C'était la difficulté même pour une capitaine, même tout récemment nommée, de se déplacer incognito. Ai en savait quelque chose, puisque lors des rares pauses qu'elle s'accordait elle suscitait le respect mutique ou l'adoration aveugle. Ce dernier cas la mettant très mal à l'aise puisqu'elle avait toujours détesté les lèche-bottes. L'une de ces rares pauses, entre deux journées de recherche aussi longues qu'épuisantes, était aujourd'hui, justement. Après une longue matinée à lire quelques rapports sans daigner bouger de son futon, la jeune femme était ensuite sortie de ses quartiers sans haori, les cheveux détachés cachant en partie son visage, et s'était dirigée instinctivement vers un endroit éloigné de ses fréquentations habituelles. Un bar branché non loin des quartiers de la neuvième division.

Les tabourets étaient du meilleur effet, coussins pourpres sur inox poli, et s'alignaient devant un comptoir en chêne massif qui brillait comme à son vernissage. Nul doute que l'endroit devait recevoir pas mal de gradés, mais Ai n'avait pas envie d'attirer l'attention sur son statut, encore une fois. Posant Masshusebone contre l'une des chaises jouxtant une petite table dans un coin de la salle, elle s'assit ensuite, et prit sa commande d'une voix faussement enrouée. Il n'y avait pas à dire, ça la divertissait de jouer à être ce qu'elle n'était pas.

Finalement une pinte de bière légère vint sonner sur la table de merisier, et le regard noir de la capitaine s'y perdit brièvement avant de détailler un peu plus la salle, et la vue qu'elle avait depuis la petite fenêtre à croisillons à sa droite. Une allée paisible, qui évoquait bien cette division si particulière, le département de la justice. Elle n'avait jamais rencontré le capitaine Yakushiji, et elle ne l'avait pas fait car l'homme l'impressionnait. On lui avait décrit comme strict et austère, et les rares fois ou elle l'avait entraperçu n'avaient pas contredit les rumeurs.

Enfin, peut-être qu'ils n'étaient pas tous comme ça, après tout. Dans cet entrelacs de magistrats nageaient peut être de fins esprits, comme elle aimait à en côtoyer. Bien sur c'était son quotidien à la douzième, tous les esprits regorgeant de théories que tous pensaient visionnaires, y compris elle-même. Le pouvoir de décision en plus, s'entend. Mais parfois, comme aujourd'hui, elle était lassée de débattre et préférait laisser son esprit s'embrumer des volutes simples de l'alcool. Elle gouta enfin à sa bière, un brasseur qu'elle connaissait déjà et qui avait le mérite de faire son travail admirablement bien. Et en plus, c'était rafraichissant. Sourire aux lèvres, elle entreprit de détailler les clients autour d'elle, s'attardant sur chaque visage, chaque expression. Curieuse, Ai ? Non.

Les yeux de Midorima s'agrandirent. Son corps se figea tandis que ses sens touchaient leurs limites. Sa bouche resta donc légèrement entrouverte alors qu'une chaise fut reculer à ses côtés. Puis une seconde sur laquelle quelqu'un s'assit. Le jeune shinigami observa les jambes de l’inconnue avant de lever la tête comme pour observer à travers la table de bois. Son doigt vint se poser sur ses lèvres, s'incitant lui-même à se taire. Quelques bruits de pas approchant attirèrent son attention avant qu'un son mat résonne juste au-dessus de lui. Quelqu'un venait de poser un objet assez lourd sur la table, pas de doute là-dessus.

Comme un signal, il se remit à bouger. Se déplaçant d'abord de quelques centimètres avant que sa main ne s'envole pour attraper les vêtements de la personne assise à ses côtés. S'en servant autant d'aide pour sortir que pour l'attirer en dessous du meuble de bois, les yeux du dieu de la mort remontèrent la silhouette pour arriver au doux visage. Sa tête à lui, tomba légèrement de côté intrigué.

-Chuuuuuuuuuuut. Ils nous observent. Ils nous observent.

Le soldat se releva à moitié, ne laissant que ses bouclettes dorées dépassées du niveau de la table. Il jeta un regard circulaire puis disparut en dessous à nouveau. Ses grands yeux toutefois, orientaient sa tête vers le visage de la jeune femme brune à ses côtés. Un petit rire s'empara de sa gorge puis de ses lèvres tandis que sa tête se balançait d'un côté à l'autre. Sa main gauche, celle qu'il avait placée sur ses lèvres s'en écarta pour former une étrange pince avec ses doigts. Cette « pince » se mit dès lors à s'agiter à un rythme effréné, mimant les lèvres du shinigami lui-même.

