Il sentit la flamme s'éteindre.
Santo rouvrit les yeux.
Elle avait reçu son appel. Elle arriverait bientôt.

Le Rey se redressa, se leva et descendit lentement les marches qui menaient à son trône. Leurs réunions n'étaient jamais tenues dans la Salle du Trône. Trop ouvertes aux courants d'air et aux oreilles indiscrètes. Le secret était la règle première de leur collaboration. Ses pas claquaient contre le marbre noir des marches, les flammes qu'il générait dansaient en produisant leur lueur macabre habituelle. Elle serait sans doute déjà arrivée. Elle faisait preuve d'une diligence incroyable lorsqu'il la convoquait. Inutile de presser le pas. L'attente faisait partie des attributions de la Paladin. Attendre que son Rey ait besoin d'elle.
Comment savait-elle qu'elle devait le retrouver ? Tout simplement grâce à un système simple : Santo envoyait vers la signature de son Reiatsu, qu'il était probablement le seul à identifier dans tout Las Noches, une flammèche. La concernée saurait, en la voyant, qu'elle était demandée en entretien par son Maître. Elle n'avait alors qu'à étouffer le feu grâce à son eau pour que Santo sache qu'elle avait bien reçu le message. Un échange sans un mot, uniquement la démonstration de leurs pouvoirs, aussi opposés qu'elle pouvait lui être dévouée.

Rendu au bas des marches, il entendit deux coups portés à l'immense porte qui donnait sur la Salle du Trône. Deux échos qui se répercutèrent dans toute la pièce, s'enfuirent dans les ténèbres pour mourir dans le néant derrière le Rey. Les flammes qui dansaient autour de lui se ravivèrent brutalement, projetant des lampées de feu dans toute la pièce, éclairant soudainement chaque coin sombre. Usant de son Pesquisa, Santo sonda l'endroit... Hors de question d'être surpris par une âme trop curieuse. Rien. Personne.

« Faites entrer. »

Les flammes s'atténuèrent lorsque les deux portes s'ouvrirent, offrant une brève vision vers la nuit, le désert et Nacimiento, qui occupait le premier plan. Une rumeur lointaine, celle de l'animation habituelle qui régnait autour du Palais, vint à ses oreilles comme la mélodie chaotique d'une future armée en marche. Une silhouette entra. Elle ne ressemblait en rien à la personne qu'il avait appelé.
Mais c'était bien elle.
Les portes se refermèrent derrière elle.

« Bonjour, Thétys. Fais-moi ton rapport. Nous devons préparer la suite des évènements. Sima me parait agité, aujourd'hui. »

Elle ne négligeait jamais cette flamme qui illuminait ses ténèbres. Le signal méritait réponse et elle savait quoi faire. A peine la flammèche disparue, éteinte par son pouvoir, que déjà elle se rendait là où il l'appelait. On ne faisait pas attendre le Rey. Se faufiler aux travers des ombres était innée chez elle. Et elle attendit qu'il daigne la laisser entrer. Attendre n'était rien et elle était disciplinée. Sans discipline, comment prétendre à préserver la vie de l'oracle ? L'ordre vint et c'est avec détermination qu'elle pénétra dans l'enceinte sacrée. Les portes se refermaient derrière elle et elle attendit qu'elles soient parfaitement closes avant de sonder les lieux. Son maître l'avait certainement déjà fait mais deux précautions valaient mieux qu'une seule, en particulier dans un monde qui pouvait rapidement être hostiles à Santo. Et à elle, par voie de conséquence.

Une fois rassurée, elle abaissa la capuche qui lui recouvrait le visage, découvrant le visage d'une femme de quatre-vingt ans. Il ne s'agissait que d'un de ses nombreux masques mais le Rey savait à qui il avait à faire. Il connaissait la manie de la belle et bien qu'il soit le seul à connaître son véritable visage, elle ne le montrait que rarement.

Il lui demandait son rapport. Et elle le comprenait. Les choses se mettaient en place mais il y avait encore du travail. Et s'il y avait toujours de nombreuses voix à s'élever contre Sima et ce culte, elles ne le faisaient plus que dans l'ombre, de peur de subir le châtiment de Santo. Son rôle à elle, c'était précisément de s'assurer que personne ne viendrait tenter quoi que ce soit sur la personne de son maître. Elle jouait ce rôle depuis longtemps désormais et elle avait oublié tout le reste.

- Nacimiento s'agite, mon Seigneur. Mais vos Espada jouent pour l'heure parfaitement leur rôle. Bien que les Hollows ne cessent de répondre à cet appel. L'incompréhension domine dans le coeur de beaucoup et certains rejettent l'idée de Sima. D'autres, au contraire, se raccrochent à vos propos et espèrent. Mais la peur est la plus forte pour le moment. Les incroyants se cachent parmi les foules. Il est difficile de les faire sortir, même s'il sera de plus en plus compliqué pour eux de se terrer de la sorte.

Sa mission première, outre protéger son maître, était aussi de garder un œil sur les premières places de l'Espada. L'unité avait acquis de nouvelles responsabilités et avaient désormais une véritable tâche à accomplir. Ce qui, selon ce qu'elle avait compris, n'avait jamais été le cas par le passé. Or, selon les concepts de son maître, plus les Espadas étaient fidèles au culte et à lui, meilleures étaient leur place. Elle ne se fiait pas à eux. L'une des plus vieilles stratégie au monde consistait justement à se rapprocher de son ennemi pour lui porter un coup fatal. Si un tel malheur arrivait à Santo, son propre culte pourrait s'effondrer. Elle ne pouvait le permettre.

