Avec toute l'agitation qui régnait au Seireitei dernièrement, un peu de repos était plus que bienvenu. Les tensions avec le fukutaishô de la neuvième et le capitaine de la treizième étaient les plus pénibles à gérer. En n'ayant toujours souhaité que le plus grand bien du Gotei treize, je m'étais mis deux personnes à dos et avait réellement l'impression d'être incompris. Je n'étais que peu habitué aux contacts, ayant passé le plus clair de mon existence seul, ces relations étaient un réel casse-tête pour moi auquel je ne trouvais aucune réponse. Sans doute étais-je trop maladroit dans mes actes et trop peu assuré? Il était vrai que la confiance en moi n'avait jamais été mon point le plus fort et ce, malgré ma récente acquisition de la plus puissante technique du répertoire des Shinigami. Celle-ci m'avait évidemment redonné foi en mes capacités physiques mais celles consistant à dialoguer avec des pairs restaient toujours aussi difficiles. Je trouvais même cela hautement ironique d'avoir moins de difficulté à discuter avec mes ennemis qu'avec mes alliés.

C'est donc dans ce contexte de tensions et d'inquiétudes diverses que je déambulais parfois dans le Rukongai à la recherche d'un peu de tranquillité. Pour cela, mes cibles préférés étant principalement les temples. Il y en avait une multitude dont au moins un par district. Celui qui était présent dans le quartier de mon enfance était totalement délabré, comme beaucoup. Parfois il me plaisait de m'y rendre quand même, de dresser un petit tertre de pierres sur lequel j'installais une statuette du Dieu autrefois vénéré et je m'y installais devant en seiza, priant simplement l'esprit en paix, la mémoire de ce Dieu anonyme. Dans chacune de mes prières et de mes méditations, j'y mettais tout mon coeur et c'est toujours celui-ci apaisé que j'en repartais, comme si les divinités m'écoutaient et me récompensaient de ma dévotion et de mon altruisme.

Ce jour-là, je marchais paisiblement dans un des districts jusqu'où mes pas m'avaient conduits aléatoirement et dont j'ignorais le numéro, que je perçus un grand jardin légèrement en retrait de la rue sur laquelle je marchais. Ce genre de paysage était relativement typique des temples, étant bien souvent entourés par la nature. Lorsque le temple est abandonné, la verdure reprenait ses droits et les occupaient, ce qui leur donnait un certain charme. C'est donc avec curiosité que je décidais d'emprunter le petit chemin traversant les herbes et autres arbres. Je compris rapidement que cet endroit n'était pas du tout délabré, le jardin semblait bien entretenu, pas de touffes folles sur le sentier ni rien qui ne paraissait involontaire, prouvant que quelqu'un venait très régulièrement ici. Une fois arrivé à destination, cela se confirma, le temple était parfaitement entretenu bien que celui-ci paraissait incroyablement ancien. En faisant une vue d'horizon avec mon regard, celui-ci se stoppa sur une personne dos à moi en train de pénétrer dans le lieu de culte.

C'est donc tout naturellement que je m'en approchais afin de demander l'autorisation de prier et de me reposer quelques instants.


- Bonjour et excusez-moi, je ne voudrais pas déranger alors je me permets de vous demander si il était possible de me reposer quelques minutes ici? Est-ce possible?

Attendant simplement sa réponse, je me tins en retrait de quelques pas et m'inclinai. Mon habit était taillé de façon à laisser mes bras entièrement apparents comme un débardeur mais il ne faisait aucun doute qu'ils appartenaient à un Shinigami. Mon brassard orné d'une plaquette sur laquelle figurait la fleur de camélia, symbole de la noblesse, était également significatif de mon grade de lieutenant de la sixième division. J'espérais ainsi ne pas effrayer la personne que je ne percevais que de dos et dans l'ombre car je savais que nous étions parfois mal vus dans certains districts.

La Vieille grogna et montra les deux ultimes dents qui lui restaient dans une grimace d'énervement. Le temple était un lieu ouvert à tous, pas un bordel sélect', nul besoin de demander la permission, et surtout pas les jours où la Mémé voyait passer sous son nez une belle pièce de viande qu'elle n'était plus apte à mâcher. Surtout quand sa protégée préférée s'était fait un plaisir malin à la savourer sous son nez.
Elle se retourna, prête à adresser une réponse pleine de piquant au jeune imbécile qui avait osé l'alpaguer pour une raison aussi futile; mais la vue du badge de Lieutenant, plus encore que la tenue de l'homme l'arrêta. La Vieille sortit alors de l'ombre, s'avança sur le balcon et scruta l'inconnu.
Il était grand, aux cheveux longs et attachés, asiatique. Un gamin, mais un gamin bel homme, et plutôt poli malgré son agression verbale sauvage. Et une bonne tête de poire en prime.
Elle lui adressa son plus beau rictus de vieille sénile.