-Les voix me disent que tu es capitaine. Capitaine ! Hihihihi, capitaine. Pas mon capitaine, ho ça non. Pas mon capitaine. Chut ! Chut ! Ils nous écoutent.

De nouveau, la jeune âme s'était immobilisé, semblant surveiller tout ce qui se passait dans la salle. Il se pencha alors fortement en arrière, arquant son dos pour observer ce qu'ils s'y trouvaient. Pas énormément de personne voyait le nombre de chaise et tables qui obstruaient son champ de vision. Rassuré, un grand sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'il ramenait ses genoux sous lui pour s’asseoir sur le sol.

-Ouf, ils sont partis. Je suis Midorima Teippei. Je viens de la neuvième division. On a eu chaud !

Son sourire assez naïf, accordé à sa bouille d'enfant changeait de son inquiétude précédente. Comme si, à partir d'ici, plus rien ne pourrait l’inquiéter. Jamais. Attrapant ses genoux avec ses mains, il se mit à se balancer légèrement, sa tête suivant le mouvement de balancier.

-Et vous êtes ?

Fou le Midorima ? Non. Enfin si. Si. Beaucoup même.

Elle était absorbée dans la contemplation d'un petit platane, vieux d'à peine quelques années, qui poussait dans un des parterres de la cour. Les ramifications, les feuilles et leurs éventuels occupants, son regard affuté et chirurgical étudiait tout cela sous couvert de rêve éveillé. Elle était loin de se douter, savourant sa pinte de bière du coin des lèvres, que ce moment de calme allait brutalement cesser, remplacé par le chaos total. Elle n'avait pas vu le shinigami recroquevillé sous la table, et elle paya son erreur au centuple. Bientôt elle se retrouva accroupie, confuse, ne sachant trop quoi faire face à un jeune homme visiblement en pleine crise d'angoisse.

-... Ils ? Mais qui ça ils ?

Les yeux ébène de la jeune femme parcoururent la salle, ne trouvant là qu'une poignée de clients attablés dans le calme et un barman qui essuyait consciencieusement ses verres et son argenterie. Elle reporta son intention sur celui qui était encore un parfait inconnu, et pourtant s'était permis de l'attraper au collet et de l'attirer à lui sans ménagement. C'était ce genre de situations qui pouvaient faire regretter l'absence de son haori. Quoique... Il aurait surement agi de la même façon, il semblait en plein délire.

Ai était, loin s'en faut, une bille en psychologie, mais elle savait interpréter les comportements à l'instinct. Et quelque chose lui disait que son interlocuteur était en proie à des hallucinations plutôt virulentes. Réagissant par réflexe, elle tenta de le calmer en lui chantonnant une mantra qu'elle espérait apaisante. La jeune femme n'était pas musicienne pour rien, et même chuchotée sa mélodie était d'une justesse impressionnante.

- Comment avez vous su que je suis capitaine ?

Se risqua t'elle à demander lorsqu'elle crut que l'orage était enfin passé. Elle avait raison, d'ailleurs, puisque enfin les propos de son vis-à-vis se nimbaient de cohérence, lentement mais surement. Elle considéra le type, qui à présent oscillait de droite à gauche comme un pendule. Un drôle d'oiseau, mais il n'était pas dangereux. Elle essaya de prendre le ton le plus amical qu'elle put trouver dans sa besace, et répondit.

- Je suis Tsunemi Ai de la douzième division. Enchantée... Midorima-kun.

Si sa mémoire était bonne, les Midorima étaient un clan de la petite noblesse à la Soul Society. Comment un clan de si haut lignage avait pu aboutir à un rejeton pareil, elle n'aurait su le dire. Elle choisit de s'amuser de la situation et eut un bref éclat de rire avant de se redresser et de se rasseoir sur sa chaise, souriante, et invitant Teippei à en faire de même d'un signe se la main. Après tout, sa bière était à l'étage au dessus, alors autant prendre l’ascenseur. Une fois bien installée, elle articula le plus clairement possible.

- Vous voulez boire quelque chose ? Puisque vous êtes dans un bar, autant en profiter non ?

