Pop, et de cinq ! C'était le cinquième piaf que Yomaku dégommait de la matinée. Le soleil était bientôt à son zénith, mais malheureusement, aujourd'hui il ne trouvait aucune activité susceptible de le faire bouger plus que ça. À défaut de trouver un divertissement plus passionnant pour tuer le temps, l'Arrancar n'avait rien trouver de mieux à faire que de se coucher bêtement sur un gratte-ciel et de lancer des caillasses dans en l'air pour faire un décompte du nombre d'oiseaux qu'il touchait. Ouais bon, sans commentaire. Cela n'avait rien d'instructif, mais au moins il ne dormait pas, et ça, c'était finalement mieux pour tout le monde. Enfin bref, ce petit jeu malsain s'écourta finalement assez vite lorsque l'odieux personnage qu'il était décida d'aller foutre le bordel autrement. Les ennuis, ça le connaissait. Quelque soit ce qu'il faisait il parvenait toujours à s'en sortir, sans exception, c'est pourquoi l'esprit malin diabolisait intérieurement de mettre toujours la barre plus haut. Dernièrement, il avait entièrement ravagé un commerce, et avec le nombre d'exilés qui créchaient à Karakura, il avait adroitement préparé son coup pour faire accuser un autre Arrancar.

Cette fois-ci, le petit démon se déplaçait tranquillement jusqu'au bar le plus proche. Le bâtiment était situé en centre-ville, bien placé il accueillait habituellement de nombreux clients. Le regard malicieux, ce dernier ne put s’empêcher de laisser échapper un gloussement en passant devant. Il entendait les clients parler entre eux, une bonne humeur semblait y être installée. Toutefois, étant donné qu'il ne maitrisait pas bien le Pesquisa, il était incapable de dire combien de personnes s'y trouvaient ni quelles étaient leurs natures. Si ça se trouve, il y avait autant de Fullbringers que d'humains, et c'est justement ça qui était intéressant. Après une idée saugrenue de sa part, Yomaku s'éloigna pour rejoindre les frontières de la ville. Un peu plus loin se trouvait une forêt qu'il empruntait régulièrement lors de ses escapades. Elle y était suffisamment dense pour s'y perdre en un instant, lui la connaissait comme sa poche grâce à ses nombreux siècles d'exils. Dans un coin reculé, à l'abri de tout, l'exilé s'arrêta devant un groupe de cinq hollow d'une taille plus ou moins conséquente selon les bêtes. Ils remuaient, mais étaient incapables de se déplacer. La raison ? Yomaku les avait attachés comme de vulgaires animaux avec une chaine en acier auquel il avait recouvert une infime partie de ses pouvoirs. Il les détacha avant de les fixer.

« Bon, écoutez-moi bien les loubards. Vous êtres peut-être débiles, mais j'ai une mission pour vous. J'vais quand même vous aider à être discret... j'sais pas du tout comment, mais on peut toujours essayer. »

En tant qu'Arrancar, le démon avait eu l'ingénieuse idée (ou la plus stupide) de se concocter une petite équipe de Hollows durant la veille. Même un Shinigami n'aurait pas pu tomber dessus par hasard, et de toute façon il avait garder un œil sur sa planque au cas où. Seulement voilà, bien qu'à l'origine il avait prévu de les ameuter au bar pour une petite fiesta surprise, l'Arrancar n'avait pas prévu un seul instant que ces cinq abrutis partent dans tous les sens à la moindre occasion. OK il n'était pas face aux plus intelligents de sa race, mais quand bien même ! À peine avait-il eu le dos tourné qu'ils s'étaient tous séparé dans n'importe quelle direction. Alors oui, cinq Hollows lâchés en pleine nature d'un seul coup ne passeraient surement pas inaperçus, seulement la chance de les voir exterminer dans les trois prochaines secondes était tout aussi importante. Pour limiter un peu les dégâts, Yomaku surveilla le plus gros d'entre eux histoire de le préserver d'hypothétiques chasseurs. En sautant de toit en toit, il était sûr de ne pas louper un éventuel agresseur. Quand aux autres... tant pis, qu'ils fassent leurs vies !

