- Quelle mauvaise idée tu as eu. Non vraiment.

Borick se tenait là, devant cet Arrancar armé, mains dans les poches. Son expression peinée prouvait qu'il pensait véritablement les mots qu'il venait de prononcer. Cette pauvre créature s'était fourvoyée. Elle avait eu la chance d'évoluer en Arrancar et gâchait cette dernière en tentant de saboter les installations de Las Noches. Erreur regrettable. Tout autour d'eux se dressaient les étendues désertiques du Yermo ainsi que la silhouette de la ville naissante. Ce pauvre fou avait espéré échapper à l'Exequias en traversant la ville. Mais même aux portes de Las Noches, on n'échappait pas aux yeux et aux oreilles du blondinet. Il lui avait ainsi coupé l'herbe sous le pied en se dressant entre lui et son ultime échappatoire.

Les membres de son unité spéciale étaient apparus autour de lui, coupant court à toute volonté de fuite par un autre chemin. Ces derniers ayant même bloqués l'accès des portes permettant d'entrer de nouveau dans la Citadelle. Il n'existait désormais qu'une seule issue : le chemin sur lequel se tenait actuellement El Emperador. La colère déformait les traits de cet homme. Il se savait perdu. Mais comme beaucoup, il ne baisserait pas les armes. Sans doute savait-il qu'il serait exécuté quoi qu'il advienne. Ou s'accrochait-il réellement à l'espoir de passer outre ce rempart ? Absurde.

Lentement, Borick sortit sa main droite de la poche et claqua des doigts. Derrière lui s'ouvrit un Garganta duquel sortit un Menos Grande gigantesque. Le cri de la créature résonna au travers du désert alors qu'il se dressait face à eux. Les Exequias, par réflexes, reculèrent de plusieurs pas. Ils connaissaient leur maître et les dons qu'il possédait. Et savait que la créature derrière lui, bien que primaire, était capable de lancer de terribles attaques en puisant dans les forces de leur maître.

- Ne crois pas que je prenne plaisir à faire cela. Seulement j'ai des responsabilités, vois-tu, et je n'ai guère de temps à perdre avec un spécimen dans ton genre.

Sans même laisser à l'Arrancar le temps de se mettre en position, un Cero terrible quitta la gueule du Menos pour le cueillir. L'explosion souffla littéralement le corps du malheureux, projetant alentours des gerbes de sables. L'Exequias savait se retirer lorsqu'il n'était plus utile pour eux de rester. Ainsi les ombres se dissipèrent, laissant seulement Borick à proximité du cratère qui se reboucherait rapidement avec le sable du Yermo.

Se détournant de la chose, il prit alors la direction de Las Noches, dont les portes se dressaient juste à quelques mètres de là. Son unité avait de nouveau libéré l'accès. Ce fut là qu'il perçut une silhouette. La première chose qu'il repéra fut la chevelure de l'Arrancar. Inhabituelle dans un tel coin. Il devina donc d'emblée le nom de la personne. Lui qui possédait les noms et caractéristiques de toute l'Espada ne pouvait se fourvoyer. S'approchant de lui, il inclina la tête en guise de salutation, lui adressant par la même un petit sourire.

- Oh ! Vaciò Busen Memoria, Octava Espada si je ne m'abuse ? Je suis vraiment ravi de faire enfin ta connaissance. J'espère que ce remue-ménage n'aura pas perturbé ta journée. Je préfère agir dehors, c'est moins pénible pour le nettoyage. Ah ! Mais je ne me suis même pas présenté... Borick "El Emperador", Seigneur et Maître de l'Exequias, pour te servir.

Une formule consacrée qui ne signifiait rien pour celui qui ne servait que ses propres intérêts. S'il aurait préféré faire la connaissance de l'Octava en d'autres circonstances, il ne pouvait s'empêcher de tirer profit de cette rencontre. Ce qui est fait n'est plus à faire, après tout.

Ils savaient tout les deux que c'était faux. Dans ce monde, on ne sert que plus fort que soit, et il était évident que Borick le battait en terme de puissance, il venait de le démontrer. De plus il se permettait de le tutoyer, symbole même de la démonstration de supériorité. Vaciò devait faire attention. Bien que son rang soit techniquement supérieur à celui de l'Empereur, la simple existence de ce surnom montrait qu'il était capable de bien des choses pouvant nuire à l'Espada. Toutefois, il ne devait pas le voir comme un ennemi, après tout ils partageaient un objectif commun: la protection de Las Noches et de Nacimiento.

"Ne vous en faites pas pour ma journée, j'en ai vécu et j'en vivrais des pires. Je suis quand même curieux de savoir ce qu'avait fait cet Arrancar pour mériter un tel sort."

