« Alors, c’est combien ? »

Carter était encore dans ses grandes heures. Grandes heures de conneries. A défaut de ne pas avoir (encore) mis la main sur Shihōin, il doit bien pratiquer pour s’entrainer et être en pleine forme pour son fameux Jour-J – Il y croit toujours, le pauvre. Et pour cela, il était prêt à tout. Y compris se taper une péripatéticienne thaïlandaise. Pourquoi thaï ? Peut-être parce que c’est là qu’il était ce jour-ci. Mais, manque de chance, il avait eu le malheur de faire sa « demande de prix » à une femme qui comprenait très bien le japonais et, surtout, qui était tout sauf une prostituée. La réaction de la nouvelle victime de l’illusionniste fut donc sans appel : une magnifique et lourde claque en plein dans la joue gauche du magicien, suivi d’un magistral coup de pied écrasé en plein milieu de la figure. Le Fullbringer s’étala comme un débutant au sol, complètement K.O.

Ça m’a fait mal. Très mal. D’ailleurs, je suis persuadé d’être venu avec plus d’argent…

Lorsqu’il s’est réveillé, il n’était plus vraiment au même endroit. Il avait quitté le quartier commerçant pour se retrouver dans… Une grande benne à ordure. Ça puait. Et du coup, lui aussi. En plus, sa sublime tunique blanche de magicien était toute sale. Et ne parlons pas de son haut de forme, complètement écrasé. Poussant un subliminal « NAAAOOOOOOON ! », l’illusionniste pleura sur son sort durant une bonne dizaine de minutes – Où il fut d’ailleurs des plus pitoyables, avant de se ressaisir et de gagner sa chambre d’hôtel.

Deux heures s’écoulèrent. Il était propre à nouveau, sentait bon, avait une belle parure et, surtout, remis un haut de forme en parfait état sur le sommet de sa tête. Son monocle étincelait tellement il était bien nettoyé. Il pouvait donc retourner à ses activités. Mais cette fois, les vraies. A savoir : sa mission. Car oui, si Carter se trouvait en Thaïlande, ce n’était pas seulement pour trouver une copine de lit. Le Kanshu lui avait confié une mission. Une mission bien précise et ô combien importante. Le but de cette mission ? C’est…

« Euh… Merde. Je suis censé faire quoi moi d’jà ? »

Il ne s’en rappelait plus. A dire vrai, il n’avait pas vraiment écouté lorsque Sig’ lui avait expliqué. Il était trop occupé à penser à sa dirigeante, en vérité. Il n’avait donc compris que quelques parcelles de mots : Thaïlande, voyagé, avec Shimachinchose Imatruc, t’attend à tel endroit, flèches. C’étaient les mots-clés. Fouillant une de ses poches, il en sortit un papier sur lequel il avait marqué, quelques heures auparavant : « Direction place marchande à 15h, t’as rendez-vous ! Si si, tu gèèèèèèèères ! ».

« Ah, merci Ancien Moi d’avoir pensé à Actuel Moi, même si tu l’écrivais pour Futur Moi qui est quand même Actuel Moi et toi, Ancien Moi, tu étais Actuel Moi donc tu… »

Pouaaaaaaaah, j’arrête ! Ça m’fout la migraine ces trucs ! Faut qu’un jour qu’j’d’mande à Hulul d’m’expliquer ces conneries d’paradoxe à la con !

Il avait donc rendez-vous. Il ne savait pas qui, mais il le saurait rapidement. Il regarda sa montre. 14h55. S’il n’était pas un Fullbringer, il serait bien en retard. Il n’eut donc aucun mal à venir sur les lieux à l’heure. Il se posa contre un mur. Il a attendu. Attendu. Attendu. Encore attendu. Mais au final ? Rien. Que dalle ! Personne. Hormis ce joli bout de femme aux yeux bleus et à la chevelure châtaine. Carter s’est mis à réfléchir, un très court instant – Une seconde temps réel. Sa décision était prise : il allait draguer cette belle inconnue, puisque son équipier n’est pas venu. Le lâche !

« Êtes-vous égarée, belle demoiselle ? Si c’est le cas, ne-vous-in-quié-tez-pas : la maison de Carter River vous est grande ouverte ! Il saura parfaire tous vos désirs. Qui est ce merveilleux Samaritain de Carter River ? Eh bah, c’est… »

Tendant son poing droit vers la jeune femme, il l’ouvrit et déploya ainsi un bouquet de magnifiques roses rouge, dont les pétales étaient légèrement recouvertes de poudre scintillantes. Effet de style oblige.