Avec tout ce qui lui était tombé dessus dernièrement, on aurait pu s'attendre à ce que Melody n'ose plus mettre un pied dehors. La ville n'était pas sûre, encore moins maintenant qu'elle savait quels monstres on pouvait croiser au coin de la rue. Pourtant, c'était tout le contraire. Comme si pouvoir enfin mettre des mots, des noms sur les choses qu'elle voyait, les choses qu'elle vivait l'avait libérée d'un poids. Lui avait permis de revenir à une certaine normalité. Et ce même si la vie qu'elle menait à présent était tout sauf normal. Rien ne serait plus jamais pareil parce que le monde était différent. La manière qu'elle avait de le voir en avait été fondamentalement changé. Aucun retour en arrière n'était possible. Mais elle n'était de toute façon pas sûre que ce soit nécessaire.

Se faire à l'idée qu'elle avait – comme le reste du peuple de ce monde – vécu dans l'ignorance alors qu'une guerre qui la dépassait, qui les dépassait tous était à l'oeuvre depuis l'aube des temps n'était pas ce qu'il y avait de plus facile. Mais son esprit était ouvert et aiguisé, et il ne lui avait pas fallu longtemps pour s'en accommoder. Sans doute parce que la nature – ou quelque obscure providence – l'avait dotée des armes qu'il lui fallait pour faire face à toute forme de menace surnaturelle susceptible de venir la menacer. Et si c'était encore nouveau pour elle, à partir du moment où elle avait commencé à discerner les contours de cette vérité voilée, elle avait pu commencer à avancer – à faire ses vrais premiers pas sur une terre qu'elle ne connaissait en définitive que trop peu.

Le plus ardu à son sens était sans hésiter de distinguer les événements « réels » ne trouvant leur fondement dans aucune source « mystique » de ceux qui étaient causés par toutes ces formes de vie dont le commun des mortels n'avait jamais entendu et n'entendrait jamais parler. C'était d'autant plus vrai au sein de Karakura, véritable foyer d'infection d'une épidémie que rien n'empêchait tout compte fait de se répandre sur le monde. Cette ville était une faille, une plaie ouverte d'où s'échappait à grandes bolées un sang malade, une folie que les hommes n'étaient pas prêts à affronter. Et en tant qu'éveillée, que personne consciente de ce qui l'entoure, de cet équilibre précaire entre la vie et la mort, il était depuis lors de son devoir de veiller à ce que la planète entière n'ait pas à basculer dans le chaos – voire le néant.

Le monde n'était pas préparé à se regarder dans le miroir et à y voir un vrai visage qu'il s'était lui-même caché pendant des milliers d'années – et peut-être même plus, dépendant depuis quand toutes ces entités existaient. Question qu'elle n'avait pas osé poser, estimant avoir déjà bien assez d'informations à décortiquer pour mieux en creuser tous les aspects. Plus que craintive – il était un peu tard pour l'être ! - elle s'était surtout montrée curieuse et continuait de l'être, ne demandant qu'à savoir comment tout cela avait pu rester dans l'ombre pendant tout ce temps. L'éventualité que certaines personnes puissent vivre leur vie de tous les jours en frayant avec ces choses sans même le savoir avait quelque chose d'à la fois malsain et fascinant.

Mais que tous ces gens ne puissent savoir quel danger les guettait l'incitait à penser que puisqu'ils ne pouvaient pas le faire seul, il fallait bien que quelqu'un veille sur leur sécurité. Rôle pour lequel elle estimait n'avoir guère eu d'autre choix que de se dévouer, étant malgré elle trop profondément bienveillante pour les abandonner à leur triste sort. Pour autant, ce n'était pas de tout repos, oh ça non. À plus forte raison qu'elle avait fini par comprendre qu'elle exsudait l'énergie spirituelle par tous les pores de sa peau et que cela faisait d'elle un appât idéal dès l'instant où elle était à l'air libre. Au moins pendant ce temps ils foutent la paix aux autres gens, c'est déjà ça de pris. se consolait-elle quand elle se retrouvait prise en chasse par une horde affamée.

Ainsi avait-elle développé certains réflexes. S'habituant à pouvoir être attaquée à tout moment à la seule condition de se trouver en extérieur, et n'ayant pas pas encore assez raffiné ses perceptions pour les détecter, tout se jouait sur le temps de réaction. C'est pourquoi quand l'un d'eux lui sautait à la gorge – ou toute autre partie du corps qui aurait son attention ainsi que son appétit – elle devait pouvoir le neutraliser sur le temps d'une respiration. Ce qu'elle fit une fois de plus quand le rugissement de l'un d'eux parvint à ses oreilles. Bien qu'elle soit en train de somnoler sur le toit du lycée en profitant de la pause de midi, elle n'eut besoin que d'une fraction de seconde pour s'emparer de sa guitare et l'abattre telle une batte sur ce Hollow, qui en serait la balle.

