Quartiers de l'Octava.

Vide. C'était le premier mot qui m'était venu à l'esprit lorsque j'étais rentré dans cette pièce. Bien sur la chambre que j'occupais précédemment l'était tout autant, mais celle-ci était trois ou quatre fois plus vaste tout en étant à peine plus meublée -ma faute me diriez-vous- et elle me paraissait donc bien déserte. Mais en réalité cela n'était pas quelque chose qui pouvait me gêner. Non j'étais plutôt bien installé : des rangements organisés, une salle de bain, un joli living-room et un lit des plus confortables. J'étais d'ailleurs allongé dessus en ce moment-même et ce depuis… Quelle heure était-il ? Je grimaçai. Cela pouvait faire des heures ou des jours que j'étais là, c'était l'inconvénient d'être resté allongé pendant quarante ans : on ne voyait plus le temps passer. Et l'année qui s'était écoulée depuis ne m'avait guère permis de retrouver la notion du temps…
Je me redressai et posai mes pieds sur le sol froid. La voix de l'Autre résonna alors dans ma tête.

*Enfin tu t'bouges ! C'pas trop tôt !*

J'ignorai sa réflexion, enfilai mes bottes et me dirigeai vers le balcon. J'attrapai au passage mon paquet d'allumettes et une clope que je mis entre mes lèvres. Je sorti une allumette du paquet et la grattai contre mon Hierro. Elle s'enflamma et j'allumai ma cigarette. M'accoudant à la balustrade je me mis à regarder le ciel noir.
Cela faisait… au moins une dizaine de jours depuis ma promotion. Je n'avais pas été particulièrement enchanté de devenir l'Octava. Pour moi cela signifiait la fin des jours pénards à flâner où je voulais. J'avais maintenant tout un tas de responsabilité à la con… Attention, ne vous méprenez pas ! J'étais plus qu'heureux de servir el Rey. Il m'avait donné ce à quoi j'aspirais depuis longtemps en m'accueillant ici, à Las Noches. Et malgré ma paresse, j'exécutai sans discuter le moindre de ses ordres. Mais faire de moi l'un de ses Espada… Enfin bref, c'était fait, je n'y pouvais plus rien. Je devais m'efforcer d'être digne du titre qu'on m'avait donné.

Je finis mon mégot, le jetai au-dehors et rentrai à l'intérieur. Je m'étais décidé à faire un petit tour, me dégourdir les jambes, et visiter cette partie du palais –qui m'avait toujours été interdite auparavant.
Je pris donc mon Zanpakutoh, le passai à ma ceinture et enfilai ma veste en cuir. Je sorti par la porte principale de la chambre et refermai derrière moi.


Je m'interrompis. J'avais aperçu quelque chose bouger dans l'ombre au bout du couloir. Des nouveaux collègues peut être ?

On ne devenait pas Espada sans qu'il n'en soit le premier informé. Cela avait été la condition demandée à Grimmjow alors qu'il avait pris la tête de l'Exequias et le Roi y avait consenti. Rien de plus normal en réalité : on ne s'approchait généralement pas de Las Noches sans prendre le risque de se faire attaquer et l'Exequias était cette police qui veillait au grain. L'ange blond se satisfaisait de la place qui était sienne, lui qui était passé par pratiquement tous les grades importants de l'armée des Arrancars. Du simple Fraccion au titre convoité d'Espada, jusqu'à arriver à la tête de l'unité d'élite du Hueco Mundo. Ainsi donc avait-il été informé de la nomination de Roy Vacuos. Un Octava bien discret jusque-là. Et si Borick était patient, il lui appartenait dès maintenant de voir qui était cet illustre inconnu. Que le Roi le juge digne n'était en rien une garantie pour lui. Ce ne serait pas la première fois qu'il se trompait sur un Arrancar après tout.