- Je compte m'intéresser un peu plus aux premières places de l'Espada. Je n'ai pas encore eu le loisir de me rapprocher d'eux mais j'estime qu'ils doivent être les premiers à être surveillés.

Alors qu'elle parlait, elle n'avait pas bougé d'un pouce, posant seulement ses yeux gris sur celui qu'elle respectait au plus haut point. Si le culte en lui-même ne pouvait pas autant lui parler qu'aux Hollows, elle ne rejetait pas ces préceptes. Et y croyait. Mais s'il lui avait demandé de venir, ce n'était pas seulement pour écouter ce rapport tronqué. Elle le savait.

- Seigneur, quelles sont vos ordres ?

Elle posa genou à terre, abaissant la nuque en signe de soumission. La garde de sa Claymore, qui dépassait légèrement de sous sa cape, se mit à luire légèrement, changeant alors de forme. Reprenant celle d'un simple Zanpakutô de Shinigami. Cela eut surtout pour effet de briser le sortilège dans lequel elle se plongeait le plus clair de son temps, lui redonnant la silhouette et le visage qui étaient les siens. Le visage d'une jeune femme défigurée mais déterminée. Déterminée à mourir s'il le fallait pour les idéaux de cet homme.

Santo observait le vide au dessus de la jeune femme, qui venait de révéler son véritable visage marqué. Il était toujours aussi satisfait de l'abnégation que témoignait Thétys à son égard. Si, au début de son service, il s'était méfié d'elle - une Vizard aussi aveuglément obéissante était soit un atout inestimable soit une menace mortelle - il n'y avait aujourd'hui plus aucune trace en lui de suspicion. Ou alors, un rien de précaution. Si elle restait son plus fidèle lieutenant et probablement la personne en qui il avait le plus confiance, Santo savait d'expérience que cette confiance devait garder une certaine limite. Elle était terriblement puissante, incroyablement douée et sa détermination, aujourd'hui à son service, serait sa plus grande force si il lui prenait un jour l'envie de tuer son maître.

Le rapport ne différait pas beaucoup de ce qu'il savait. Mais Thétys avait des yeux et des oreilles partout, surtout tout près de lui. Si un attentat se préparait, si un coup d'état se montait, elle le saurait probablement avant même que l'auteur ne s'y décide. Nacimiento et ses tribulations étaient normales ; le chaos précédant la naissance du monde. Les infidèles avaient droit de cité, avait-il décrété et tant que ceux-ci se contentaient de participer à l'effort généralisé, ils resteraient les bienvenus. Évidemment, une allégeance à Sima (et indirectement à Santo) était toujours bénéfique... Mais le Rey ne pouvait pas trop en demander. Il connaissait son espèce et sa fierté.
S'approchant de la guerrière, il posa la main sur son épaule, l'invitant à se redresser.

« L'Espada se repeuple. Le vent tourne, tous le sentent. Sima aussi. Je vois un avenir de sang et de feu, et de ténèbres où nous serons seule lumière. Tu œuvres à cette réussite, Thétys, et ton travail est admirable. Les premières places sont les plus dangereuses, en effet. Les serments se brisent si simplement, parmi les Hollows. Fais. Surveille-les, espionne-les, interroge-les. Je veux que mon Espada me soit dévouée, à défaut d'être dévouée à Sima. Je ne puis tolérer toute trahison parmi ma garde d'élite. Ce serait la fissure qui détruirait ce Palais et tout ce que nous avons construit. Préviens tout risque. Au moindre doute sur l'un d'entre eux, n'importe lequel, fais-moi en part. Je saurai déceler le vrai du faux, guidé par notre Père. »

Certains noms résonnaient dans l'esprit de Santo comme des menaces éventuelles. Des individus à la dévotion incertaine. Les vœux pieux n'étaient pas rares du temps de Grimmjow, ils ne seraient pas une exception sous son règne. A lui de prendre les devants, de trouver le menteur avant que celui-ci ne le trahisse. Punir préventivement serait une solution. Un avertissement. Mais la nature des Hollows les pousserait à se rebeller contre celui cherchant à les nuire, même si c'est pour leur bien. La violence n'engendrerait que la violence. Il fallait être diplomate, précautionneux... et intraitable, le moment venu.