Métaphore fort à propos, puisqu'ayant agi dans l'urgence, la demoiselle n'avait pas modéré sa force. Frappée en plein masque, la créature aux airs vaguement porcins décolla dans un déluge de bave spectrale et de grognements. Son corps tombait en miettes alors même qu'il décrivait une courbe plus élégante qu'il n'aurait jamais pu l'être en travers de la voûte céleste, pareil à une balle projetée trop loin. Si elle n'avait pas été au quatrième étage, Melody, étant encore ensommeillée, aurait presque pu se mettre à courir par habitude. En lieu et place, elle plaça ses mains en visière pour suivre sa trajectoire et s'assurer qu'il se désagrège avant de toucher le sol – ou quoi que ce soit d'autre. Vu l'altitude à laquelle elle l'avait expédié, c'était assez peu probable, mais elle s'en voudrait qu'une erreur de calcul lui fasse détruire un magasin. Surtout si elle y tenait.

Toute à ses observations, elle ne mit pas longtemps à se rendre compte que celui qu'elle venait d'abattre n'était pas seul dans les parages, plusieurs silhouettes masquées tentant visiblement de se terrer où elles le pouvaient. Pour une fois qu'ils n'étaient pas à ses trousses, Melody se voyait mal se mettre à leur courir après... Mais que fuyaient-ils ? En s'efforçant de repérer tous ceux qu'offrait à sa vue son perchoir surélevé, elle se rendit compte que l'un d'eux était coursé par quelqu'un. Un garçon aux cheveux blancs, avec des airs de délinquant. Ce qui l'intrigua. Si Koshiro lui avait bien dit qu'ils étaient loin d'être les seuls de leur espèce et en particulier dans l'enceinte de la ville, elle n'en avait vu que trop peu pour y croire réellement. Alors tomber sur l'un de ses semblables « par hasard » juste en jetant un oeil aux alentours lui aurait presque paru trop beau.

Attrapant la lanière de son étui à guitare après avoir remis cette dernière à sa place – unique bagage dont elle avait besoin -, Melody prit une longue inspiration et son élan par la même occasion et sauta par-dessus la rambarde métallique. Si elle avait mis un petit temps à réussir à se convaincre que c'était sans danger, c'était dorénavant avec un réel plaisir qu'elle se jetait dans le vide, sachant qu'elle pouvait y prendre appui où bon lui semblait pour se propulser avant de toucher le sol. Ainsi n'eut-elle besoin que de quelques enjambées renforcées par son pouvoir pour réduire à presque rien la distance qui la séparait de l'individu, prenant soin de se placer de manière à barrer la route à la chimère qu'il traquait de près pour l'aider à s'en saisir plus facilement – du moins le pensait-elle. Ce qui la frappa fut la rougeur incandescente de ses yeux alors qu'elle atterrissait devant lui avec grâce et légèreté, le gratifiant d'un charmant sourire.

Salut ! Besoin d'aide ?

De près comme de loin, le jeune Arrancar talonnait la trace de son « animal ». Il s'amusait à se déplacer rapidement en slalomant ci et là, se risquant à accomplir quelques saltos pour le fun. Il était très à l'aise dans ses mouvements, ses muscles étant parfaitement adaptés à la vitesse qu'il employait. Sa peau ressentait les frissons du vent, de la liberté, il était en parfaite harmonie avec l'environnement. Par des réflexes inouïs, il freina soudainement sa course, patinant sur plusieurs mètres avant de complètement s'arrêter. En face de lui se trouvait une jeune femme, elle avait obstrué l'accès au hollow qu'il suivait sans raison apparente. Qu'est-ce qu'elle voulait celle-là ? Le buter ? Apparemment pas. Toujours est-il que dans l’excès, Yomaku s’empara de la queue de la bête, puis d'un grognement, en concentrant ses efforts, il vrilla avec une extrême brutalité pour projeter le hollow le plus loin possible. Dix secondes plus tard, un bruit de pierre et de verre brisé indiqua aux deux personnes qu'il avait maladroitement atterri dans un bâtiment. Problème réglé. Le démon aux yeux rouges se redressa, s'étira en bâillant puis tapota ses mains l'une contre l'autre comme s'il avait effectué un travail pénible. Ce n'est qu'après ce tumulte qu'il fixa de son regard antipathique la jeune enfant. Pour commencer, il ignora complètement sa question, se contentant de l'observer suffisamment longtemps pour que ça en devienne gênant. Les sourcils froncés, la main posée derrière la tête pour se frotter la nuque... il croisa finalement les bras et conclut cette attitude mystérieuse par un sourire carnivore qui laissait tout le loisir de considérer sa belle dentition.