« T'es qui, gamin ? Tu viens voir ma Miko, c'est ça ? C'est qu'elle est mignonne, ma Miko, hein ! Tous les gars du coin qu'ils la veulent dans leur lit, hein ! T'as une bonne tête, gamin, alors j'vais te dire: t'as aucune chance. »

Elle se pencha en avant par-dessus la balustrade et l'invita d'un geste péremptoire à monter la rejoindre. Oui, de ce genre de geste auquel on ne pouvait désobéir.

« Ma Miko, elle préfère les femmes ! Et oui ! Et pourtant, j'l'ai bien éduqué, hein, elle a manqué de rien... J'ai bien essayé d'la changer, mais l'a rien voulu entendre ! Une tête de mule, celle-là ! M'enfin, si tu veux quand même lui parler, attends là, gamin, j'vais t'la chercher... Mais ait pas trop d'espoir ! »

Et la Vieille de s'enfoncer encore ricanante dans les entrailles immaculées du temple, le plus vite que son arthrite le lui permettait, ravie de son petit numéro de mémé branlante et sénile: il serait dommage que le gamin qu'elle venait de troller parte avant que Fumiko ne s'aperçoive de sa petite plaisanterie. Elle trouva sa pupille dans le jardin, comme à l'accoutumée, à arroser les plantes médicinales, et s'empressa de lui prendre l'arrosoir des mains avant de la pousser vers le temple.

« Ya un gars de chez toi, un Lieutenant sur le balcon.. Tu devrais te bouger, il a l'air timide, le ptiot ! J'crois qu'il a un truc important à te dire... l'genre personnel, si tu vois c'que j'veux dire ! » Elle lâcha un ricanement rigolard, poussant un peu plus la jeune femme vers le temple. « Allez, dépêche-toi ! »

Et de se mettre à l'ancienne occupation de la jeune femme, soit l'arrosage de plantes. Fumiko, brutalement coupée de son activité préférée, partit en soupirant vers le temple. Quoi qu'il y eut là-bas -rien ne disait que quelqu'un y fut même, l'Ancienne étant taquine-, elle n'aurait d'autre choix que d'aller vérifier si elle voulait avoir la paix.

Et elle eut la surprise de constater que pour une fois, la Vieille avait dit vrai. Un Lieutenant à l'air embarrassé se tenait bel et bien devant la petite salle pleine de statues, et vu sa tenue il n'était pas en service. Se pourrait-il alors qu'elle lui ait réellement tapé dans l'oeil ? La possibilité arracha à la jeune femme en kimono un sourire.

« Bonjour, Lieutenant Akucho. Vous semblez vous porter à merveille, depuis notre dernière rencontre. »

Lorsque la personne que j'avais interpellée se retourna, je ne m'attendais pas à entendre la voix d'une petite vieille. J'avais certes remarqué sa petitesse mais dans la pénombre du temple et de dos, je n'avais pas eu d'indice sur son âge. Aussi fus-je étonné lorsqu'elle m'enguirlanda pour avoir été poli. Et puis d'abord, qui était sa Miko? Je ne connaissais pas de Miko, j'étais seulement venu là pour me recueillir auprès de ce charmant vieux temple qui, malgré son aspect très ancien probablement beaucoup plus vieux que moi, avait été parfaitement entretenu. Il était doté du charme qu'ont ces vieux bâtiments remplis d'histoire et j'éprouvais un profond respect pour cet endroit, me sentant très petit à côté de lui. La vieille dame était-elle celle qui s'en occupait? Cela semblait être le cas et si ça l'était, alors je lui devais mon plus profond respect à elle aussi et au diable la hiérarchie.

La vieille m'invita à entrer dans le temple et je m'exécutai. Après avoir contourné le petit autel cérémonial, je grimpais les quelques marches de bois et pus alors voir le visage de la vieille dame. Je fus alors témoin de sa bouche toute aussi fripée qu'édentée et de son âge qui, proportionnellement au bâtiment, n'avait probablement rien à envier à celui-ci. Elle avait physiquement l'air d'avoir une bonne centaine d'années, ce qui voulait dire qu'elle devait avoir beaucoup plus en réalité puisque nous vieillissons beaucoup plus lentement que les humains. Cette dame devait donc être plus âgée que moi, autant physiquement que spirituellement. Puis elle continua à déblatérer des âneries tout en ricanant sur sa Miko et sur son orientation sexuelle qui ne m'intéressait absolument pas déjà car je ne la connaissais pas et puis parce que ça ne représentait pas le moindre intérêt à mes yeux. Elle semblait bien familière malgré qu'elle avait sans doute constaté mon grade mais je n'en tins pas compte, pour moi le respect de l'âge est plus important que celui d'une hiérarchie quelconque.

