Le quartier général de la deuxième n’avait jamais été pour Serpiente un lieu accueillant. Ces regards suspicieux. Ces sourires qui cachaient autant de potentiels assaillants. Il faut dire qu’en tant que paranoïaque, il n’appréciait pas particulièrement la compagnie d’autres tueurs tels que lui, ce qui expliquait surement pourquoi il s’arrangeait aussi souvent que possible pour éviter de devoir y mettre les pieds. Mais cette fois-ci, pas d’échappatoire pour l’ancien new-yorkais : il avait demandé un entretien à son capitaine, Kyuusei Noboru.

Pour une première rencontre, il savait qu’il n’allait pas faire bonne impression. Oh, il l’avait bien aperçu de loin, et se doutait qu’évidemment ce dernier avait pris le temps de regarder ce qu’il pouvait trouver à son sujet dans les dossiers de la deuxième division. D’ailleurs, il doutait que ces derniers ne contiennent trop d’informations sur lui, ayant toujours été plutôt du genre évasif. Le thème de cet aparté était plutôt inédit, et il doutait que son capitaine ne puisse répondre favorablement à ce qui allait être sa demande. Il voulait tout bonnement être rétrogradé. Ce geste, aussi peu commun qu’inopiné, n’allait pas être accepté de gaieté de cœur par son supérieur, cela va sans dire, d’autant plus que les raisons qu’il allait avancer n’étaient probablement pas compréhensibles pour la plupart de ses connaissances.

Il ne voulait être responsable de personne d’autre que lui, et par conséquent, n’acceptait pas d’avoir sous sa tutelle la moindre âme vivante. S’il était doué pour faire disparaître les gênants, il était totalement incapable de gérer une équipe, particulièrement au niveau psychologique. Pour mieux saisir ce qui va suivre, il faut bien avoir en tête que le Serpent n’avait jamais été un homme d’équipe. Sa seule expérience de groupe avait été l’armée des Etats-Unis, à une période où elle s’était adonnée à de basses besognes en Corée. Il savait pertinemment, par son expérience terrestre, qu’il ne pouvait avoir confiance en personne, et cela ne l’aiderait jamais dans ce rôle de leader qu’on voulait plus ou moins lui imposer. Ce poste de quatrième siège, il le devait à l’ancien capitaine, peu avant avoir été remplacé par l’actuel dirigeant de la division. Serpiente n’avait pas encore eu le temps de décliner la proposition qu’il s’était vu catapulté du vingtième au quatrième siège. Puis, le changement de dirigeant avait eu lieu, ce qui avait gelé les mutations et l’avait bloqué à ce niveau-là.

« Va falloir la jouer serrée. » grommela-t-il alors qu’il arrivait face à la porte du bureau du capitaine. Il espérait de tout cœur que le dossier ne contienne rien concernant son Bankai. Il avait essayé d’être le plus discret possible pendant les longs entraînements qu’il s’était imposé pour le maîtriser. Ses absences, de toutes manières, étaient coutumières, et n’avaient sans doute pas soulevé de grandes interrogations. Mais pour peu que le capitaine Kyuusei fusse au courant, c’en était fini de sa placide dégradation.

Le quatrième siège toqua à la porte, puis après réponse de rigueur, il poussa la porte pour pénétrer dans le bureau de son supérieur. « Bonjour capitaine. Serpiente, quatrième siège. » se présenta-t-il, même s’il savait que c’était futile. « Si j’ai demandé cet entretien c’est pour vous présenter une requête, monsieur. Permission de parler ? » continua-t-il droit comme un i. On ne sortait pas d’une éducation militaire sans quelques formatages plutôt inopportuns.

Mais qu'est ce qu'il peut bien me vouloir, lui?

Telle était la question qui rebondissait sans cesse dans la boîte crânienne du Kyuusei, à la manière d'une balle de flipper, en un peu plus casse-burnes et obsessionnelle. On lui avait demandé un rendez-vous de supérieur à subordonné, ou plutôt son Quatrième siège avait quémandé une entrevue, sans pour autant s'étendre sur les causes de cette petite discussion. C'était bien le genre du type, de toute façon, encore le genre de coincé du trou de balle un tantinet renfermé sur lui même et adepte du secret. En même temps, fallait-il le blâmer? Il était pas à sa place pour rien, et puis, la Seconde, c'était pas la division des comiques, ni celle des grands orateurs. On attrapait pas les mouches avec du vinaigre...non, ça, ça s'y prêtait pas. Il devrait revoir son panel de dicton s'il ne voulait pas continuer à passer pour une bille devant les autres huiles. Oh, et puis merde, de toute façon l'avantage d'être dans sa position, c'était qu'il pouvait dire blanc si tout était noir. Autant en abuser et faire dans la bêtise éclairée.