Bien que se fiant d'ordinaire à son propre jugement sans demander l'avis des autres, il avait été trouvé le Tercera Espada afin de lui demander de l'accompagner dans sa démarche. Bien que récent lui aussi, il avait laissé une excellente impression à Borick. Et si ce dernier n'avait pas coutume de se fier aux autres, il appréciait la compagnie d'Esteban. Un scientifique aussi raffiné qu'intelligent, ce qui en faisait une exception dans la Citadelle. Certes, il existait Tibors. Mais un nouvel individu de leur classe ne pouvait pas faire de mal à la réputation de cette armée constituée d'imbéciles et de brutes. De purs représentants de leur Roi en un sens.

Alors qu'ils se rendaient tranquillement vers les quartiers de l'Octava, aucun d'eux ne jugeaient opportun de parler. Esteban souhaitait très certainement rencontrer l'intégralité des membres de cette élite et c'était en soi logique que l'Exequias et l'Espada jugent un nouvel arrivant. Même si pour Borick, ça allait au-delà d'une simple rencontre amicale. Il voyait plus loin, plus large. Et souhaitait seulement voir si cette personne aurait une place dans son projet global. Ils arrivaient au bon moment visiblement. L'homme s'apprêtait à quitter les lieux. Sortant de l'ombre, les deux hommes s'arrêtèrent à une distance respectable. Ils pouvaient se détailler à loisir désormais. Tout sourire, ce fut évidemment Borick qui fut le premier à prendre la parole.

- Roy Vacuos, je suppose. Je te prie de pardonner notre arrivée tardive. Nous souhaitions rencontrer le nouvel Octava Espada... Mais je parle et manque à mes premiers devoirs. Je suis Borick "El Emperador", Maître de l'Exequias.

Sans doute le savait-il déjà ? Mais au moins remplissait-il ses devoirs. Esteban se présenterait de lui-même, Borick préférant laisser ce privilège à son ami. Roy semblait vif. Peut-être sur ses gardes mais on ne pouvait l'en blâmer : la Citadelle de Las Noches n'était en rien un endroit rassurant. Et si les Hollows se mêlaient aux Arrancars, aucun des deux groupes n'inspiraient confiance. Sous couvert de sourire et autre affabilité se cachait toujours quelque chose. Et d'expérience, il ne fallait jamais se fier aux premières impressions. Borick était un expert dans ce domaine précis et personne ne lui arrivait à la cheville lorsqu'il s'agissait de manipuler les mots. Une arme autrement plus dangereuse à ses yeux que la simple force physique, n'en déplaise aux brutes.

Ils s'agissaient de deux personnes. Avant même qu'il ne s'adresse à moi je les avais reconnus. L'un était Borick, Chef de l'Exequias, et l'autre Esteban Rojas, la Tercera Espada. Ce fut Borick qui s'adressa à moi le premier. Il m'annonça d'abord le but de leur visite : ils voulaient me rencontrer. Il se présenta ensuite et Esteban fit de même. En tant qu'ancien Numeros, j'étais capable d'identifier tous les Espada actuels, qui étaient jusqu'ici mes supérieurs directs et bien que je ne connaissais aucun Exequias, je n'avais jamais eu affaire à eux, je savais qui était leur chef : Borick "El Emperador". Je pris donc ces présentations officielles comme une marque de respect puisqu' ils auraient pu s'en abstenir s'ils l'avaient voulu.

Mais je ne baissai pas ma garde pour autant. Ma petite, mais enrichissante, expérience à Las Noches m'avait appris la différence entre l'être et le paraître. Ici j'avais vu des Arrancars faire des courbettes pour plaire au Roi et monter dans son estime, pour ensuite le maudire dans son dos ou encore gagner la confiance d'un rival pour mieux le trahir par la suite. Si peu d'entre eux arrivaient à leurs fins, j'étais ici à un tout autre niveau. Ces deux là sous leurs airs amicaux pouvaient très bien cacher leurs véritables intentions. Et j'en eus la confirmation.

"Bienvenue dans l'élite, Roy. Une place que tu auras fort à défendre. Je n'ai même pas eu le temps de connaître ton prédécesseur. J'espère que tu resteras parmi nous assez longtemps pour que nous puissions faire connaissance."

