Serein au possible, c'est un Haiko méconnaissable et légèrement amaigri qui sorti du bureau du capitaine commandant en cette fin d'après-midi. Seul l'habit blanc caractéristique à son rang, simplement endossé sur ses épaules, lui donnait un semblant de panache. Contrairement aux aillons de son Shihakusho... Sa chevelure, longtemps négligée, battait au rythme de ses pas de part et d'autre de son dos. Visiblement fatigué, l'Ardent ne put réprimer une grimace en se retrouvant nez à nez avec le soleil crépusculaire à l'horizon. Même une lumière aussi diffuse lui attaquait la rétine à la sortie du bâtiment. Malheureusement pour lui, il n'était pas encore temps de se reposer. Soufflant d'un air résolut, il rassembla ses forces avant de prendre la direction des quartiers de la quatrième division. Il lui fallait crever un abcès qu'il traînait maintenant depuis des mois. Il allait s'entretenir avec l'exécutante, la shinigami qui avait apporté la salvation à une âme torturée. Lire un rapport était une chose, mais le petit shinigami tenait à se confronter à cette personne de vive-voix. Il espérait de cette rencontre qu'elle l'apaise un peu. Et puis, Haiko avait bien besoin d'un petit check-up.

C'est ainsi qu'il se présenta à la division des soins, et inutile de dire que les shinigami et autres aides-soignantes croisant sa route dans les couloirs ne pouvaient masquer leur inquiétude. Le capitaine n'appréciait pas vraiment les hôpitaux, la faute à de nombreuses mésaventures passées. Il y repensait à chacun de ses séjours entre ces murs. Au fil de sa marche, son visage se figea, morose. Arrivant bientôt près du bureau du médecin en chef, une shinigami l'interpella gentiment. La voix de la jeune femme, empreinte de douceur, réveilla Haiko de sa torpeur. Dans son absence, il ne l'avait pas remarqué, elle qui le suivait depuis quelques mètres maintenant. Le petit shinigami recouvra un peu de sa consistance en renvoyant courtoisement la shinigami à ses occupations. Reprenant sa route, l'épuisement, autant physique que moral, retomba sur son faciès tel la déferlante sur un rocher.

Désormais devant la porte ouverte des quartiers de son homologue, il se planta là quelque seconde, observant le bout de jeune femme au manteau blanc affairée à ses documents. Se raclant pôliment la gorge pour signaler sa présence, il s'avança. Sa voix éreintée s'éleva calmement dans la pièce.

« Capitaine Kaogake, sixième division. Nous n'avons pas encore eu le plaisir de faire connaissance, et... Pardonnez-moi mais ce n'est pas vraiment la raison de ma visite. En fait, je souhaiterais m'entretenir avec l'une de vos homme. Une shinigami du nom de Kuragari Asuna... Pourriez-vous la convoquer s'il vous plaît ? »

Posant ces mots comme une banalité, le jeune homme patienta alors, ses paupières battant lentement sous la fatigue. Tellement fatigué qu'il n'eut même pas la force de s'en cramer une. Franchement, Haiko, il avait vraiment une sale gueule...

Asuna contempla béatement son bureau, interloquée de n’y découvrir que du vide, là où habituellement régnait un océan de papier. Pour la première fois depuis des mois, ce qui accentuait son désarroi, la jeune femme ne se retrouvait pas écrasée sous des piles et des piles de documents médicaux, de demandes d’hospitalisations diverses ou de formulaires de sortie. À l’heure où le ciel s’embrasait une dernière fois pour que vînt la nuit, la Capitaine n’avait aucune tâche à accomplir, et pas la moindre idée de comment exploiter cette soudaine liberté.
Elle n’aimait pas se sentir débarrassée de sa charge de haute-gradée, en dépit de son caractère énergivore. Car, quand elle ne pouvait s’occuper ainsi, la jeune femme devait faire face à un abîme d’ennui qu’elle ne savait comment combler.