Il était surtout curieux sur les activités de l'Exequias. Maintenir la paix dans Nacimiento étant la fonction de l'Espada, Vaciò se demandait pourquoi l'Empereur lui-même se déplaçait pour un simple fauteur de trouble. Et puis, toute information concernant Las Noches et les pouvoirs en place était bonne à prendre. Et puis autre chose l'intriguait. Quand il s'est présenté, Borick a spécifié être "El Emperador", et quelque part, cela gênait Vaciò. Non pas que son fanatisme envers le Rey le poussait à penser que seul celui-ci pouvait mériter un tel titre. Après tout, si Santo Pastor cautionnait le surnom, de quel droit l'Arrancar écarlate pouvait dire quelque chose? Non ce qui le gênait, ce n'était pas l'existence de ce titre, mais plutôt sa raison d'être. Quelle était la puissance de l'empereur pour justement mériter un tel titre.

Pourquoi se focalisait-il sur un petit détail comme celui-là? Avait-il peur de l'importance que pouvait prendre ce titre? Avait-il peur de la puissance qu'impliquait ce titre? Était-il jaloux du possesseur de ce titre? Il est vrai que l'idée de voir son existence se terminer d'un simple claquement de doigts aurait de quoi en effrayer plus d'un, et la possession de ce pouvoir à de quoi faire plus d'un envieux.

Vaciò ne le comprit que bien plus tard, mais ce sentiment désagréable qu'il ressentait en la présence de l'empereur était de la colère. Cette colère n'était pas dirigée contre Borick, ni contre lui-même, mais plus contre la raison même de l'existence au sens large. Elle venait de la frustration de voir de nombreuses personnes gâtées par Sima que ce soit par la puissance, l'intelligence, ou au contraire par le manque de puissance, d'intelligence… Mais tous avaient la capacité de se satisfaire de leur condition, tandis qu'il devait lutter pour trouver sa place, lutter ne serait-ce que pour trouver qui il était.

Mais pour le moment, il n'en savait rien. Il mit ce sentiment étrange de côté, pour y réfléchir plus tard. Mais quitte à être focalisé sur le titre de l'empereur, autant chercher à savoir d'où il provenait:

"J'espère que vous avez un peu de temps, j'aimerais profiter de cette rencontre pour vous poser des questions sur vous et votre Exequias, si cela ne vous dérange pas bien entendu. Je me disais qu'en temps que défenseurs de la cité, il serait intéressant d'en savoir un peu plus chacun sur les autres, qu'en pensez-vous?"

- Disons seulement qu'il a tenté de saboter les lieux afin de laisser un message au Roi. Une volonté de marquer sa contestation en faisant croire qu'un groupe d'Arrancars était prêt à se soulever pour contester l'autorité de Santo. Autant dire qu'il ne s'agissait là que d'un simple imbécile...

Il était inutile de perdre plus de temps en explication : les interventions de l'Exequias ne concernaient que Borick et personne d'autre. Pas même le Rey. Bien sûr, il pouvait paraître étonnant de voir le blondinet agir directement alors que son unité était parfaitement capable de régler ce genre de problème. Là encore, il s'agissait de pure stratégie. L'impact psychologique de sa présence était réel et Borick devait donner l'impression d'être omniprésent. Ainsi, non seulement les ennemis de Las Noches comprendraient qu'on ne s'attaquait pas impunément à cette cité mais les habitants de la Citadelle sauraient aussi que l'Empereur ne plaisantait pas. On avait tendance à mésestimer son unité. Alors remettre les choses au clair de temps à autre ne pouvait qu'être bénéfique sur le long terme.

Quoi qu'il en soit, Vacio semblait porter un intérêt particulier aux activités de l'unité du Seigneur Borick. Et cela n'échappait pas à ce dernier. S'il est vrai que les actions de l'Espada regardaient Borick, la réciproque n'était pas vraie. L'Exequias ne rendait de compte qu'à son maître et à lui seul. Mais répondre à ses interrogations ne dérangeaient pas outre mesure le blondinet qui voyait même là une possibilité de retourner la situation à son avantage. Cette nouvelle ère avait modifié bien des comportements et il était indispensable pour lui de savoir où se situer face aux différents Espada. Question de principe. Mais pas seulement.

- J'ai toujours du temps à consacrer à l'Espada, bien sûr. Et je défends moi-même cet argument auprès des autres : mieux se connaître ne pourra que faciliter nos interventions futures. Il faut voir plus loin et je suis heureux de constater que tu as cette capacité. Crois-moi, elle est bien rare, même parmi les Arrancars.