« Je vais également multiplier mes visites à Nacimiento. Participer un peu plus activement au recrutement de fidèles. La foi de nos frères a besoin d'être alimentée. Le bouleversement de l'appel de Sima n'aura fait effet qu'un temps. Je sais à présent que nous devons nous rapprocher de lui. Il n'y a que face à lui que tous reconnaitront son existence et lui prêteront allégeance, et alors nous serons cette force inarrêtable qui balaiera nos ennemis. La foi, Thétys. Il n'y a que la foi qui peut réunir les bêtes. Je dois entretenir cette foi. Cela exigera que tu puisses assurer plus régulièrement ma protection, lorsque je serai hors des murs de cette salle. Penses-tu pouvoir assurer cette mission ? »

Elle n'en doutait pas : Santo était doué pour lire au travers des mensonges et si elle avait un doute sur un être, alors elle laisserait son Seigneur agir. On ne pouvait tromper sa vigilance. Et même si par malheur ça arrivait, elle restait le dernier rempart avant de l'atteindre. Ce mur protecteur qu'il fallait démolir pierre après pierre avant d'imaginer pouvoir arriver jusqu'à son maître. Il était rare - elle le savait - de voir un Shinigami mettre son épée au service d'un Arrancar. Mais fous seraient ceux à la juger trop hâtivement : elle avait vu ce que pouvait amener Santo. Elle avait lu sa force. Et était fière de pouvoir le servir, même si l'ombre était sa compagne.

La Seconde division lui avait appris à se contenter de ça. Et ces siècles à se cacher de ses frères et soeurs n'avaient fait que renforcer sa détermination et ses talents. Au palais, la rumeur courait déjà. Santo avait une garde secrète. Mais personne ne connaissait son visage. Personne ne savait combien ils étaient. Était-ce la simple volonté de Sima qui le préservait ? Les ombres étaient discrètes et mortelles, on le redoutait en quelque sorte. Et elle y contribuait. Téthys était fière de se dire qu'elle suffisait à cet homme. Il lui avait donné une raison de le suivre et de survivre.

La question fit écho dans son esprit. Elle n'avait même pas besoin de réfléchir, à dire vrai. La réponse s'imposait d'elle-même et Santo le savait très certainement. Elle ne laisserait personne l'atteindre, quitte à tomber pour le sauver. Elle n'était pas aveugle pour autant. Seulement déterminée à respecter sa promesse. Il en allait de son honneur. Elle en avait un, n'en déplaise à ses actes passés. Elle se redressa complétement. Elle ne cillait pas.

- Inutile de le demander, Seigneur. Ma lame et mon armure sont vôtres. Votre sécurité sera assurée. Nacimiento sera mon refuge lorsque vous irez parcourir ces terres et je serais votre ombre la plus fidèle.

Elle fit quelques pas, ses yeux ne voyaient rien d'autre que cette aura bienveillante sur qui elle se devait de veiller. Ses sens restaient néanmoins en alerte : elle savait que l'Exequias rodait dans le Palais, même si cette salle restait hors de leur portée. Et se refusait de leur offrir son secret. Elle se méfiait de l'Espada comme de l'Exequias. Elle se méfiait de chaque être susceptible de porter atteinte à Santo. Bien que cela puisse paraître présomptueux, la belle ne se fiait qu'en elle et en Poseidon pour protéger cet homme. Mais les ennemis de l'intérieur n'étaient pas les seuls sur qui il fallait garder un oeil, elle ne le savait que trop bien. Même s'ils étaient pour l'heure leur priorité.

- Puis-je vous demander si vous avez eu vent de mouvements de la part des Shinigamis ? Ou des Reapers ? Nous ne sommes pas encore prêts à nous opposer à eux s'ils viennent ici. Bien que l'Espada se reforme, j'ai peur que ce ne soit pas encore suffisant, Seigneur. Sans doute sont-ils occupés eux-aussi. Mais je préfère ne négliger aucune menace pouvant vous atteindre directement.

Son manteau s’affaissa légèrement, découvrant une partie de l'armure que lui avait offerte le Guide. Et qui rappelait sans la moindre équivoque sa nature guerrière. Un dicton disait que la Seconde division faisait naître les ténèbres dans les cœurs des ennemis du Gotei. Téthys pouvait aujourd'hui confirmer ce fait. Sauf qu'elle semait al peur dans tous les cœurs, sans distinction.

Bien évidemment qu'elle assurerait sa protection. La question de Santo tenait presque de la rhétorique, mais avait l'intérêt de s'assurer, par le martelage, de la fidélité de la Vizard. Car si le Rey ne doutait pas de sa dévotion - les responsabilités qu'il lui confiait en étaient la meilleure preuve - il craignait souvent que le passé et la nature première de son garde-du-corps ne détourne sa mission. De ce que Santo de son histoire, elle n'avait guère de raison de revenir vers les siens. Mais en ces temps troublés, comment en être sûr ? Il ne pouvait que lui accorder sa confiance. L'acceptation des Vizards au sein de Las Noches était une réforme qu'il avait maintenue. Il savait qu'il ne pouvait se dispenser d'aucune force vive. Mais il gardait pour eux une méfiance essentielle, comme marquée dans ses gênes. Thétys était une exception, sans être un cas à part. Le Rey garderait toujours cette angoisse de la savoir partiellement Shinigami. Il aurait rêvé d'une guerrière de l'eau née Hollow. D'une certaine manière, elle avait dû faire d'autant plus d'effort pour acquérir sa confiance, la rendant d'autant plus légitime.