« … MOI ! » se dévoila-t-il, avec un sourire magnifique.

« Ok. »

YEAAAAAAH !

Carter ne le montra pas mais dans son esprit, il poussa un puissant et étincelant rugissement de victoire. ENFIN ! Depuis qu’il avait rejoint cette organisation, le « Canne-Chou », c’était bien la première fois qu’une femme acceptait ses avances. Ou, du moins, c’est ce qu’il lui semblait. Il ne s’en rappelait plus. Peu importe. L’important, c’était de suivre cette belle donzelle et c’est ce qu’il fit. Ensemble, ils quittèrent le quartier commercial, abondant de personnes, pour des endroits de plus en plus calme, jusqu’à débouler dans une ruelle complètement déserte.

Alors comme ça, elle est du genre à faire ça dans un lieu public ? Huhuhu, ça m’plait tout ça !

Sauf que l’illusionniste était complètement dans le faux. Alors qu’ils étaient arrivés à destination, Imari fit un mouvement étrange que peu de personnes auraient pu effectuer. En effet, à vitesse grand V, la jeune femme quitta le sol pour se retrouver sur un premier toit et enchaina en allant sur un deuxième. Sauf que pour le deuxième, elle usa d’un talent qui fit vibrer le Reishi environnant, comme si elle venait de glisser sur cette mystique énergie. Le visage de Carter changea du tout au tout, abandonnant son air ahuri pour arborer une expression mûre, sérieuse et, surtout, intriguée. Puis il poussa un soupir de déception : visiblement, elle n’est pas là pour avoir des ébats amoureux mais bien pour le travail que lui a confié le Canne-Chou. Et elle devait certainement mieux connaître les détails de la mission que lui, qui n’avait tout simplement rien écouté, bien trop occupé à avoir l’esprit ailleurs.

D’un Bringer Light simple, soigné et parfaitement contrôlé, il la rejoignit sur le sommet de l’immeuble. L’endroit était si haut que l’air en devenait plus rare qu’au sol et que, désormais, les êtres humains marchant dans toute la ville avaient l’air de ressembler qu’à de vulgaires points noirs. Après un instant de silence et d’observation – comme pour vérifier que personne n’épiera leur conversation, elle lui détailla l’ordre du jour : infiltrer un groupuscule créant on ne sait pas trop quoi et susceptible d’être composé de shinigamis & de fullbringers. Elle enchaina en lui demandant qu’elles étaient ses compétences, ce qui donna lieu à une réaction comique… Et déplorable. Pour Carter, évidemment.

« Eh bien, je sais compter deux par deux et lacer mes chaussures. Je sais aussi faire du vélo, la cuisine, changer une ampoule et… »

C’est en voyant qu’elle ne semblait pas s’attendre à une telle réponse que j’ai compris réellement sa phrase. Jamais je ne me suis senti aussi con…

« OH ! Ah, OUI ! CE GENRE de compétences. Bah, euh… Je sais faire de la magie. De la magie illusoire ! »

Il plaça son index droit devant lui, ses autres doigts repliés, pour indiquer à la jeune femme d’attendre un instant. Sa main gauche entra dans la poche gauche extérieure de sa veste blanche et, lorsqu’elle en sortit, elle en a extrait un paquet de cartes, toutes parfaitement alignées l’une sur l’autre et dont le dos était maculé de blanc. Le seul motif présent était un prisme, rougeâtre, qui donnait l’impression de scintiller de mille feux.

« Mon pouvoir vient de là. C’trop compliqué à expliquer dans les moindres détails donc on va juste dire que j’suis très fort ! »

De nouveau, il lui offrit un sourire séducteur tout en rangeant son Fullbring là où il était quelques instants auparavant.

« Et toi alors ? Tu sais faire quoi ? T’es une shinigami ? Non… T’as pas d’sabre sur toi. Sans doute un Bribri, comme moi ! Ou alors… Tu t’la joues Robin des Bois ! Merde, comme ça s’appelle d’jà… Une… Euh… Queen Scie ? Ouais, c’est ça ! T’es une Queen Scie ? Bref, on s’en fout ! »

Il frappa son poing droit contre la paume de sa main gauche, n’arrêtant toujours pas son monologue.

« Quand est-ce qu’on va leur casser les dents, à ces bricoleurs en mousse ? Pis, ils sont où, hein, hein, hein ? »