Puis elle partit, s'enfonçant plus profondément dans le temple, mais celui-ci n'était pas bien grand et son isolement faisait de lui un endroit très calme et paisible. Aussi ne ratais-je pas un mot de ce qu'elle racontât à sa Miko qu'elle était partie chercher. La vieille n'était pas franchement discrète il faut dire... et ne cherchait pas à l'être. J'étais un brin embarrassé et un brin amusé par sa personnalité et reconnaissait là une personne généreuse et pleine de vie qui me fit bien plaisir. Quelques secondes après je vis arriver la jeune femme qu'elle appelait Miko et je la reconnus immédiatement. C'était Satô Fumiko, la lieutenante de la quatrième division. Je l'avais vue quelques jours avant à la réunion des vice-capitaines mais j'étais loin de me douter que la vieille dame était sûrement sa grand-mère. Même dans un monde aussi vaste que le Rukongai ce genre de rencontres inattendues pouvaient arriver.


- Fumiko-san, dis-je en m'inclinant pour saluer, je me porte bien malgré les soucis de santé que vous connaissez sans doute via mon dossier médical. Quelle surprise de vous voir ici, je ne m'y attendais pas.

Mais n'en oubliant pas mes vieilles habitudes, quoiqu'en l'état il ne s'agissait que de curiosité histoire d'alimenter la conversation, je poursuivais :


- Et vous, comment allez-vous? C'est votre temple ici et la dame était votre grand mère? J'étais seulement venu me recueillir quelques minutes, j'aime les lieux paisibles surtout lorsqu'il sont emplis d'histoire et de profondeur comme semble l'être cet endroit.

Me revinrent alors soudainement les propos de la grand-mère sur l'orientation sexuelle de la jeune femme et la dévisageais de haut en bas. En y pensant bien, elle portait toujours cet espèce de tailleur serré, ses lunettes et son air sévère, cela ne m'étonna pas beaucoup au final.


- La vieille dame m'a dit de drôles de choses à votre sujet, cela ne me regarde pas mais comme cela vous concerne, je pense que vous devez le savoir.

Comment amener ça sans la mettre en porte-à-faux avec la vieille qui semblait beaucoup l'apprécier? Je ne voulais pas semer le trouble entre elles, elles semblaient bien complices d'après l'échange que j'avais pu percevoir précédemment. Je m'en voudrais si elles se disputaient à cause de moi donc il me fallait amener ça avec un peu de tact.


- Disons que vous seriez de l'autre bord... pour reprendre ses termes, vous préféreriez les femmes, si vous voyez ce que je veux dire... dis-je en me grattant la tête nerveusement. Mais je me fiche de savoir si c'est vrai ou non je voulais seulement que vous le sachiez.

Fumiko acquiesca, sans relever la familiarité du Lieutenant. Elle avait elle-même re-dirigée le jeune homme quelques temps plus tôt vers une équipe compétente en la matière -autant qu'on pouvait l'être concernant un sujet aussi vague que les maux infligés par les monolithes-, et n'ignorait rien du dossier du Lieutenant. Les progrès étaient manifestes, bien que l'avenir soit flou, mais l'on pouvait être optimiste. Tout du moins, la jeune femme l'était, et voulait croire que le minéral était assez merveilleux pour laisser ses victimes réutilisables à l'avenir. Cela permettrait d'encombrer moins les brancards de la Quatre, qui souffraient d'embouteillages chroniques.

Il faisait frais, dans le temple, comme l'étaient les vieux bâtiments les chaudes journées de printemps. Bien que la pièce fut illuminée par le auvent qui laissait passer la luminosité, aucune flaque de soleil ne venait violer l'intimité du sanctuaire. Les statues parfaitement brossées reluisaient doucement dans la pénombre, comme nimbée du halo de leur gloire. Une odeur légère d'encens persistait, douce, et invitait à la prière. On était en paix ici, que l'on soit inconnu ou familier. Et pourtant...
Le Lieutenant semblait un petit peu mal à l'aise, comme ennuyé. Il avait enchainé sur quelques banalités mais soudainement quelque chose lui était revenu en tête, au vu du changement de sa physionomie. Quelque chose de gênant, indiquaient les rougeurs qui s'emparaient soudain de sa peau pâle. Étonnant personnage que ce petit bonhomme, mélange candide d'une grave familiarité et d'un sans-gêne qui n'avait pas l'air d'y toucher. Ses yeux de biche, durs et sérieux, signe d'une personnalité psychorigide typique du Gotei, n'hésitaient pas à se s'élancer parfois dans des tirades aux sous-entendus douteux et au respect aléatoire, avec autant d'incongruité pour le spectateur que s'il avait ma mère en string sur le toit.

