Douce matinée. Le parfum des fleurs des champs parvenait aux narines d'un grand type efflanqué, la démarche rapide et nerveuse, alors que les premières abeilles venaient déjà récolter le délicat pollen qui était leur lot. La nature était une éternelle source d'émerveillement pour qui savait y consacrer ses sens. Les arômes, les couleurs, le vent dans les arbres. Le moindre pigment était en constante évolution, jamais satisfait de son état, toujours tourné vers l'avenir. Les plantes étaient ainsi, embarquées dans un cycle sans fin sans jamais se départir de leur perfection, telles le roseau ployant sous un vent furieux sans céder. Il s'identifiait beaucoup aux plantes. Sa sève à lui était cette tasse de thé, qu'il tenait dans le creux de sa paume droite tout en avançant, en sirotant une gorgée ou deux tous les vingt pas. Il patrouillait seul le long d'un des murs les plus excentrés du Seireitei. Il savait que de l'autre coté les plantes qui composaient son breuvage favori étaient récoltées. Et rien ne pouvait davantage mettre en joie le tout récent Vice Capitaine Tahara, de la dixième division.

Depuis sa toute récente nominations, après des mois ou son poste avait été laissé vacant, il profitait de son nouveau brassard pour aller marcher seul, et non pas en patrouille. D'aucuns savaient qu'il était assez fort à présent. Certains se doutaient qu'il possédait le bankai, et il ne faisait rien pour infirmer ou confirmer les soupçons. Il aimait beaucoup cette situation, à vrai dire. Des subordonnés qui le craignaient déjà le craignaient maintenant encore plus. Des gradés qui lui passaient devant en l'ignorant étaient maintenant ses égaux. Du coup, lorsqu'il sortait de son bureau tout neuf et annonçait au premier subordonné qu'il partait en patrouille, on ne mouftait pas. Et il pouvait profiter, tasse à la main, de longues marches sans le moindre individu avec lequel interagir.

- ...

Perdu dans ses rêveries, il n'avait pas fait attention au fait que ses pas le rapprochaient inexorablement, dans une courbe légère mais bien réelle, du centre de la Soul Society. Et plus précisément des quartiers de la treizième division. Plus précisément encore, au beau milieu des baraquements susmentionnés. Haussant un sourcil d'exaspération quant à son sens de l'orientation tout à fait douteux, il fut heureux de constater que l'endroit était désert. Il devait à présent réfléchir à l'itinéraire le plus tranquille pour rentrer. Il but une longue gorgée d'Earl Grey, statique. Silhouette longiligne se découpant dans une fin d'après-midi à peine dérangée par le chant d'une grive, il était évident qu'on allait finir par le remarquer. Mais lui projetait déjà de passer par une coursive perdue entre la douzième et la dixième, comme si de rien n'était. Mais, une fois n'est pas coutume, il fut de nouveau tiré de sa rêverie.

Une porte grinçait. Ses sourcils s'arquèrent. Et il tourna la tête, las. Le spectacle qui s'offrit au nouvel arrivant fut le suivant: Un type en shihakusho bleu, les yeux cernés, le cheveu court et le sourcil dangereusement levé, affichant la paradoxale dualité d'avoir la main en coupe autour d'une tasse et l'autre semblant être prête à dégainer son zanpakuto. Le brassard de rigueur indiquant la qualité de l'intrus était lui aussi bien visible. Le sourcil, sur lequel nous ne nous sommes pas attardés plus avant, indiquait avant tout sa surprise de se voir ainsi pris par un de ses pairs, dans une promenade qu'il désirait tranquille. Son homologue de la treizième, petit, le cheveu en bataille, se trouvait face à lui.

Le soleil couchant caressait son visage tranquillement. Kirito se promenait pied nu dans un champs immense qui s'étendait à perte de vue de tous côtés. Seul un temple solitaire se dressait devant notre jeune héros car il s'y rendait justement. Un vent léger venait ébouriffer ses cheveux. Arrivé près de l'entrée du temple il marqua une pause pour apprécier la beauté de la construction puis il rentra sans un bruit. Il se retrouva dans une grande salle au fond de laquelle siégeait une immense statue d'un tanuki illuminé par la douce lumière de bougies sciemment disposées. Kirito s'avança tranquillement puis il s'agenouilla devant la statue et ferma les yeux afin de faire une prière silencieuse pour rendre hommage à ce lieu. Lorsqu'il les rouvrit il étouffa un cri de stupéfaction car un énorme masque de Hollow couvrait désormais le visage de la statue.

Mais tu vas te réveiller bordel !