Des coups frappé à la porte le sortirent de ses rêveries. Et voilà que l'affreux zozo se pointait. Bon, fallait pas tant lui en vouloir, le pauvre bougre, c'était surtout que son chef était tout chose après le fiasco de Karakura. Encore. Il en avait des aigreurs jusque dans les tréfonds de son fondement, rien qu'à y repenser. La moindre chose autour de lui cristallisait sa mauvaise humeur, autant les êtres organiques que les objets inertes, et le Vif Argent ne parvenait malheureusement pas pour lui et pour les autres à se débarrasser de ce foutu comportement. Le Quatrième siège, sorte de grand escogriffe caché dans son imper, à l'aspect débraillé et à la mine grave, venait de mettre les pieds dans l'antre de la Bête.

Le type n'était pas un inconnu au bataillon, il avait même réussi à attirer suffisamment l'attention de son petit monde pour gravir les échelons de sa Division. Mis à part ça, il restait quand même sacrément silencieux, le genre d'éminence grise qui faisait son boulot sans pour autant dérider la surface de l'eau. Enfin, encore une fois, chez les types en collant, c'était monnaie courante. Juste qu'avec son humeur massacrante, le colosse se trouvait une sensibilité dans la chose.

- Ouais je sais bien que t'es pas le Pape. Donc vas y franco: c'est quoi ce sujet qui va faire ma journée?

Les types de son unité savaient bien, à force de rabâchage, que le bonhomme était un adepte du travail efficace, de la prise d'initiative personnelle alliée à un esprit d'équipe - les deux n'étant pas incompatibles, bien au contraire. Qu'on vienne lui présenter une requête sonnait pour l'heure comme un dérangement sachant que tout ce qu'il avait planifié marchait comme une horloge. Ou alors, c'était à propos de l'affectation du bonhomme à la Quatrième, du moins pour l'échange qui avait lieu entre les deux divisions, sur l'initiative de Noboru. Qu'il y ait eu une nouvelle tête pour diriger les docs n'avait pas changé la donne, et le gars en fac de lui apportait sa main à la pâte. Peut être avait-il trouvé à redire sur cette situation? Ce serait une première...et depuis quand avait-il l’œil qui tressautait, alors qu'il prêtait l'oreille à son interlocuteur? Trop de tension. Il avait besoin d'une bouteille. Et d'une bonne peignée.

Le moment redouté était venu, son capitaine lui avait donné la parole, et il ne savait pas trop par quel bout commencer. Déjà, il ne connaissait pas trop son supérieur, mais ses états de service parlaient pour lui. Un grand mec, qui venait de la onzième, et qui s’y était imposé à coup de pieds dans le cul. Sa nomination en tant que capitaine de la deuxième avait surement du remuer un peu les têtes pensantes de la division, mais il fallait avouer que pour l’instant il ne s’était pas planté. Les espions continuaient à espionner, les assassins continuaient à assassiner, et Serpiente s’était vu affublé d’un quatrième siège grotesque. Il n’avait jamais demandé d’avancement, et on l’avait catapulté là sans d’autre raison que « T’es plus compétent que les autres shinigamis, t’as pas ton mot à dire. » Sauf qu’il avait quand même envie de marquer le coup, le bougre. Bordel, autant se voir promu n’était pas un souci, autant qu’on lui colle une ribambelle de bons à rien dans les pattes, ça pouvait poser problème…

« V’la le topo cap’taine. » commença-t-il. Après tout, un petit topo de la situation pouvait se justifier, Noboru n’était pas forcément au courant de tout le tintouin. « L’ancien cap’taine avait jugé bon de m’faire monter de grade suite à une mission pendant laquelle on a zigouillé quatre ou cinq sièges de la division. Je l’ai informé qu’j’étais pas vraiment partant et il m’a dit de remplir un ou deux formulaires, pour le signaler. Sauf qu’entre temps, vous avez débarqué, et on m’a dit qu’il fallait tout recommencer, comme quoi que ça avait été gelé, ou quelque chose dans le genre. » lui expliqua-t-il.