… Ah oui, incongru. Fumiko marqua d'abord le coup de la surprise, mais largement prévenu par la dénonciation de la source de la calomnie, elle éclata presque aussitôt de rire.

« Vous êtes naïf, Uragami. »

Elle avait abandonné titre et politesse, à l'instar de son vis-à-vis, bien qu'à vrai dire elle n'en avait jamais vraiment eu cure. Ils n'étaient pas en service, elle ne se souciait guère de ce qu'il pouvait penser d'elle. Et ce n'était pas dans les manières du cru: il fallait rendre à César ce qui était à César et aux Dieux ce qui était aux Dieux. Ici et maintenant, le lieutenant Satô n'était pas, et c'était à Fumiko qu'on s'adressait. Elle ne chercha pas plus à démontrer par A+B la fausseté des assertions de l'Ancêtre; peu me chaux, pensait-elle. Elle se contenta de se retourner pour repartir dans la pièce à vivre, un sourire toujours largement affiché sur les lèvres, sans rien lui montrer de s'il fallait la suivre ou non. A lui de choisir, après tout.

« Ce n'est pas mon temple. Les temples sont aux Dieux, et il n'est jamais sage de dire des mots aussi inconsidérés en leur domaine. Ils sont jaloux du soin qu'on leur apporte; faites attention à ne rien toucher. »

Elle disparut derrière le rideau de perles de bois qui camouflaient la porte. Le bruit s'éteignit doucement, sans résonner, absorbé par le silence du temple, jusqu'à laisser filtrer le murmure de l'eau qui coule de la théière jusqu'à la tasse de thé. Elle coula une première fois, s'arrêta, alla remplir le ventre creux d'un second verre, suspendit son envol, enfin emplit une troisième et dernière tasse.

"Uragami", elle m'appelait par mon prénom et sans suffixe, voila qui était inhabituel à consonnance assez dérangeante qui plus est, peut-être l'un à cause de l'autre. En tout cas je la fit bien rire, ce qui semblait être encore plus inhabituel si on tenait compte de ses traits de visage assez fermés. C'était même un rire assez sec, en accord avec sa voix. Mais je ne pris pas mal sa réplique comme quoi je serais naïf car il était vrai que je l'étais parfois, j'avais tendance à croire tout ce que l'on me racontait et seulement après venait le doute de savoir si j'avais été roulé puis la suspicion voire la paranoïa s'installait. Et la vieille dame semblait m'avoir joué un bien vilain tour, c'était bon enfant mais tout de même assez gênant. Qu'est-ce qu'il m'avait pris d'aller lui raconter cela aussi moi? Pfff, en tout cas, toute gêne avait disparue en même temps que son rire s'était calmé et elle tourna les talons, semblant m'inviter - ou pas - à la suivre un peu plus loin.

Une odeur de thé se faisait sentir, ce qui m'incita à la suivre quelques secondes après son départ et pendant que j'hésitais, je n'avais pas manqué d'observer l'intérieur du temple et toutes les statues qui l'ornait. C'était vraiment un joli temple et sans doute théologiquement très intéressant, il serait bon de me renseigner un peu plus sur celui-ci à l'occasion. Peut-être en questionnant la vieille dame? même si ma confiance en elle avait fait une chute libre, je ne pense pas qu'elle irait jusqu'à me mentir à son sujet. Quoi qu'avec elle il fallait s'attendre à tout... Qui ferait une blague d'aussi mauvais goût à un inconnu? Et un inconnu gradé du Gotei 13 en plus... Enfin, à son âge elle ne devait plus avoir peur de grand chose donc elle s'accordait quelques plaisirs de temps en temps.

Bref, l'odeur de thé me fit quitter ma torpeur et suivre la jeune femme qui était en train de me servir une tasse en me faisant remarquer ma maladresse. Il était vrai qu'un temple était la maison d'un Dieu, en l'occurrence ici de plusieurs, ce qui était assez atypique. Je m'assis simplement en seiza face à ma tasse de thé encore fumante. J'aimais le boire à chaude température mais pas brûlante comme certains le font, je décidais donc d'attendre un peu qu'il refroidisse avant de le goûter. J'estime qu'un bon thé a besoin d'un peu de temps pour prendre tout son arôme, en le buvant brûlant, cet arôme se perd et en plus de cela les papilles gustatives n'ont pas le temps de s'ouvrir, ce qui fait que j'ai presque la sensation de boire de l'eau. Ce qui n'a aucun intérêt.