Midorima hésita. Il jeta de nouveau un coup d’œil autour de lui puis se décida à accepter l'invitation de la jeune femme. D'une manière circonspecte, méfiante, il sortit de sa cachette pour s’asseoir sur la chaise. Tout observateur extérieur aurait pu penser que cette dernière allait exploser vu les précautions que prenait la petite tête blonde. Une fois assit, enfin semblât-il se calmer. Jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche.

-C'est les voix qui me l'ont dit ! Les voix, les voix !

Sa voix à lui avait fusé, aiguë et claire. De tout temps, les voix l'avaient accompagné selon lui. Il ne se passait pas un instant sans qu'elles émettent une opinion à l'orée de son champ auditif. De fait, il leva son index, s'immobilisant à la suite pour écouter l'une d'entre elles, supposant que sa compagne du jour ferait de même. Une fois la voix ayant terminé de susurrer les mots à l'oreille du shinigami, ce dernier sourit, reprenant une activité moins immobile.

-Je vais preeeeeeeeeeeeendre... du thé ! Le thé c'est bien, ça calme mais des fois c'est trop chaud et faut attendre longtemps alors c'est énervant et après on est encore moins calme et alors il faut plus de thé et faut attendre encore plus longtemps et on est encore moins calme et...

Les mots s'étaient échappé des lèvres de l'âme folle sans contrôle. Midorima n'avait même pas pris le temps de respirer, parlant, parlant encore et encore. C'était d'ailleurs ce besoin d'oxygène qui l'avait arrêté, enfin. Pendant un instant, ses yeux s'illuminèrent, sa folie sembla reculer dans les tréfonds de son esprit. Depuis quelques mois maintenant, depuis la mort du capitaine de la douzième division en fait, il ne pouvait plus bénéficier de son traitement. Sans ce dernier, son reiatsu avait donc repris le dessus sur sa santé mentale, plongeant Teippei dans les abysses de son esprit, le laissant en tant que simple jouet de ses terreurs. Par moments pourtant, un éclair venait écarter les ténèbres. Dans ces rares moments, le shinigami reprenait un comportement normal.

-Un thé serait bien.

Il s’était exprimé avec calme, voire même avec gêne, comme s'il avait conscience de l’absurdité de son comportement précèdent. C'était à moitié vrai. Ce court instant où le monde reprenait sens et logique le laissait généralement gêné voire troublé. Alors, il percevait la différence entre ses deux états. Que pour mieux y retourner malheureusement. Pour l'instant, le shinigami semblait en phase avec l'ordre normal des choses. Il abaissa même sa tête dans un remerciement muet envers la capitaine à ses côtés. À l'orée de son esprit, des souvenirs semblaient vouloir lui crier quelques choses. Lui rappeler les années d’Éducation sociale et de politesse qu'on lui avait forcé dans le cerveau. Seulement, entre ses souvenirs et l'illumination temporaire dont il bénéficiait, la folie s'interposait.

Comme un mur, un océan, elle bloquait toute réminiscence à plus de trois ans pour le jeune homme. Ses mérites en tant que soldat de la sixième division puis de la neuvième, les projets de sa famille, les complots et plans pour accéder à l'élite, ... tout ceci était refoulé au loin. Heureusement d'ailleurs car la personnalité originale de Midorima n'était pas des plus sympathique. En apparence si, bien entendu mais il avait été éduqué pour écraser tous ceux qui lui permettraient de faire grandir le nom de son clan. Une vie de folie paraissait alors bien plus heureuse qu'une vie de noblesse avide de pouvoir. Un souvenir pourtant, réussit à passer le rideau brumeux de la déraison.

-De la douzième division ? Mais alors....

L’éclaircit passa. Pendant un instant, Midorima avait fait le lien entre Ryusei et la Junibantai avec l'aide qu'il lui avait procuré. Lien fait trop tard car le sourire gêné se transforma en sourire naïf, celui qu'il arborait le plus souvent.

-Les voix disent qu'elles veulent du thé aussi mais pas trop chaud. Faut écouter les voix, elles ont toujours raison. Oui, oui faut écouter. Elles savent. Elles savent. Toi aussi t'as des voix ? Tu les entends ? Les voix elles nous aident, surtout quand ILS observent. Parce qu’ils ne sont jamais loin...

plus il parlait, plus le shinigami se recroquevillait sur lui-même. Ses mains virent même s’apposer sur sa tête pour se couvrir et, en quelque sorte, se cacher d'Eux, ceux qui le surveillaient. Au loin, les voix se moquaient de lui.