Il ne savait pas trop comment son capitaine allait voir cette demande, qui pouvait évidemment passer pour une sollicitation officielle pour se la couler douce. Ce n’était pas (que) ça, mais il ne pouvait pas le savoir. Il fallait donc trouver les mots pour lui étaler la situation d’un autre point de vue, mais il garderait ses arguments pour venir contrarier ceux de son supérieur hiérarchique. Il faut dire que le brave Serpiente n’espérait pas qu’il accepte de bon cœur sa pétition. La rumeur voulait que Kyuusei Nobori soit doté d’une certaine opiniâtreté que certains membres de la division pouvaient voir comme de l’intransigeance. Surement des vestiges de son passé à la onzième, division où il ne pouvait se permettre aucune complaisance.

« Ecoutez, mon truc à moi c’est de faire disparaître des gens, pas de jouer le leader d’escouade et de devoir surveiller que vos hommes sous ma charge ne se sont pas fait découper en rondelles alors que j’avais le dos tourné. » ajouta-t-il, maladroitement. Faut dire que s’il évitait de parler en public, ce n’était pas pour rien. Depuis sa naissance, ou presque, Serpiente avait toujours eu du mal à choisir correctement les mots. Et on en avait encore une fois l’exemple.

L'autre ne se laissa pas démonté, attrapant la perche de son supérieur au vol et exposant son problème. Ainsi avait-il été la victime peu consentante d'une grotesque mise en scène visant à le mettre à un poste décisionnaire. En tout cas ses arguments premiers se tenaient, faisant écho à ce que le Capitaine avait toujours déploré: devoir avoir la charge d'éléments plus faibles susceptibles de tomber au combat, alors même qu'ils devaient être sous sa charge et sa protection. L'écoutant patiemment, sans bouger d'un pouce, le gradé se permit un profond soupir avant de se remettre en mouvement, se grattant la tête avant de reposer ses deux mains sur son bureau. Fixe comme une statue de granite, il commença néanmoins à s'agiter de spasmes irréguliers, ponctués de grognements laissant présager une crise d'épilepsie, ou l'ingestion de sa langue, bref, un truc pas net. Mais c'est finalement dans un grand éclat de rire qu'il parti, se bidonnant à s'en tenir les côtes, finissant par marteler la table de son poing noueux.

- La vache, on me l'avait encore jamais faite celle là! Oh tu viens de me faire ma journée, merci! Et moi qui broyait du noir, mon pote, je pensais avoir tout vu, mais tu m'as prouvé que c'était des conneries! Se faire rétrograder, sérieusement? Mouahahahahah!

L'hilarité mit du temps à se dissiper mais finalement, les yeux tous mouillé, le Vizard consentit à se calmer. Il reprit une contenance, caressant son menton tout en réfléchissant à ce que l'autre lui avait dit plus tôt. Puis finalement, il daigna répondre.

- Non, ça me parait bidon comme réponse. Penser que si tu détournes ton attention, les autres finiront par se faire zigouiller proprement et définitivement? C'est quand même mettre très peu d'espoir dans nos hommes, tu trouves pas? Et puis, tu sais où tu te trouves, tu t'es pas trompé de bâtiment, hein? On est le corps d'élite, les Forces Spéciales, une unité de tueurs et d'espion. Une unité. Pas une collocation pour tueurs à gage. T'as été promus alors que d'autres au dessus de toi se sont fait étaler? Devait bien y avoir une raison à la base pour que tu te trouves en position de siège, non? Alors la grande question à un million c'est: qu'est ce que tu vaux? C'est quoi ta particularité? On va donc devoir refaire ton bilan de compétence, si tu trouves que c'est une erreur, tout ça! Peut être qu'en fin de compte, t'es un foutu imposteur!