« Guère de nouvelles, non. L'espionnage n'a jamais été notre fort et les rumeurs ne fondent pas une stratégie. On parle de Reapers présents plus que jamais dans le monde des Humains, de Shinigamis soumis à leur dictat. Je vois mal les Dieux de la Mort plier l'échine si facilement. Pour l'heure, il n'y a qu'une information que j'aimerais détenir plus que tout : est-ce que les Shinigamis et les Reapers travaillent de concert ? Existe-t-il des tensions entre eux ? S'ils sont divisés... voilà notre chance de redevenir la race dominante dans ce monde. Et peu importe la puissance des Reapers. »

Comme beaucoup, Santo avait d'abord été inquiet d'apprendre que les Reapers venaient d'entrer dans l'échiquier de cette guerre séculaire. Il avait eu des murmures depuis les tréfonds du Hueco Mundo, sur des Dieux de la Mort différents des Shinigamis, mais rien de concret. Santo ne savait qu'une chose : on lui avait déconseillé d'aller trop loin vers l'horizon. Les Reapers avaient-ils quelque chose à y voir ? Impossible de le savoir.
Mais cette crainte des Combattants Totémiques s'était estompée peu à peu, à mesure que Santo voyait son armée grandir et qu'il analysait la situation. Les Reapers étaient, disait-on, une poignée. Quelques centaines, au plus. Ce qui n'était rien. Santo avait des milliers de Hollows sous ses ordres et bientôt beaucoup plus. Son Espada se remplissait. Et si les Reapers étaient, comme on le disait, en désaccord avec les Shinigamis... Il pourrait les éliminer.

« Nous ne sommes effectivement pas encore prêts. Mais j'ai bon espoir. Nous avons Sima. Ils n'ont que leur orgueil. Et le déséquilibre des âmes fortifie notre armée plus vite que la leur. Un Hollow face à un Shinigami périt. Cent Hollows vaincs. Et à l'heure actuelle, les nôtres sont plus nombreux chaque jour, tandis qu'il leur faut des années pour former un de leurs fantassins. Si nous ne tardons pas, si nous frappons au bon moment... Alors les Mahô Tsukaï nous aurons finalement rendu service. »

L'information, voilà le nerf de la guerre. Savoir ce que veut faire l'adversaire, quand, comment, avec quels moyens, c'était évident que c'était un atout de taille. Mais comment obtenir ces informations ? Impossible d'aller à la Soul Society. Santo avait éventuellement considéré envoyer Thétys, Vizard qui aurait pu, par ses talents, s'infiltrer dans son ancien monde. Mais il ne voulait ni prendre le risque de la donner aux Shinigamis, ni prendre le risque de se laisser sans sa protection. Il ne doutait pas de pouvoir se protéger lui-même - il en avait la puissance, et la bénédiction de Sima pour vaincre tout païen lui voulant du mal - mais on n'était jamais trop prudent. Il était primordial de ne pas oublier l'importance de la prudence.

Elle ne pouvait nier la justesse des propos de son Seigneur. Les Hollows étaient bien plus nombreux que les Shinigamis et le déséquilibre qui avait fait suite aux derniers événements sur la Terre avait accéléré la cadence : moins d'âmes étaient sauvées et obligatoirement, plus de Hollows naissaient. Pour autant, même si la force du nombre comptait, il n'en restait pas moins à ses yeux que les Anges de la Mort étaient autrement mieux entraînés que cette armée naissante. Et à en juger par ce qu'elle voyait au quotidien, un seul Shinigami très bien entrainé pouvait venir à bout de nombreux Hollows. Concernant les Arrancars, la balance se rééquilibrait, bien sûr. Mais Sima appelait ans distinction aucune. Et force est de constaté que les Hollows n'avaient, pour la plupart, pas suffisamment de puissance pour survivre.

L'art de la guerre n'avait aucun secret pour la belle. Son ancienne affectation à la Seconde division lui avait permis d'apprendre et de développer de nombreuses stratégies. Elle comprenait que cette armée n'était en réalité qu'un simple leurre. Une attaque comprenant ces Hollows ne servirait que d'appât. Une force d'occupation avant d'être une force de frappe, cette dernière étant centralisée sur les Arrancars. Santo était un homme avisé. Mais il n'en restait pas moins un homme. Et c'est ce qui expliquait qu'elle mette à son service son armure et son Zanpakutô.

La question des Reaper, quant à elle, était effectivement une préoccupation pour elle. Malgré de nombreux siècles à parcourir la Terre, jamais elle n'était tombée sur l'un d'eux. Jamais même elle n'en avait entendu parler. Leur rôle ne la préoccupait finalement pas tant que ça. Ce qui la gênait, c'était la raison qui les avait poussés à sortir de leur silence. Mais même ainsi, elle doutait que les Shinigamis acceptent de leur plein gré une telle force à leur côté. C'était contre leur principe et leur égo. Elle ne savait quelque chose.

- Permettez-moi néanmoins d'émettre une réserve, Seigneur. S'il est vrai qu'il faut du temps pour la formation d'un Shinigami, s'il est vrai que notre armée se renforce considérablement, il n'en reste pas moins qu'en combat réel, ils auront l'avantage. Au-delà du nombre qui fait notre véritable force, il nous faut accentuer la préparation des Arrancars qui sont à votre service. Ce sont eux qui feront pencher le cours de la bataille de notre côté. Quant aux Reaper...

Les yeux gris de la belle se voilèrent, comme si elle était accaparée par une autre présence. Ce qui était effectivement le cas, son Hollow intérieur communiant avec elle de temps à autre. Le silence s'installa seulement quelques secondes puis le voile se leva.