Cette journée venait de prendre une tournure qui fascinait et rebutait la jeune femme à la fois. Fascinait car elle se trouvait manifestement face à un cas d’école, un cas comme il ne s'en présente qu'une fois dans la carrière d'un ou d'une scientifique. Vraiment, il était intéressant, avec ses délires paranoïaques et ses hallucinations illusoires. Il était surtout curieux qu'un type aussi instable aie réussi les examens de l'académie, même avec un nom aussi noble que celui du clan Midorima.

Mais elle avait ses réserves, qui dépendaient ici purement des circonstances. Elle était en congé, et en congé on ne travaille pas, on n'étudie pas, on se détend. Or, le tempérament calme d'Ai avait tendance à ne pas apprécier qu'on lui babille des idioties dans les oreilles à longueur de temps, même si ce Teippei avait des circonstances atténuantes. Elle fronca les sourcils, en proie à une réflexion intense. Un cas comme celui-là n'avait pas du échapper à son prédécesseur, le capitaine Yuurei. Il faudrait qu'elle vérifie dans ses archives.

- Un thé, très bien.

Elle fit un geste vers le comptoir, ne s'embarrassant plus de cacher ou non son identité. Et bien sur le tavernier la reconnut et s'empressa de venir à leur rencontre, avant de revenir quelques minutes plus tard avec le breuvage fumant sur un plateau. Elle avait fait son choix, et elle allait tenter de calmer le jeune homme avant d'envisager des suites à cette affaire. Un bon début serait de ne pas lui donner d'accroche, c'est à dire de ne pas réagir à ses élucubrations mais de ne considérer au contraire que les points rationnels de son discours. Si rares soient-ils.

Elle poussa la tasse de thé vers lui, et tenta un sourire destiné à le mettre en confiance.

- La douzième division, c'est exact. Nous sommes en quelque sorte les grosses têtes du Gotei, les scientifiques. Vous connaissez la douzième, Midorima-san ? Parlez-moi d'elle.

La suite fut un hors-piste complet puisque déjà l'autre sombrait de nouveau dans ses chimères, se recroquevillant en position fœtale. Elle prit grand soin de ne pas lui répondre, et décida de sortir un calepin et une plume ou elle commença par noter la date. Elle allait avoir besoin de patience et de persévérance. Pas d'élucubrations sur de quelconques voix, même si ça semblait faire partie du forfait.

Pensant à sa propre relation avec Masshusebone, elle se demanda si le zanpakuto de ce Teippei était aussi perturbé que lui ou si, au contraire, il était des plus stables. Ce serait un sujet à creuser plus avant si elle choisissait de donner suite à cette entrevue qui déjà prenait une tournure plutôt professionnelle. Adieu la détente, bonjour le Rorschach. Elle n'en avait pas avec elle, cela dit, mais elle en emploierait surement. Elle reprit une gorgée de bière.

Midorima aperçu la jeune femme à ses côtés attraper un carnet et commencer à noter quelque chose dedans. Son visage s'illumina de suite tandis qu'il se penchait par-dessus la table pour observer ce qu’elle écrivait.

-Ho ? Vous aussi vous avez ça ? Ils en ont plein à la quatrième. Je le sais, je le sais.

Toujours penché, le jeune homme leva un visage souriant à la capitaine, tout ceci prenait des reflets de jeux à ses yeux. Et Mido' aime les jeux. Il le sait, il le sait. Il se tourna momentanément vers l'ensemble des clients présent mais apparemment, cela n’intéressait personne à part peut-être le patron du lieu. Ce dernier se tenait de nouveau derrière son bar, tremblant presque, son chiffon à la main. La reconnaissance, tardive de la maîtresse de la douzième division avait fait son effet. Il devait se fouetter mentalement pour ne pas l'avoir fait plus tôt. Aussi, Teippei se désintéressa de tous ces gens qui ne voulaient pas jouer à ses yeux et reporta son attention sur la Junibantai Taisho.

-J'y vais souvent là-bas. Je dois y allez au moins une fois par semaine. C'est mon ancien vice capitaine qui me l'a ordonné je crois. Je ne suis pas sûr. En tout cas elle était gentille avec moi donc ça devait être elle.

Le shinigami se rassit sur sa chaise, tendant ses bras le plus possible dans une image de carton géant. Ce faisant, il fit involontairement pencha sa chaise en arrière, gardant un équilibre précaire qui n'attirait pas le moindre du monde son attention.

