C'était probablement un des plus gros magasins d'alimentaire de la ville. Sumi en avait connu des bien plus imposants et animés, lorsqu'elle vivait à Nagano, mais les échelles n'étaient pas comparables. Ce convini était déjà bien vaste pour la petite fille, qui se débattait avec la foule consumériste. Si la plupart étaient là pour faire leurs emplettes de nourriture, d'autres traînassaient dans les rayons parfumerie, électronique ou électroménager, méditant parfois avec un vendeur sur la meilleure façon de dépenser leur argent durement acquis. Une fourmilière dont la Reine était la sacro-sainte Consommation.
La petite Fullbringer avait l'estomac creux. Son séjour à Karakura n'était pas des plus agréables pour le moment. Elle était arrivé presque littéralement les mains dans les poches. Il fallait bien se nourrir. Débrouillarde, elle l'était, mais être sans domicile à huit ans, c'était quand même une épreuve. L'urgence était à l'alimentation. Depuis plusieurs heures déjà, elle n'avait rien avalé et ne se sentait pas capable de faire la manche... Déjà, parce que cela attirerait l'attention, ensuite parce qu'elle mourrait de honte avant d'oser tendre la main avec un air suppliant sur le visage. Elle avait une fierté, peut-être ridicule, mais pour l'heure, elle ne voulait pas s'abaisser à demander l'aumône. Elle errait donc dans ce magasin, plus pour s'occuper qu'autre chose. Elle avait espéré que cette visite lui aurait fait oublier les gargouillements de son ventre, mais les rayons pleins de bonnes choses à manger avaient plutôt tendance à faire l'effet inverse. Elle regardait avec envie les habitants de la ville, remplissant leurs chariots de tout ce qui les tentait.

Sumi se dit que cela n'avait finalement peut-être pas été une si bonne idée de venir ici. Elle était trop inquiète pour s'émerveiller des nouveautés du rayon jouets, des avancées du rayon jeux-vidéos ou de la beauté du rayon pâtisserie. Autrefois, quand elle vivait à Nagano et qu'elle allait avec ses parents dans ces immenses surfaces d'achat, elle avait l'impression de pénétrer dans un autre univers, où tout ce qui existait en ce bas-monde était à portée de main. Aujourd'hui, elle ne voyait que des choses qu'elle ne pourrait sans doute pas avoir avant longtemps, des biens matériels très loin des dangers qui l'attendaient à l'extérieur.
Ses pas la menèrent jusqu'au rayon épicerie, ou du moins un des rayons du pôle dédié à l'alimentaire non-frais. Toutes sortes de pâtes, de condiments, de conserves, des dizaines de marques et de types de produits différents s'alignaient proprement les uns à côté des autres, attendant que quelqu'un s'en empare. Arrivée devant l'étagère où étaient rangés les gâteaux secs, elle les dévisagea comme autant de hiéroglyphes mystérieux. Les emballages parlaient de chocolat, de lait, de vanille, de crème, de délices pour les papilles et de friandises préférées des enfants.
Des enfants qui avaient assez d'argent pour les acheter.
La mine sombre, son regard se perdit dans le vide, alors qu'elle tentait d'ignorer le grondement de son estomac. Il faudrait bien qu'elle mange à un moment donné. Mais que faire ? Quémander ? Voler ? Attendrir ? Tout cela la mettrait en danger, d'une façon ou d'une autre.
Elle entendit un drôle de bruit ; comme un craquement répété. Elle quitta sa rêverie et remarqua une boule noire dans le rayon, en face d'elle. La boule noire avait deux petits points jaunes en guise d'yeux et tenait dans une main un paquet de biscuits éventré, dans l'autre un de ces mêmes biscuits à moitié entamé. Ses joues étaient gonflées et, lorsque Susu croisa le regard de sa maîtresse, il avala sa bouchée d'un bloc.

! Kawamiam !
• Susu, mais que... ?

La jeune fille retira son sac à dos de ses épaules et constata qu'il était ouvert. La peluche avait dû s'animer sans qu'elle n'y prenne garde, s'était échappée... et venait de faire une nouvelle bêtise.

• Susu, arrête ! On ne peut pas, il faut payer pour manger ça !
! Wékawo !
• Je m'en fiche que tu aies faim ! répondit Sumi qui pensait avoir compris en voyant la mine contrainte de la bestiole. • Moi aussi j'ai faim ! Arrête de faire l'idiot ! s'emporta-t-elle en voyant le kimokawa lui tendre simplement le paquet, comme l'invitant elle aussi à soulager son appétit en se servant.

Occupée à gronder son compagnon, elle ne prit pas garde au fait qu'elle n'était pas seule dans ce grand supermarché.