Ces derniers temps, Guriko s’ennuyait. Tout lui paraissait fade, saumâtre, inintéressant. L’origine de ce problème passager, il l’avait clairement décelée. Bien qu’au fond de lui, il espérait que ce soit effectivement de nature temporaire, il constatait, jour après jour, que ce sentiment se creusait un peu plus profondément. Ses bières lui paraissaient inconsistantes, les blagues de ses camarades ronflantes, les fesses potelées des petites lycéennes qu’il reluquait jusqu’alors avidement, cruellement banales. Le cours de sa vie semblait s’inverser, et il ressentait un oppressant besoin de pimenter cette dernière, trop monotone à son goût. Conscient du degré de pouvoir qu’il avait atteint, du niveau auquel il s’était élevé à corps et à cris, le Furyo qu’il avait toujours été ne pouvait délibérément plus se contenter des Hollows de second couteau auxquels il avait affaire.

Exception faite d’un Menos qui lui avait procuré un peu plus de fil à retordre qu’à l’accoutumée – mais tout est relatif -, il traitait désormais chaque mangeur d’âmes qu’il croisait avec dédain, se jouant régulièrement de ces derniers en bridant volontairement son pouvoir, avant de les achever, mollement et impitoyablement. Il ne ressentait pas la moindre compassion pour ces entités conduites par un instinct bestial qui avait pris le pas sur la raison, et il n’avait nul besoin d’en ressentir dans cette tâche qui lui était allouée à la fois par sa conscience, et par le souvenir de son père mort au combat. Une guerre qu’il menait en première ligne, en lieu et place de Sakota, et dont il commençait à se lasser. Après-tout, il était libre de raccrocher quand il le désirait, n’ayant aucun compte à rendre à son père. Mais il lui était résolument impossible d’envisager cette éventualité. A quoi bon revenir à une vie de chair et d’os austère, quand on peut faire avec une force spirituelle offrant d’infimes possibilités.

Son pouvoir constituait une forme d’addiction à laquelle il avait succombé au gré de ses combats et de son évolution, se découvrant un potentiel certain, jusqu’ici larvé. Intimement, il se savait disposer d’une marge encore conséquente, c’est pourquoi, ce seuil qu’il lui restait à franchir dans le viseur – et peut-être en resterait-il d’autres par la suite -, Guriko trépignait d’impatience, désireux de mesurer sa force – et pourquoi pas de goûter à la défaite pour la première fois de sa vie – à de plus gros poissons. Ses amis comme ses collègues ne furent pas sans remarquer ces changements de comportement qu’il n’essayait en rien de masquer, sans toutefois oser l’interroger sur ce qui pouvait les occasionner. L’enfumé, souvent aimable, toujours blagueur, était aussi un impulsif de nature qui sortait de ses gonds à la moindre contrariété, et qui laissait parler ses poings lorsque tel était le cas. C’est pourquoi tous évitaient de s’aventurer sur cette pente hasardeuse, persuadés – à raison - qu’elle constituait un sujet sensible qu’ils avaient tout intérêt à fuir.

Ce soir là, les limites imposées par sa patience semblaient en passe d’être franchies. Sous une pluie battante qui n’avait cessé de gagner en intensité au fil des heures, Guriko déambulait dans une ruelle de Karakura ou s’entassaient bars et night-clubs en tout genre. Sa dernière transaction de drogues menée à terme, il avait dans l’idée d’aller évacuer ce trop-plein de frustration en se saoulant jusqu’à plus soif. Une habitude qu’il entretenait immodérément depuis ses 18 ans, l’intervalle séparant ces cuites – seul ou accompagné – se réduisant à mesure qu’il vieillissait. Sa chemise rose à motifs dégoulinante, ses cheveux gorgés d’eau plaqués sur le front, il avançait tel un pantin désarticulé au milieu des néons et autres enseignes lumineuses, le pas lourd et pénible, le regard dans le vague. C’était bien la première fois dans sa courte et non moins haletante existence, qu’il se surprenait à déprimer. Et quelle meilleure compagnie que celle de l’alcool lorsqu’il s’agit d’oublier ?

Poussant la porte d’un de ces bars qu’il affectionnait tant, Guriko avança toujours aussi apathique jusqu’au comptoir, ou il s’accouda grossièrement, éclaboussant le bois d’une mare aqueuse qui n’en finissait plus de s’étaler. Jetant un bref coup d’œil en coin au barman par-dessous ses lunettes, il passa sa commande.

- METS MOI 10 VODKAS TIENS !

- 10 vodkas ?... chuchota dans ses moustaches un vieux croulant assis dans un coin, sirotant son verre de whisky quotidien, Soit il a une grosse descente, soit il vient d'se faire jeter par une gonzesse celui-là.