-Ils en ont... « Comme ça ! ». Chaque fois qu'on parle avec Docteur Arkham, il note plein de ligne sur son carnet. Plein, plein, plein ! Je n'arrive jamais à lire ce qu'il écrit parce que je suis plus loin sur un canapé mais il a déjà utilisé plusieurs carnets. Ils les rangent ensuite sur des étagères dans son bureau.

Profitant de la gravité, le shinigami repartit dans l'autre sens, laissant sa chaise poser ses quatre pieds sur le sol alors qu'il se penchait de nouveau par-dessus la table de bois. Ses bras se croisèrent sous son torse pour l'ancrer sur le meuble, le soutenant et l’empêchant de tomber en arrière.

-Il me fait aussi écrire des choses. Vous aussi vous lui parlez ? C'est pour ça que vous écrivez ? Il m'a dit que je devais écrire tous mes rêves le matin lorsque je me réveille. Avant même que je me lave ! Incroyable ! Incroyable !

Le membre de la Kyuubantai resta silencieux pendant quelques secondes, ses yeux n’arrêtant pas de voyager entre le carnet et le visage de la jeune femme comme attendant un événement particulier. Sa main droite se délogea de sa prise sur la table, venant tapoter ses lèvres.

-Hum...la douzième division...hum...je crois que...j'y suis déjà...allé ?

Une grimace passa rapidement sur son visage alors qu'il espérait avoir donné la bonne réponse. C'était le souci quand on avait une mémoire cachée derrière une brume de folie. On avait tendance à oublier beaucoup de choses et encore plus lorsque ces choses s'étaient passé lorsqu'on était sain. De fait, l'un des nombreux récits et dessin que Midorima avait dû noter à son réveil évoquait de nombreuses salles remplient de tubes de verre. Chacun remplit de liquides colorés, de larges bulles montant que pour mieux éclater à la surface. Ajoutés aux néons marchant une fois sur deux et vous aviez un parfait attirail de la caverne d'un scientifique ne voyant plus le temps passer. Aussi, suite à la question de la capitaine, le shinigami n'avait répondu qu'en sondant la jeune femme comme pour confirmer ses doutes.

Le silence était d'or, et c'est un silence presque complet qui s'était fait dans le petit établissement à l'annonce de la présence d'un des officiers les plus gradés du Gotei 13. La jeune capitaine était, comme d'habitude, mal à l'aise, et elle mordillait son crayon ou buvait sa bière à petites gorgées rapides et nerveuses pour s'occuper. Son regard était résolument braqué sur les lignes qu'elle traçait lentement, avec application. Elle tenait le registre de cette conversation, greffière d'un jour, bosseuse toujours. A présent, celui qu'elle pouvait désormais appeler son nouveau patient, du moins pour ce qui était des prescriptions, déblatérait sur les séances qu'il suivait à la quatrième division.

Elle ne connaissait que de nom le docteur dont il parlait, mais elle savait qu'il était quelqu'un de compétent. Du moins, au Seireitei, ça se savait. Elle nota les détails, des carnets en cascade au canapé sur lequel il passait ses séances. Notamment parce que des détails concrets comme ceux là étaient probablement ce qui indiquait qu'une étincelle de raison brillait encore derrière le regard perdu du jeune homme. Elle commençait à concevoir comment un traitement antibiotique pourrait améliorer l'état de Teippei. Il pourrait même l'améliorer de façon drastique, ce qui aurait des effets positifs à la fois sur lui et sur sa division en général.

- Et il a raison, les rêves ont toujours un sens, c'est encore mieux si on les écrit, d'ailleurs. Dites moi, avez vous déjà rencontré mon prédécesseur, le capitaine Ryuusei, lors de vos visites à la douzième division ?

Elle avait posé la question pour deux raisons: Premièrement car elle voulait savoir si oui ou non l'ancien meneur de la douzième lui avait prescrit quoi que ce soit, et deuxièmement, comment était cet homme qu'elle n'avait jamais rencontré en personne, et qu'elle ne connaissait que par de vagues descriptions qu'on avait bien voulu lui faire. Les seuls documents qu'elle possédait étaient bien sur le projet Stronghold, sur laquelle une de ses équipes travaillait toujours, et qui aurait la priorité dès que les Gigai clones sur lesquels ils travaillaient actuellement seraient stables.

Mais à présent, et elle avait décidé d'en faire un cas tout personnel, le soldat de la neuvième avait toute son attention. Elle se risqua finalement à lui poser une autre question, pour l'aiguiller.