« Comme tu peux le voir, je me débrouille très bien tout seul. Mes hollows de compagnie m'offrent un peu de rigolade. Mais peut-être que.. »

Il se coupa net au milieu de la phrase, le nez retroussé, il reniflait visiblement quelque chose. Avec le flair d'un chien de compétition, il s'approcha davantage de la mystérieuse inconnue. Il passa à côté d'elle, la contourna, jusqu'à ce qu'il se retrouve face à un mur. Il continuait de sentir, avant de subitement choper quelque chose et de l'ingurgiter. La queue qui dépassait de sa lèvre avant de disparaitre permettait de discerner le reste d'un lézard. Oui oui, Yomaku avait un régime très particulier et son attitude n'arrangeait en rien la perspective qu'on pouvait avoir de lui. Pour en revenir à ses moutons, il revint à sa position initiale. À son retour, il ne remarqua que maintenant l'instrument de l'humaine, ce qui pour une raison ou une autre, marqua davantage les lignes de son rictus.

« Je vois. T'es donc une Fullbringer et ça, c'est la source de ton pouvoir n'est-ce pas ? Maintenant que j'y pense, c'est toi qui as détruit un de mes hollows ? Dans ce cas... »

Malgré les apparences, il réfléchissait plus ou moins vite. Bien que ça n'avait rien de compliqué, le lien s'était fait instantanément dans sa tête. D'un geste vif, l'Arrancar tendit son bras en avant, la main ouverte, il visait volontairement la guitare de l'individu avec la paume. De sa bouche, il prononça un lent, mais perceptible « Cero » qu'il coupa en deux syllabes bien distinctes. Seulement, voilà, après une brève attente, rien ne se produisit. En effet, l’explication était toute trouvée, Yomaku était tout bonnement incapable de générer des attaques spirituelles telles que le Cero ou le bara qu'il ne domestiquait pas du tout. Si lui le savait, la nouvelle venue elle n'en savait rien en revanche. Il ricana sournoisement suite à sa petite farce.

« T'en fais pas petite. Je suis pas douée pour ce genre de trucs. Par contre, rends-moi un service, montre-moi ce que toi et ton joujou êtes capables de faire. J'ai besoin d'un petit stimulant là. »

Ouep, la demande était très spécifique. Elle concordait toutefois à l'esprit tordu de l'homme qui adorait découvrir des tas et des tas de capacités pour savoir si ça valait le coup de s'y confronter ou non. Il aurait pu directement s'attaquer à elle pour qu'elle se défende et qu'elle soit sérieuse en y mettant toute la gomme. Mais non, pas cette fois-ci ! Là, il voulait simplement encaisser, non seulement pour endurcir son propre corps, mais surtout parce qu'il ne voulait pas d'affrontements directs. Pas maintenant. De plus, aussi dérangé que pouvait l'être le spécimen, ce petit challenge l'amusait. Alors certes, y'avait de grandes chances pour qu'elle refuse une telle requête et qu'elle reparte comme elle était venue. Enfin bon, entre nous il pouvait également lui apporter une quelconque aide si elle lui en faisait la revendication. Tout ce qu'il souhaite à l'heure actuelle, c'était de recevoir un bon choc en prévision de le réveiller et de le remettre de bonne humeur une bonne fois pour toutes. Sans savoir ce qu'elle allait faire, le démon se laissa tomber au sol en s'adossant contre un des murs, les yeux à demi-clos.