En dehors de son rôle de Capitaine, Asuna ne faisait rien par elle-même, vide d’envies, telle une automate. Fréquenter autrui ne l’intéressait pas, pas plus que de s’adonner à une activité extérieure puisqu’elle n’en retirait jamais satisfaction personnelle. Aussi, au cours de ces périodes de creux, demeurait-elle là, derrière son bureau, à attendre le lendemain, où tout recommencerait en un nouveau jour. Se retrouver dans cette attente morne plusieurs heures avant celle prévue n’avait, à ses yeux, rien de bien agréable.
Les bras inertes sur le bois de son bureau, la tête légèrement inclinée vers l’avant, le regard fixant le sol sans ciller, elle parut comme morte, vidée de toute son énergie. Une de ses mains s’anima soudainement ; ses doigts galopants l’entraînèrent jusqu’à un tiroir, duquel ils firent émerger des dossiers, clos et archivés un peu plus tôt. D’un geste ample, Asuna les répartit brutalement devant elle, saccageant toute idée d’ordre ou de classement, sans prendre la moindre précaution quant au piteux état dans lequel finirent certaines pages. Elle se réjouit, au contraire, de retrouver matière à se distraire.

Trop absorbée par le soulagement, elle ne perçut pas immédiatement la présence d’un individu devant sa porte ; son visage se redressa en même temps que le nouvel arrivant se manifestait d’une toux bruyante. Un homme à la mine usée, affaiblie, dont l’état de fatigue manifeste ternissait la noblesse de ses traits, et qui, plus surprenant, portait l’Haori. Puisqu’elle était certaine de n’avoir jamais croisé auparavant cet individu, elle demeura silencieuse afin de le laisser se présenter. Les propos qu’il tint la laissèrent grandement perplexe ; sans qu’elle-même n’ait pris la peine de rencontrer tous ses pairs, Asuna les connaissait au moins de nom, et il lui semblait tout à fait impensable qu’il en fût autrement pour eux. Il était évident qu’elle avait affaire à un nouveau promu, ce qui n’expliquait cependant en rien son ignorance. Par ailleurs, le nom de l’homme lui évoquait bizarrement quelque chose, et elle ne pût dire quoi exactement. Elle fit choix de la prudence.

« Bonsoir, Capitaine Kaogake. J’ignorai que la Sixième Division venait de gagner un dirigeant. C’est bien.

Elle se retint d’ajouter qu’il s’agissait du plus réjouissant évènement pour cette division au regard du lieutenant qui l’administrait jusqu’ici. Un peu d’ordre là-bas ne manquerait pas d’en revaloriser l’image.

- Je vous en prie, asseyez-vous, dit-elle poliment en désignant l’un des sièges face à son bureau.

Elle ne s’embarrassa pas de faux semblants et le fixa avec intensité, ses yeux azur dévorant la moindre parcelle de visage du Capitaine, à la recherche d’un pli ou d’une expression capable de la renseigner sur ses intentions.

- Je connais Kuragari Asuna, et je peux la convoquer, oui. Mais avant, je souhaiterais en savoir le motif. Elle est un soldat très occupé, vous comprenez. »

Sa mascarade ne lui pesa pas plus lourde que son absence de conscience ; elle resta figée, inexpressive, aussi insondable qu'une statue d’ivoire et de glace.

Haiko ne se fit pas prier pour trouver le confort du siège en face de son homologue. Le soupir de soulagement qu'il poussa en s'asseyant lourdement en disait long sur son état physique. Subissant le regard perçant de la jeune femme, le capitaine l'ignora en se frottant le visage pour en détendre les muscles. Les coudes appuyées sur ses cuisses, les mains croisées soutenant sa tête, le haori faisait presque office de couverture dans cette position. Soudain, un frisson lui remonta l'échine et lui extirpa un long bâillement qu'il ne prit même pas la peine de dissimuler. Comme à la suite d'un réveil difficile, il se frotta les yeux d'une main. L'Ardent s'excusa alors.

