L'institut était ouvert depuis quelques mois maintenant. L'activité médiatique l'entourant était déjà bien retombée, mais sans tout à fait en détourner les yeux – ou l'objectif. L'essentiel de ce qui s'y passait n'avait donc d'autre fonction que de le faire passer pour ce qu'il était censé être. Melody était allée jusqu'à engager un personnel dont ils n'avaient pas besoin pour maintenir une illusion qui devrait durer. Bien sûr, elle les remercierait dès que l'attention de la presse serait ailleurs, avec la copieuse prime qui convenait. Tout ce qui était cuisiniers, équipe de ménage et ainsi de suite était invité à se vêtir richement à ses frais pour satisfaire d'images volées les caméras indiscrètes. Pour entretenir un domaine de cette envergure, il était bien normal d'engager du personnel quand on en a les moyens. Mais la starlette se contenterait du strict nécessaire.

Moins il y aurait d'humains normaux dans la résidence et mieux ils se porteraient. Moins ils risqueraient d'éventer leur secret. Mais dans un premier temps, il fallait bien faire semblant. Elle avait par contre refusé de se doter d'une secrétaire, préférant gérer elle-même ce qui devait l'être. Sasha avait dit non de toute façon, et les efforts de Calum pour former Muda à ce poste n'avaient pas encore payé. Elle devait beaucoup à l'irlandais, qui l'aidait comme il le pouvait pour la paperasse, les conférences, tout ce qui touchait à l'image publique. Sa reconnaissance était plus que sincère. Mais dès que ça se passait entre ces murs, elle était reine en son royaume. Il fallait bien se donner l'impression de servir à quelque chose.

Et puis, les risques de crouler sous le travail étaient moindres, tentatives de fraude exceptées. Comment auraient réagi les journaux s'ils leur avaient annoncé se savoir déjà presque au complet ? Melody n'aimait pas mentir, mais il le fallait bien parfois. Ne le faisait-elle pas depuis trois ans quand on y pense ? Même si, certes, elle n'avait jamais étalé son mensonge à la face du monde. Quelqu'un l'avait-il fait avant elle ? Koshiro n'était pas le personnage le plus discret qu'elle connaisse, mais elle doutait qu'il soit déjà passé à la télé. Parfois, elle se demandait si d'autres célébrités avaient connu le même sort. Si elle risquait d'un jour trouver aux prises avec un Hollow l'un de ceux qu'elle avait croisé sur un plateau télé. Hey, qui sait ?

Mais elle n'y prêtait pas vraiment foi. Être riche et Fullbringer, c'était un sacré coup du destin. Calum et elle explosaient déjà les quotas. Mais pour deux d'entre eux qui avaient eu la chance de se rencontrer, de se lier d'amitié, combien qu'ils ne connaissaient pas ?

Songeuse, elle fixait l'écran plasma, s'attardant plus sur les bandeaux d'information qui défilaient au bas de l'écran de CNN qu'au vrai programme. L'information était une arme dangereuse. Plus encore dans les circonstances actuelles. Ça faisait un an depuis Karakura, et les hautes instances n'avaient toujours pas été en mesure de communiquer une version officielle qui tienne debout. Comment l'auraient-ils pu ? Même l'esprit humain, prompt à rationaliser ce qu'il ne pouvait comprendre, était sans réponse. Et cela ne faisait qu'engraisser une paranoïa collective dont l'instabilité avait toutes les raisons d'inquiéter. Les destructions isolées survenues par le passé avaient toujours une bonne excuse à trouver, mais là...

En bref, c'était tout sauf le moment de se faire remarquer. Ils s'en étaient plutôt bien sortis jusque là : l'idole ne pouvait que croiser les doigts pour que ça continue en cette voie. Quand on toqua à la porte, la blonde pressa hâtivement le bouton arrêt de la télécommande. Non qu'elle ait eu à rougir de son choix de programme, mais recevoir quelqu'un avec le poste allumé ne serait guère professionnel. Si délurée qu'elle soit au naturel et dans le cadre de son « vrai métier », il lui faudrait ici faire preuve d'un peu plus de sérieux. Se raclant la gorge à titre prévisionnel, elle tira de sa voix la puissance requise pour qu'elle fasse fi de la lourde porte en chêne.

Oui, entrez !

Melody se demanda ce que ça pouvait être cette fois. Son rendez-vous de quinze heures n'avait pas précisé l'objet de sa visite, et son nom ne lui disait rien. Son physique ne fut pas plus parlant, même si la perspicacité voulut qu'elle le soupçonne de n'être pas japonais. Elle n'en fut pas plus avancée : elle-même était anglaise, Sasha russe et Calum irlandais. Quant à Ganryû, sans avoir jamais demandé, elle le suspectait d'être logé à la même enseigne – nom nippon ou pas. Ce qu'il fallait en retenir, c'est que feu Karakura avait compté dans ses rues sa part d'étrangers – et que leur coterie prenait des airs de cour des miracles, accessoirement. Qu'il soit d'ailleurs ne voulait pas dire qu'il n'était pas concerné. Aussi étrange qu'il lui apparut à première vue, le visiteur n'avait pas spécialement l'air d'être dans le besoin. S'il avait essuyé quelque catastrophe, il ne s'en était pas trop mal sorti.

En le détaillant, elle s'attarda sur ses cheveux longs. Une pointe de jalousie superficielle l'assaillit. Les siens commençaient à pousser également, sans qu'elle trouve le temps ou la motivation de les faire couper. Elle envisageait de les garder ainsi, mais se trouvait encore dans cette période entre deux longueurs où il lui semblait ne pouvoir rien en faire de potable. Se reprenant, elle remarqua à peine le grand éclat de rire qui avait secoué son interlocuteur. Allant s'imaginer qu'il avait dû faire un trait d'esprit pour briser la glace, la britannique sourit poliment faute de savoir – tout en espérant que ça ne lui donne pas l'air coincé. Sa question tomba à point nommé : elle s'y raccrocha donc, voyant là sa branche de secours.

Et bien... Tout dépend de ce que vous entendez par là. Depuis plus d'un an que le centre est ouvert, (La vache, tout ça ?) tout se passe à la perfection. Nous n'avons jamais manqué de place, mais comme vous avez dû le voir en arrivant, c'est pour beaucoup dû au fait qu'on a préféré faire les choses en grand. Et puis, ce n'est pas vraiment le genre d'établissement dont on espère qu'ils soient un succès, vous savez. Bien sûr, c'est toujours un plaisir de venir en aide à ceux qui nous le demandent, mais c'est encore mieux si personne n'en a besoin. Ceci mis à part... Oui, je pense qu'on peut dire que les choses se passent pour le mieux. Mais vous n'êtes sans doute pas venu que pour me demander ça, si ? fit-elle avec un sourire taquin.