Mener enquête sur la disparition de Ace, pour ne pas dire sa mort. Malgré les nombreux événements qui ont déboulé sans lui donner le temps de se concentrer sur ce devoir, elle ne l’avait pas oublié. Maintenant qu’elle était de retour de son escapade avec La Primera, elle pouvait se vouer corps et âme à comprendre ce pourquoi l’ex-Segunda n’était pas revenu au Palais suite à la courte invasion des Shinigamis. Ayant perdu connaissance aux prémices de leur premier combat – ce qui n’était pas source de grande fierté, loin s’en faut –, elle avait bien du mal à s’imaginer ce qui s’était produit par la suite. Ce qui ne faisait pas un pli, c’est qu’il devait avoir triomphé pour avoir pu la mener en lieu sûr. Qu’elle se soit éveillée à l’abri de toutes menaces, mais surtout seule, signifiait qu’il avait poursuivi sa route en solitaire. C’était à ce moment que quelque chose avait dû arriver. Et qui d’autre pouvait être mieux placé pour l’éclairer que l’un de ses pires ennemis : Borick.

Ce dernier avait été clair lors de la réunion. Il avait réussi à se rendre là où personne d’autre de cette dimension n’avait pu. De ce fait, il y avait de grandes chances qu’il ait croisé Ace, du moins, c’était ce que Lili espérait, cela en dépit du silence dont Borick avait fait preuve lorsqu’elle avait questionné Grimmjow à ce sujet. Il va sans dire que lui rendre visite était loin de lui faire plaisir, mais c’était très peu si on comparait ce qu’elle était en devoir de rendre à Ace pour lui avoir sauvé la vie. Autant dire qu’elle avait ce curieux besoin d’en avoir le cœur net, pour ainsi passer à autre chose. Et puis depuis sa dernière rencontre en privée avec Borick, beaucoup de choses avaient changé. Se mettre à jour en termes de nouvelles n’allait pas être un mal, pour autant qu’elle puisse se tenir droite. Elle n’en avait par ailleurs pas le choix, étant en ces lieux pour réclamer quelque chose.

Lieux qu’elle n’avait pas eu de mal à trouver grâce à sa précédente visite en vue de faire échange avec Alvaro, l’ex-Chef de l’Exequias qui avait trépassé aux dernières nouvelles. Nul besoin de lui tordre un bras pour avouer que ça lui avait fait un petit quelque chose d’apprendre sa mort, mais elle ne s’en était pas plus souciée que cela. Les puissantes têtes de Las Noches ne cessaient d’apparaître et de disparaître, au point que cette chaise musicale avait fini par lasser Lili, qui demeurait dorénavant indifférente à toutes ces pertes. S’ils étaient trop incompétents pour rester en vie, alors elle n’allait pas verser quelques larmes pour eux. Ace faisait exception à la règle. Quant à Alvaro, elle avait eu l’impression de bien s’entendre avec lui, ce qui était plutôt rare. Maintenant qu’il était devenu poussière, ses relations étaient retombées sous la barre du zéro. Qu’elle prétende ne pas en être affectée ne voulait en rien signifier que c’était bien le cas. Au contraire, cette solitude et cette absence de confiance lui pesaient un peu…

Mais c’était la vie, et elle n’allait pas en pleurer pour autant. Las Noches n’était pas l’endroit propice pour se créer de solides liens, et ce n’était pas la solitude qui allait la tuer à petit feu. Les portes des quartiers se profilaient au bout du long couloir de marbre. À grandes enjambées, Lili s’en approcha, alors que l’écho causé par ses bottes sur le carrelage immaculé avait de quoi avertir quelques membres de l’Exequias de son arrivée. Ces derniers se trouvèrent dès lors sur son passage, et elle allait de ce fait devoir se présenter pour pouvoir passer. Elle qui voulait faire irruption comme la dernière fois, c’était manqué. Sa main mettait d’ores et déjà en exergue le chiffre frappé sur son dessus. Au moins les présentations étaient faites.

— Cassez-vous, je viens voir le patron.

- Quelle heureuse surprise... La Quinta Espada qui daigne se présenter à moi. Entre donc, nous serons plus à notre aise à l'intérieur.