« Veuillez m'excusez. Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas vraiment au sommet de ma forme. »

Un mince sourire illumina timidement son visage peu reluisant. Le petit shinigami se redressa alors sur son siège afin d'adopter une posture plus à même de lui donner un certain aplomb. Croisant les bras, il soutint alors le regard de la jeune femme avec une intensité égale, mais étrangement empreinte d'une agréable douceur. Il savait qu'il allait rencontrer la personne pour laquelle il se trouvait dans ces locaux. Haiko répondit alors calmement à son homologue.

« Je souhaiterais la rencontrer afin d'avoir son ressenti vis-à-vis des événements qui se sont produit lors de l'opération mise en place pour étudier le monolithe contenant le corps de Kisuke Urahara. Ayant lu le rapport de mission à l'époque, il semblerait qu'un... « incident » se soit produit peu avant l'extraction de l'équipe formée à l'occasion. »

Le petit shinigami détourna le regard sans en dire plus. Il ne pouvait s'empêcher de revoir les passages concernant Otsu dans ses pensées. Ce petit instant d'égarement passé, le capitaine se frotta la tempe d'une main avant de reprendre.

« Je me doute du fait que vous souhaiteriez connaître les aboutissants de cette conversation, mais j'aimerais mieux m'entretenir avec elle en privé. Je lui laisserais en revanche tout le loisir de vous faire un rapport à la suite de notre petite entrevue. »

L'assurance dans les propos du shinigami avait pour objectif de faire comprendre à son vis-à-vis que peu importe le temps qu'il attendrait, il ne partirait pas avant d'avoir rencontré Asuna. Toutefois, s'il pouvait patienter le moins possible, cela constituerait un plus appréciable.

Asuna évalua d’un air critique l’apathie de son interlocuteur mais n’en formula aucune espèce de reproche. L’homme avait conscience de son propre état, et s’en désola, laissant soin à Asuna de lui pardonner, ce qu’elle fit mollement. Plus que la faiblesse apparente du haut-gradé, ce qui importait surtout à la jeune femme en était le pourquoi de sa venue. Il se présentait dans un si piteux apparat que la raison l’ayant poussé devait être de la plus extrême importance. Ce qui n’apaisa en rien les réserves d’Asuna à se dévoiler.
Elle n’eut pas à attendre bien longtemps pour enfin découvrir le fin mot de l’histoire. Le motif de Kaogake la désarçonna légèrement, puisqu’il portait sur un évènement auquel elle n’avait pas pensé depuis des éons. L’homme ne connaissait pas l’identité de celle lui faisant face, et revenait mettre sur le tapis une vieille histoire, si bien qu’elle se demanda s’il n’avait pas hiberné pendant très longtemps, s’était perdu dans le Dangaï, ou quelque chose d’approchant.

« Ah. Je vois. »

Et ce qu’elle ne voyait ne lui plaisait pas. La mission qu’il mentionnait avait été un plus complet désastre, elle-même n’en avait gardé aucune séquelle, mais le préjudice porté au Goteï Treize avait été considérable. Une Siège et une Lieutenant mortes pour un bête objectif de récupération.

« Deux incidents, corrigea-t-elle, un pour chaque mort. Je m’en souviens, oui. »

Elle le dévisagea sans réserve, sans chercher davantage à dissimuler son ennui. Asuna avait parfaitement conscience que le jeu d’esquives ne pouvait se prolonger, et que sa feinte pourrait être mal interprétée par son interlocuteur. Finalement, peu importait à la Capitaine, elle essuierait ses critiques comme elle avait essuyé toutes les autres, avec le plus froid des détachements.

« Je ne doute pas que tout ceci me sera rapporté, oui. Je suis Kuragari Asuna. »

Elle lâcha son nom comme une bombe, sans ciller, sans se départir de son masque imperturbable. Ses yeux d’azur luisirent d’un pâle éclat, du même tranchant que le sabre à son flanc.