La voix de Heathcliff qui hurlait dans la tête de notre jeune héros le fit se réveiller en sursaut. Kirito cligna des yeux avec difficulté à cause de la lumière environnante qui était forte et il mit quelques secondes avant de réaliser où il se trouvait. Il était assit à son propre bureau. Après une seconde pour que le cerveau finisse de se remmetre en marche il se souvint. La veille il avait travaillé sur de nombreux dossiers, tellement travaillé que le soleil dans le ciel avait quasiment fait un tour complet. Alors qu'il était finalement venu à bout de la paperasse près de 24h après avoir commencé donc il s'était accordé le droit de se poser un instant. Il avait donc placé ses bras sur son bureau puis appuyé sa tête dessus et avait dû s'endormir instantanément.

Nom de dieu Heathcliff tu peux pas me laisser tranquille de temps en temps...

Si tu veux mais bon vu qu'il y a une grosse source de reiatsu à proximité j'ai pensé que tu voudrais peut être le savoir.

Qu'est-ce que tu racontes y a...

Kirito stoppa net sa phrase aussitôt car il venait effectivement de ressentir une grosse quantité d'énergie spirituelle non loin de là. Vu la quantité il devait s'agir d'un haut gradé or il ne reconnaissait pas là dedans la marque de Reisen. Il s'agissait donc d'un autre gradé du Goteï ou alors d'un intrus... En tous les cas Kirito remercia mentalement son Hollow pour sa vigilance puis il se redressa et se leva. Il devait aller verifier c'était son devoir. Le vice-capitaine de la treizième division se dirigea vers un miroir pour vérifier qu'il n'avait pas trop mauvaise mine ou qu'il n'avait pas le pli de son vêtement sur le visage. Il tenta de réarranger ses cheveux mais il ne parvint qu'à empirer les choses. Kirito amusé par cet échec quotidien se dirigea vers la porte de son bureau. En passant à côté il attrapa In'ki Kyuusei qui reposait le long du mur puis attacha son faucheur d'âme dans le dos. Tandis qu'il déambulait dans un couloir il se focalisa sur l'énergie qui semblait se rapprocher. Kirito ouvrit alors une porte donnant sur l'extérieur et n'eut pas besoin de chercher plus longtemps.

Face à lui se tenait un homme à l'allure singulière mais pas autant que sa posture. En effet, le shinigami face à lui semblait clairement avoir été surpris car il se tenait en position prêt à dégainer mais cette tentative de défense perdait toute crédibilité lorsque l'on se rendait compte que dans sa seconde main il tenait une tasse de thé. Akihiko observa quelques secondes l'homme face à lui et repéra le détail qu'il cherchait. Il vit le brassard de vice-capitaine marqué du chiffre 10. Quel était le nom de ce tout nouveau lieutenant déjà ? Takeda ? Tanabata ? Tayuya ? Non...Tahara ! Il ne l'avait encore jamais rencontré et il avait tout juste entendu parlé de lui pour le moment mais il semblait clair vu l'attitude de son pair qu'il l'avait très certainement surpris en train de flâner au lieu de travailler. Kirito afficha un sourire amusé en songeant que lui-même n'aurait pas fait le fier si on l'avait surpris quelques minutes plus tôt en train de ronfler sur son bureau.

Bonjour Tahara-Fukutaishô. J'espère que je ne me trompe pas de nom. Je suis Kirito le lieutenant des lieux. Puis-je savoir ce qui vous amène dans les environs ? En tous les cas laissez moi vous dire que votre thé sent extrêmement bon.

Akihiko marqua une pause puis il indiqua d'un doigt le Zanpakuto de son confrère.

Vous pouvez-vous détendre si je vous avais voulu du mal vous le sauriez déjà.

Toujours un sourire aimable aux lèvres Akihiko attendit la réaction du nouveau venu qu'il fixait de son regard gris étincelant.

Face à face et mots contre mots, les deux hommes étaient à présent en pleine conversation, semblait-il. L'escogriffe, sans relâcher sa prise sur la poignée d'Omoi Musun, car il fonctionnait ainsi, but une nouvelle gorgée de thé, attendant patiemment que son confrère eut terminé sa litanie de bienvenue. Il était dans ses quartiers, et il le sentait, l'autre le jugeait. Il était très physionomiste, et s'était donc souvenu de ce petit type portant brassard avant même d'avoir à fouiller les méandres de son esprit tortueux, mais le nom lui, lui échappait. Quelque chose d'impérial et de peu seyant, probablement. Il décida de partir sur cette piste, et énonça en marmonnant pour lui-même diverses possibilités alors même que son interlocuteur le scrutait dans l'attente d'une réponse. Il était tellement habitué à ce que l'on s'écrase quand il réfléchissait qu'il en avait oublié que le vice-capitaine de la treizième pourrait trouver sa crispation et ses marmonnements légèrement insultants. Il n'était pas beaucoup sorti de la dixième, décidément. Et surtout, il n'était pas le colibri le plus social du monde. Il n'était pas non plus un colibri, de près comme de loin, ça allait de soi.

- Akitano... Non... Akumachi ?