« Envoie la sauce gamine. »

L'approche n'était pas la plus délicate qui soit, mais la demoiselle n'était pas connue pour faire dans la dentelle. Si elle n'en était pas incapable, ce n'était clairement pas de cette façon qu'elle se sentait la plus naturelle. Directe et franche, elle allait droit au but, et tant pis pour la casse qui pouvait en découler. Et encore, c'était sans compter l'idée d'avoir peut-être enfin trouvé un allié dans ce monde hostile, qui l'avait rendue fébrile. Autant dire qu'il lui aurait été difficile de se retenir, même si elle l'avait voulu. Sûrement était-elle trop enthousiaste, mais la perspective – même erronée – de rencontrer « quelqu'un comme elle » lui avait fait l'effet d'une véritable bouffée d'oxygène dans cette ville qui, de plus en plus, devenait à ses yeux une jungle urbaine – car elle en avait la loi.

En le voyant attraper le Hollow qu'il poursuivait – lequel, ne s'attendant manifestement pas à ce qu'on lui tombe littéralement dessus, s'était stoppé net -, elle recula d'un pas, moins par méfiance que pour être sûre de lui laisser tout l'espace dont il avait besoin. La créature était tout de même un fameux morceau, et d'après sa carrure elle doutait fort que son interlocuteur soit beaucoup plus apte qu'elle à faire montre de délicatesse. Ce qu'elle en vit devait lui donner raison, puisqu'il se fit fort de projeter l'animal – si l'on pouvait le qualifier comme tel – jusqu'à ce qu'il disparaisse au loin avec perte et fracas. La main portée en visière, l'adolescente le suivit du regard sans plus s'en étonner jusqu'à le perdre de vue.

Joli lancer. T'as du beaucoup t'entraîner ! commenta-t-elle, nonchalante.

Trop heureuse d'avoir trouvé un camarade, Melody n'avait pas éventualisé une seule seconde qu'il se pourrait qu'ils ne poursuivent point un but commun. Encore nouvelle dans ce domaine, il allait lui falloir apprendre que les apparences sont parfois trompeuses et plus encore lorsque l'on côtoie des monstres à masques d'hommes. Hollow de compagnie ? Le terme lui avait fait hausser un sourcil. Jamais au grand jamais elle n'aurait pu s'imaginer que ces chimères se laisseraient apprivoiser. Il fallait dire qu'elle n'en avait qu'une expérience limitée, et certes pas des meilleures puisque chaque approche paraissait lui donner l'aspect d'un savoureux plateau-repas à leurs yeux. Quoi, il les promène en laisse et tout le bordel ?

Sans qu'elle ait pu lui poser la question, le chasseur – car c'en était un, non ? Peut-être les gardait-il de côté pour justement pouvoir courir après ? - huma l'air avec insistance tout en se rapprochant d'elle. Si elle s'était déjà rendu compte qu'il ne devait pas être tout ce qu'il y a de plus sain – faut pas être net pour vouloir un de ces trucs comme animal de compagnie - ce n'était pas une telle attitude qui allait corriger le tir. Si elle avait eu les mains libres, Melody aurait sans doute levé le bras dans un réflexe défensif quand le sien passa près d'elle avec une vivacité surprenante pour... Attraper un lézard et le porter à sa bouche. Un frisson de dégoût la parcourut de la tête aux pieds, sa pâleur soudaine ne laissant planer que peu de doutes quant à son avis sur la question. Ignoble, il n'y avait pas d'autre mot.

Full-quoi ?

Il se serait subitement mis à lui parler dans une autre langue que ça n'aurait pas été moins compréhensible. Le terme lui était complètement inconnu, et ce n'était pourtant pas faute qu'il ressemble à de l'anglais. Peut-être penserait-il qu'elle jouait la comédie. Ce ne serait pas le premier : posséder une telle aura sans même connaître ce genre de bases pouvait facilement y faire songer. Ce n'était pourtant pas sa faute : elle se contentait d'apprendre sur le tas, parce que c'était tout ce qu'elle avait. Toujours était-il qu'elle était incapable de mettre une définition sur ce mot, mais n'en demanda pas plus afin de ne pas mettre l'accent sur son cruel manque de culture lorsqu'on en venait au domaine du spirituel. Lacunes qu'il lui faudrait combler, elle ne le savait que trop bien. Mais comment ?