« Vous devez venir de loin pour ne pas le savoir, Capitaine Kaogake. Que voulez-vous savoir, au juste ? »

Les yeux du petit shinigami se détournèrent de ceux de son homologue, acquiesçant tristement sa correction sinistre. Deux mort, elle avait raison. Soupirant mollement, d'un air qu'on pourrait à s'y méprendre comparer à de l'ennui, Haiko redressa son visage pour se confronter de nouveaux à l'analyse de la chef de la division médicale. Son uniforme lui donnait chaud. La désagréable sensation irritante du vieux tissu commençait à le mettre mal à l'aise ainsi assis dans ce fauteuil. Le capitaine se redressa légèrement, les paumes appuyées sur ses cuisses, tout en écartant les pans de son haori sur ses côtés. Il croisa les bras pour se donner un semblant de consistance. Il n'attendait qu'une chose, que son interlocutrice fasse convoquer Asuna. Le temps qu'elle arrive, il y aurait encore de l'attente, et vu l'atmosphère glaciale dans cette pièce, Haiko ne pourrait livrer à sa collègue qu'un silence gêné.

Ce ne fut pas le cas. La nuit des prunelles du jeune homme fusillèrent l'azur du tranchant regard de la jeune femme. En l'espace de quelques secondes, l'Ardent recouvra sa superbe naturelle. Silencieux, il se contenta de maintenir le contact visuel, comme s'il bandait un arc invisible pour décocher une flèche en plein milieu du front de sa comparse de la quatrième. Il n'avait pas vraiment apprécié la musique que venait de lui jouer le capitaine Kuragari. Il n'était pas d'humeur à jouer son jeu des masques. Était-ce de la prudence ? Dressait-elle un bouclier entre elle et l'Ardent afin d'échapper a ce qu'il pourrait lui dire ? Le stoïcisme de la belle lui paraissait désormais plutôt déplacé, mais il n'en fit pas de cas, arborant désormais un air plus doux. Un mince sourire agrémenta même sa réponse.

« Je dirais plutôt que je « reviens » de loin, capitaine Kuragari... D'ailleurs, je suppose que des félicitations, même tardives, s'imposent. »

Ragaillardis, Haiko laissa tomber un air plus sombre sur son visage, sans quitter Asuna des yeux. Il n'avait là aucunement l'intention de soulever la moindre critique envers elle. Son retour des plaines arides des confins de ce monde, n'avait été motivé qu'en grande partie par cette rencontre, et le voilà qui touchait enfin au but. Malheureusement pas de la manière dont il l'avait espéré. Le petit shinigami souhaitait simplement entendre, de la bouche de l'exécutrice, son ressentis. Il lui répondit donc le plus calmement du monde.

« Je connaissais bien Otsu, elle était une amie et un bon soldat. Le capitaine-commandant avait foi en elle et ce malgré les démêlés qu'elle eut put avoir avec le Kenpachi et son ancienne division. »

Il marqua un temps, jaugeant avec attention l'intérêt que pouvait susciter ses paroles aux yeux du capitaine médecin. Claquant doucement sa langue contre ses dents pour marquer d'une majuscule sa nouvelle phrase, il continua.

« A l'époque, sa condition de vizard avait éveillé l'inquiétude de plusieurs d'entre-nous au sein du cercle des capitaines. Malheureusement, lorsque la nouvelle de sa mort, en pleine mission, entouré de ses partenaires, tomba... Je ne pus m'empêcher de penser que nous aurions pus faire plus. »

Las, la fatigue rattrapa le petit shinigami qui continua quand même en en revenant enfin à la question posée par son homologue.

« Le rapport de mission, je l'ai parcourus des centaines, si ce n'est des milliers de fois. Le lire est une chose mais... »

Son regard, alerte, désarmant de calme, transperça celui d'Asuna.