- Z'êtes plusieurs ? Vous attendez des potes ?, lui demanda alors le barman.

- Bah nan...... J'ai juste soif.

Le bar était miteux, le sol craquelé, le plafond grinçant, mais au moins pouvait-il se vanter d’avoir un service de qualité. Les 10 shots furent servis à Guriko dans la minute, alors que quelques curieux jetaient des coups d’œil par-dessus l’épaule du Furyo trempé jusqu’à l’os. Des gros tas bedonnants, des petits homoncules teigneux, des vieilles cannes en mal d’affection… il y avait de tout et n’importe quoi, mais certainement pas de bourgeois maniérés pour polluer cette ambiance particulière.

Une soirée à boire, sans modération – le concept de modération lui avait toujours échappé -, à refaire le monde en compagnie d’inconnus au moins autant imbibés que lui. Le genre de nuits qu’il appréciait, de temps en temps. Et plus encore lorsqu’il s’agissait de ne plus penser à cette soif caustique de – vrais – combats.

Peut-être le nouvel arrivant qui venait de s’appuyer sur le comptoir en effleurant l'épaule de Guriko, serait susceptible de rendre cette soirée un peu moins banale.

- Fais gaffe quand tu t’assois, s'agirait d'pas m'faire tomber.

Spoiler:

Sake ! La bouteille !

Blâme pas les autres si t'es pas foutu d'tenir sur ton putain d'tabouret. Si t'en es réduit à ça, arrête la picole, c'pour les hommes ça !

- Regarde un peu la tronche du type qui vient d’rentrer Joe !

- Bwohohoho ! L’a une sacré cicatrice sur la trogne !

- Oh… Pis r’garde un peu l’allure du gus qu’il vient de bousculer !

- Bwohoho ! L’a pas l’air commode nan plus celui-là ! Attends… Attends, mais c’est Guriko, l'pilier d'comptoir mafieux ?!

- Ah bah ça… Semblerait bien que ce soit lui ouais, il a la mine des mauvais jours.. Ouvre bien grand tes quinquets mon gars, tout ça m’dit rien qui vaille !

- Ouais, m’étonnerait pas que ça parte en bagarre tiens, avec deux loubards d’cette trempe, bwohohoho !!

Alfred et Joe, nonobstant leur taux d’alcoolémie alarmant, n’avaient pas tout à fait tort sur un point. Le type qui venait de coudoyer Guriko n’avait choisi ni le bon jour, ni le bon gars, pour déclencher une bagarre de bar. Pourquoi pas le bon jour ? Parce que l’enfumé était sur les nerfs, et que la moindre anicroche était susceptible de lui faire perdre raison. Pourquoi pas le bon gars ? Parce que… C’était Guriko, tout simplement. Et qui s’y frotte s’y pique, tout le monde savait ça dans le coin. Non content de s’être assis en le bousculant, l’étranger se permettait même de l’échauffer sur un sujet Ô combien sensible. Il remettait tout bonnement en cause la résistance à l’alcool du Furyo, lui qui, à compter de sa première cuite jusqu’à ce jour, n’avait jamais trouvé puits plus profond que le sien. C’était plein d’audace. C’était aussi mettre les pieds dans le plat, et pour le coup, il n’était pas prêt de s’en libérer, de ce plat.

Guriko lui jeta alors un coup d’œil en biais, masqué par les verres teintés de ses lunettes. Avalant son dernier shot de vodka, il ne fût pas sans prêter un œil avisé à l’allure du dit fanfaron, qui, d’un prime abord, semblait au moins aussi peu fréquentable que le Furyo. Ses traits graves, son regard oblique, la balafre qui lui scindait le visage, son vulgaire cigare sur lequel il pompait comme un attardé, étaient autant de raisons qui confortaient Guriko dans son jugement. Ce gus était loin d’être un tendre, et c’était tant mieux. Il préférait avoir à gravir une montage plutôt que de gambader dans une praire herbeuse, le challenge n’en était que plus attrayant. Il claqua alors l’un de ses verres contre le comptoir, lequel explosa en morceaux sous la force de l’impact, et fixa l’inconnu droit dans les yeux.

- Ah t’es comme ça toi ? Et bah tant qu’à faire, plutôt que de t’enfiler ct’alcool de lopette, viens donc me montrer de quel bois tu t’chauffes ?

Haussant alors une main en l’air, Guriko interpella le barman.

- Hep gars ! Apporte nous d’quoi voir qui a la meilleure descente ! Ton alcool le plus fort, et que ça saute !!

