Un thé ? Ou peut-être une bière...

Treizième division... Treizième division. Qu'est-ce que j'en avais à faire de la treizième division bon sang ? Aller à la rencontre du Jūsanbantai Taishō ? Lui donner des papiers ? Bien sûr ! Je n'avais que ça à faire que de jouer les coursières. N'y avait-il donc aucun autre sous-fifre à disposition que ma petite personne ? Oh si, j'avais cherché à refiler la tâche à quelqu'un d'autre bien entendu, mais évidemment, ils semblaient avoir tous quelque chose de très important à faire. Agacée dès le matin pour ces conneries administratives qui n'en finissaient plus de me pourrir la vie, j'accourais au travers du Seiretei sans me soucier réellement de faire preuve de discrétion ou non. J'étais sensée m'entrainer ce matin-là et c'était déjà proscrit à cause de cette histoire. Ça suffisait largement à me faire littéralement péter les plombs.

Mes pas me conduisirent rapidement jusqu'au quartier de la division treize. Et j'ai pu bien vite me rendre compte que les autres Shinigamis ne semblaient pas vraiment faire attention à ma présence... Soit. Si personne n'était là pour m'accueillir, j'étais dans mon droit de chercher le capitaine Kireru Reisen moi-même non ? De toute façon, je ne comptais surement pas y passer la journée. Et lui devait aussi sans doute attendre ces papiers !

Pleinement satisfaite de cette excuse, mes pas se précipitèrent vers les appartements du capitaine. Ils s'y précipitèrent d'ailleurs sans doute un peu trop vite, car je n'ai pas pu arrêter la catastrophe qui suivit quelques secondes à peine plus tard. Aurais-je seulement pu prévoir que le capitaine serait assit sur le perron ? Qu'il serait entrain de tranquillement boire son thé ? Que je n'arriverais pas à m'arrêter et que mes pieds enverraient valser les tasses se briser quelques mètres plus loin ? Quelle idée de ne pas laisser s'échapper ne serait-ce qu'un peu de son reiatsu aussi !

▬ Et merde... jurai-je à voix haute.

Mes yeux se posèrent instinctivement sur l'imposante stature assise à mes côtés. Massif, c'était la première fois que je pouvais observer le capitaine de la treizième division de si près. Il semblait encore plus... colossal que je ne le pensais. Sa longue chevelure lui donnait des airs carnassiers et hostiles. Sa tête baissée, je n'arrivais pas à bien discerner son visage, mais je pouvais d'ores et déjà imaginer son regard noir... Que disait-on déjà sur le Jūsanbantai Taishō ? Du genre rageur à ne surtout pas aller titiller ?

Oui. Je venais donc définitivement, de griller mon cas.

Il n'était visiblement pas franchement amusé par la situation. Il était même plutôt réellement en colère. Quant à son regard, orange perçant, il me prit une seconde au dépourvu. De drôles de pupilles, surement encore plus intenses de par sa frénésie soudaine. Sa simple prise sur mon épaule était presque douloureuse - pourtant je n'étais pas du genre douillette. Mais à quoi m'attendais-je donc ? Il était capitaine. Il n'était pas arrivé à ce rang par hasard... même si pour lui ça ne devait rien être de plus qu'une caresse.

▬ Que... Qu'est-ce que tu fous là bordel ?! T'es qui toi d'abord ? Nom, Division, balance et vite !

Son regard me faisait définitivement froid dans le dos. Il avait l'allure d'une bête plus que d'un homme. Un charisme réellement... farouche. J'hésitais vraiment quant à la démarche à suivre... J'étais nouvelle, je ne connaissais ni encore les codes, ni encore les personnes qui m'entouraient. Comment bien réagir ? Et surtout, quand on est une spécialiste de l'enfoncement comme moi, dégoutée de l'autorité, comment ne pas empirer les choses ? Je ne devais pas m’emporter. Rester calme. J'étais celle qui avait tous les torts ici, je le savais pertinemment. La première chose était de ne surtout pas réagir comme je l'aurais fait au Rukongai. Où je vivais, le respect n'existait pas. C'était à celui qui crierait et frapperait le plus fort et le reste n'importait pas. Ici, la civilité était réelle et nécessaire.

Reposant mes yeux sur la grande silhouette en face de moi, je me suis dit que répondre à ses questions serait un bon début, tout en espérant que mon remue-ménage n'arriverait pas aux oreilles de ma division. Si je devais morfler du discours moraliste, autant n'avoir qu'une dose. Quoi que, vu l'animal en face de moi, je doutais qu'il soit du genre à utiliser de simples jolis mots pour se faire comprendre. Sa main sur mon épaule en témoignait. Il avait plus l'air d'être un homme d'action.

▬ Lexie Degan, cinquième siège, onzième division, lançai-je mécaniquement.