Je ne doutais plus que ce n'était pas une simple rencontre pour me souhaiter la bienvenue, mais je répondis tout de même à ces mots par un sourire poli. Derrière cette jolie tirade, la Tercera tentait sans doute me mettre à l'épreuve. Je savais qu'il y avait eu plusieurs autres Octavas avant mon prédécesseur sans pour autant connaître leurs noms. Je savais aussi que ce dernier n'avait pas fait long feu. Il voulait sans doute me faire comprendre que les places étaient chères au sein de l'Espada, et que rien ne m'était acquis. Cela je l'avais déjà compris, mais bien que je n'ai pas voulu être nommé Octava, la seule façon de perdre ce titre était de décevoir le Roi et ça… je ne pouvais me le permettre. J'acquiesçai donc et répondis :

"Enchanté. Je tâcherai en effet de tout faire pour garder ma place, et ce aussi longtemps que le voudra le Roi."

Je mis mes mains dans les poches de mon pantalon, rabattant ma veste vers l'arrière. Je continuai :

"Je n'ai jusqu'ici pas eu le plaisir de rencontrer qui que ce soit. Vous êtes les premiers membres de cette élite à qui j'ai l'honneur de parler."

J'avais pris le même ton neutre et poli qu'eux. Si je ne voulais pas les froisser, je voulais tout de même savoir ce qu'ils avaient en tête et jouer leur jeu sciemment, tout en leur montrant que je n'étais pas dupe, les encouragerait peut être à se dévoiler. Je repris donc, toujours dans le même registre.

"Cependant… M'avancerais-je en disant que vous n'êtes pas là uniquement pour me souhaiter la bienvenue ?"

Il y avait plusieurs possibilités. Soit ils entraient dans le vif du sujet, soit nous continuions à jouer les faux. Et ça je pouvais le faire encore longtemps, bien que ça ne m'amusait guère.

*T'es complètement parano…*

Ah, oui. Il y avait aussi cette possibilité là. Ils pouvaient aussi réellement être là pour me saluer. Mais dans ce cas je m'étais bien trompé sur Las Noches…

La suspicion pouvait en ce monde sauver la vie d'un Arrancar. Roy se montrait prudent face à ceux qui se dressaient face à lui ce jour sous couvert de faire connaissance. La remarque de l'Espada fit sourire Borick qui ne prenait évidemment pas mal une telle réaction. Ne pas se méfier signifiait généralement mourir vite. Cet homme avait au moins l'intelligence de ne pas se fier trop rapidement aux autres. Les nouveaux arrivants avaient tendance à se faire une idée assez particulière de la vie en communauté au sein de Las Noches. S'il est vrai que la plupart des Espada ne s'appréciaient pas, ils n'étaient pas pour autant en train de comploter en permanence. Pour être tout à fait franc d'ailleurs, ils n'étaient pas si nombreux à se montrer suffisamment subtils pour se hisser au-dessus des autres.

Le fait qu'aucun autre Arrancar ne soit venu rendre visite à cet homme ne surprenait d'ailleurs pas l'Exequias. On ne se souciait pas des autres en ce monde. Pure perte de temps tant que la guerre n'obligeait pas ces membres à se regrouper. Esteban et lui faisaient donc partis de cette petite minorité à s'intéresser aux autres. Parfois pour d’obscure raison, parfois par simple souci d'entretenir des relations de bon voisinage. Même si cette explication paraissait pour le moins étrange. En ce qui concernait le Roi, toutefois, il n'était pas toujours celui qui décidait de qui ne méritait plus sa place dans l'élite. Mais de cela, Borick n'en dirait rien. Il aimait voir les autres se débattre dans ses toiles. Et déjà Roy venait de s'engouffrer dans son antre. Rien qu'en lui répondant.

Fidèle à lui-même, Esteban analysait la situation. Le scientifique possédait ce sens inné lui permettant d savoir s'il pourrait se fier ou non à la personne qui se trouvait face à lui. L'avoir à ses côtés pour cet entretien était donc une véritable aubaine. Rien ne lui échapperait.