Livrée à elle-même, elle n'avait en effet pas eu grand choix si ce n'est celui de s'accommoder de son maigre bagage. Manifestement, il était beaucoup plus qu'instruit qu'elle sur la question. Or, elle ne tenait pas vraiment à lui laisser l'image d'une parfaite idiote en guise de première impression. Se passant la main dans les cheveux, et en profitant au passage pour repousser quelques mèches derrière son oreille, elle le jaugea d'un oeil curieux alors qu'il tendait la main vers elle. Non seulement elle n'avait aucune idée de son espèce d'appartenance – n'ayant même jamais eu vent jusqu'à ce jour de l'existence de celle-ci – mais autant le geste que l'arcane dont il l'avait menacée de se servir sans qu'elle le sache ne trouvaient aucun écho dans sa mémoire. Et pour une raison bien simple, ils ne lui avaient jamais été infligés jusqu'à ce jour.

À quoi tu joues ?

Sans doute serait-il déçu d'avoir raté son petit effet, mais même cela, elle ne pouvait pas le savoir pour l'heure. Si elle n'avait pas cillé alors qu'il la mettait en joue, se disant tout au plus qu'il devait s'agir d'une manière de lui dévoiler son propre pouvoir, la musicienne ne sut que lui faire les yeux ronds quand elle lui demanda de le frapper. Intérieurement, elle commençait à regretter de s'être si vite emballée si vite alors que le quidam en tenait de toute évidence une sacrée couche. C'est bien ma veine, ça ! Pourquoi faut toujours que je tombe sur des givrés ? Se retenant de soupirer, elle posa une main sur sa guitare, moins dans l'optique de se mettre à en jouer que dans celle de l'empêcher de s'en approcher. La mine contrite, elle tenta de se justifier.

Ça aurait été avec plaisir, mais... Je pense pas que ce soit une bonne idée.

Elle ne pensait pas que le pouvoir qu'elle renfermait puisse s'activer si ce n'était pas elle qui en jouait, mais prudence est mère de sûreté. Et en effet, si, ne sachant rien de son pouvoir, il ne pouvait pas savoir, s'en servir à la légère n'était clairement pas conseillé. Ce n'était pas qu'elle ne veuille pas, mais les dégâts causés la dissuadaient de le prendre à la rigolade. Ce n'était pas parce que cette ville n'était pas la sienne à proprement parler et qu'elle n'était pas vouée à y rester sur le long terme qu'elle pouvait tout détruire sur son passage. Ce qui ne l'empêcha pas de revenir sur cette décision à laquelle elle pensait pourtant s'accrocher devant tant d'insistance, rongée par la curiosité. Sa requête n'était au fond qu'un prétexte. Si ça peut l'aider à se calmer...

Bon, tu l'auras voulu. Crack the Sky...

Vérifiant que sa guitare soit bien accordée – quelle que soit son envie d'en jouer, elle n'avait plus trop osé y toucher depuis la dernière fois -, elle émit une première note hésitante. Il n'en fallut pas plus pour que le sol se mette à trembler légèrement sous ses pieds – et les fesses de son « spectateur » alors que son pouvoir s'éveillait. Un frisson tant de trouille que d'excitation la parcourut de pied en cap alors que l'envahissait peu à peu l'impression qu'une partie d'elle s'éveillait d'un long, très long sommeil. Peur d'une fois encore causer des ravages, mais aussi de le blesser sérieusement. Peut-être était-il un peu bizarre, mais il n'avait pas l'air méchant – du moins pas pour l'instant.

Alignant sans tarder quelques accords avec fluidité, les yeux mi-clos pour mieux retrouver ses marques, elle tempéra l'exaltation qui la gagnait pour ne lui en donner qu'un petit aperçu – qui pourtant aurait suffi à faire tomber en miettes une habitation. Le courant qu'elle venait de déployer mit à peine une fraction de seconde à couvrir la distance qu'il avait mise entre eux pour le percuter. Impact et déflagration. La musicienne ferma les yeux, craignant de découvrir le résultat de ce qu'elle venait de faire. C'était peut-être lui qui avait demandé, mais cela ne voulait pas non plus dire qu'il pourrait forcément l'encaisser. Lui aussi il a des pouvoirs, alors ça devrait aller, mais... songea-t-elle, se mordillant la lèvre d'anxiété.

Tout va bien ? fit-elle, élevant la voix pour couvrir le boucan causé par la détonation.

Pitié, faites que je me retrouve pas avec un cadavre à enterrer...