Si je n'avais pas été si désireuse de ne pas engendrer plus d'histoire et d'amplifier le conflit, j'aurais ajouté un "enchantée" très hypocrite juste derrière. Mais je n'étais pas certaine qu'il apprécie plus que ça mon humour douteux et surtout, très déplacé vu la situation. Je devais être respectueuse. Passer pour un être poli et repenti. Au moins pour prouver que je pouvais être quelqu'un de mature et accessoirement pour sauver ma peau. M'excuser. Oui. Je devais avant tout m'excuser.

▬ Mais franchement, quelle idée de manger ici ?

A croire que mes pensées subissaient décidément une sacré altération entre la formulation et la prononciation. Le soleil. Il faisait une chaleur à crever. Ca ne pouvait décidément être que ce soleil de plomb qui altérait mes fonctions cérébrales à ce point. J'osais en tout cas espérer qu'elles ne soient pas si limitées au naturel... car je frôlais véritablement l'insolence. Me la boucler. Me la boucler. Me la boucler.

▬ Enfin, me repris-je en me redressant, j'étais pressée de vous remettre les rapports de mon capitaine. Je suppose.

Bordel. Bordel. Quel genre de femme n'est pas fichu d'admettre ses erreurs, de s'excuser convenablement et de la fermer pour de bon ? Des nobles m'avaient déjà traité de sauvage, avant de me balancer au frais pour mon manque de respect et je commençais à croire qu'ils n'avaient pas eu si tout à fait tort...

▬ Euh... si vous voulez, je vous paierai une bière à l'occasion. Histoire de vous dédommager un peu de... tout ça.

Comme si une simple bière pouvait rivaliser avec ce "tout ça" ! Avais-je seulement le droit de proposer ce genre de chose à un homme de son rang ? J'étais vraiment la pire lorsqu'il s'agissait de réparer mes bêtises... Aussi ridicules soient-elles ! Mais surtout, j'étais incapable de savoir comment m'y prendre avec mes supérieurs. Et ça me dérangeait. Il y avait comme une frontière entre eux et nous - ou c'est tout du moins ce que j'imaginais - et cette ligne n'avait que trop tendance à me rendre différente. Trop de règles. Trop de convenances. Ça allait vraiment finir par me bouffer. Avant pour régler un conflit, j'avais juste à me battre. Maintenant, on me demandait d'être... diplomate. Et je n'étais visiblement surement pas encore capable de gérer ça. De me gérer moi.

Drôle d'homme... Son attitude avait changé du tout au tout en quelques secondes. C'était étrange, limite dérangeant. Etait-il du genre à domicilier deux entités en lui, deux personnalités distinctes, deux âmes profondément cloisonnées ? Ou sa rage le rendait-il tout bêtement incontrôlable ? Quoi qu'il en soit, je préférais graver dans un coin de mon esprit de faire attention à l'animal, au cas où. Son regard pouvait clairement être... inquiétant et il n'avait visiblement pas été conscient lorsque je lui avais répondu. La manière dont il accepta ma proposition m'acheva pour de bon dans mes questionnements.

J'étais toujours très craintive face à la hiérarchie et surtout contre ceux qui la dominaient, à l'image des capitaines de division. J'étais sincèrement encline à penser qu'ils soient tous des abrutit finis, rongés par l’appât du gain et du pouvoir. Cet homme semblait différent, comme beaucoup d'autres que j'avais croisé... En réalité, j'étais surement juste embrigadée dans les souvenirs de mon passé et complètement aveuglée par les clichés que je gardais de l'armée. Le Seireitei n'était pas une dictature et cet homme n'agissait pas avec cette incroyable arrogance que j'avais vu chez certains. Ses réponses banales me rassurèrent un tant soit peu. Je n'avais clairement aucune envie de m'attirer des problèmes à l'heure actuelle et ce monde était beaucoup trop inconnu pour que je ne me sente pas instinctivement menacée par le moindre détail.

Dubitative, j'ai hoché la tête en guise de réponse, tout en partant vers la taverne la plus proche. Ne prenant même pas la peine de vérifier que ce... capitaine me suivait bien, je suis entrée dans la guinguette calme et vide à cette heure-ci, pour m'assoir au bar. Je n'étais clairement pas alaise de me retrouver dans cette position dont les codes m'échappaient toujours autant, mais boire un verre ne pourrait pas me faire de mal et aurait le mérite de me remettre les idées en place. J'ai commandé pour nous deux, comme promis.

▬ C'est Lexie, le corrigeai-je finalement en souriant. Et non, les relations, les conversations, la diplomatie... C'est nouveau pour moi et difficile à enclencher instinctivement.

J'avais objectivement un mal de chien à m'y faire en réalité. Le patron nous servit rapidement nos deux chopes et j'en pris une grande gorgée fraiche avant de regarder le capitaine.

▬ J'ai l'impression que devant certaine figure, je dois changer, avouai-je finalement. Et c'est dur de savoir quoi faire face à qui. Pour ne pas dire juste incroyablement chiant.