Kai aussi avait râlé quand elle s'était rendue compte qu'on l'avait foutu sur le fauteuil de bras droit. Elle était, selon ses dires, une lame forgée pour tuer, pas pour commander. Finalement, elle faisait sa part du boulot, non sans ronchonner de temps en temps, mais surtout parce qu'elle ne comprenait pas toujours les méthodes de son supérieur. Il avait tendance à la prendre souvent à contrepied, juste pour s'amuser. Au final, lorsque l'on lisait au travers des lignes, la demande de son quatrième siège était louable: il voulait faire son boulot au mieux, utiliser ses capacités à leur maximum, sans être parasité par des responsabilités annexes. Seulement, il évoluait au sein d'une armée, ce qui impliquait qu'un membre ayant des capacités exceptionnelles se devait d'en faire profiter tout le monde. Et si possible de les utiliser pour protéger la Soul Society et sa population, du simple péon au dernier de nobles, en passant par la soldatesque.

- Alors le fin mot de cette histoire, c'est quoi? Je te laisse du mou à la corde et tu vas exécuter tes missions sans compter sur personne? Je te réserve déjà une place dans un caveau et je paie des pleureuses pour venir à tes funérailles? Je réfléchis tout seul à une épitaphe parce que tu ne veux pas t'embarrasser d'autres types, histoire de la jouer loup solitaire? On est une famille ici, moi je suis le gentil papounet un peu rustaud, Kai c'est la mère mégère, et on est pas du genre à laisser nos vilain petit canards broyer du noir dans leur coin. T'es peut être une lame, mais moi je suis un Capitaine d'unité, et c'est mon rôle de mettre les lames en communs pour faire le boulot. Surtout quand on se fait matraquer la courgette par des sorciers à la mords moi le nœud.

C'était pas avec ces maigres arguments qu'il allait flancher, de toute façon. Et puis la demande était assez incongrue pour capter son intérêt. D'autant que, si cela n'avait pas été le cas, il aurait foutu une volée à l'indigent. Il avait très peu de patience avec les mollassons et les tire au flanc.

« Je te l’avais dit. »

L’horrible citation résonnait dans son crâne comme si on la lui criait dans les oreilles, en utilisant un mégaphone. Enfin, pas cette phrase tout particulièrement, mais c’était tout comme. Une sensation d’abattement s’empara de l’américain, il n’allait pas échapper à la corvée que pouvait être diriger des équipes de shinigamis formées par l’élite de cette bande de débiles mentaux en collants. C’était bien sa veine, tout ça.

« Sauf votre respect cap’taine, j’crois que vous êtes pas trop à la page sur le niveau d’vos hommes… La preuve, vous avez pas la moindre idée de ce que je vaux. C’est pourtant écrit sur vot’ dossier, me prenez pas pour un jambon. » ajouta-il, d’une voix presque vexée. Corps d’élite ? Sans déconner ? Une bande de bras cassés. De bons à rien. C’était tout juste si quelques éléments méritaient de porter la robe de shinigami, aux yeux du tueur à gages. Bon, évidemment, il était encore sous le coup de l’émotion en pensant ça, mais, objectivement, il fallait avouer que les trois quart des sièges ne valaient pas grand-chose. Omaeda, le troisième siège, par exemple. C’était tout juste s’il savait lacer ses chaussures. Mais s’il abordait le sujet, il était possible – sinon probable – que le capitaine soit d’accord avec lui, … et le catapulte à sa place.

Il savait, qu’au fond, sa demande n’était pas acceptable, mais que risquait-il en la formulant ? S’aliéner un capitaine ? Il n’était plus à ça près, et le jeu en valait la chandelle. Tout ce à quoi il aspirait, c’était de faire un travail au calme et de retrouver la solitude nécessaire pour sa stabilité mentale. Ce n’était pas grand-chose, tout de même. Effectivement, le capitaine avait surement raison, c’était peut-être un imposteur. Le fait est qu’il n’avait jamais demandé à être recevoir un avancement de la sorte, et qu’il n’appréciait ni le boulot demandé, ni les responsabilités inhérentes au poste. C’était quand même pas bien compliqué de le remettre à son ancien boulot, tout de même !

« C’est pas bien compliqué, cap’taine. On m’a foutu à un poste où j’pense pas être compétent et où j’crois pas avoir ma place. En plus le boulot demandé ne correspond pas à c’que j’sais faire. Remettez moi vingtième siège, et tout le monde y trouvera son compte. J’suis sûr que vous trouverez plein de mecs en collants pour diriger des équipes mieux que moi… J’demande pas la lune quand même… » lui demanda-t-il en désespoir de cause. Il avait ignoré les idioties de famille racontées par son capitaine. Il n’en avait ni besoin, ni envie. C’était quoi l’étape suivante ? Qu’ils se fassent des toutouches sous la douche ?