- Ils sont apparus au moment même où les Shinigamis perdaient pieds. Si je ne connais pas leur motivation, je peux déduire qu'ils ne laisseront pas les Hollows pulluler. En tant que Voix de Sima, vous devenez de fait la cible à abattre.

Ce n'était qu'un simple constat qu'elle énonçait placidement. Mais en son for intérieur, les éléments se déchaînaient à la simple hypothèse de voir Santo tomber. Cela ne lui était pas seulement douloureux. C'était juste inconcevable. Cet homme devait survivre. Qu'importe les moyens déployés pour cela.

- Je tenais aussi à vous informer que j'ai pris quelques dispositions pour que ma présence reste un mystère. On me considère comme un simple serviteur du Palais, pour l'heure. Je compte garder ce profil quelques temps lorsque je parcourrais Las Noches. Mais certains commencent à comprendre. Et il m'est difficile de toujours devoir échapper à la surveillance de cette unité de l'ombre. Le jour viendra où je ne pourrais plus cacher ce que je suis. Mais je vous rassure, Seigneur : mon don préservera ma véritable identité et je resterais votre ombre protectrice. Qu'importe que l'on sache ce que je fais tant que personne ne peut savoir qui je suis réellement...

Elle préférait l'avertir. Si pour Nacimiento, elle restait la simple volonté de Sima, pour Las Noches elle serait bientôt reconnue comme étant au service direct du Roi. On ne pouvait éternellement se cacher au sein d'un Palais si petit. Pas avec autant de yeux qui vous épiaient. Mais son visage lui ne serait jamais connu de personne. En dehors du seul être en qui il avait confiance.

« Bien évidemment que nous devons plus compter sur les Arrancars que sur les Hollows. Ceux-ci ne sont qu'une chair à canon, nombreuse, pullulante, mais je les considère comme un atout notable. Les Shinigamis sont peut-être plus puissants qu'eux, mais le nombre joue. J'en suis convaincu. Une invasion de masse ne pourra pas être gérée efficacement par les bataillons de Dieux de la Mort. Mille Hollows contre un Shinigami. Le Shinigami pourra peut-être gagner, mais il pourra s'occuper de tous ses ennemis en même temps. »

Une des intentions secrètes de Santo était d'éventuellement envoyer toute son armée Hollow à l'attaque, dans la Soul Society, et d'occuper les Shinigamis pendant que les Hollows massacraient la population des âmes dans ce qu'ils appelaient le Rukongai. Les Dieux de la Mort étaient trop puissants pour être vaincus ? Tuez donc les embryons, ces âmes vouées à rejoindre leurs rangs. Ainsi, cette engeance mourrait avec le temps et il ne resterait à Santo qu'à se défendre, le temps qu'ils périssent. Oh, ils trouveraient probablement le moyen de s'en sortir - ils ne manquaient pas de ressources - et une telle attaque anéantirait une masse conséquente de Hollows... mais cela pourrait faire flancher les Shinigamis. Trop d'incertitudes cependant, trop de sacrifices, trop de doute pour que Santo mette ce plan en marche cependant.
Il refusait cependant l'idée qu'on lui dise que son armée ne pourrait tenir tête aux Shinigamis. Il refusait qu'on lui dise que les Hollows, même les plus primitifs, ne pouvaient tuer un Shinigami, même avec le nombre. Cela voudrait dire que le déséquilibre des âmes n'était pas un avantage certain pour eux, et Santo considérait cette idée comme fausse.

« L'idée que l'on sache que j'ai confié ma sécurité à un unique individu ne me plait guère Thétys. Je n'ai, pour le moment, que des avantages à ce que tu sois un fantôme. Tu me protèges en secret et les fidèles croient à une intervention de Sima ; un petit mensonge qui a l'avantage d'intensifier leur foi. Tu me renseignes sur mes ennemis au masque d'ami. Et ces mêmes ennemis pourraient essayer de te nuire pour m'atteindre. Je sais que tu es incorruptible et mon inquiétude n'est pas là. Aussi bon soldat sois-tu, tu as tes failles, comme j'ai les miennes. Ce n'est pas une lame en travers de ton corps qui m'inquiète mais une goutte de poison dans ton sang. »

Une solution, pour préserver le secret de Thétys et également renforcer la position de Santo et de Las Noche, serait de désigner la jeune Vizard comme espion à la Soul Society, comme il prévoyait de le faire depuis quelques temps déjà. Mais il avait déjà réfléchi à cette éventualité et les évènements récents ne changeaient pas ses conclusions : il avait besoin de la force de Thétys près de lui, de ses yeux et de ses bras, pour surveiller et punir. L'envoyer chez les Shinigamis serait, il le pensait, un gage de réussite absolue. Santo avait pleine foi en les capacités d'espionnage de la jeune femme et si quelqu'un devait mener cette mission à bien, ce serait elle. Mais il ne pouvait affaiblir ses défenses pour du renseignement.

