D’infimes bruissements dans ce dédale abandonné de la ville. Morsures, arrachures et mâchures déparent le silence. Dans l’encoignure d’une impasse, ça se rassasie, ça festoie. Dans la pénombre de la nuit, une silhouette nébuleuse, tumultueuse et nauséeuse, occupée à se repaître d’une carcasse malheureuse.

*

Prison de chaire chancelante au sortir d’une brasserie. Soûlard braillard à répugner la plupart de ses spectateurs. Proie téméraire à s'aventurer sur le terrain de chasse d’un prédateur peu regardant de la qualité de son gibier. Yeux exorbités, obsédés par l’aubaine d’une chasse facile. Semaines passées à ne se contenter que d’ordures et d’animaux errants. Bout de steak qui s’adosse sur la paroi d’une bâtisse, s’écroule, se retourne et dégurgite le trop plein d’alcool sur l’asphalte. L’ivrogne halète, reprend son souffle. Sa main presse son front et tente, tant bien que mal, d’apaiser sa migraine. Sa tête se tourne sur le côté. Son regard creux s’interloque pour enfin s’épouvanter d’une proximité, celle d’une trombine pâle et placide devant la sienne. À peine eut-il le temps d’avaler avec étroitesse une bouffée d’oxygène qu’une mâchoire se refermait déjà sur la moitié de sa gorge désormais sanguinolente. Coquille sans vie, inerte sous les crocs de la bête. Une bête frappée par un réflexe, celui d’emporter avec elle son butin dûment obtenu dans un lieu plus isolé, moins grouillant d’humains.

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Ça mord, ça arrache et ça mâche. Scène morbide, scène naturelle, scène de survie. L’estomac revigoré, vient le tour à sa charpente. Ses canines profondément rentrées dans l’ossature du gibier, s’entame un processus. Parcelles de cartilage remontant par ses dents pour intégrer son propre squelette, nouvelle possession de son enveloppe charnelle. Filent les minutes, croît sa délectation. Masse solide s’amollissant. Dépouille en voie de n’être plus qu’un bout de chaire flasque, du moins, l’imaginait-elle, une présence vagabonde l’interrompant dans son rituel. Vive, sa figure se relève brusquement en direction du parasite. Mignonne petite prédatrice maculée de sang, que ce soit sous ses lèvres gourmandes que sur ses avant-bras dépeceurs. Peu maniérée, juste franche, fidèle à elle-même. Pierre brute murissant le sort de son visiteur pour le moins imprudent.

Un objet volant. Ses yeux ébahis devant cette chose capable de se tenir sur un banc de vide. Par quelle sorcellerie ? À s’échanger des regards, la bête se dévoile comme fascinée par ce drôle de phénomène, fascination ravivée à la vue de ce trait de lumière cambré nouvellement apparu dans la paume de ce qu’elle ne perçoit autrement que tel une singularité de la nature. Statique, elle disparait quand un projectile menace de l’atteindre. Bizarrerie céleste prédatrice ? Menace à supprimer ? Tiraillée entre prudence et curiosité, Muda, forte d’une présence taiseuse, se fait observatrice de cette étrangeté humanoïde. Ainsi l’observe-t-elle s’acheminer à son ancien emplacement, arborant une expression particulière au regard de sa victuaille déjà bien entamée.

Cette trombine répulsive… La première fois qu’il observait un être vivant répondre à l’appel de la faim ? S’offusquer d’un acte si naturel ne manque pas d’interloquer celle en proie à s’approcher de l’imprudent. Hors de sa portée en altitude, il n’en demeure pas moins à sa merci les fers sur terre. S’ensuit la poursuite sans le moindre bruit tandis qu’il cavale au cœur des vieilles venelles macabres. Fin de la course, la créature n’arrête pas pour autant de ramper, serpentant l’asphalte, vers lui. Tourne-t-il lentement la tête qu’il est, de toute, trop tard. Fermement tenue au dos de l’étranger, l’humaine empoigne avec vélocité et vigueur le maigre torse de sa victime. Lourde de deux cents kilos, son captif ne tiendrait sans doute que peu de temps debout.

-Tu bouges. Je t’écrabouille.

Sa figure à côté de celle suante de son captif, ses iris de rubis happés par l’objet de sa capture, vient le moment de combler une autre faim qu’elle n’a guère l’habitude d’endurer. Ainsi lèche-t-elle sa joue et en savoure-t-elle la note salée.

-Le même goût… L’odeur autre. Qu’es-tu ? En l’air… Comment tiens-tu ?

Manière singulière d’aborder un inconnu, ce dernier allait devoir s’en accommoder, ou mourir.