Suite à quoi un rictus provocateur s’esquissa sur son visage rembruni. Il avait même ôté ses lunettes pour l’occasion, c’est dire s’il prenait ce défi au sérieux. Il ne restait plus qu’à attendre la réaction de l’autre soiffard, en espérant que ses tripes soient aussi affûtées que sa langue.

C'est toi qu'allonge alors. Et t'as intérêt à t'trimbaler une belle liasse, ça c'est moi qui te l'dit !

S’il y avait bien une chose en laquelle Guriko avait une confiance absolue, c’était sa résistance à l’alcool. S’imbiber jusqu’à plus soif, il en avait la fâcheuse habitude, son foie s’étant malgré lui accoutumé à ces excès nuisibles à sa bonne santé. Nombreux, par le passé, furent les challengers à s’être cassés les dents sur ce roc incassable qu’était le Fullbrigner. Des intrépides imbus d’eux-mêmes, qui se prétendaient tenir la bibine mieux que quiconque, et qui s’étaient misérablement écroulés sans même que Guriko ait à forcer son talent. Plus d’une fois oui, il avait réduit à néant les espoirs futiles et naïfs de gabarits pourtant deux à quatre fois plus imposants que lui, et personne n’aurait su expliquer d’où lui venait une telle imperméabilité aux effets enivrants de l’alcool – ce qui ne voulait pas dire pour autant que le mafieux n’avait jamais été saoul, loin s’en faut.

C’est donc sûr de lui – pour changer – qu’il tentait d’amener l’inconnu plutôt farouche et charpenté sur un terrain familier, ou il s’était toujours senti invulnérable, intouchable. Bien sur, il aurait pu encastrer la tête de son vis-à-vis dans le comptoir histoire de lui rabattre le clapet et de lui montrer qu’il n’y avait résolument rien de bon à le contrarier, mais ce soir là, Guriko se sentait plutôt d’humeur à se noyer dans les méandres de l’alcool, pourvu que son envie de sang en soit provisoirement lénifiée. Le fait qu’il explose ce verre sur le comptoir n’avait rien d’une démonstration de force – si tel avait été son objectif, il aurait plutôt détruit le bar tout entier -, il avait juste quelques difficultés à contrôler sa poigne en ces temps tumultueux. Et si le tenancier pouvait sonder son état de déséquilibre mental - en proie à ses désirs incoercibles de combat -, sans doute l’aurait-il pardonné pour ce verre cassé.

- J’vous apporte ça, mais faudra raquer pour la casse mon gars.

- Hm ?, fit l’enfumé tout en arquant un sourcil par dessous ses lunettes, Moi raquer ? BWAHAHAHA

Et dans le même temps, l’imprudent qui l’avait bousculé un peu plus tôt fit également allusion à cette idée saugrenue selon laquelle lui, Zenshiro Guriko, aurait à délier les cordons de sa bourse pour financer cette soirée et tout ce qui en découlait. De par sa condition de mafieux, et de la sinistre réputation qui accompagnait son nom tel un spectre intangible dans les ruelles de Karakura, il se savait en droit d’accéder à certaines prérogatives dont celle de ne pas sortir un seul sou de sa poche lorsqu’il faisait la tournée des bars faisait partie intégrante. Et ce n’était pas que du flan, assurément, puisqu’il avait régulièrement l’occasion de se délecter avidement de ce privilège – pour ne pas dire un peu trop fréquemment. Une grande bouffée d’air inspirée plus tard, Guriko quitta son tabouret pour une position debout, torse bombé et l’air plus enhardi que jamais.

- M’avez bien r’gardé vous deux ?!, aboya-t-il en direction du barman et de l’étranger au cigare toujours fourré dans la bouche, J’suis Guriko bon sang, ZENSHIRO GURIKO ! Croyez vraiment que j’vais allonger pour d’la bibine ?!

Le barman le dévisagea alors quelques secondes, puis rétorqua :

- Guriko ? Connais pas.

- Comment ça t'connais pas ?! T’sais le mafieux là, çui-là qui terrorise la ville, même qu'au Lycée d'jà je contrôlais tous les gangs de Furyos. Guriko quoi !

- Nan... Nan vraiment. Pis t’aurais beau être le pape que tu paierais quand même tes verres mon petit gars. V’là ce que j’ai de plus fort, dit-il tout en posant deux bouteilles de son breuvage le plus caustique sur le comptoir, Ça plus le verre pété, ça te fera trente milles yens, tout rond.

- V’là pour toi vieux singe…, bredouilla Guriko tout en sortant une liasse de billets de sa poche.