- Vous avez raison à propos du temple, je ferai une prière pour m'excuser de cela en sortant. J'explore les nombreux temples qui jonchent le Rukongai depuis pas mal de temps, et je savais donc déjà cela bien évidemment, c'était simplement une maladresse de langage.

Tout en finissant ma tirade je vis la jeune femme hésiter à servir une troisième tasse, sans doute pour la vieille. Peut-être que l'odeur l'attira également car elle fit aussi irruption dans la pièce quelques secondes après moi. Je ne pus m'empêcher de lui jeter un regard un brin rancunier malgré moi pendant un dixième de secondes lorsque mon attention fut attiré vers elle en entrant. Je chassai aussitôt cela en fermant les yeux et en soulevant ma tasse pour en respirer les effluves. Histoire de rompre le silence qui s'était installé, j'articulais une simple question sans grand intérêt, juste pour histoire de ne pas rester dans ce calme gênant.


- Sinon, Satô-san, vous vivez ici en temps normal? Vous ne vivez pas dans vos quartiers du Gotei 13?

Il l'avait suivi. Cette constatation ne lui avait pas fait particulièrement plaisir, ni ne lui avait déplu. Elle ne connaissait qu'à peine le Lieutenant Akucho, et à vrai dire elle ne s'en souciait que peu. On pourrait rétorquer à cela qu'il était folie que de dévoiler sa vie privée, son enfance à un inconnu, de montrer ainsi ses points faibles; on se serait trompé. Penser réussir à coincer une araignée en la suivant jusqu'au fond de son trou n'était pas l'apanage des brillants stratèges.
L'Ancêtre était l'atout de la jeune femme, et celui qui serait à même d'avoir sa peau n'était pas né. Même les hommes les plus forts avaient plié l'échine devant le foutu caractère du personnage, et on la respectait au moins autant que les brillantes statues de la salle de prière.

Elle soupira doucement, tout en lui tendant élégamment la seconde tasse. Il réagissait comme un gamin. Elle aurait préféré une repartie plus piquante, mais on n'a pas toujours ce qu'on a. Peut-être, il fallait l'envisager, était-il sur la défensive à cause de l'attitude plus que mordante qu'affichait souvent envers les autres divisions la jeune femme. Elle savait la réputation de cerbère qu'on lui prêtait. Le jeune homme se basait dessus, avec justesse fallait-il croire. Pour autant, ce n'était qu'une façade qu'elle arborait pour assurer l'efficacité de sa division. Qui pouvait-elle, si les Shinigami ne répondaient jamais qu'à l'appel du bâton, et pas à celui de la carotte ? Elle faisait de son mieux.
Et elle avait espéré qu'Uragami eut assez de finesse pour comprendre que ce qui était au Sereitei restait au Sereitei, et le simple fait qu'il choisisse d'utiliser dorénavant son nom de famille montrait bien assez qu'il en manquait cruellement. Sans doute avait-il pensé qu'elle relevait l'emploi de son prénom en l'appelant ainsi pour lui démontrer l'irrespect de la chose, elle ne l'avait fait que parce qu'elle se fichait comme du guigne du respect par le langage des codes sociaux.
Allons, elle était trop dure, il n'était entré que depuis quelques minutes. Elle décida de lui accorder le bénéfice du doute.

« Oh, ne vous y trompez pas, mes quartiers sont bel et bien situés dans la Quatrième Division. Elle choisit de ne pas relever l'explication maladroite du jeune Dieu pour ne pas le mettre mal à l'aise. Mais on peut dire que c'est vraiment ici ma résidence principale, puisque j'ai grandi là à ma mort humaine. Je ne manque pas de venir, à chaque fois que j'ai un peu de temps libre... »

La grand-mère était entrée et ne sembla pas surprise de trouver Uragami assis en face de sa jeune protégée. Cette fois, son visage était empreint d'une certaine gravité que Fumiko savait être celle des cas importants. Elle disparut à travers le rideau de perles, prenant à peine le temps de saisir un petit sac de toile brune.
Satô laissa son regard flotter sur les perles qui continuaient de cliqueter, un sourire vague et doux sur les lèvres.

« C'est chez moi, ici... »

Elle se retourna enfin vers son interlocuteur.

« Mais je suppose que vous comprenez ce que je veux dire. On a tous, du moins je l'espère, un... »

Elle ne termina pas sa phrase, préférant montrer son cœur du doigt, un sourire délicat toujours sur les lèvres.

- Je comprends tout à fait, je considère également le Rukongai comme chez moi, du moins davantage que le Seireitei. Mon coeur et mon passé y sont aussi, j'y ai laissé de nombreux souvenirs...