« ...C'est toi qui a porté le dernier coup, Kuragari-san. De ce fait, j'aimerais savoir de ta bouche, sans ambages, comment ça s'est passé... Même si cela peut te paraître futile, c'est très important pour moi. »

Sans être insistant, Haiko espérait que la jeune femme accède à sa requête sans aucun détour. Sa réponse influencerait sans doute les relations futures entre eux deux. L'Ardent pourrait ainsi comprendre un peu mieux, se forger enfin un avis tranché sur le possible danger que représentait la caste de ces demi-hollow, présent maintenant depuis des années au sein de la haute-autorité du Gotei. Outre cela, tourner la page sur cet événement lui permettrait enfin de retrouver son poste dans les meilleurs conditions possible...

Asuna accueillit avec obligeance la confrontation visuelle lancée par son vis-à-vis. Sans se départir de son expression inflexible, la Shinigami rendit son regard au Capitaine, à intensité égale, sans ciller ni manifester une once de remord. Elle ne s’excuserait jamais d’être trop prudente, et encore moins auprès d’un obscur gradé revenu d’entre les morts. D’autant plus lorsqu’il marquait d’une nouvelle pierre le monument de son ignorance, en la félicitant de sa promotion. Asuna y répondit par un léger hochement de tête, n’ajoutant rien d’autre pour ne pas rehausser le ridicule de la chose. Elle ne retirait aucune fierté particulière de son ascension au capitanat, et ne souhaitait pas que l’on lui en prêtât une.
Du reste, Asuna laissa Kaogake poursuivre son sensible plaidoyer auquel elle n’entendit rien. Elle ne sut que répondre au chagrin manifeste de l’homme et il ne lui vint pas non plus un bon mot d’esprit au sujet des hybrides. Les Vizards comme n’importe qui lui inspiraient la méfiance, jugeait-elle alors la surprise de son interlocuteur signe d’une grande naïveté.
Finalement, il formula clairement sa requête, et la fixa intensément, avide de ses réponses. Asuna vola un temps au silence pour s’abandonner à ses réflexions ; elle appréhenda le pour et le contre, la valeur du mensonge ou de la vérité, consciente que ses prochains mots pèseraient lourds dans les rapports entre les deux divisions. Elle fit choix de la sincérité :

« Je n’ai pas tué votre amie. J’ai tué un Hollow, dit-elle d’une voix posée. Nakatoto Otsu avait déjà été consumée par son monstre avant mon intervention. Cela ne fait aucun doute. Je peux sentir ce genre de phénomènes avec une grande précision. »

À défaut de lui offrir une figure chaleureuse, la Capitaine parla fermement, à la manière d’un médecin annonçant à un patient une maladie grave. Ce qu’elle était plus ou moins, en l’instant, puisque peu d’êtres supportaient l’idée de leur propre mortalité et celle de leurs proches.

« Si cela peut vous apporter une quelconque consolation, elle n’a pas souffert. Je ne peux hélas pas en dire autant de sa victime. Mais je ne vous apprends rien, cela est mentionnée aussi dans le rapport. »

Asuna se passa machinalement une mèche derrière l’oreille, les yeux perdus dans le vague.

« Je ne juge pas votre amie, Capitaine. Cependant, je pense qu’elle était déjà instable avant l’explosion du monolithe. Ce dernier n’a été que le déclencheur. »

Son attention revint à l’homme, qu’elle jaugea derechef sans animosité.

« Je crois que Nakatoto Otsu est en partie responsable de la tournure tragique de cette mission. Elle a tué une lieutenante et m’a contrainte à la stopper de façon définitive. Il est même possible que la Capitaine Tsunemi se soit retirée de l’armée suite au traumatisme qui a découlé de cette situation. »

Asuna fit une pause de quelques secondes pour laisser à son interlocuteur le temps d’ingérer ces différents coups de masse.

