour, par la force de sa mâchoire, dissiper le subterfuge. Drôle de sensation que celle de se sentir moins submergé qu’il pourrait l’être, comme si son anéantissement n’était pas le premier objectif de la tacticienne à l’origine des manœuvres de ces drôles de choses vaporeuses. Instinct grotesque. Qui prendrait plaisir à faire souffrir ? Possibilité qui échappe à Fuan. Faut vraiment être pas net avoir ce genre de lubies.

Pas le temps de penser… Une charge… Reculer en arrière. Peskis qui s’anime tardivement. Derrière ? Trop tard, juste le temps d’écarter l’impact des points vitaux, l’épaule droite transpercée. Nouveau gémissement de douleur. Pression vraiment désagréable, qui ne manque pas d’engourdir son bras droit. Sueurs froides sur son front bouillant. Non… Ce n’est pas le moment d’aller compter les dromadaires dans son subconscient. Se sortir de cette situation catastrophique avant toute chose. La troupe devant dangereusement proche. Une vivacité décidément défaillante cette journée, défaillance qui ne va pas en s’arrangeant. En effet, il reste encore à se sauver de ce groupe en voie de le dépecer. Ses griffes qui tranchent la masse derrière, lame qui se dissipe, le libère et lui permet de se sauver de ses agresseurs, non sans mal. Forces qui le quittent. Il ne tient plus.

Alors que fléchissent ses genoux, des turbulences appuyées par un vif claquement sonore se font sentir un peu plus loin. La chevalière se met en marche. Multiples fracas tonitruants qui font frissonner chaque parcelle de son être. Signe annonciateur de sa fin ? Refuser d’abandonner… Survivre. Ultime motivation qui lui prodigue la force de forcer ses appuis. Debout, prêt à affronter son destin. Détermination fragile, détermination écrasée avant le premier échange. Cette simple silhouette qui fend avec une facilité déconcertante l’invincible légion brumeuse. Son unique allié qui tente de s’interposer, tentative qui lui vaut d’être annihilé froidement par une espèce de fau. Une fau ? Lointains souvenirs de bouquinages qui resurgissent. Cette arme… Son symbolisme… La Mort ? Son maître défunt n’était-il pas l’unique allégorie de cet ultime désespoir ?

Rien à faire. Poussé par l’effroi, l’arrancar froussard chute en arrière. Masses gazeuses qui se dissipent autour de lui par le simple regard de son bourreau. Dévorer ses propres chimères… Tétanisé, il constate impuissant sa captivité nouvelle. Spectateur de son propre procès. Lui ? Assassin ? Mauvaise farce de la part d’une Rambo refoulée. Un seul remord possible, celui d’être intervenu, de s’être embourbé dans une merdasse calamiteuse. Parler ? Promptement ? Quoi que ça veut dire ?

-Prontement ? Nan, moi c’est Fuan.

Un visage cru, qui n’exprime aucun artifice. Des mots qui partent à la vitesse de ses pensées, sans vraiment s’accorder le temps d’une réflexion sur ces dites pensées rarement cohérentes lorsqu’elles sont présentées ainsi, natures. Parler… Ne parlait-elle pas de s’expliquer tout-à l’heure ? Sans doute à propos de son intervention… Les motivations de ces dernières ne sont-elles pas claires ?

-Heu… C’pas à moi de m’expliquer madame ! C’vous qui dépouillez les gens d’leur vie ! Des pauvres gens qu’ont rien fait ! Moi, j’suis pas un assassin… J’essaie juste d’faire l’boulot qu’on m’a balancé dans la tronche récemment… Ouais, j’suis censé protéger la ville… J’peux pas ne pas intervenir si quelqu’un envisage d’orchestrer un deuxième Hiroshima ici ! J’me ferais incendier par mon patron sinon ! Et c’est peu de l’dire ! Faut m’comprendre !

Sa main qui presse son épaule sanguinolente. Ses iris d’opale tirés vers la gauche de ses orbites.

-Bon, on peut pas dire qu’j’sois très compétent. J’ai été recruté un peu à la va-vite… M’enfin…

Petit regard ponctuel sur la terrifiante juge, regard timide qui ne s’attarde pas.

-Vous n’seriez pas un peu paumée d’ailleurs ? Bizarre votre attirail… Vous venez de quelle époque ? Enfin, de quel endroit surtout ? Car en plus, z’avez pas l’air d’venir du coin. Savez qu’ça fait genre… bien quatre siècles qu’on s’habille plus comme ça ?