- Depuis combien de temps entendez-vous ces voix ?

Elle avait conscience de prendre un risque en les mentionnant, puisqu'il risquait de déraper aussitôt après avoir tenté de formuler une réponse cohérente. Ou, au contraire, en rationalisant le phénomène, de lui décrire plus précisément les symptômes qui étaient les siens. Toutes les approches étaient bonnes à prendre. Les conversations avaient repris, dans la taverne, peu à peu, mais la maladresse d'Ai lui avait fait casser la pointe de sa plume. Elle alla en chercher une autre dans une des nombreuses poches intérieures de son Shihakusho à manches longues, qu'elle avait fait faire sur mesure. Elle en avait un autre, sans manches, pour les missions et les combats qui impliquaient une plus grande liberté de mouvement.

Midorima plissa les yeux à mesure que de plus en plus de rides naissaient sur son front. Clairement, les engrenages de son esprit étaient en branle, tentant de fonctionner, décrypter les images se baladant dans son esprit pour, au final, lui faire accéder à sa mémoire. L'effort était, comme toujours, particulièrement difficile pour lui. Il vivait dans un étrange présent perpétuel, les voix, lui indiquant qui était les personnes qu'il rencontrait tel un index vivant. De lui-même, il n'arrivait jamais à reconnaître réellement ses collègues. Son doigt vint frotter la petite parcelle de peau entre ses sourcils tandis qu'un marmonnement sortait à peine de ses lèvres.

-Ça... Ça me dit quelque chose...

Le jeune homme força encore malgré la migraine lui donnant l'impression de déchirer son crâne en deux. C'était l’inconvénient de chercher un souvenir précis lorsqu'on était incapable de se souvenir de ce qu'on avait mangé au petit déjeuner. Il s'imaginait nager dans une mer de souvenir, allant toujours plus profondément, luttant autant contre la pression que l'absence d'air dans ses poumons. Ici, l'air était la raison, la logique. La pression, cette folie corruptrice qui émanait de son zanpakuto. Sa tête fut prise de mouvement incontrôlé alors qu'une image plus précise se dessinait devant ses yeux fermés.

-Un homme grand...avec de longs cheveux noirs. Mais de larges yeux bleus je crois...

Ce fut malheureusement tout ce qu'il put repêcher de son esprit brisé. Des larmes perlaient au coin de ses yeux et son front était recouvert de sueur. Il ne s'en était pas rendu compte mais son corps était venu se rasseoir sur la chaise tandis que ses doigts crispés avaient tracé de longs sillons sur la table. Son souffle était irrégulier, rauque. Tout laissait supposer l’épreuve qu'il venait de traverser. Malgré son sourire content, le shinigami eut du mal à se donner une contenance.

-Je vais boire ce thé je crois.

Sa voix ressemblait plus à un croassement qu'à une voix humaine. Sa gorge était en feu et le liquide y fit un bien fou. Le soupire qu'il poussa après ne laissait que peu de doute sur ce remède simple mais ô combien efficace. Son sourire fut d'ailleurs moins surjoué, moins forcé pour mieux ressembler à cette apparence enfantine qu'il possédait parfois. Son cœur battait toujours la chamade mais au moins les autres symptômes disparaissaient rapidement maintenant qu'il n'essayait plus de se souvenir. Tandis qu'il s'essuya le front avec un petit mouchoir, son interlocuteur reprit la parole. Peu de temps avant de briser sa plume. Midorima l'observa en chercher une autre tandis qu'il réfléchissait à la réponse. Mentalement, il avait l’impression que les voix faisaient le tour de son crâne, curieux de sa réponse à lui comme de la situation. De fait, depuis peu, depuis que la capitaine s’intéressait au membre de la Kyuubantai et à Elles-mêmes, ils s'étaient fait plus calme. Plus silencieux aussi, à l’affût. Il attendait quelques secondes de plus mais elles restèrent silencieuses. Active mais silencieuse.

-Depuis toujours. Je ne me rappelle pas d'un jour où je n'étais pas le cinquième siège de ma division sous le commandement du capitaine Tenzen et toutes les voix autour de moi. Ils sont là depuis le début aussi.