« J’ignore où vous étiez, Capitaine, et vous n’avez aucune obligation à me le dire. Mais vous revenez après la bataille. Le nom de Nakato Otsu est déjà tombé dans l’oubli et l’opprobre. Elle a été au cœur de beaucoup trop de souffrances pour être regrettée par le Goteï. Il me parait important que vous en ayez conscience. »

La Shinigami hésita quelques secondes puis ajouta :

« Je suis désolée pour tout ça. »

Haiko n'avait présentement ni la force, ni l'envie de soutenir plus longtemps la lutte silencieuse qui venait de s'instaurer entre les deux haut-gradés. Las, il détourna ses deux prunelles azur pour les laisser vagabonder dans le vague. Devant la ténacité glaciale de son interlocutrice, il ne pouvait lever les armes. Pas dans cet état. Et puis, à quoi bon ? La tête maintenant baissée, courbé sur son siège, les mains jointes et les coudes sur les cuisses... Son visage en partie obscurci par de longues mèches éparses tombant devant son visage, le petit capitaine écoutait. Sans ciller. Sans montrer ne serait-ce la moindre petite saute d'humeur. Les vérités qu'elle lui annonçait sur un ton très professionnel l'agaçaient, mais d'un autre côté, le fait que la jeune femme ne le prenne pas avec des pincettes lui faisait du bien. Il en avait besoin. Petit-à-petit, la boule qu'il ressentait au ventre se résorbait.

En revanche, que la fatalité des événements mettent entièrement en cause son ancienne camarade, ça l'Ardent ne pouvait l'accepter. Il indiqua d'ailleurs discrètement son désaccord d'un claquement de langue agacé lorsque la retraite du capitaine Tsunemi fut évoquée. Ainsi, il n'avait pas été le seul... Rejeter la faute sur autrui s'avérait facile. Les Mahô-Tsukaï ? L'incapacité du Gotei à gérer efficacement des crises de ce genre ? Le capitaine-commandant ? Tsunemi Ai ? Asuna ? Otsu ? Le Kenpachi ? La huitième division ? Les vizard ? Tous avaient leur part de responsabilité, lui y compris. Haiko ne pouvait s'empêcher de penser qu'Otsu n'aurait pas dû faire partie de ce groupe d'intervention. De part son instabilité, sa mise à l'écart, du moins pour un temps, se serrait avéré bien plus sage. « Arrivé après la bataille », la remarque avait fait mouche. Vrai, Haiko avait manqué à son devoir envers le Gotei. Il avait choisit l'exil, la fuite, au lieu de prendre sur lui et de continuer à aller de l'avant en mémoire de sa camarade. Le processus avait été long, mais il se sentait de nouveau prêt à faire ce qui devait être fait.

Les excuses de sa comparse lui passèrent au dessus de la tête, tel un vent glacial détourné par la chaleur de nouvelles résolutions. Au final il n'en ressenti aucun réconfort, seulement une mise à plat logique des choses. Une formalité en somme. Un bref silence laissa aux deux membres du Gotei le loisir d'entendre au loin les shinigami s’affairant à la tâche. Haiko se redressa alors doucement sur son siège, repoussant d'un geste de la main ses mèches rebelles. Un sourire désabusé finement dessiné sur son visage laissait réapparaître sa bienveillance coutumière. Les mots qu'il prononça par la suite avaient pour objectif de percuter son vis-à-vis de plein fouet, de briser sa carapace de glace. Et accessoirement de détourner la conversation.

« As-tu déjà eu des amis, capitaine Kuragari ? Et je ne parle pas de simples connaissances, mais de véritables amis. »

Question sans doute improbable aux yeux de la chef du corps médicale, pouvant même être perçu comme un reproche si mal interprété, mais légitime selon Haiko suite au discours dénué de chaleur de celle-ci. Sans même retomber dans la banalité de la première rencontre, l'Ardent venait de recouvrer la curiosité bon enfant dont il pouvait faire preuve en temps normal. Le tableau peint dans ce bureau pouvait faire un peut tache. Une capitaine à l'air austère face à une loque désormais sereine. Celle-ci gardait d'ailleurs ce même faciès avenant, sourire aux lèvres, déroutant si l'on considère le fait qu'à son entrée dans le bureau, il n'en menait pas bien large...

