L’orage grondait au-dessus de leur tête, s’insinuait en elle comme le doux murmure d’une amante insatisfaite et désireuse d’y remédier au plus vite. Au cœur de même de ce chaos sonore et visuel se dessinait péniblement une demi-dizaine de silhouettes similaires au premier abord, et pourtant bien différentes. Là où habituellement chacune d’entre elles se serait contentée de fuir les assauts du vent et du sable réunis en fondant littéralement dans ce sol malléable afin de ne pas subir leur entrave partielle, une voix matriarcale et autoritaire s’était tantôt élevée au-dessus de l’assourdissante cacophonie pour ordonner quelque indicibles directives visiblement contraires. Ainsi la meute se mouvat-elle à découvert tout au long du périple, jusqu’à ce que les plus hautes flèches de la Forteresse ivoire ne soient plus que le reflet d’un mirage lointain. Une menace sous-jacente, omniprésente mais néanmoins suffisamment éloignée pour leur permettre de voir venir le péril. Depuis ces temps immémoriaux où l’Impératrice du Yermo s’était établie dans un vaste coin des terres désolées nulle réelle attaque ne l’avait prise au dépourvu. Exception faite de sa dernière rencontre avec feu le Primera et non moins ami l’Ezeckiel où là encore un semblant de stratégie s’était insinué dans les plans initiaux, lui permettant alors d’en sortir presque indemne.

Toutefois l’hybride ne se perdit pas en séance de flatteries autres masturbations d’égo. Un contrat non résilié ou accompli, demeure. La perte du Primera et maintenant de la Quinta venaient de sérieusement enraciner sa condition de renégate, nul doute que le Roi Guignol ne la laisserait donc aller sereinement pour le restant de ses jours. Et avec sa moitié dans leurs rangs, n’est question que de temps avant qu’une seconde salve de nettoyeurs ne la traquent et vienne l’effacer de ce plan existentiel une bonne fois pour toutes. C’est pourquoi dès la livraison de son dernier cadavre, preuve il est vrai d’un minimum de respect à l’encontre de son ancien employeur, la Mère et ses petites ne s’étaient guère attardées plus que pour des adieux en règle avec Aleksi avant de reprendre la route mais cette fois pour un aller sans retour. Du moins, pour quelques temps. L’une de ses dernières rencontres avait bouleversé son regard mi-clos sur un éventuel futur. Des terres au-delà de l’infini. Une armée depuis toujours absente mais bien présente. Une force de frappe susceptible d’être maniée pour peu qu’on leur offre un crédit honorable. Des adversaires à sa mesure ou au-delà, un mécanisme qui lui permettrait probablement d’envisager un retour en force. La triomphale interruption d’un exil illégitime. Et au bout du parcours : la vengeance.

- Mère, flux énergétique localisé à l’instant. Deux pointes successives. La créature n’est en rien une menace à notre survie. Engageons la procédure ?

Cette intervention de Betty l’éclaireuse émérite brisa instantanément le fil de sa pensée. Communiquer ainsi par le biais d’un pont télépathique est nécessaire car la pauvre n’est pas en mesure de le faire autrement. Et malgré l’usage quotidien de cette liaison spirituelle Daestra se surprend encore à en être étonnée. Elle stoppa net sa course, entraîna aussitôt l’arrêt complet du convoi. Sans mot dire, elle dirigea alors es pensées vers la cible.

- Un long voyage nous attend, il serait effectivement judicieux de faire quelques réserves. Allons tâter la viande.

Et, d’un simple geste de la main reprit la course. Le large sillon tracé par le groupe venait d’amorcer un virage sur la droite pour, quelques dizaines de mètres plus loin se disperser en de multiples branches qui finalement cessèrent de grandir, se terminant chacune par ce qui s’apparenterait le plus à un trou de taupe. La chasse est un art, la traque tout autant. Passée maîtresse dans la pratique de ces deux-là, l’ancienne Tercera ne se faisait donc aucune illusion quant à la réaction de sa proie qui, quoi qu’i advienne ne serait pas en mesure de les sentir. L’opération se déroulerait donc comme à chaque fois un succès sans saveur, sauf s’il était question de s’amuser au préalable. Envie qui précisément se grava dans son esprit tourmenté à l’instant même où son sonar lui communiqua une représentation tridimensionnelle du gibier. Pour une raison obscure celui-ci ne portait pas la moindre loque et se trouvait enfoncé dans le sable jusqu’au cou. Autant dire qu’on venait de leur offrir un succulent dessert sur un plateau d’argent. Pareille situation l’aurait interpellée jadis, mais après un second passage il paraissait évident qu’aucune autre source de vie ne se trouvât alentour. La meute se mit alors à former un cercle autour de la créature insouciante, entamant par la même une danse circulaire en prévision de l’attaque imminente. Attaque qui ne tarda pas puisque Daestra s’était désormais résolue à jouer.

Elle fonça donc brutalement vers sa proie, sourire aux lèvres et crocs luisants dans l’obscurité du sous-sol. Son bras gauche s’arma brièvement d’un Cero. Lorsqu’elle se trouva sur le point de la percuter celui-ci se tendit et frappa au niveau de l’abdomen. La force de l’impact projeta les deux femelles un instant dans les airs avant une chute durant laquelle l’Impératrice chevaucha sa partenaire. Une fois le choc du piqué évanoui, elle rapprocha doucement son visage amusé, renifla celui de sa monture, avant d’articuler ce qui venant d’elle et pour ceux-là connaissant s’annonça comme le début d’un jeu funeste et macabre.

- Belle soirée pour une balade, hein ?