Le problème ne venait très clairement pas des ordres ou du travail en groupe, mais ça, Noboru ne semblait pas l’avoir compris. Le Serpent n’avait rien contre faire équipe, même s’il fallait avouer qu’il était plus à l’aise tout seul. C’était de prendre la responsabilité de shinigamis qui, à ses yeux, ne savaient même pas prendre leur sabre par le bon bout, qui le gênait. Mais évidemment, il ne pouvait dire à son capitaine qu’il trouvait qu’il devait redescendre en grade et juste derrière qu’il pensait que celui qui allait le remplacer était tout juste bon à éplucher des patates avec son zampakuto, question de logique.

« Et puis merde, laissez tomber. Faites comme si j’avais rien dit. » soupira-t-il en sentant que cette discussion n’allait mener nulle part. Il venait surement de se mettre son capitaine à dos. Entre ça et l’autre folle qui voulait absolument lui découper le visage sur la table d’opération, c’était vraiment une semaine de merde.

L'autre se laissait pas démonter. Quoique, un peu, dans un sens. Il était tout chose face aux répliques de son Capitaine, montant sur ses grands chevaux. Mine de rien, la réflexions sur le potentiel de l'homme avait fait mouche, le forçant à passer de la dénégation de ses compétences à une défense à demi-mots, quoique axées surtout sur un amère constat de l'état de la Division. Ça, il n'en démordait pas, s'acharnant à dépeindre le club des ninjas comme une confrérie de bras cassés tous justes bons à faire des cabrioles. Sentant la moutarde lui monter au nez, le Kyuusei se fit violence pour ne pas l'attraper et l'encastrer dans son bureau. Il avait déjà du changer son armoire à documents du fait de son premier entretien avec Kai, c'était pas pour refaire le mobilier à chaque fois qu'il devait rencontrer un de ses subalternes.

Tu deviens mou mon gars, mouuuuuu!

Devant la remarque de son hollow intérieur, le type fronça les sourcils. Ça lui donnait un de ces airs méchamment constipé qui aurait fait cailler le lait directement dans le pis d'une vache. Lorsqu'enfin l'autre fini de parler tout seul, il posa son regard sur lui, ou plutôt visa son seul œil valide de ses deux prunelles, les doigts entrelacés devant son visage, se demandant bien ce qu'il allait pouvoir faire. On remettait en question l'état de sa division depuis son arrivée, et même si il savait pertinemment qu'elle ne ressemblait pas à grand chose par le passé, il estimait avoir apporté des améliorations notables, notamment à force d'entrainements drastiques à sa manière. On ne perdait pas les bonnes habitudes de la Onzième. Finalement, il se leva, daignant arracher son regard de son sous fifre, pour se rendre vers sa toute nouvelle armoire. De là, il en tira un dossier, qu'il abattit sur la table face à Serpiente, dans un claquement audible.

- Ça, c'est ta vie parmi nous. Échecs, succès, apprentissage et tout le tintouin. Y a même de très jolis rapports sur les affrontements dont tu as pris part, et l'avis de ton ancien supérieur sur ta personne, et les motivations qui t'ont voulu à ton poste. Si tu penses que je n'ai pas passé des heures à me renseigner sur chacun de mes sièges de prime abord, alors tu dois sacrément me prendre pour une buse, ou un incapable. D'ailleurs, ça a l'air d'être ton opinion pour tout ce qui touche à cette unité, hein? Alors, c'est quoi l'histoire, on crache sur ce qui se fait ici, mais quand faut mettre la main à la pâte, apporter des améliorations, rien?

Le ton de sa voix se haussa alors qu'il se laissait emporter par sa colère. Il commençait à en avoir plein les esgourdes qu'on vienne constamment remettre en doute les avancées de son navire! L'autre voulait se faire dégrader? Il allait être servi! Mais au diable s'il pensait s'en sortir sans dommage.

