En ressentant cette aura s'approcher d'elle, Riful avait pris la décision de rester sur place afin de voir qui venait à sa rencontre. D'autant qu'elle savait être la destination finale de la créature. Sa présence était apparue si soudainement que le doute ne lui était pas permis, sans doute un de ces Arrancars de Las Noches qui souhaitait rencontrer la Reine du Yermo pour quelques obscures raisons. Pour tout dire, elle se moquait de connaître les motivations de ces créatures tant que celles-ci ne cherchaient pas à l'attirer dans quelques pièges absurdes. Son instinct de conservation étant ce qu'il est, elle enfouie plus profondément encore dans le sable certaines des tentacules qui composaient la partie inférieure de son corps.

Un signal que connaissait Rufus, son fidèle félin, qui se plaçait déjà à proximité de sa maîtresse, sans mot dire. Non pas qu'il n'en soit pas capable, seulement Riful lui avait interdit il y a plusieurs siècles de cela d'ouvrir la bouche. Qu'il se cantonne aux grognements et autres avertissements de ce genre lui suffisait. Il ne s'agissait là que d'une punition pour avoir enfreint certaines règles. Et la rancune de la belle était tenace. Animal il était de par son statut d'Adjuchas, animal il resterait donc. Tournant finalement son corps vers la silhouette qui venait d'entrer dans son champ de vision, elle apprécia le tact de ce dernier. Il était évident qu'il aurait pu être à ses côtés en un instant et pourtant il se limitait volontairement dans ses déplacements afin de ne pas la brusquer. Une marque de respect que les autres Arrancars ne lui avaient pas donné. En dehors de Tibors.

Alors que le dénommé Esteban prenait la parole, elle eut confirmation qu'il était lui aussi affilié à l'armée du Roi Grimmjow. Ce n'était en rien une surprise, la majorité des Arrancars croisée appartenant à cet homme. Elle savait la bête puissante et ne cherchait donc pas à s'approprier des terres qu'elle ne convoitait de toute façon pas. En tout cas il apparaissait comme évident que ses précédents rencontres avaient parlé d'elle. Elle se souvenait des mises en garde de certains Espada au sujet du danger d'attirer l'attention de la Panthère. Mais même sans chercher, elle restait une entité différente de celles qui parcouraient le Yermo. Il était difficile d'être discret pour elle qui ne cherchait absolument pas à sa cacher.

- Et bien au moins as-tu le mérite de ne pas arriver ici en me menaçant, ce qui ne peut que me mettre en de bonnes conditions.

Elle bascula légèrement le corps vers l'avant, posant ses yeux blancs sur le Tercera Espada. A ses côtés, Rufus poussa un terrible feulement, comme pour mettre en garde l'Arrancar que sa maîtresse n'était pas seule. Elle lui caressa alors le corps pour le calmer à l'aide d'une de ses bandelettes, non sans garder son attention entièrement tournée sur Esteban.

- Du calme, Rufus. Cet homme ne nous veut aucun mal, n'est-ce pas ? J'accepte de t'accorder un peu de temps et si je peux répondre à tes questions, alors je le ferais. Néanmoins, j'aimerai que tu puisses m'éclairer sur un point. Avant de prendre cette apparence, qu'étais-tu ?

Il y avait du dédain lorsqu'elle faisait référence à l'apparence actuelle d'Esteban. Pour elle, briser son masque signifiait perdre sa véritable identité, n'en déplaise à certains Arrancars avec qui elle avait discuté de ce fait. Tibors avait défendu ses origines mais ses propos n'avaient pas suffi à persuader la Belle. Ce qu'elle demandait à cet homme était simple : étais-tu un Vasto Lorde ou un Adjuchas, l'idée d'un rang inférieur ne l'ayant même pas traversé. Quelque chose dans l'odeur d'Esteban répondait à sa question mais elle souhaitait l'entendre de sa bouche.

- Simple question de point de vue, je présume.

Encore et toujours le même discours, aussi immuable que le temps lui-même. Cette apparence changeait les choses, dire le contraire signifiait fermer les yeux sur la réalité des faits. Ainsi interprétait-elle ce qu'elle considérait comme un mensonge. Pas un mensonge à son encontre puisqu'il paraissait évident qu'il y croyait. Il se voilait la face. Comme si l'Arrancarisation faisait d'eux de simples bêtes sans personnalité. Il en était tout autre bien sûr mais elle ne parvenait pas à s'en persuader. Une étincelle de rage se déclencha dans son esprit avant qu'elle ne parvienne à la canaliser. Elle l'avait dit par le passé : si elle pouvait pardonner la sottise des faibles, il en était tout autre de ceux qu'elle appelait "frère" ou "soeur". Ceux de sa trempe. Esteban avait été un Seigneur de ce monde. Mais aujourd'hui, il n'était que cette apparence humaine, sans saveur. Sans odeur. Sans personnalité.

Les notions d'intelligence supérieure ou d'évolution de la conscience n'avaient aucunes prises sur elle. Elle était une reine, un des rares Seigneurs du monde Creux. Une race aussi rare que terrible dont la réputation avait dépassé depuis longtemps les simples frontières du Hueco Mundo. Mais il restait prudent dans ses propos. A bien y regarder, il savait y faire et c'était satisfaisant pour elle de ne pas se forcer à rester avec lui. Les autres, pour la plupart, avaient été insipides. Mais son ancien frère était d'une toute autre catégorie.

Il avait d'ailleurs visé juste. Ce n'était pas trop s'avancer que de dire qu'elle était effectivement l'entité la plus ancienne de ce monde. Tout du moins à sa connaissance. Et dans cette région. Le Yermo ne possédait aucune créature atteignant son âge, elle en était persuadée. Pour autant, les anciens Seigneurs comme elle étaient plus nombreux au-delà des frontières séparant ce sable de son propre territoire. Elle ricana.

- C'est une possibilité, en effet. J'ai vu passer plus de trois millénaires. Et sans doute n'aurais-tu jamais entendu parler de moi si je n'avais pas été intrigué par ton peuple.

La démarcation était volontaire. Selon ses critères, ils n'étaient plus de la même espèce. Deux peuples cousins, certes, mais qui n'avaient plus grand chose à voir ensemble. Sauf lorsqu'ils reprenaient forme. Si elle restait à cette hauteur, c'était en partie pour l'obliger à lever les yeux vers elle. Une satisfaction personnelle. Et elle avait déjà remarqué que l'égo de ces créatures étaient plus grandes encore que le sien. D'où son amusement. On venait à elle. Était-ce de la simple nostalgie du passé ? Ou y'avait-il derrière cette façade un plan plus grand ? Elle ne pouvait pas le savoir. Et s'en moquait pour l'heure.

- Je suis certainement plus ancienne encore que nombre de nos frères. Le Hueco Mundo n'est pas un territoire accueillant. On ne vit pas si longtemps sans raison... Mais dis-moi, mon cher Esteban : ne regrettes-tu jamais ta véritable forme ? N'est-ce donc pas de la folie que d'emprisonner sa nature dans un corps si imparfait ?

Encore une fois, il ne s'agissait là que d'un simple point de vue. Riful savait que cet homme se croyait parfait. Du moins était-ce le sentiment qui était déjà ressorti de sa précédente discussion avec Tibors. Lui aussi était un frère de sang. Et lui aussi avait préféré cette maudite peau plutôt que de laisser l'essence même de son pouvoir prendre forme.