C’était une première pour le Shinigami. Ne pas accepter de le servir, lui ? Mais dans quel monde vivait-on ! Si dans un premier temps, il avait essayé de se souvenir s’il était déjà venu en ces lieux, cette démarche avait vite laissé place à une colère sourde. Il avait invectivé le pauvre barman, et s’en était allé, non sans avoir collé une gifle au videur des lieux, qui tentait de jouer les gros bras. Serpiente nota le nom de l’établissement dans un coin de son esprit, après tout, il avait la rancune tenace. Une fois à tête reposée, il repenserait à cet incident et se dirait surement qu’il n’était pas allé trop loin… Ceci dit, il avait beau faire l’inventaire des lieux qu’il avait côtoyé, il n’arrivait pas à se souvenir d’un épisode qui aurait pu lui valoir une interdiction de consommer. De deux choses l’une. Soit il s’était enivré avec violence et avait tout oublié de la soirée, soit on l’avait pris pour un autre borgne, ou pour au moins quelqu’un qui portait le cache-œil comme lui. La première option rapidement balayée – il ne se saoulait autant pour dire jamais, la dernière fois datait d’une bonne quinzaine d’années – Le Serpent se demanda qui pouvait bien être ce doppleganger inattendu.

La soirée avait pourtant bien commencé ! Il s’était comme à son habitude délaissé de ses coéquipiers de mission en prétendant être trop fatigué pour le verre d’usage, et s’était perdu dans les méandres du Rukongai. Les terres du petit peuple l’aspiraient comme d’habitude, et il s’y sentait moins à l’écart, plus à sa place. C’était pour cela qu’il abandonnait autant que possible les quartiers des Shinigamis pour se mêler à la populace. Quelques regards s’attardaient quelques secondes sur lui, au début, mais ce n’était plus le cas désormais. Les quelques raclées fichues à ceux qui avaient eu les doigts un peu trop agiles et qui avaient tenté de le délester de son porte-monnaie y étaient sans doute aussi pour quelque chose. Dans le Rukongai, on respectait les durs à cuire… Quoi qu’il en soit, c’était du premier bar qu’il avait tenté d’investir qu’il s’était fait chasser sans autre forme de procès. Il s’était donc, suite à cette mésaventure, dirigé vers l’échoppe la plus proche, histoire de pouvoir tranquillement déguster un bon verre de mauvais alcool.

Poussant le tissu qui faisait office de porte, il analysa rapidement la salle. Des pécores, et ce qui semblait être un Shinigami, le fourreau à la ceinture, légèrement entamé à la bière. Il était assis sur un tabouret, le dos à la porte, ce qui pouvait soit montrer qu’il n’en avait rien à faire et qu’il était saoul comme une barrique, soit qu’il connaissait sa propre force et qu’il n’avait pas peur de donner le dos à un possible adversaire. Serpiente n’avait pas à scanner son reiatsu pour se douter qu’il s’agissait d’au moins un cinquième ou quatrième siège. Un gros dur, quoi. L’ancien tueur haussa les épaules. Il espérait qu’au moins ce dernier le laisserait tranquille, vu que lui ne comptait pas lui adresser la parole…

Le New-yorkais s’approcha de la barre et passa commande. Un single malt, dans un verre avec un seul glaçon. L’eau du Rukongai était loin d’être de première qualité et il évitait de la mélanger à ses boissons, en général. Le barman mit un certain temps à le servir et une fois la bouteille apportée à la barre, il s’esclaffa, pas très poliment.

« Vous vous connaissez ? C’est une blague c’est ça ? » lança-t-il en regardant tour à tour Serpiente et le Shinigami inconnu. Le Serpent n’avait pour l’instant pas eu le loisir de dévisager son collègue, tout au plus de voir un ersatz de reflet dans une bouteille, histoire de se faire une idée de sa tête. Lorsqu’ils tournèrent tous deux la tête pour voir de quoi il s’agissait, ils furent probablement tous les deux surpris. Serpiente, comme à son habitude, haussa un sourcil pour signifier son étonnement. Non pas parce que l’homme qui le regardait lui ressemblait étrangement, mais surtout parce que c’était sans doute à cause de lui qu’il s’était fait virer comme un mal propre du bar précédent.

Haussant les épaules, le Shinigami de la deuxième se tourna de nouveau vers le barman avant de lui montrer son verre, toujours vierge de tout liquide.
« Et ce whisky, il arrive ? »