« Je suppose que, de toute façon, l'Espada devait se douter que je n'étais pas dénué de protection. Peut-être même que divulguer cette information pourrait se faire à notre avantage. Prétendre que tu es un membre de l'Espada camouflé, les rendant de fait paranoïaque à l'idée de conspirer contre moi. Ils ignorent pour le moment si tu es un individu isolé ou un personnage connu mais déguisé. Oui... Cela pourrait s'avérer intéressant. Tu resterais une ombre, mais visible aux yeux de tous. »

Elle comprenait ses réticences. Et comprit également qu'elle s'était mal exprimée. Il est vrai qu'elle devait préserver coûte que coûte la sécurité de cet homme, et cela passait par l'anonymat afin de maintenir les pouvoirs de Sima en place. Pour cela, elle avait donc élaboré une parade. Qui fonctionnait, pour l'heure. Santo réfléchissait rapidement et élaborait en temps réelle différentes hypothèses afin de maintenir sa couverture sans pour autant s'affaiblir aux yeux des autres. L'Espada était une unité respectée mais la force de ces individualités était justement un danger. Sima, tout du moins son image, préservait le Rey pour l'heure. Et les actions de la belle pérennisaient le reste.

La lame dans son dos se mit à luire, de la même manière que lorsqu'elle faisait appel à son pouvoir. Et d'un geste de la main, elle modifia les traits de son visage pour prendre une autre forme. Assez similaire à sa véritable apparence, elle venait de revêtir les traits de celle qu'elle avait nommée Rhodée. Un visage réputé pour appartenir à l'armée du Rey. Et à l'intendance de Naciemiento. Ainsi, non seulement elle préservait sa mission réelle mais elle avait toute latitude pour agir auprès de ceux qui se rapprochaient du Rey sans se découvrir pour autant. La solution parfaite aux problèmes qu'elle avait précédemment énoncés.

- Le visage que vous voyez est connu auprès des gens de la Citadelle comme étant celui de Rhodée. Guerrière au service de l'armée du Roi et lien entre le palais et Naciemiento. Telle est la couverture qui est la mienne en dehors de ces murs. Du moins la face visible. C'est cela que je sous-entendais en parlant de précautions prises. Mon rôle et mon existence réelle restent inconnus pour le bien de votre gérance, Seigneur. Pour l'heure, personne ne soupçonne que je suis votre protectrice.

Les yeux gris de la belle étincelaient d'une lueur étrange. Elle était née pour agir de la sorte et avait été entraînée des siècles durant à infiltrer les rangs ennemis pour percer à jour les secrets les plus sombres de ces derniers. Assurer la sécurité de son Roi sans se faire connaître de leurs alliés était difficile mais largement à sa portée. Seuls les intérêts de cet homme comptaient.

- Ainsi donc, je vous prie de chasser vos inquiétudes à ce sujet. Avez-vous des consignes particulières à me donner, mon Roi ?

Il comprendrait ce que cela signifiait, évidemment. Car la belle avait déjà par le passé agi pour éliminer ceux qui se trouvaient être des ennemis de Santo. Bien que sa priorité soit sa protection, il l'employait aussi lorsqu'il souhaitait qu'une mission se déroule sans accroc. La confiance était difficile à donner. Mais elle pouvait se targuer de l'avoir obtenu de cet homme. Du moins y croyait-elle dur comme fer. Puisque sa seule existence dépendait du bon vouloir du Pastor, Messie de ce monde.

La jeune femme changea d'apparence, prenant des trucs à la fois similaires et différents, pour devenir ce modèle qu'elle avait baptisé "Rhodée". Il était compréhensible qu'elle ne veuille pas multiplier les déguisements. Pour faciliter son travail, pour nouer des relations, relations qui serviront peut-être par la suite de source d'informations. Mais d'un autre côté, Santo s'interrogeait : quelqu'un finirait-il par soupçonner ce visage débarrassé de toute balafre ? Il espérait que la maîtrise de son art permettrait à Thétys d'échapper à toute inquisition. Après tout, elle était la spécialiste de la question. Et le rôle qu'elle s'était attribué était suffisamment insignifiant pour ne pas pousser à trop d'interrogations.

« J'ai toute confiance en tes capacités. Pardonne mes inquiétudes. Tu es un de mes plus précieux atouts. Ma position serait bien plus périlleuse si tu venais à être découverte, c'est pourquoi je me montre aussi prudent. Fais ton office, comme tu as toujours aussi bien su le faire. »

Rassuré sur la situation actuelle de Las Noches, Santo ne pouvait que louer le travail de Thétys. Mais avec le temps, peut-être que celle-ci serait dans une position plus complexe. Il se doutait qu'il devrait, un jour, la révéler aux yeux de tous ; elle était trop précieuse pour rester indéfiniment cachée dans l'ombre. Pour l'heure, elle y avait sa place. Sans doute qu'à ce moment, elle rejoindrait l'Espada. Et, à vrai dire, ses capacités auraient plutôt tendance à la hisser au rang de Chef de l'Exequias. Siège déjà occupé, mais qui sait ? Un jour, peut-être, elle arracherait à son occupant son titre. Il préférait infiniment avoir la Vizard à cette place que Borick. Ce dernier, bien que ne s'était pas présenté comme un opposant direct, était faux aux yeux de Santo, qui soupçonnait un plan mystérieux de la part de l'ange. Thétys le savait, peut-être même avait-elle commencé son enquête à son sujet. Mais cela attendrait leur prochaine réunion.