Et pas que des bons malheureusement. La femme qui s'était vue être mon épouse avait été tuée le jour de notre mariage par un Hollow égaré, au beau milieu du temple. Ce démon m'avait tout pris jusqu'à mon audition mais il m'avait aussi offert cette nouvelle vie en tant que soldat puis en tant que gradé. Pour moi, le Rukongai était le lieu de ma renaissance en tant qu'être spirituel et de ma naissance en tant que Shinigami. Depuis lors, je n'avais eu de cesse que de parcourir ces terres désolées à la recherche de ces vieux temples afin de leur apporter une prière. Pour la plupart, mes prières étaient totalement altruistes, je priais pour le salut de quelque chose ou tout simplement pour que le temple dans lequel je me trouvais, retrouve un jour sa gloire d'antan. Ceux plus récents, ayant encore beaucoup de fidèles et étant entretenus m'intéressaient moins, ils avaient moins besoin de ma présence. Je préférais de loin les lieux abandonnés.

Un long silence s'était installé dans la salle, chacun semblait profondément plongé dans ses pensées. Le thé ayant pris la température idéale dans laquelle j'aimais à le boire, je portais la tasse à mes lèvres et en but une gorgée. En grand amateur je pouvais dire qu'il n'était pas de la plus grande qualité mais il était sans aucun doute naturel. Probablement préparé avec des plantes que je pouvais voir dans le jardin, au travers du rideau de perles gris. Dans un sens c'était un des meilleurs thés que j'avais eu à goûter jusqu'à maintenant de par sa fraîcheur. Bref, je n'aimais pas ces longs silences, si de temps en temps j'étais entouré, ce n'était surement pas pour rester ainsi sans rien dire, pour cela, la solitude était une compagnie largement suffisante. Satô ne semblait pas très bavarde, cela me mettait un peu mal à l'aise, d'autant plus que ce n'était pas dans mes habitudes de relancer les conversations, ni même de les lancer d'ailleurs. Si bien que j'effectuais une dernière tentative, si cela se soldait par un nouveau silence de ce genre, je prendrais congé.

Toujours est-il que la grand mère était entrée et sortie en coup de vent, n'entre-ouvrant qu'à peine le rideau pour saisir un petit sac et disparaître. Que se passait-il?


- Votre grand-mère va bien? Elle semblait préoccupée, vous devriez peut-être la suivre? Si vous souhaitez que je vous accompagne cela serait avec plaisir mais je peux aussi vous attendre en savourant mon thé. Je m'en remets à votre bon vouloir.

Et Uragami de se tendre soudain comme une corde d'arc. Il n'était pas à l'aise visiblement, et s'il semblait apprécier le thé à sa juste valeur, il n'arrivait pas à faire de même avec la quiétude du lieu. Lui qui se disait en quête de calme, voilà qu'elle lui en offrait en la personne d'un thé et de sa compagnie. On voyait le temple à travers le rideau de perles, et on voyait le jardin fleuri par la porte du jardin. Le vent doux amenait une odeur douce de menthe poivrée, tandis que remontaient les encens du fond de leur panier pour monter à l'assaut des odorats. Les remous de la foule, devant le temple, n'étaient qu'un écho lointain et apaisant. On n'était ni dans le monde, ni hors du monde; on était bien. Le petit temple n'avait pas survécu aussi longtemps, ni n'était aussi réputé par hasard. Ici, c'était la paix de l'esprit et du corps. Riches comme indigents le savaient.
Et Uragami, à l'aise comme un poisson sorti de son bocal, avait les ouïes qui palpitaient. Il n'était pas à l'aise, il ne savait comment faire. Sa dernière remarque acheva de convaincre Fumiko. Quelque part, c'était blessant. C'était comme si l'on arrivait à la Onzième en disant, "Oh, quelle charmant cortège de jeunes filles en fleurs".
Enfin, ce n'était pas sa faute. Sans doute la Grand-Mère l'avait-elle mis sur la sellette avec ses bêtises à la noix.
Elle laissa le silence planer quelques instants de plus. Non, rien à dire, elle était très bien. La seule touche négative, c'était le stress d'Uragami.

« Savourez le silence, Uragami. C'est un don précieux. »

Fumiko porta la tasse à ses lèvres. Elle se doutait qu'une telle exergue ne rassérènerait guère son hôte. Que dire, que faire ? Comment le convaincre que cet endroit, chez elle, sa maison, était digne de paix et de tranquillité ?
Elle choisit la carte de la franchise.