Le Capitaine Kaogake se peignait dans ses attitudes en homme prêt à sauter dans un gouffre sans fin, un sourire d’acceptation désabusée barbouillant ses traits, et qui ne possédait plus la crainte de sa propre chute, ni l’espoir d’une autre issue. Asuna, spectatrice privilégiée du sordide spectacle qu’il offrait, ne vit en lui que désespérances et fragilités, difficilement contenues derrière un masque d’invraisemblable sérénité. Son interlocuteur lui paraissait être fou. D’une folie doucereuse, mélancolique, le laissant vidé de ses forces, happé par ses pensées, son chagrin.
Asuna ne prétendait pas connaître les capacités de résilience de Kaogake, pourtant, elle doutait de le voir porter l’Haori encore longtemps. Elle ne se montrerait pas surprise lorsque, dans des mois ou des années, viendrait l’annonce du suicide du Capitaine de la Sixième. Une hypothèse à son sens, ni terrible, ni enthousiasmante, une hypothèse plus probable que les autres, rien de plus.

« Non. Et étant donné votre état, je m’en réjouis. »

La question n’avait rien remué en elle. Là où Kaogake avait sans doute pensé écraser de ses doigts les tripes d’Asuna, il n’avait en réalité fait que soulever un nuage de poussière dans un désert aride. La jeune femme ne le lâcha pas des yeux, sans se laisser submerger d’une quelconque colère, ou d’une abyssale tristesse sur sa supposée solitude. Car elle n’était pas seule. Pas totalement. Peut-être y avait-il une puissance à trouver en autrui, c’était bien là une possibilité que la Shinigami pouvait bien accepter, cependant, elle-même se trouvait bien incapable d’extraire de ses semblables autre chose que du néant.
Elle ne les aimait pas. Elle ne les détestait pas. Ils n’étaient rien pour elle, et elle n’était rien pour eux. Une étrangère parmi une foule d’étrangers. Cela était ainsi. Et cela ne l’intéressait pas.

Alors que celui-ci, avec son allure débraillée, sa mine défaite, sa peine, sa rancœur, la jugea pour ce qu’elle était, une créature à l’affect atrophié, cela lui était bien égal. Elle s’était cachée suffisamment longtemps, et à présent, débarrassée de ses doutes, Asuna ne concevait plus d’appréhension à se laisser voir ainsi, dans son entier désintérêt pour toute chose.

« S’il vous en reste, des amis, protégez-les. Le deuil semble nuire à votre efficacité. »

Elle se redressa à son tour, rigide et impassible. Son effort de paraître impressionnante fut aussitôt détruit par le bâillement qu’elle étouffa à grande peine. Finalement, la fatigue la gagnait afin de l’astreindre à quelques heures d’un repos bien mérité.

« Si vous avez fini de vous amuser, je pense qu’il est temps de nous séparer. Souhaitez-vous me parler d’un autre sujet, Capitaine ? »

Haiko haussa un sourcil, à moitié surpris par la réponse de son vis-à-vis. Devant lui se tenait un bloc de glace aux traits féminins. Aucune expression notable ne filtrait au travers de ce faciès impassible. Dressait-elle volontairement des barrières entre eux-deux ? De l'avis de l'Ardent, il y avait un peu de ça, sans doute. Il avait beau la fixer de son air doucereux, rien, vraiment rien n'avait l'air de la perturber. C'était comme si la chef du corps médicale faisait une rétention d'émotion sans pour autant paraître blasée. En effet, la silhouette derrière son bureau ne montrait ni joie, ni colère. Haiko se dit alors qu'il aurait pu se mettre à jouer du kazou sur les mains que ça ne l'aurait pas déridée d'un iota. De quoi se gardait-elle ainsi cachée derrière son masque ? Cette peinture cynique assise en face de lui était une véritable énigme et d'un côté, il comprenait maintenant un peu mieux son tempérament ainsi que l'explication du geste qui l'avait amené à mettre fin à la vie d'Otsu. Il le comprenait, sans pour autant l'approuver. Asuna avait l'air de quelqu'un de blasé, non... De lucide plutôt, voir même un peu trop au goût du capitaine de la sixième.