« Mes consignes ? Poursuis ton travail. Cependant, j'aimerais une dernière chose avant de te congédier... »

D'un mouvement rapide, il retira sa soutane sombre, qui tomba en silence sur le sol de pierres. Presque nu, son corps était un carnage jusqu'à présent camouflé. Un spectacle que Thétys connaissait déjà. Ses chaînes barbelés, ses armes, lacéraient son corps en de multiples points, s'enroulant en étreintes sanglantes autour de ses bras, de ses jambes, de son torse, plongeant dans sa chair en y faisant perler des gouttes de sang. Les blessures ne cicatrisaient jamais, perpétuellement réouvertes à chaque mouvement du Rey. Son sang coagulait à une vitesse folle, limitant toute hémorragie mortelle, couvrant sa peau de croûtes noires. L'image d'homme d'église, parfait, pur, était pervertie. Et comme à chaque fois qu'il libérait ses pouvoirs, l'adrénaline du combat changeait également son mental.

« Je m'ennuie, dans ce Palais, Thétys. L'exaltation du combat me manque. L'époque où je dépeçais mes ennemis me manque. Alors fais-moi plaisir et souffre, un peu, pour ton Roi. »

Les flammèches volant dans le Palais deviennent soudainement des brûlots ardents. L'air lui-même se transforme en four, à la chaleur démente, et ce en quelques dixièmes de seconde seulement. Du sol surgit des flammes, consumant le sable et la poussière accumulée. Tout ce qui peut prendre feu le fait. Le visage de Thétys ondule, transformé par le suffocant embrasement qui gagne toute la Salle du Trône. Comme réagissant à la chaleur, les chaînes torturant Santo glissent contre sa peau, comme des serpents réveillés après un long sommeil. Les endorphines, censées calmer sa douleur, le rendent extatique. Elle a beau être son garde-du-corps, son protecteur et sans doute la seule personne en qui il puisse avoir confiance, le manque et la ferveur guerrière chasse toutes ces considérations. Il ne retiendra aucun coup. Aucun.
Il désigne de l'index et du majeur le plafond, au dessus de la Vizard. En baissant le bras vers celle-ci, il fait tomber sur elle une tornade de flammes ardentes, tourbillon de feu suffisamment pour l'y emprisonner, empêchant toute fuite, sauf si elle souhaite défigurer plus encore son visage. Gardant pointé sur elle son bras, de celui-ci est projeté un souffle enflammé surpuissant, qui va s'assurer qu'elle goûte au bûcher de Sima. Elle ne mérite pas la punition de Sima et de Santo... mais qui d'autre qu'elle pour offrir au Rey l'excitation d'un beau combat ?

La chaleur fut si intense que la belle en fut clouée sur place. Cette pression, cette aura, elle savait ce que cela signifiait. Son maître souhaitait sortir de sa monotonie quotidienne. Et il comptait sur elle pour lui faire oublier son ennui, ne serait-ce que quelques minutes. Littéralement submergée par ce Reiatsu infernal, elle ne put rien faire alors que la tornade de feu l'enveloppait peu à peu. Réagir était dès lors indispensable si elle espérait survivre. Elle doutait que Santo cherche à la tuer mais elle connaissait suffisamment ces pulsions pour savoir que tout pouvait arriver.

Ainsi fit-elle appel à son propre pouvoir. Il était moindre, certes. Mais suffisant pour lui permettre de réagir. Surtout face à cette chaleur qui lui ôtait peu à peu tout espoir. La pression repoussa en partie cette chaleur tandis que les bienfaits de l'eau lui rendaient l'usage de ses mouvements. Dégainant sa lame, Elle pivota sur elle-même, libérant au passage une sorte de bouclier aqueux qui n'eut au départ aucun effet. Mais elle connaissait les dons de Santo. Et savait donc comment contrer une partie de ce talent. Malheureusement pour elle, la contrepartie fut qu'elle ne put rien faire face au jet de flamme. Projetée du sol, elle se réceptionna dans la douleur hors du cercle paralysant.

Sans la présence de son propre bouclier, elle aurait eu à subir de graves brulures. Mais elle n'était pas tirée d'affaire pour autant. Membres endoloris, poumons encombrés par la chaleur, elle se devait de faire appel à un pouvoir autrement plus terrible. Elle effleura alors la pierre qui ornait le pommeau de son Zanpakutô. Ce simple geste l’apaisait. Comme si elle se retrouvait réellement. Un sourire apparut brièvement sur son visage. Sa cicatrice réapparut alors que son véritable visage faisait de nouveau face à son Rey.

- J'espère être à la hauteur de vos attentes. Kaiô Poseidon !

L'onde repoussa le reste de l'immobilisation de feu qui l'avait plus ou moins suivi. Le manteau de la belle tombait au sol tandis que la pierre de son pommeau se fixait au centre de son armure. Et en lieu et place de son sabre apparut le trident de Poseidon. Elle se sentait revivre. Elle se sentait complète. Libérer son Bankai pouvait surprendre. Mais les portes scellées et la puissance titanesque de Santo lui permettait d'y recourir sans risque de se faire repérer au dehors. Elle se savait bien en dessous du niveau réel de son maître. Cela ne l'empêchait pas d'essayer : il lui avait donné un ordre, elle y obéirait sans sourciller.