D'un hochement de tête, le blondinet sembla passer un message secret à son interlocutrice. Un secret partagé, comme si elle était au courant de la « vraie vérité vrai », caché aux yeux de tous. De fait, il considérait qu'Ai les connaissaient bien, se basant sur le simple acte qu'il lui en avait un peu parlé. Cela lui paraissait comme un gouffre de confession à ses yeux bien qu'il n'y attachait que peu d'importance au final. À côté de ça, plus le temps passait et plus il se sentait mieux. Serein. Les voix et sa folie en général étaient, momentanément refluer à la bordure de son esprit.

Il avait visiblement des troubles mémoriels, sans doute associés à ces fameuses voix qui gangrénaient son esprit en permanence. A l'aide de sa nouvelle plume, elle calligraphia nettement le titre d'une nouvelle partie de ses notes, qui concernait donc la mémoire du jeune homme, avec un appendice sur les traitements éventuels. Trois ou quatre feuillets s'alignaient déjà sur la table, bien visibles par transparence à travers la bière de la capitaine, qui avait déjà baissé de deux tiers. Elle notait tout afin d'avoir matière à rechercher le mieux possible. Elle fit une pause, prit une gorgée, en profita pour se faire un portait mental de son prédécesseur, un homme qu'elle n'avait jamais croisé. Elle était bien sur curieuse, mais elle ne se laissa pas déconcentrer et accompagna le discours de Teippei alors qu'il se lançait sur un autre sujet d'envergure: les fameuses voix.

Il buvait donc son thé, et elle eut bien du mal à tirer des conclusions de ce qu'il venait d'énoncer, quoiqu'elle se faisait l'idée que l'impression que les voix avaient toujours été là devait venir soit d'une impressionnante lucidité soit du problème mémoriel de tout à l'heure. Dans les deux cas, un traitement suivi et continu s'imposait. En revanche, elle songeait de plus en plus à s'adjoindre les services de la quatrième division, qui avaient des bases plus solides qu'elle sur son dossier personnel. Tout en écrivant et en réfléchissant, elle tapotait machinalement des doigts sur la table, dans un rythme saccadé du plus bel effet. Et ça lui donna une idée.

- Dites moi, Teippei-san, avez-vous déjà pratiqué ou évoqué l'hypnothérapie ? Ça pourrait vous aider à retrouver le fil de vos souvenirs...

Elle avait même entendu dire que des motifs musicaux pouvaient être employés dans ces fameuses thérapies, sans prêter plus d'attention que cela à ces théories. Et puis, elle possédait les compétences musicales adéquates mais n'avait aucune expérience de ce genre de thérapies. Elle devrait donc s'adjoindre la quatrième division et ses psychiatres pour les séances qu'elle comptait mettre en place. Par contre, un traitement médicamenteux s'imposait, et pour cela elle aurait besoin des archives du capitaine Yuurei au plus vite. Regardant pensivement son interlocuteur, elle faisait tourner une gorgée de bière entre ses deux joues.

- Est-ce que vous seriez disponible pour que nous parlions encore davantage de ces voix dans les locaux de la douzième, dans quelques temps ?

Elle avait dans l'idée de lui proposer à cette occasion un traitement en tant que tel et de lui parler ensuite des séances, lorsqu'il aurait atteint un était plus stable, afin de ne pas le brusquer. Elle avait dans l'idée qu'il était encore trop tôt, et de plus le projet Stronghold requérait son attention, même si elle était en congé. Comprenez, elle lisait souvent par plaisir, alors elle meublait ses congés avec plus de recherches que d'habitude. Et puis sa bière était quasiment finie, et elle n'avait donc plus besoin que de l'assentiment du jeune homme pour aller régler la note.

-La quoi ?

les yeux de Teippei se plissèrent rapidement sous l'incompréhension. Un mot de la capitaine avait figé son esprit, l’empêchant temporairement de saisir l'ensemble de la question. Pire, de suivre le reste de la conversation. Les voix s'indignèrent qu'on leurs tendent des pièges avec des mots compliqués mais elles durent, tout comme le Midorima mettre ça de côté alors qu'Ai reprenant la parole, l'invitant notamment dans les bureaux de la douzième.

-Hum...oui...sans doute.

En théorie, en tant que soldat, cinquième siège qui plus est, il n'avait que très peu de temps libre. Plus qu'un capitaine soit dit en passant. Pourtant, sa maladie faisant, le blondinet avait été grandement déchargé de la charge de paperasse. Au début pourtant, on lui confiant encore quelques dossiers. Après deux ou trois crises, quelques jeux à « je fais des avions avec des dossiers importants », on avait tous simplement mis le shinigami dans les tours de garde. Vint dès lors un autre souci. Il lui arrivait régulièrement de fuir les dits tours.

