« Lieutenante Satô... »

Le visage poupin de Kotetsu Isane apparut dans l'encadrement de la porte. Fumiko se redressa, comme montée sur un ressort, abandonnant sur son bureau le rapport qu'elle rédigeait et salua d'une courbette la nouvelle arrivante. Celle qui était désormais sa Capitaine n'était en poste que depuis une petite semaine, et Fumiko avait déjà réussi à se la mettre dans la poche. Enfin, mettre dans sa poche. Disons qu'avant même le départ d'Unohana, Satô impressionnait la grande perche. Une situation qui n'avait guère changé, et dont Fumiko profitait allègrement. Même si elle aurait préféré garder le contrôle officiel de sa Division, on ne pouvait guère accuser Isane d'ingérence dans les petites affaires de la Lieutenante. Quand la Capitaine s'était rendue compte de l'efficacité de sa subalterne (ce qui ne lui avait pris que cinq minutes, montre en main), elle avait décidé de se consacrer à ce qui l'éclatait vraiment, à savoir le soin des patients. Seulement là, elle se trouvait face à un petit problème... Qui pendait tel un boulet à la cheville de la Quatre depuis près d'un siècle et demi.

« J'aurai un petit service à vous demander... »

***

La petite infirmière était assise en seiza, à la gauche de Satô. Les yeux baissés, elle regardait avec fascination les doigts de sa Lieutenante rebondir à grand coup d'ongles sur le rebord verni de la petite table de bois où s'était installée la jeune femme. Elle avait passé bien une demi-heure à observer sa chef lire et relire le dossier du fameux cas 85. Un sujet sensible, appartenant à une famille de petite noblesse. Un patient douloureux, que se partageaient depuis longtemps la Quatre et la Douze. On jouait à « Lance-Bébés », et le ptit gars s'était souvent rétamé par terre. Il était passé entre les mains de tous les médicos de la Quatre, et des savants fous de la Douze, et personne n'avait été à même d'établir un traitement efficace. Midorima Teippei était fou, et c'était pas prêt de changer.
Et c'était bien la raison pour laquelle Kotetsu s'était ramenée en catimini dans le bureau de sa terrifiante lieutenante pour lui coller le dossier dans les pattes. Meeerveilleux.

« Expliquez-moi ça à nouveau, Morgana. »

« Et bien... Il a ravagé le jardin zen du Capitaine de la Justice, Yakushiji-sama... Il a provoqué une esclandre avec le Capitaine Kyuusei, à la Surveillance... Et plusieurs Déesses sièges ont porté plainte pour voyeurisme, même s'il a plaidé qu'il se cachait dans les bains pour échapper aux fameuses voix dont il souffre... »

La voix de Morgana s'affaiblit doucement, jusqu'à s'éteindre. Le rythme des doigts de Satô s'était considérablement renforcé, jusqu'à imiter véritablement les cataractes furieux d'un torrent après les fontes de printemps. Une pause aussi brève que remarquable rappela la jeune femme à l'ordre.

« Hm, oui. Et on signale aussi des vols de nourriture, dégradation de matériel, vols à l'étalage à son actif, entre autre chose. Enfin, pour résumer, les psychiatres ne savent pas quoi en faire. Aucun traitement n'est efficace. Les médecins sont désespérés. Il est bien gentil, le Capitaine Yakushiji, mais enfin, nous refiler ses déchets c'est quand même un peu mo- »

La jeune fille se tut, définitivement cette fois-ci. Satô avait arrêté son petit manège et, après lui avoir jeté un regard noir, s'était levée pour aller se poser à la fenêtre. Morgana esquissa une grimace. Difficile comme à l'habitude de cerner les pensées de sa Lieutenante, même s'il était assez clair, pour une fois, qu'elle n'était guère ravie à l'idée de devoir accueillir Midorima dans les rangs de la Quatre en tant que soldat, et non comme patient.

« Enfin, il devrait arriver sous peu normalement. Ils étaient pressés de s'en débarrasser... »

D'un geste de la main, Fumiko congédia la jeune femme. Cette dernière se releva en soupirant et s'esquiva par la porte de derrière. Voilà que les vieux murs des Soins, qui avaient enfin retrouvé un peu de calme, allaient à nouveau être secoués par une tempête...