Il encaissa sa première remarque sans broncher, même s'il ne voyait pas le rapport entre sa condition actuelle et la question posée. La deuxième salve de mots n'eut pas vraiment le même effet chez Haiko qui garda pourtant son mince sourire. Son deuil, il l'avait déjà fait. Seul le besoin de faire face à ses responsabilité l'avait poussé à se passer de nouveau le manteau blanc sur les épaules. La troisième salve le frappa de plein fouet. Son sourire s'effaça totalement. Sa fatigue devint lointaine. Il n'y avait visiblement aucune tension entre les deux gradés. En fait, il n'y avait rien. Pourtant, l'Ardent accusa le coup. Lentement, il se leva. Doucement, il se rapprocha du bureau avant d'y déposer délicatement les paumes, bras tendus. Là, il se pencha légèrement en avant pour se retrouver à environ un mètre du visage de sa comparse de la quatrième. Une joie glaciale, caricaturale, marqua les traits du shinigami qui éleva une voix ferme, calme et mesurée. Le capitaine de division parlait.

« Ah, parce que tu penses que je « m'amuse », capitaine Kuragari ?! »

Il marqua un temps. Encore une tentative pour susciter une réaction chez sa collègue, mais d'un seul coup, son franc sourire revint et il se redressa en se décrochant du bureau. Mascarade. En à peine quelques secondes, la décomposition cérébrale du petit shinigami semblait s'être envolée. A vrai dire, elle avait disparu depuis son retour au Gotei. L'épuisement latent qu'il arborait depuis son entrée dans la pièce n'avait jamais vraiment existé. La fatigue physique restait quant à elle bien réelle certes, mais il faisait maintenant son possible pour ne pas la montrer. Il n'était pas comme ça, triste et mélancolique. Cette facette de lui, personne ne devait la voir, d'où son exil. D'un certain point de vu, étrange s'il en est, l'Ardent aurait pu avouer le fait que l'inflexibilité d'Asuna avait véritablement contribué à lui redonner un coup de fouet final. Elle lui rappelait presque son père d'adoption, Reiso, un homme à peine plus enjoué qu'elle, mais qui au fond avait un cœur gros.

Ainsi, mis à part son aspect débraillé, le Kaogake était de retour, et la situation l'amusait carrément. Lui, était un jeune homme fermement optimiste et croyant profondément au tout un chacun. D'une certaine manière, les deux capitaines semblaient se compléter. L'un blasé de tout, l'autre jovial, voir naïf. Son comportement paraissait sans doute absurde aux yeux d'Asuna, il devait même passer pour un idiot ou un fou, un capitaine clodo, schizophrène de surcroît. Dans le jeu des masques, chacun choisissait, ou non, ce qu'il souhaitait dissimuler. Et là, dans ce bureau, se confrontaient deux parangons du jeu. L'un d'eux lâcha alors platement, se répondant à lui-même.

« Oui, ça m'amuse. Et oui, je pense également qu'il serait opportun de nous dire au-revoir. Je n'ai pas l'intention de te déranger davantage. J'irais voir l'un de tes hommes pour un check-up rapide. Capitaine Kuragari. »

Un simple signe de tête respectueux termina sa phrase. Haiko tourna les talons et s'en alla. Mais il s'arrêta dessous le montant de la porte et tourna la tête en direction de sa collègue. Son air sérieux, profondément gentil, se ressenti dans ces mots.

« Tu sais, l'amitié n'est pas une tare. Elle apporte plus de joies que de peines, crois-moi. Tu devrais essayer un jour... »

Sur quoi il s'en alla enfin, sans autre forme de procès.