Pause décisive. Ces quelques secondes avaient vu défiler dans sa tête deux siècles d'histoire du Japon et un visage précis. Net et sans bavure, il en était pratiquement sur. Son thé étant dorénavant tiède, il balança ce qui restait dans un massif de fleurs derrière lui, d'abord pour les hydrater, et ensuite parce que c'était pratique. Il rangea ensuite la tasse dans le revers de son haut de Shihakusho, avant de faire entendre sa voix rauque à en faire peur.

- Bonjour à vous aussi, Akihito Fukutaisho. Un nom très impérial, que vous avez là. Je suis effectivement Tahara.

Il marqua une courte pause, regardant à droite et à gauche, avant d'enchainer.

- Et effectivement encore, il semblerait que je sois... déplacé, ici.

Cette tentative d'humour, plus pour faire la conversation qu'autre chose, fut renforcé par un demi sourire d'une demi seconde de la part de Ryuhei. Puis, il releva l’intérêt exprimé par son collègue pour son thé. Allait-il résister ? Bien sur que non, l'autre avait touché la corde sensible. La passion des feuilles, la poésie de l'infusion, le récital des arômes, la chaleur d'une tasse au soleil couchant. Ça chatoyait, le thé. Ce n'était pas rien. C'était sa grande passion. Un autre demi sourire, plus long celui là, et il se lança.

- Ravi que le fumet vous plaise, c'est une de mes créations. Êtes vous connaisseur vous-même ?

Allait-il subir la cruelle désillusion d'un philistin hypocrite parlant de la pluie et du beau temps en ordre aléatoire ? Ou avait-il réellement trouvé un pair à qui parler ? Souvent, cette passion qui était la sienne semblait déplacée pour un homme maniant l'épée. Il appelait cela l'harmonie, quant à lui. Très friand de philosophie chinoise, notre homme. Mais moins tatillon quand on en venait à l'art complexe de la conversation, puisqu'il avait sans pitié écorché le nom de ce jeune gradé tout frais pondu de l’œuf, à priori. Comme lui. Mais c'était différent.

Akihiko regarda l'homme face à lui avec une pointe d'amusement. Non seulement ce type semblait quelque peu lunatique mais en plus il marmonnait pour lui même ce qui achevait de le rendre étrange. Le vice-capitaine de la treizième division savait qu'au Seireitei certains auraient pu se vexer pour moins que ça mais lui s'en moquait totalement et à ces yeux étrangement cela donnait à son interlocuteur un air sympathique. Après tout Kirito se parlait à lui même aussi, certes pour des raisons bien différentes, mais le résultat était le même. Lorsque finalement son pair finit par lui rendre ses salutations il afficha cette fois un large sourire amusé.

Un nom impérial dites-vous ? Peut être bien... Mais bon vu que je me nomme AkihiKo cela ne me correspond pas forcément.

Il n'avait pas annoncé cela de manière à vexer son interlocuteur, bien au contraire il cherchait juste à sympathiser. Mais il n'eut pas le temps d'aller dans ce sens car il semblait qu'il avait déjà touché dans le mille : le thé ! Notre jeune héro était amateur de cette boisson mais ces connaissances dans le domaine restaient modeste malgré tout. En effet, lorsqu'une part intérieure de vous passe son temps à essayer de boire de l'alcool il devient ensuite difficile de lui faire boire du thé. Et puis bon ça faisait un peu tapette quand même. Kirito chassa les pensées de sa personnalité déviante qui commençait clairement à devenir envahissante puis il répondit finalement à Tahara.

Manifestement vous en connaissez bien plus que moi sur le domaine du thé car je n'en suis pas à faire mes propres créations comme vous. Cependant, lorsque j'ai suffisamment de temps j'apprécie tout de même grandement pouvoir partager un thé ou le déguster seul et en jouant au Shōgi. Maintenant que je vous en fait part je me rends compte que cela sonne un peu comme des habitudes d'une personne âgée mais bon au Seireitei il faut savoir savourer les moments de calme car ils ne sont que trop rare !

Il marqua une pause puis ajouta.

Toutefois, en vérité je bois assez peu de thé à la Soul Society car lors de l'un de mes séjours à Karakura j'ai eu le plaisir de goûter une tasse d'un excellent Gyokuro dont le goût pour mon palet reste inégalé. Je suis également un fervent défenseur du Tieguanyin car ce thé wulong, bien que très fort, est également un délice.

Kirito gardait les mains croisés derrière son dos. L'homme face à lui était manifestement tombé là par hasard. Il pouvait soit le raccompagner, soit l'inviter. Ne sachant quelle solution choisir il décida de soumettre le choix à son pair.

Dites-moi, vu que vous êtes ici vous souhaitez visiter un peu ou alors voulez-vous que je vous montre le chemin menant en dehors de cette division car vous vous êtes égaré.

Il appuya sa remarque d'un petit clin d’œil complice.

Personnellement je n'ai rien à faire pour l'instant et comme nous ne nous connaissons pas pourquoi ne pas nous promener un peu ?