- Je vais être franc avec toi: d'habitude lorsque l'on vient me chier sur les bottes, à ta façon, l'indigent fini avec la tête carrée dans le fion, sans tour de magie. La seule chose qui te sauve pour l'instant, c'est le fait que tu es le premier dans la division à venir me faire ce numéro, et ça me rappelle mon ancienne unité. Maintenant, je vais accéder à ta requête, puisque tu penses que ta place n'est pas à ce niveau, mais comprends moi bien: ça va pas être plaisant, ça va pas non plus être des vacances, et tu vas devoir prouver à tout le monde que tu n'es pas la merde que tu prétends être. Parce qu'une telle démarche, avec de telles opinions sur tes camarades, c'est pas joli joli. D'autant que t'es pas le maillon d'or sur la chaine.

Il en aurait presque craché par terre de dépit.

- Et malgré tout, malgré ta mauvaise volonté et ton envie d'être peinard, je sais que tu vaux plus que tu ne le prétends. Ta réaction sur le fait de faire tes preuves m'en dit long. Alors je vais te mettre à l'épreuve, oui, et jamais quand tu t'y attendras, ni de la façon qui te plaira. Parce que j'ai jamais aimé les tire-au-flanc et qu'on est dans d'assez sales draps en ce moment pour se permettre de dire amen à tous ceux qui ont des états d'âme. Les gradés ont justement le rôle de servir d'exemple dans ces moments là, et de protéger les autres par leur puissance et leurs capacités. T'es pas fait pour diriger des hommes? Fort bien. Tu seras donc une arme dont je me servirais, et crois moi bien quand je te dis que je vais pas me gêner. Tu craches sur tes frères? Et ben tu vas te retrouver shinigami du commun, histoire de te rappeler ce que vivent les gars du peloton. A quoi ça me servirait de te filer un siège?

Ça semblait logique. Pourquoi demander un siège quand on ne voulait pas de responsabilités? L'autre prenait la hiérarchie avec trop de liberté, et devait être muselé. Il pouvait avoir le plus grand potentiel du Gotei, il n'en restait pas moins qu'il avait encore beaucoup à apprendre sur l'humilité et la solidarité entre combattants d'une même cohorte. Et cela ne signifiait pas, comme il avait pu le faire, de sous estimer ses compétences quand à son poste.

Serpiente n’était pas encore encastré dans le mur, et il pouvait y reconnaître un certain type de réussite. Son capitaine avait pourtant pris un air grave qui préconisait surtout qu’on se roule en boule en attendant les avoines qui ne manqueraient pas de tomber, et vu la taille des paluches du bonhomme, l’ancien tueur à gages se doutait que ça ne serait pas une franche partie de rigolade. Mais, bien heureusement pour lui, les gifles n’étaient pas encore arrivées, ou du moins pas par la voie physique. Verbalement par contre, le brave capitaine s’en était donné à cœur joie. Il avait totalement pris pour lui les quelques remarques déplacées de son subordonné. D’un autre côté, ce dernier avait pris pour argent comptant la remarque de son capitaine disant qu’il ne connaissait pas son niveau, et avait surenchéri en supposant que c’était le cas pour le reste des potentiels de la division.

Et il s’était planté.

Le capitaine Kyuusei n’était pas un rigolo arrivé la fleur au fusil pour se la couler douce les doigts de pied en éventail, il avait étudié les dossiers, et évidemment le sien en tant que quatrième siège (ou anciennement quatrième siège, plutôt) était dans le haut de la pile. Cependant, même en sachant ceci, Serpiente n’en démordait pas (mentalement évidemment, il n’était pas assez con pour l’ouvrir après la soufflante qu’il venait de subir), à ses yeux les trois quart des mec en collants avaient été bercés trop près du mur. Là où Noboru voyait une famille, Le Serpent ne voyait que la Bande à Basile, tout juste bonne à chanter la chenille, à enchaîner les canons de vin et à aller se vider chez les filles du Rukongai.