Le calme du Kireru me détendait un peu.

▬ Les relations humaines ne sont pas ma tasse de thé je suppose...

Tout comme l'autorité...

C'est toujours étrange d'entendre quelqu'un dire "j'étais comme toi". C'est le genre de phrase qu'on ne s'attend pas à entendre, surtout dans un endroit tel que le Gotei 13. Et surtout de la part d'une personnalité éminente telle qu'un capitaine. Il me parlait normalement et semblait même chercher à me conseiller, à me rassurer. Mes épaules se détendirent à mesure qu'il en disait un peu plus. Mes oreilles, elles, écoutèrent attentivement.

La clé était apparemment dans le simple fait de se tempérer. Rester calme, avec un minimum de respect, qu'il soit honnête ou non. C'était très certainement d'une grande hypocrisie, mais je supposais que pour maintenir l'ordre et la hiérarchie, ce genre de pratique devenait rapidement nécessaire. Si je m'étais attendu à ce que le Taisho ait pu faire preuve de certaines maladresses diplomatiques lui aussi, vu son tempérament et ses dires, qu'il aille jusqu'à frapper un capitaine me laissa un instant surprise.

Rapidement, un sourire s'est plaqué sur mon visage alors que j'en écoutais un peu plus. Qu'il ôte son haori me conforta encore dans mes impressions concernant l'homme.

▬ Voilà, je suis un Shinigami tout comme toi, c'mieux comme ça non ?

Je n'ai pas pu m’empêcher d'éclater d'un rire franc et doux.

▬ Oui, avouai-je finalement en souriant. C'est beaucoup mieux.

J'avais rencontré déjà beaucoup de personnes à la Soul Society, je m'étais même d'ailleurs faite déjà pas mal d'ennemis, mais plus les jours et les semaines avançaient, plus j'étais surprise de rencontrer à contrario des gens simples et francs, des gens susceptibles d'être des connaissances sans prétention, des gens avec qui je n'aurais pas besoin de me casser la tête tout simplement. Je savais que je n'avais que trop tendance à m'imaginer encore au Rukongai, mais il me paraissait de plus en plus évident que les gens étaient globalement plus sains ici, moins extrêmes aussi...

▬ Donc je suis Lexie Degan, me présentai-je à nouveau en souriant. Un simple Shinigami tout comme vous.

Ma main se dirigea vers mon verre.

▬ Vous savez ? Je crois que s'il le fallait, je suivrais votre mauvais exemple finalement. Je suis certaine que même les capitaines peuvent mériter une bonne droite de temps en temps. Et ça ne vous a visiblement pas empêcher de réussir...

Ma main se tendit vers lui pour trinquer.

▬ A la votre Shinigami, lançai-je. Vous en avez fait d'autres des bêtises du genre ?

Il ne désirait pas que je le vouvoie et j'allais me faire un plaisir d'obéir. Oublier les rangs, les coutumes, les moeurs et autres détails sociaux inutiles et hypocrites. Être face à face, à égalité pour simplement échanger quelques mots et partager un verre. C'était très simple les relations humaines, pour peu qu'on les voit de la même manière : avec banalité et modestie. Reisen me raconta encore quelques anecdotes, ses dérapages, ses conneries dont il semblait garder au final, un bon souvenir - ce qui me fit légèrement sourire. Je n'étais moi-même pas tout à fait un cadeau à l'origine après tout.

▬ Cinquième siège oui, répondis-je en avalant une nouvelle gorgée. Depuis peu.

Mes jambes se croisèrent alors qu'un soupire traversa mes lèvres.

▬ Non, pas vraiment de dérapages. Rien d'aussi remarquable que l'exemple extrême que tu es. Pas mal de disputes oui bien sûr, quelques coups impulsifs, remarques cinglantes, des bêtises bien gardées. Mais pas envers ma division, car celle-ci me plait. Mon capitaine, mon vice-capitaine, les gars, nous nous ressemblons tous. Vils et violents rebuts que nous sommes. Je crois qu'ils peuvent me comprendre et m'aider, donc je me tiens à carreau, tout simplement.

Étrange discours sortant de ma propre bouche, incontestablement relatif aux progrès que j'avais réussi à faire en si peu de temps à ce niveau. Ca n'était pas rien non, donner ma confiance et confier ma destinée à quelqu'un. Mais finalement, j'acceptais plutôt bien ce nouveau destin, aussi sombre puisse-t-il devenir.

▬ C'est juste de l'éducation tu sais ? Je crois bien avoir envie d'apprendre, quitte à ce que se soit dans la douleur vois-tu ? Et ma division sait y faire en la matière. Elle saura donner du sens à tout ça et par tout ça, j'entends surtout à moi, à cette étrange créature que je suis.

Mes lèvres se trempèrent un énième fois dans l'alcool.

▬ Et toi ? Pourquoi tu fais tout ça ? Pourquoi tu te bats ?

Au fond... Qu'est-ce que tu veux ?