Aucune tentative de se sortir de l’étreinte de sa geôlière. Il ne s’en sent pas capable de toute manière. Gagner du temps. Temps précieux au cours duquel sa plaie saignait moins, au cours duquel il récupérait son souffle à une vitesse anormale, au cours duquel il reprenait ses couleurs.

A la merci de son bourreau en armure le jeune homme tentait autant que faire se peut de sauver son âme des griffes vaporeuses, lesquelles profitèrent de l’entrave pour récolter un certain nombre d’informations. Les barreaux, pour la plupart, s’ornèrent en effet de petits et fins tentacules qui à la manière de sangsues se collèrent çà et là, pompant continuellement une infime quantité d’énergie dans le but de sonder leur proie. Après avoir pris grand soin d’en boire le contenu, ainsi que celui des paroles du malheureux agonisant le démon rengaina ses faucilles en les clipsant sur une excroissance dorsale prévue à cet effet et, finalement ramena ses mains au niveau du heaume pour l’ôter doucement. Le son émit par la manœuvre se rapprocha clairement du phénomène de décompression, libérant l’espace d’un instant un léger voile vaporeux aussi noir que la nuit. Sous ce masque impalpable se dessina bientôt un visage ovale et lisse, une beauté angélique aux antipodes de ce que Yachka incarnait véritablement aux yeux du monde. Ses phares s’éteignirent, mais elle n’en garda pas moins une expression froide et hautaine destinée à mettre son interlocuteur dans l'embarras.

- Ai-je selon vous, l’air d’être un architecte ou un maître d’orchestre ? A moins que vous ne fassiez mention d’une guerre atroce s’étant déroulée dans ce coin du Japon, auquel cas je ne pourrais qu’honorer la comparaison. Ma force voyez-vous, réside précisément au cœur de chaque être dont j’extrais l’essence afin de défier la Grande Faucheuse.

Ses yeux se plissèrent, transformant les puits de lumière en fines amandes aux reflets jade. Malgré son âge extraordinaire pour une simple mortelle la chimère cuirassée se plaisait à entretenir une forme de jouvence visant à déstabiliser les mâles les plus retors. Fatale de par son caractère et son apparence physique la jeune slave peine toutefois dans le domaine du relationnel, la fougue l’emportant toujours sur la diplomatie. Exception faite du cas présent, où il lui faudrait d’abord se mettre au goût du jour avant d’étendre son fléau au-delà des frontières. L’homme ou plutôt, l’esprit emprisonné mentionna son appartenance à une caste guerrière lui rappelant sans difficulté sa toute première rencontre. Fou-Lu, créature millénaire dont les connaissances lui apportèrent bon nombre d’éclaircissements. Il fut notamment question de milices armées et surnaturelles, d’autres où ses congénères dotés comme elle d’un pouvoir organisaient la défense de cet endroit contre l’attaque d’espèces trop peu connues de la nécromancienne à l’heure actuelle. Peut-être cet individu serait-il en mesure de l’aiguiller avant de mourir ?

- Des siècles oui, car je suis l’incarnation même de l’immortalité. Les démons de ton espèce ne me nourrissent d’aucune peur, pas plus que les groupuscules religieux qui jadis tentèrent de m’emprisonner à jamais. Je suis la Mort galopante.

A ces mots Pestilence enfourcha de nouveau sa monture invoquée tandis qu’elle exhibait fièrement son appartenance atypique. Elle savait son nom gravé dans la légende et les mythes populaires. Une réputation qu’elle devrait dès lors dépoussiérer et ancrer une énième fois dans les mémoires. Le monde tel qu’elle le découvre aujourd’hui, ne mérite rien de plus qu’une renaissance chaotique.

- Vous dites être affilié à un saint patronus, j’aimerais donc vous offrir la possibilité de transmettre un message à celui-ci et par conséquent… Organiser une rencontre. Les Dieux de ce monde doivent savoir que l’Apocalypse est bien là.