Evidemment, la soufflante ne s’était pas arrêté en si bon chemin. Son supérieur laissait entrevoir un futur loin d’être rose pour l’ancien quatrième siège. Des missions, des coups de pieds au cul, et pas grand-chose d’autre. Et pourtant, Serpiente réprima son envie de sourire lorsque le capitaine Kyuusei lui indiqua qu’il lui retirait tout grade, qu’il retournait dans l’anonymat des shinigamis sans rang. L’américain était, pour la première fois depuis des années, au poste qu’il estimait être le sien. Une épée, rangée parmi d’autres épées, à disposition du bras qui la manierait. Il allait être mis au défi par son général ? Pas de problème pour lui. Un contrat était un contrat, une mission était une mission. Difficile ou non, il n’avait jamais rechigné à la tâche.
Il avait réussi à atteindre son but, certes dans la douleur, mais tout de même, c’était inespéré ! Il ne restait plus qu’à régler ce problème de la quatrième division. Pour l’instant, cela ne dépendait pas de lui, mais du Vif Argent. Il n’avait pas la certitude que ces balivernes de "famille" le serviraient d’ailleurs dans cette querelle qui l’opposait à la capitaine Asuna, espérant que son supérieur n’accède pas à la demande de cette dernière, dans cette histoire malvenue de greffe d’œil. Si, par contre, on lui demandait de se plier à cette opération, il devrait explorer d’autres voies échappatoires, qui ne lui plaisaient pas le moins du monde, surtout maintenant qu’il se considérait à sa place !

« Bien, capitaine. » se contenta-t-il de répondre, d’une voix monocorde, en déposant son badge d’accès aux bâtiments des officiers. Il n’allait pas rentrer dans un dialogue de sourd avec celui qui représentait l’autorité en ces lieux. Chacun avait son opinion (affirmée de façon plus ou moins véhémente selon le côté du bureau duquel on se trouvait, postillons y compris), et aucun n’allait changer d’état d’esprit. Ces histoire de famille dont son capitaine serait le gentil papa gâteau qui distribuait des mandales à la place des petits pots, il y avait cru auparavant, et on ne l’y reprendrait plus.

Ne sachant pas si son chef avait terminé, il évita de demander s’il pouvait se retirer. Il risquait surtout de se faire ouvrir en deux s’il l’énervait outre mesure !

Et bien, l'autre en avait pris pour son grade! Stoïque, il avait résisté à la marée montante sans tenter une seule fois de trouver quelque chose à redire. On pouvait dire qu'il savait s'adapter! Après avoir visiblement compris que le dialogue ne mènerait à rien avec son supérieur, le serpent avait tout simplement laissé l'orage passer. Ce qui eut pour effet de laisser le Capitaine sur sa faim, le silence s'épaississant après sa diatribe. Du coup, alors que l'autre acquiesçait sobrement, il se retrouva un peu comme une bille, à plus savoir trop quoi dire. Ce qui ajouta à son agacement.

- Ouais....bon....c'est tout? J'te croyais franchement plus combatif, mais on va dire que ça va avec le reste, hein? Du coup, fout moi le camp d'ici, ça sert à rien de prolonger l'échange plus longtemps, ça nous coûte du temps et de l'énergie à tous les deux.

Il avait accompagné la parole d'un geste de la main, signifiant clairement que le diable pouvait l'emporter sans problème. Se prenant alors la tête dans les mains, le Kyuusei lâcha un soupir à s'en fendre l'âme, avant de se ressaisir et d'apostropher son subordonné.

- Hey attends voir, avant de te carapater! Ton retrait de grade ne t'absout pas de faire ton quart à la quatrième, comme le reste. D'ailleurs, en tant que ninja du commun, tu as maintenant la chance d'avoir un temps doublé pour ce genre de truc. Profites en pour nous apprendre plein de tours et nous revenir tout médic, peut être alors que tu nous seras utile! D'autre part, tu iras te présenter aux sièges en charge des assignations pour faire tes quarts. Le problème avec la perte de grade, c'est que ça va te foutre plein de missions trop faciles et donc totalement ennuyeuses sur le dos. Et dire que t'aurais juste pu discuter tranquillement d'une réassignation d'objectifs! Quand t'en auras à souper des missions bateaux, vient donc repointer le bout de ton nez ici. J'aurais sans doute besoin de toi d'ici peu...

Ouais, il venait d'avoir une idée toute belle. Un moyen de plier l'autre à sa volonté sans qu'il ne s'en aperçoive. Car quoi de mieux que de l'intégrer à sa garde personnelle, lors de ses déplacements? L'autre pourrait alors peut être se rentrer un peu de plomb dans la caboche. Et au moins, son supérieur pourrait le jauger définitivement, et voir si son cas était complètement désespéré ou non. Car malgré tout, il aimait les fortes têtes, et le challenge qu'elles lui opposaient. Le jour n'était pas venu où il perdrait sa combativité face à l'être humain et son mental de travers!