« Ce sont les sottises de l'Ancêtre qui vous ont mis mal à l'aise ?.... Il faut l'excuser... Nous excuser. Nous sommes un peu sauvages. »

Je n'eus pour réponse immédiate que le silence, pendant quelques secondes. Puis elle me dit de savourer le calme, il est vrai que c'était un bon conseil. En y repensant, depuis le début de la conversation j'avais été perturbé par la blague douteuse de la grand mère et par la nature un peu sèche de la jeune femme et beaucoup de choses s'étaient bousculées dans ma tête, faisant obstacle à la quiétude du lieu. Mais en me posant et en me détendant, je pouvais humer l'odeur très agréable de mon thé, des différentes plantes qui ornaient le jardin, de la nature qui entourait le temple ainsi que le parfum qui occupe généralement ce genre de lieux très anciens. C'était un mélange d'odeur de bois, de renfermé et de fraîcheur qui était très agréable. En y repensant c'était vraiment un endroit fantastique pour se ressourcer, même tous mes petits havres de paix habituels du Seireitei ne sont pas comme celui-ci. Les sons aussi étaient très agréables, les seuls que nous pouvions entendre étaient des chants d'oiseau, le vent qui secouait le rideau de perles de bois ou encore qui agitait les branches d'arbres. Une quiétude indicible.

Et ainsi petit à petit le calme revint totalement en moi, je ne pensais plus à toutes ces contrariétés et je pouvais enfin me détendre et profiter de cet endroit à sa juste valeur. Elle me posa alors une question, il était vrai qu'elle ne me connaissait pas très bien sinon la réponse lui serait venue toute seule. Je n'étais que très peu habitué aux relations humaines et lorsque je gobe ce genre de sottises je me sens couvert de honte et ne sait plus comment réagir, c'est comme si on mettait un pétard dans une fourmilière. Face à cela j'avais tendance à réagir assez mal dans l'ensemble plutôt que de rire de la situation face à un vilain tour, ce qu'une "personne normale" ferait. Mais personne n'est parfait et je suis assez susceptible, c'était ainsi, on ne peut changer sa nature. Heureusement les farces de ce genre sont rares dans l'enceinte même du Seireitei et il a fallu que je vienne me perdre ici pour en être victime. Enfin, disons qu'au moins cela aura occupé une partie de ma journée de repos, voyons les choses du bon côté.


- Oui, je me sens seulement honteux d'être tombé dans un panneau aussi gros et étant moi-même assez sauvage, je n'ai peut être pas réagi de la bonne façon.


En tout cas, l'origine de ce lieu m'intriguait toujours. C'était clairement la première fois que je voyais un temple comme celui-ci. J'avais entendu dire et j'avais lu que certains temples étaient dédiés à plusieurs Dieux mais c'était la première fois que j'en voyais un de mes propres yeux et en plus j'avais la chance d'y trouver quelqu'un probablement en mesure de m'en expliquer l'origine. C'était une chance inespérée pour ma culture personnelle et la passion que je vouais à la théologie et autres mythologies. Car malheureusement, une partie des lieux de cultes sont fermés et leur état est en décrépitude constante, laissant derrière eux l'érosion et la moisissure prendre le dessus, détruisant leurs stèles, leurs autels et leurs histoires au passage, ce qui m'attristait profondément.


- Passons sur cette histoire si vous le voulez bien. Autre chose m'intéresse beaucoup plus : l'histoire de ce lieu. Qui sont ces Dieux qui ornent la pièce principale? Quel âge a ce temple et depuis combien de temps vous en occupez vous? Pardonnez toutes ces questions mais je voue une véritable passion pour ces vieux temples et c'est une très grande chance pour moi de trouver quelqu'un qui peut m'en expliquer l'origine.

Satô hocha la tête, signe qu'elle acceptait cette explication, bien qu'elle ne fut pas nécessaire. Elle en avait vu, des gens, durant sa longue vie: elle les sentait, maintenant, elle les devinait comme on sait en regardant le ciel quel sera le temps du lendemain. Une habilité indispensable à développer, quand on était médecin, quand on naviguait des plus riches pavillons aux mansardes les plus infâmes. Quand on était une femme, quand on mangeait à sa faim. Quand on était Dieu de la Mort, ou privilégiée des Dieux. Quand on donnait à ceux qui demandaient. Quand on ne demandait rien, pas même un remboursement, quand on servait les Très Puissants.
Elle en avait vu, des gens, et si elle n'était pas toujours la plus douce et la plus chaleureuse des personnes, elle savait les sentir. La curiosité d'Uragami, de celui qui cherche la paix mais qui ne la trouve pas avec les autres. De celui qui ne croyait pas, car c'était évident, mais qui cherchait. Elle posa sa tasse à côté d'elle et plaça ses mains croisées sur le haut de ses cuisses.