- Je suppose qu'il ne s'agit pas d'une simple visite de courtoisie, n'est-ce pas ? Je te prierai donc de me dire sans détours ce qui te pousse à venir jusqu'à moi, Espada. Que je sache en quoi je puis t'être utile.

Le visage de son blondinet préféré ne tarda pas à faire apparition dans le couloir de marbre, face à Lili qui commençait justement à perdre patience vis-à-vis les larbins de l’Exequias que leur commun stoïcisme énervait. Soulagée en quelque sorte qu’ils s’éclipsent lors de l’arrivée de leur Chef, elle ne sut pour autant exprimer une quelconque gratification, plutôt habitée d’un zeste de dégoût à revoir celui qu’on pouvait aisément définir comme l’un de ses pires rivaux –aux côtés de sa belle amie Naezka, ce fou d’albinos, cet enfoiré de requin, et la liste était encore bien longue. Le revoir aussi près, et surtout l’entendre s’adresser de la même façon qu’auparavant et de surcroît directement à elle lui rappelait à quel point elle ne le portait pas en son cœur et que ce ne sera probablement jamais le cas.

Mais sa présence ici n’était justifiée que par un besoin de savoir. Or, qui de mieux placé que le Chef de l’Exequias lui-même pour la mettre au courant des dernières nouvelles en plus d’apporter à sa conscience un peu de repos en démystifiant la disparition de Ace? Ainsi Lili fut munie d’un sourire, caustique certes, teinté d’une arrogance dont elle ne pouvait se départir, mais que l’effort ne pourrait passer inaperçu aux yeux de ce personnage méticuleux. Son comportement déjà un peu plus convenable pour une entrevue de la sorte pouvait d’ores et déjà mettre la puce à l’oreille quant aux raisons de sa présence ici, et autant dire que c’était pour le mieux. Qu’on puisse lire à travers ses intentions comme dans un livre ouvert n’avait que très peu d’importance à ses yeux; cela allait même lui sauver un peu de temps, car moins long sera cet échange et mieux les deux se porteront.

Quelques pas en sa direction, des salutations très vagues sans même un regard de plus sur son hôte, et elle traversait enfin les portes qui menaient dans l’antre du blondinet. Lili fit mine par « respect » de s’intéresser un peu à la pièce, en dépit d’un air indifférent à souhait, avant de s’asseoir en style seiza version gamine sur l’un des sièges désignés, cela tout en jetant des regards hasardeux par-ci par-là dans l’évidente raison de ne pas voir son interlocuteur. Il va sans dire qu’à peine les prémices de cette discussion entamée qu’il l’énervait déjà, avec ses manières respectueuses, sa bienséance et elle-ne-savait-quoi. Quoique son attitude montre davantage une mine indifférente qu’une colère montante, ses paupières closes à maintes reprises durant de longues secondes donnaient déjà un indice sur le niveau de retenue auquel elle se situait. Une longue respiration, une poignée de secondes à maitriser le torrent d’émotions qu’il faisait naitre, et enfin elle posait avec courage son regard d’azur sur lui en vue d’une saine discussion, sans hostilité aucune.

— Je vais pas aller par quatre chemins. C’est pas pour ta belle gueule que je suis venue ici, mais pour obtenir de l’aide dans mon enquête. Comme tu le sais très bien, je suis un peu préoccupée par la disparition de l’Ex-Segunda Espada, Ace, dont le corps n’a pas été retrouvé mais qu’on a pourtant prétendu mort. Or, je suis persuadée que tu as dû le croiser lors de l’invasion Shinigami. Tu prétends t’être rendu loin. Ace a fait de la route aussi. De ce fait, j’aimerais des explications sur ce qui s’est passé, j'aimerais savoir ce que tu sais, ce que tu as vu!