L'instinct des Arrancars causait bien des ennuis lorsqu'il était mal maîtrisé. Les Arrancars devenaient alors semblables à des bêtes, à ces Hollows qu'ils étaient par le passé, et Borick ne supportait pas ce genre de scène. Il exécrait ces animaux qui ne réfléchissaient pas ou alors que trop peu. Il considérait l'Arrancarisation comme une véritable évolution et à son sens, reprendre forme bestiale était contre-nature. Bien sûr, il lui arrivait à lui aussi lorsque les circonstances s'imposaient d'agir de même mais il s'astreignait à une politique très rigide à ce sujet. Et parmi ceux encore en vie, personne ou presque n'avait véritablement aperçu son apparence véritable.

- Et bien je t'écoute donc, Vacio. Pose-moi tes questions et j'y répondrais sans langue de bois.

Et toujours cet éternel sourire, preuve de son assurance. Sans langue de bois ? Quelle ironie pour celui qui maniait cet art à la perfection. Si la plupart mettait en avant leur force, Borick préférait de loin la guerre des mots. Et dans ce domaine, il ne se connaissait aucun rival. Pas même le Roi qui pourtant se défendait bien. Il avait élevé cela à un véritable art. ET s'apprêtait, une fois n'est pas coutume, à l'employer sans retenue.

Vaciò avait beau être naïf, il n'était pas dupe. Il se doutait bien que s'il avait aussi peu entendu parler de l'Exequias, c'était grâce à une discrétion sans faille de celle-ci. Aucune information sensible ne lui serait révélée, c'était évident. Mais ce n'était pas ce qu'il cherchait. Il voulait juste comprendre le monde qui l'entourait. Et l'Empereur ainsi que son organisation faisaient parti de ce monde. Mais le sourire de Borick lui fit comprendre quelque chose. Qu'importe les questions qu'il posait, qu'importe les phrases qu'il prononçait, Vaciò ne sortirait pas gagnant d'un duel de belles paroles. Cela n'était pas son objectif, bien au contraire. Il avait accepté de se faire manipuler depuis le jour où il avait décidé de rejoindre Las Noches, tant que cela n'interférait pas avec son désir premier. Dans ce cas-là, on pourrait même dire que cela l'arrangeait. Au moins, il pouvait éviter les questions superflues et aller directement à l'essentiel.

"Je peux aisément supposer que vous êtes quelqu'un de très occupé, je tâcherais de ne pas prendre trop de votre temps. À vrai dire votre démonstration de force m'a intrigué, comment fonctionne votre pouvoir? Quant à votre Exequias, je me demandais juste quel est son rôle au sein de notre société."

Des questions simples, permettant à l'Empereur de décider quelle quantité d'information il allait dévoiler. Non pas que ce soit réellement nécessaire, mais Vaciò cherchait à lui montrer qu'il n'avait pas à soigneusement préparer sa réponse, qu'ils savaient tous deux comment ce dialogue allait se passer. De plus, selon la précision de la réponse, l'Espada pouvait approximer le degré de confiance que le chef de l'Exequias accordait au groupe d'élite du Rey.

Si Vaciò pouvait sourire il l'aurait fait. Il se fichait de ce que pensait son interlocuteur à propos de l'Espada. C'était une information bonne à prendre, certes, mais il voulait surtout lui montrer qu'il ne s'était pas trompé au sujet de l'Octava. Ce dernier était effectivement capable de voir plus loin. Plus loin que sa condition, plus loin que les mots. Il sentait qu'un étrange lien se créait entre eux. Non pas un lien amical, comme peuvent le faire deux êtres égaux, ni un lien d'affection que peuvent tisser deux êtres inégaux. Non c'était plutôt un lien de compréhension, comme seuls pourraient le tisser un corbeau et un agriculteur. Le corbeau comprendra que l'épouvantail n'est qu'un leurre, et il saura identifier les gestes de l'agriculteur et réagir en conséquence. Mais jamais il ne pourra comprendre les desseins de l'homme, qui sèmera ses graines aux quatre coins de son terrain.

Vaciò avait su lire dans les actions du chef de l'Exequias, et il s'était comporté en conséquence. Il avait picoré quelques graines pour être un oiseau normal. Il était maintenant temps de s'asseoir sur l'épaule de l'épouvantail pour être un corbeau.

"Mais plus important. Que savez-vous sur moi Borick?"

Trèves de faux semblant. Il ne voulait pas entendre ce que l'Empereur savait sur sa situation d'Espada. Il voulait quelque chose qui pourrait lui remémorer un souvenir, n'importe quoi qui le fasse avancer dans sa quête.