Là encore, que ça soit les voix qui lui chuchotaient que l'herbe était lus verte ailleurs ou qu'Ils n'étaient pas loin, prêt à l'emporter et lui faire plein d'opération qui impliquait des sondes diverses et variées, au final, le Midorima prenait ses jambes à son cou. Une fois il avait même terminé sa petite fuite dans le bureau du capitaine de la septième division. Pas une expérience plaisante pour Himesaki Tojo. Un autre gradé qui avait pu tester à la folie de Teippei. Un autre qui ne ferait probablement jamais partit de ses proches...

-Ouais, ouais, j'ai plein de temps libre ! On va faire le tructhérapie là ?

La mémoire, ce magnifique outil, marcha à revers, obtenant enfin sens à la première phrase de la jeune femme. Le visage du schizophrène s'illumina autant de compréhension que d'anticipation.

-C'est vrai ? C'est vrai, c'est vrai, c'est vrai ? Non attendez...qu'est-ce qu'il y a à retrouver ? Ma mémoire va très bien je trouve. Oui, les voix sont d'accord, ma mémoire va très bien. J'veux bien venir quand même. Je suis sûr que ça doit être vachement marrant chez vous. Vous pouvez prendre rendez-vous avec les voix si vous voulez....

Rien qu'à la réaction de son nouveau patient, la jeune femme put aisément comprendre que non, il n'avait jamais entendu un traitre mot relatif à quoi que ce soit concernant l'hypnothérapie. Cela dit, c'était effectivement une thérapie peu courante et encore obscure, puisque bien des praticiens rechignaient à soigner avec autre chose que des médicaments et des prescriptions. Mais Ai n'était pas médecin. Aussi son approche différait, puisqu'elle se proposait de faire prendre à Teippei un traitement par cachets conçus en laboratoire qui serait ponctué une à deux fois par semaine par des séances avec un psychothérapeute qualifié, comme ce docteur Arkham que le jeune homme avait mentionné un peu plus tôt. En tout cas elle devrait contacter ce dernier pour lui faire part de ses projets, car il était son patient avant tout.

Lorsque Teippei lui avoua avoir des montagnes de temps libre, elle ne fut pas surprise pour un sou. En effet, avec un soldat tel que celui là, les rondes devaient être organisées de façon à échapper le plus possible à ses périodes de crise. Lesquelles, d'après ce qu'elle avait compris, devaient être relativement fréquentes. Après tout, ne l'avait-il pas empoignée sans ménagement pour l'emmener sous la table il y avait de ça quelques minutes ? Ai avait l'impression que ce Teippei devait être laissé sur la touche plus que de raison. Pourtant, elle percevait nettement que son niveau de Reiatsu n'était pas celui d'un simple soldat. Elle aurait misé sur un officier de siège, dans le top 5, ce qui pouvait surprendre. Mais elle avait vu bien plus surprenant depuis qu'elle était entrée en fonction.

S'apercevant bien vite que malheureusement le blond perdait à nouveau le fil et recommençait à parler à ses voix dans un splendide monologue intérieur, elle choisit de laisser murir les idées de son futur patient en coupant court à ce petit entretien improvisé pour mieux finir sa bière et refermer son carnet dans un claquement léger mais ferme. Elle allait lui fixer un rendez-vous donné, et voir ce qu'il adviendrait ensuite. Si il venait, c'est qu'effectivement sa mémoire ne li faisait pas tant défaut que cela. S'il oubliait, en revanche...

- Nous allons prendre rendez-vous de Shinigami à Shinigami, si vous le voulez bien. Et je vous aménage donc une séance la semaine prochaine, le vendredi à cinq heures. Soyez à l'heure, et ne vous en faites pas pour vos devoirs à la neuvième, je ferai parvenir un papillon au capitaine Yakushiji, je suis sure qu'il approuvera.

Sur ce, la capitaine se leva lentement, s'étira un instant... Et se volatilisa, laissant un léger courant d'air. Ça avait du bon d’être la flèche du seireitei, parfois. Et une fois parvenue dans la salle des archives de sa division, elle se mit à chercher, chercher, chercher... Toujours plus loin dans les lignes les plus poussiéreuses, désireuse d'occuper son jour de congé à aider ce pauvre garçon plutôt qu'à se relaxer. Être serviable était un trait de caractère qu'elle avait gardée de son ancienne condition de domestique.