Sa gestuelle, son regard d’un bleu tranchant, sa tonalité, tout reflétait un sérieux si soudain qu’il n’y avait nul doute sur l’honnêteté de ses propos. Ses mains déposées sur ses genoux étaient serrées en poings, alors qu’elle se remémorait le dernier acte que son partenaire d’antan avait fait pour elle. Qu’on lui apprenne sa mort sans qu’il n’y ait plus aucune place au doute ne lui dérangerait pas plus que cela, mais si elle pouvait trouver réponse à cette question qui l’obsédait depuis si longtemps, elle pourra ainsi considérer sa dette payée en ayant poussé l’enquête jusqu’au bout, en ayant mis en lumière sa disparition. Il n’y aura aucunes funérailles pour ce crétin, aucun mot d’adieu ni de larmes coulées pour sa mort, néanmoins, il y aura eu de l’inquiétude, de la détermination, et du courage pour lui, et cela, selon l’humble avis de la Quinta, valait tout l’or du monde dans cette dimension où aucune mort n’était ordinairement regrettée. Elle avait définitivement acquitté de sa dette.

— Ne me compare pas à ces insignifiantes choses.

Mieux valait préciser d’ores et déjà que ce n’était pas de l’humanité qu’elle témoignait, mais seulement une façon bien à elle de remercier la défunte Lame de lui avoir sauvé la vie. S’il y avait bien une chose que Lili chérissait plus que tout hormis sa place au sein de l’Espada, c’était son existence même qui lui était nécessaire pour jouir de tout ce qu’elle a obtenu jusqu’alors. Sa mort, si elle était survenue, aurait signé la perte de tous les résultats de son labeur, et elle jugeait justement ne pas avoir profité suffisamment de sa nouvelle résidence et des avantages qui s’y rattachent pour disparaitre. L’idée de perdre tout ce dont elle avait bâti lui était plus supportable encore que celle de libérer son dernier souffle, et c’était particulièrement cette réalité qui faisait de Ace le responsable de la préservation des accomplissements de son vécu et le destinataire de cette attention singulière.

Mais qu’importe ce qui se déroulait dans la tête de Lili, il était évident qu’elle regrettait la mort de son partenaire de fortune. Le nier sans hésitation face à Borick n’allait rien changer des quelques regrets issus de cette annonce, et n’allait pas non plus altérer les apparences qui témoignaient avec évidence de l’inquiétude ressentie à l’égard de sa disparition. Néanmoins, être qualifiée d’«humaine» relevait de la plus haute insulte à ses yeux, aussi vrai cela puisse-t-il être. Ce qui irritait Lili était la rapidité à laquelle Borick l’avait comparé de la sorte, alors qu’elle n’avait montré son intérêt que partiellement, ce qui ne l’autorisait pourtant pas à la présumer aussi faible que ces imbéciles d’humain. Aussi décida-t-elle de changer immédiatement de stratégie, s’extirpant immédiatement de ces songes qui lui donnaient un air un peu trop sérieux pour une discussion qu’elle voulait bégnine. Le geste de main qui suivit le changement abrupt de comportement n’était qu’une seconde partie de sa comédie et marquait l’abandon de son enquête, malgré son insatisfaction quant aux détails.

— Tu t’emmêles dans les pinceaux, Borick. Si je m’inquiète de cette disparition soudaine, c’est parce que je soupçonne qu’une menace autre que celle des Shinigamis en soit la cause. Alors qu’on a bien souvent tendance à retrouver la dépouille d’un présumé mort pour en confirmer le décès, ici, personne ne sait où il se trouve. Peut-être les Mahô Tsukai ont encore frappé, ou pire, de nouveaux ennemis qui font disparaitre les corps d’une quelconque façon. Alors voilà de quoi s’agit mon enquête. Ne va pas te fourrer dans des hypothèses insensées comme quoi je m’inquièterais pour lui. Je me préoccupe de la sécurité de Las Noches, c’est tout.

Voilà qui représentait une manière très peu crédible de se redonner un peu d’aplomb vis-à-vis cette gênante situation. Si l’idée de consulter l’un de ses pires rivaux avait semblé de prime abord réalisable, il lui suffisait d’être en plein cœur de cette discussion anticipée pour découvrir que c’en était tout autre. Non seulement elle avouait implicitement avoir besoin de l’aide de Borick, mais en plus, elle était devenue si translucide qu’il lui était possible de deviner le léger attachement qu’elle nourrissait à l’égard de l’absent et qui motivait cette démarche absurde. Tout ce mal donné pour de si maigres informations, car celui dont elle avait cru presque omniscient ne savait au final rien de la situation, ou du moins ne lui donnait-il pas la réponse escomptée. Ce n’était qu’un indice de plus qui tendait dans le sens de son décès, et elle n’avait plus le courage de faire ses recherches, tenant particulièrement à ne pas paraitre trop « humaine » là où aucune humanité n’était permise.