Finalement, sa petite comédie n’avait pas fait grand effet. Sa fierté venait d’en prendre un coup, mais l’heure n’était pas à s’apitoyer sur son sort, il avait un type à recadrer, et lui montrer à quel point sa descente ne pouvait souffrir d’aucune comparaison aurait tôt fait de cautériser cette plaie au cœur – il était sensible l’animal, lorsqu’on s’attaquait à son amour-propre. Empoignant son verre d’une main, sa bouteille de l’autre, il se servit une bonne rasade, bien décidé à ce qu’elle ne soit que la première d’une longue enfilade de laquelle son adversaire ne se relèverait pas.

- Allez, cul sec mon gars ! J’vais te montrer c’que c’est qu’un vrai mec !

Jamais entendu parler d'ma putain d'existence !

Cul-sec ? Peuh, facile !

Pouah !

Alors, t'en es où Gu-machin ?

Le gaillard balafré n’avait pas froid aux yeux, et c’était peu dire. Non content d’avoir provoqué Guriko au vu et au sus de tous, il en était maintenant à lui couper l’herbe sous le pied en s’enquillant la bouteille d’une traite, alors que l’enfumé lui, s’était contenté de se servir un verre. Force était de constater que ce type avait lui aussi, une sacrée descente. Et ce n’était pas pour déplaire à Guriko, qui, tout sourire, imita son vis-à-vis, se saisissant à son tour de sa bouteille et avalant son contenu à grandes gorgées. Quelques gouttes perlaient le long de sa barbe alors qu’il déglutissait goulument, tout en regardant son homologue d’un œil amusé, l’air de dire « t’as vu, moi aussi j’peux le faire ».

- V’là ou j’en suis. Et t'sais, j'sais pas si t'es au courant, mais ta coupe... c'était à la mode y'a vingt ans, par là.

Enfin les choses sérieuses allaient pouvoir débuter, pensait la raclure alors qu’il reposait brutalement sa bouteille vide sur le comptoir en s’essuyant le visage d’un geste de la main. Il fit signe au barman de leur apporter la même chose, et déjà autour des deux soiffards s’agglutinaient quelques clients curieux, avides de savoir lequel des deux s’avouerait le premier vaincu.

Guriko avait une confiance indéracinable en son foie, mais pour la première fois de sa vie, il savait qu’il aurait à se retrancher dans ses dernières limites avec un type de cette trempe. Il en avait l’intime conviction. Son instinct qui le lui disait, sûrement. Mais il fallait plus que deux ou trois tours de manche pour l’impressionner, lui qu’on surnommait le puits sans fonds, et c’est bien décidé à sortir en unique vainqueur de ce duel qu’il attendait qu’on lui livre le breuvage. Le tenancier voûté et clopinant arriva avec les deux bouteilles à la main, puis les déposa face aux concurrents l’air désabusé, sonnant par la même occasion la cloche du deuxième round. Et cette fois-ci, c’était au Fullbringer de prendre l’initiative. Il n’allait certainement pas laisser ce plaisir à ce quidam deux fois de suite. Il enserra alors les deux bouteilles et enfourna les deux goulots dans sa bouche béante, tête en arrière, jusqu’à ce que chaque goutte d’alcool ait été épuisée.

- Aaaaah… soupira-t-il tout en se frottant le ventre après avoir balancer les bouteilles par-dessus ses épaules, Ça fait du bien !

Le Furyo s’efforça de ne rien laisser paraître, pas la moindre goutte de sueur, pas le moindre chancèlement. Pourtant, les premiers effets grisants et entêtants de l’alcool montraient le bout de leur nez. Mais il lui fallait rester de marbre, ne serait-ce que pour insuffler le doute chez son adversaire.

- J’ai d'jà vu ta trogne toi… T’serais pas un d’ces gros bonnets d’la pègre par ici ? Nan parce que…, il laissa volontairement un silence interrompre le cours de sa phrase, le temps de s’allumer une cigarette et d’en tirer une longue bouffée, Faut qu’tu saches que j’vais bientôt être à la tête de c'te ville, donc t’as plutôt intérêt à pas t’foutre en travers d’mon chemin.

Toi, à la tête de c'te ville ?

C'est ça, et moi j'suis puceau et j'me trimballe des couilles de la taille de boules de bowling ! Huahahaha ! Monsieur « j'paie pas... bon en fait si j'paie »... Sérieux, t'as ni les épaules ni les couilles pour ça, gamin !

J'ai qu'une chose à rajouter ! Burn to Ashes !

J'espère que t'as faim. Parce que c'te fois, tu vas manger ! T'inquiète, j'paierai volontiers l'addition !

Citation :

Guriko ayant été dégroupé, je mets un terme à ce RP.