« J'ai bien peur de vous décevoir. J'ai très peu de réponses à vos questions... Je suis ici depuis près de cinq siècles, mais ce temple existait bien avant moi, avant vous, avant le Gotei, avant notre ancien Capitaine-Commandant... Ma Grand-Mère est née et a grandi ici, elle en est la gardienne depuis des temps immémoriaux, des temps si lointains que même elle n'en a plus le souvenir. Et pourtant, ce temple existait avant elle. » Elle se tut un instant, ménageant son effet. « Certains disent que ce sont les Dieux qui ont créé ce temple, pour donner l'exemple aux hommes, et qu'ils y ont placé une Gardienne, pour donner la Voie. »

Certains disaient aussi que, si l'Ancêtre l'avait prise sous son aile, c'était qu'elle sentait sa fin venir et qu'elle cherchait un successeur, comme elle avait été le successeur de la Gardienne précédente. Une femme, car c'était la tradition, aux grands talents de soigneuse pour porter secours au monde malade. Fumiko préférait ignorer ces rumeurs, ces on-dits, dont elle n'avait jamais osé parler à la Vieille. Vrai, faux, peut-être ni l'un ni l'autre: en tout cas elle ne voulait sûrement pas penser à un tel rôle ou pire, à la mort de la personne qu'elle aimait le plus en ce vaste monde.

« Quant aux statues qui ornent le temple... Je ne connais pas la moitié de leurs noms, à vrai dire, et je pense que beaucoup sont tombés dans l'oubli, comme l'origine de ce lieu. C'est un temple, ici. Celui qui veut y déposer la statue de son Dieu le peut quand il le souhaite, et régulièrement nous trouvons une nouvelle divinité sur le pas de notre porte. C'est ainsi que ça fonctionne. Cette salle ne s'appelle pas la salle aux Mille Dieux par hasard... »

J'écoutais les paroles de la jeune femme et j'étais réellement émerveillé, ce temple dépassait de très loin tous ceux que j'avais vu précédemment de part son ancienneté et son histoire. Si même elle qui était là depuis cinq siècles et sa grand mère depuis beaucoup plus n'en savaient pas grand chose au final, alors c'est que ce lieu devait avoir une histoire probablement aussi vieille que l'existence même de ce monde. Une autre hypothèse restait que la grand mère ne lui avait pas tout raconté, certains secrets ne se révèlent que sur le lit de mort et pour des choses concernant cet endroit mystérieux, cela ne serait pas étonnant. Je doute fort que si je questionnais la vieille dame, elle puisse m'en dire davantage. Ce lieu était un sceau inviolable et je devais me résoudre à ce qu'il en reste ainsi malheureusement. Enfin, quelque part c'était peut-être mieux ainsi, les choses perdent parfois de leur charme lorsque l'on en découvre les tréfonds les plus cachés, au moins dans mon esprit, il resterait ce qu'il est aujourd'hui.

Je bus ma dernière gorgée de thé, si concentré que j'étais sur les paroles de la vice-capitaine, je ne pus que constater qu'il était froid ou très tiède, ce qui le rendait assez mauvais mais jamais je ne me résoudrais à en gâcher une goutte. C'est donc d'un trait que je finis le reste sans quasiment le laisser toucher ma langue. En tout cas, je ne pourrais plus m'éterniser ici très longtemps, déjà car j'imaginais qu'elle avait d'autres choses à faire que de bavasser avec moi et parce que l'inverse était le cas aussi. Je m'étais simplement pris une pause mais il était temps pour moi de rentrer au Seireitei. Je pris une profonde inspiration pour me souvenir de cette odeur fort agréable de thé et des plantes du jardin, je fis un tour d'horizon avec ma tête pour enregistrer cet endroit et le vent qui continuait à secouer le rideau de perles de bois. Cet endroit était un véritable havre de paix et de mystère insondable. Je ne regrettais pas d'être venu, j'avais longtemps cherché un lieu comme celui-ci.

Tout en me levant de ma chaise tranquillement, je ne me relevais pas totalement et fit un salut des plus traditionnels, face vers le sol pour saluer la jeune femme.


- Je vous remercie profondément pour votre invitation Satô-san, c'était très agréable. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et il est temps pour moi de retourner au Seireitei dis-je en me redressant. Je ne vous apprend rien sur ce qu'est le travail d'un vice-capitaine, nous n'avons pas forcément beaucoup de temps pour nous relaxer, ce qui est regrettable. En tout cas, j'espère vous revoir prochainement.

Je fis alors mine de me diriger vers la porte par laquelle j'étais entré et qui allait me faire de nouveau traverser la salle aux mille dieux. Mais je pris le temps d'y aller calmement afin qu'elle puisse clore cette conversation à son tour, disparaître comme un voleur pourrait être très impoli envers mon hôtesse.