— Je prends en compte tes informations pour mon enquête Borick. Peut-être me mèneront-elles à la certitude qu’Ace n’est pas mort aux mains d’un potentiel ennemi dangereux. Quoi qu’il en soit, cette stupide créature n’avait pas le mérite de porter le chiffre deux, et j’espère de tout cœur qu’il est mort comme du bétail, puisqu’il ne valait pas plus que ça à mes yeux!

Feindre s’en laver les mains n’était pas plus dur qu’il n’y paraissait, puisqu’elle mettait en priorité l’image que les autres avaient d’elle, ce qui venait annihiler toute envie de poursuivre son enquête. Alors qu’elle était entrée en ces lieux inquiète d’élucider ce mystère, elle avait balayé toutes pensées de près ou de loin en lien avec Ace, jugeant qu’elle ne pouvait plus rien pour lui et que clairement, sa dette pour avoir sauvé son vécu était entièrement payée. Se lever au plus vite pour quitter les lieux fut son intention première, mais l’idée d’engager un tout autre sujet de conversation eut raison de ses caprices. Autant profiter de ce tête-à-tête pour récolter quelques informations de plus. Aborder sa récente promotion avait toujours été dans sa liste de chose à faire, mais la mission l’ayant occupé pendant une bonne durée, elle avait eu à la reporter. D’autres sujets, aussi, étaient à discuter avec celui qui avait été mêlé directement à l’irruption du mastodonte en plein cœur de la réunion. Néanmoins, une chose à la fois :

— Tien. Pendant que j’y pense. Le nouveau rang de Chef de l’Exequias semble bien te plaire. T’as l’air confortable à la tête des morpions que j’ai croisé en partie lors de mon arrivée.

Aucune colère ni jalousie ne pourrait être justifiée aux yeux de Lili. La promotion de Borick n’était pour elle qu’une vulgaire dégradation, ce qui tendait davantage à la réjouir qu’à la faire se lamenter. Constater en plus le départ de ce dernier au sein de l’Élite avait de quoi faire naitre un grand soulagement, qui ne supportait définitivement pas partager ce groupe aux côtés de son rival. Maintenant que les Lames étaient délestées de cette désagréable présence, il n’y avait pas de mal à se coltiner sa présence encore un peu plus longtemps. Son nouveau rôle à la tête de l’Exequias allait de fait réduire les chances de le croiser dans le palais, les quartiers de la Cinquième se trouvant beaucoup plus loin de ceux dans lesquels il avait emménagé. Concentrée à dépouiller la sucette nouvellement extirpée d’un pan de ses tissus, c’est avec très peu d’égard pour la contenance qu’elle abandonna le déchet au sol en même temps de fourrer le bonbon rouge dans la bouche. Son minois qui transpirait l’innocence prouvait néanmoins que son geste relevait davantage d’une mauvaise habitude que de la provocation.

- Pour autant que je le sache, la sécurité de Las Noches ne te concerne pas Lili. Tu devrais laisser cela aux personnes compétentes. Je crois savoir que ce n'est pas ton cas...

- Toutefois, je partage ton avis sur Ace. Il ne méritait pas une place dans l'élite de la Panthère et sa mort ne peut qu'être une bénédiction quand on sait à quel point il a été inutile. Ce qui m'inquiète, vois-tu, c'est que d'autres de tes frères et sœurs sont dans le même cas. Ne crois-tu pas ?

- L'Exequias n'est qu'un ramassis d'Arrancars très moyens, tu dois bien le savoir. Mais leur force réside en leur nombre. Et leur fidélité à mon égard me les rend attachant. Puis être à la gauche de notre Roi a certains avantages, je dois bien l'admettre.