Auréolée de son pouvoir, il était temps pour elle de concrétiser cette nouvelle apparence. Deux dragons aqueux quittaient déjà l'antre de Poseidon, gueules ouvertes pour emporter Santo. Entrelacées, ces deux créatures mythiques n'existaient que pour détruire. Mais alors que les monstres arrivaient sur le Rey, traversant les nappes de chaleurs et de flammes, une ombre se dessina au coeur même de l'attaque. Téthys réapparut dans la gueule de l'un d'eux. Trident levé, alors que l'impact était imminent, elle se projeta en avant et débuta sa danse. Des gestes fluides, précis. N'ayant que pour seul but d'entailler au maximum son adversaire tandis que les flots l'emporteraient au loin. Une combinaison mortelle pour tout autre adversaire. Mais qui n'avait ici qu'un but unique : satisfaire son maître.

La colonne ardente disparut au moment où la gardienne en était expulsée ; les dégâts étaient faits et Santo s'en délectait. Elle avait abandonné son déguisement pour reprendre son apparence défigurée, signe qu'elle ne pouvait garder sa concentration pour allier esthétique et efficacité ; il fallait simplement espérer qu'elle y parviendrait si, un jour, elle avait à combattre sous son identité de Rhodée. Ou alors, peut-être en était-elle capable, mais jugeait inutile de fournir cet effort supplémentaire en face du seul individu du Palais à la connaître réellement.
Elle libéra son Bankai, preuve qu'elle prenait la requête de Santo au sérieux. Celui-ci n'en fut que plus réjoui : il pouvait donc se donner à fond, sachant qu'elle avait les moyens sinon de le vaincre, au moins de lui résister. Ce n'était, après tout, que le but de cet affrontement. Se défouler, se vider de cette énergie dormante, pour ne pas sombrer dans l'apathie. Sans doute qu'elle aussi prendrait plaisir à se dégourdir les muscles. Ils étaient tous les deux des combattants chevronnés et si les politesses avaient leur temps, le combat méritait aussi le sien.

Elle ne lésinerait pas. Surgissant du néant, deux dragons liquides s'élancèrent en direction de Santo. L'eau et le feu. Voilà qui faisait d'eux une combinaison atypique, une oxymore vivante de deux êtres liés par un destin de sang. Elle pouvait autant éteindre ses flammes que lui transformer son eau en vapeur. Complémentaires bien que diamétralement opposés. Exaltation de la voir, tel un joyau dans un écrin, dans la gueule rugissante d'un des deux monstres.
Le Rey étendit les bras, tirant douloureusement sur ses chaînes qui lui lacéraient la peau. Les muscles blancs tendus, les tendons saillants, il était la torture incarnée, la douleur faite vivant et il souriait en attendant que Thétys lui en inflige un peu plus. Parce que c'était tout ce qu'il voulait. Se sentir exister.
Le choc fut rude et le projeta en arrière. Dans un tourbillon d'eau, il fut balayé. Et dans le même temps, il sentait le trident de la Paladin qui lui tranchait la peau, coupait la chair, faisant bouillir ses nerfs à vif. Le haut, le bas, des notions très abstraites, le temps que le raz-de-marée se calme et que les dragons disparaissent. Le sol du Palais fumait ; l'eau qui le recouvrait était presque instantanément évaporée par la puissance de sa chaleur. Une nappe de vapeur couvrit son champ de vision, flottant à leur niveau, brouillant leurs silhouettes.

« Le contact de ton eau sur ma peau me manquait, Thétys. Lorsqu'elle me touche, c'est comme si c'était toi qui me touchait ; étrange, vraiment. Elle a le don d'apaiser la chaleur qui m'incendie, comme tu as le don d'apaiser ma fureur quand elle me rend fou. Tu es mon remède, Thétys. Autant nécessaire qu'indispensable. »

Alors qu'il lui parlait, comme inconsciemment, les barbelés de Hierro qui couvraient son corps ondulaient pour combler, petit à petit, les plaies causées par l'arme de la Vizard. Glissant tels des serpents, ils plongeaient dans les ouvertures sanglantes, les recouvrant tels des bandages douloureux pour stopper les multiples hémorragies.

« Tu crois qu'un jour, j'arrêterai de vouloir que ce qui m'entoure tombe en cendres ? »

Ses barbelés, leur travail de soin terminés, surgirent subitement, sans signe annonciateur. Ils étaient comme pourvus de leur propre volonté et se jetèrent sur Thétys, pour qu'elle partage son supplice, pour que leur étreinte intolérable soit partagée par la jeune femme et qu'elle soit offerte, comme une offrande, aux flammes du Rey. Celui-ci levait déjà les mains en l'air, comme priant une divinité céleste qui ne pouvait être que Sima. Son visage était baigné d'une lueur folle et il n'avait plus rien à avoir avec le souverain pacifiant et paternaliste qu'il était en public. Entre ses bras écartait grandissait promptement une boule de feu ardente, d'une taille démesurée, au centre jaunie par la chaleur des flammes, un soleil miniature qu'il envoya en direction de la jeune femme. Celle-ci serait sans doute focalisée sur cette attaque directe, ne se méfiant pas de l'autre sphère enflammée, plus petite, qui s'était formée dans son dos et qui attendait l'impact pour infliger des dégâts supplémentaires.
Aucune pitié ne brillait dans son regard.