Petites ficelles rebutantes qui se collent par ci par là sur sa chaire et aggravent son malaise déjà bien entamé depuis le début de son arrivée dans les lieux. Il a beau essayé de s’en défaire, de les détacher… Une de perdue, dix de retrouvées… Autant abandonner tout de suite, s’enliser dans cette galère, dans cette cage glauque. Sont juste peu accommodantes. Et puis, de toute manière, son champ d’action actuel ne lui laisse plus l’opportunité de l’audace, encore moins de l'initiative. Hu ? Oh tiens, elle enlève son casque. Ce bruit… Une astronaute ? Si classe ! Ceci explique cela ! Enfin… Le coup de la fumée noire qui s’échappe, ça le fait quand même un peu douter. La modernité sans doute. Avec toutes les allusions à l’homme machine que les gens se plaisent à faire pour désigner ses adeptes. Sont quand même bien loin de la vérité. Suffit de voir la tronche de la femme machine. Pas un seul boulon, tout ce qu’il y a de plus normal.

Elle aurait presque l’air plus sympathique comme ça. Faut dire qu’avec l’effet lampe d’interrogatoire en moins, ça aide. Enfin, l’arrancar froussard, en bon parano, ne se laisse pas leurrer par l’effet d’optique. Suffit de lire entre les lignes pour constater que c’est bien la même personne, en un peu moins terrifiant.

Architecte ? Maître d’orchestre ? Imaginer cette dame terrifiante sur la pointe d’une chapelle, agitant une baguette et coordonnant les instruments du concert d’instrument en face d’elle. Image cocasse, qui le rend un tantinet évasif. La la la ♪. Jolie mélopée dans sa petite tête. Mélopée vite rompue par une note brusque. Cette humaine… Non, cette chose… Est-elle en train de parler d’immortalité ? En dépit de sa jeunesse physique accablante… elle est vraiment aussi vieille qu’elle en a l’air ? Comment ? Prétendre à l’immortalité en volant la vie d’autrui ? Mais c’’est affreux ! Un pouvoir horrible ! La pauvre… Tous les cauchemars qu’elle doit faire la nuit… Frappée par le remord…

-Haha… J’me garderais bien d’essayer d’vous faire peur…

Une voix non affirmée, pas sûr qu’elle l’ait entendu. Bien lancée dans son espèce de délire macabre. On avait tenté de la sceller ? Fallait comprendre par là qu’ils avaient réussi et qu’elle venait, genre, de se libérer ? Vrai qu’elle a l’air tout fraichement sortie d’une boîte de conserve celle-là… Une boîte de conserve qui date de bien longtemps et n’a de souvenir que sa vie passée avant son isolement. Sont pas très populaires en général les produits des boîtes de conserve. Un petit quelque chose de pas naturel qui révulse la plupart des individus.

Petit dada bizarre qui revient, petit dada qu’elle monte dessus pour avoir une meilleure vue sur le paysage. Chevalière à l’aura qui en impose. Chevalière en quête de rencontres ? Pas possible… Intéressée par son boss ? Enfin, l’a plutôt l’air de le prendre pour une sorte de représentant de l’humanité. Un truc du genre. La pauvre, elle risque de tomber de haut. Enfin bon, l’espoir de trouver une issue favorable à ce drame finit par pointer le bout de son nez. Va pas cracher dessus.

-Saint, j’suis pas sûr. Mais patron, oui, c’en est un ! Vous devriez bien vous entendre j’pense ! Juste… Là, actuellement, l’est pas joignable… Devait partir au Hueco Mundo pour voir quelqu’un de c’que j’ai compris. Mais devrait pas tarder à revenir !

Petit blanc. Il y a quand même un problème qui se pose là. Comment l’est censé retrouver cette madame quand son boss sera de retour ?

-Y’a un endroit où on peut vous trouver ? Où qu’vous habitez ? … Hum… Enfin, z’avez un peu l’air d’être sans domicile fixe pour le moment…

Casse-tête pénible. Se gratter la tempe. L’a bien une solution, mais faudrait qu’elle puisse accorder sa confiance à un tiers pour ça. Et puis zut… ça ne coûte rien d’essayer.

-Après, y’a bien un truc que j’peux faire, c’est d’faire n’sorte de télépathie avec vous. Genre, il arrive et paf, z’avez une voix dans la tête qui vous donne la date, le lieu et l’heure d’la rencontre… Juste, pour faire ça, faudrait que j’vous touche genre… n’importe quoi… La main par exemple ! Ça vous convient ?

Dès la proposition formulée, le Candide s’incline, tête sur le bitume, dans le but visible de montrer sa bonne foi. Le genre de geste de soumission qu’il avait pu prendre le temps de perfectionner avec son ancien seigneur moustachu.

-Si j’en profite pour vous faire un coup tordu, qu’j’essaie de fuir ou d’vous attaquer… Promis ! Vous pourrez disposer d’ma vie comme vous l’entendez madame l’Apocalypse !