L'arrivée du malade -était-elle obligée de dire « soldat » ?- s'effectua comme attendue. Fumiko avait largement été prévue des petites manies du jeune homme blond, et son entrée des plus anticonformistes dans son bureau ne fut pas suivie en conséquence d'un étranglement dans les règles de l'art. Elle le laissa s'installer à son aise, dérivant intellectuellement comme une coquille de noix dans une tempête, évoquant fort à propos la jeune femme qui avait eu jusqu'ici la charge du fou.

Elle lui sourit, gentiment, comme l'on sourit à un enfant pour le mettre en confiance. Une comédie qu'elle espérait ne pas avoir à renouveler trop régulièrement, sinon ses nerfs ne s'en remettraient pas. Elle n'avait aucun problème à se mettre au même niveau que son patient, ou à supporter ses frasques, elle était assez fine pour comprendre, elle, que tous n'étaient pas à même d'intégrer parfaitement les règles les plus élémentaires de la décence. Et après tout, elle avait vu bien pire que le jeune Midorima.... Mais supporter à longueur de temps les sautes d'humeur d'un bipolaire lui serait impossible. Fumiko ne respirait que pour la logique, la connaissance, la réflexion; et la proximité d'un être aux antipodes mêmes de ce qu'elle était, qu'il le voulusse ou non, finirait par l'épuiser.

Alors elle allait lui expliquer, autant que possible, et puis basta. Elle voulait bien se taper toutes les merdes du service, mais il était hors de question que Teippei se rajoute à la liste, qu'Isane le souhaite ou pas. Elle attendit qu'il finisse son petit monologue pour enfin prendre la parole.

« Bonjour, Teippei. Je suis Satô Fumiko, ta nouvelle Lieutenante, et c'est chez nous que tu vas être maintenant. Désormais tu vas habiter ici, à la Quatre, et Penny, Morgana et tous tes amis de la Quatre vont être tes collègues. Tu comprends ? »

Elle parlait d'une voix douce, les avant-bras posés sur sa table, un sourire gentil aux lèvres pour amadouer le jeune homme, mais ce n'était pas son seul atout en main, ah mais non !

« On m'a dit que tu étais quelqu'un de très gentil et de très travailleur. J'espère que c'est vrai, parce que nous comptons beaucoup sur toi, ici. Penny était tellement contente de travailler avec toi... J'espère aussi que tu seras sage avec elle et que tu lui obéiras ! »

Elle pensa quelques instants à la jeune femme ci-nommée, et pria tous les dieux pour qu'elle lui pardonne un jour. Puis de saisir sous son bureau un objet mystérieux, duquel elle sortit un... Biscuit. Un délicieux petit biscuit nappé de chocolat, avec des copeaux de noix de coco, qu'elle agita sous le nez du jeune homme.

« N'est-ce pas, que tu seras aussi gentil qu'on nous l'a dit ? Penny sera tellement triste, sinon... »

« Nous nous occupons également des cuisines. Je suis sûre que tu arriveras très bien à éplucher les pommes de terres ou à touiller les marmites.. Peut-être même que si tu travailles bien, les chefs te donneront d'autres biscuits, comme celui-ci. »


OUIIIIII. La stratégie ultime, d'une finesse et d'une ingéniosité exceptionnelle de la jeune femme avait fait effet. C'est d'un clin d'oeil conquérant à l'infirmière harassée que Fumiko posa un sourire conquérant sur le jeune homme, qui désormais serait plus ou moins à sa botte. C'était un problème de moins à gérer, car personne n'ignorait qu'un fou qui n'avait pas accepté les changements qu'on lui imposait était impossible à vivre. Encore une fois la Division n'avait pas besoin d'un tel poids en plus, et Kotetsu serait heureuse de la nouvelle.

« Je vais laisser cette jeune femme prendre soin de toi et t'emmener là où tu vas désormais travailler et vivre, Teippei. J'ai confiance en toi, je sais que tu seras un digne élément de la Quatre. »

On n'attrapait pas les mouches avec du miel, certes, mais Satô avait le désagréable sentiment d'en faire trop. A sa propre aune, il fallait croire. Le jeune semblait conquis.
Elle fit un signe de main, à la même jeune femme plus tôt désignée, qui se releva aussi sec pour aller ouvrir la porte, attendant que Teippei la rejoigne.

« A très bientôt, Teippei, je te souhaite un bon séjour parmi nous. »

Parmi les fous, oui.