- Tu t'avances, en effet. Mais on ne peut pas t'en blâmer. Notre nature nous pousse à nous méfier des autres et c'est naturel de ne pas se fier à ceux de notre peuple. Pourtant, nous ne sommes plus des animaux. Un peu de civilité ne peut donc pas nous faire de mal, ne crois-tu pas ?

Cela, Borick y croyait dur comme fer. Lui qui haïssait sa nature profonde ne pouvait que mettre en avant ce genre de sentiment. Ressembler à des humains avait été la chose la plus agréable qui lui soit arrivé. Ce n'était pas sans rapport à sa mentalité, bien sûr. Bien entendu, il n'était pas naïf au point de vouloir être comme eux. Les faiblesses de cette espèce l’arrangeaient. Il lui serait alors plus facile de mener à bien ses projets.

- Et puis, de toi à moi, je vais te faire une petite confidence. Même si j'avais autre chose en tête en venant te voir, crois-tu que je te le dirais malgré ta demande ? Voyons, Roy.

Il se mit à rire, une fois de plus. Cette dernière remarque n'était d'ailleurs pas sans intérêt pour El Emperador. Semer le trouble dans un esprit lui permettait de mieux cerner le personnage. C'est lorsque l'on se trouvait sous pression que l'on commettait les erreurs les plus grossières. La suspicion à petite dose était une excellente chose. A plus grande échelle, elle devenait une arme pour le blondinet.

- De par le rôle qui est le mien, il m'est seulement indispensable de rencontrer les nouveaux arrivants. Surtout lorsqu'ils sont de l'Espada. L'élite de notre très cher Roi a souvent l'impression qu'ils peuvent agir à leur guise. Je suis seulement là pour leur rappeler que ce n'est pas le cas. Oh, ce n'est évidemment pas une menace. Seulement une petite mise en garde. Après tout, nous sommes entre gens civilisés non ?

Il n'avait pas dévoilé son jeu. Borick était resté muet quand à son but réel. Mais il avait habilement su le caché, expliquant ma réaction comme étant un résidu de mon ancien état de Hollow et remarquant que ma méfiance était justifiée. Il ajouta cependant que notre présent état d'Arrancar nous avait fait évoluer, j'étais le premier à le penser -nul doute que "l'Autre" était on ne peut plus d'accord avec moi- et me lança une pique à propos de la civilité dont nous devions faire preuve, je ne répondis pas, me contentant d'acquiescer en souriant. Il déclara ensuite que ma question était vaine et qu'il n'y aurait pas répondu sincèrement s'il y avait bien eu une raison particulière à sa venue.

Un point pour lui. Néanmoins, j'avais tenu à montrer que je n'étais pas né de la dernière pluie et c'était chose faite. Il savait maintenant que je n'étais pas un Arrancar crédule comme il avait pu en voir des centaines ici. Cependant, continuer de faire pression pour obtenir une vraie réponse était futile. C'était faire montre de faiblesse et cela ne pouvait aboutir qu'à lui donner l'ascendant sur moi –s'il ne l'avait pas déjà étant donné sa position et son expérience. De plus il m'était intéressant de voir jusqu'où il comptait et pouvait aller, pour mon expérience personnelle.

Borick conclu son monologue en me mettant en garde sur les limites à ne pas dépasser même en tant qu'Espada, il ne m'apprenait rien, j'étais tout à fait conscient que ce titre d'Espada avait en fait plus de sens pour nos ennemis et nos subordonnés que pour nous autres, et insista à nouveau sur la civilité dont nous devions faire preuve.

Ce fut au tour d'Esteban de me répondre. Il avoua être là pour me jauger. Pas en terme de puissance apparemment, mais en terme de capacité de raisonnement. Je ne pouvais que saluer cette initiative : après tout le numéro que je portais sur la nuque suffisait à déterminer ma force, à peu près dirons-nous, mais rien ne nous permettait d'évaluer, de prime abord, nos confrères sur une échelle intellectuelle.
Je me décidai alors à leur répondre. Je m'adressai d'abord au Chef de l'Exequias.

" Oui, la civilité, la courtoisie, la bienséance dirais-je, cela fait partie des nombreux avantages que nous a conférés l'arrancarisation… enfin pour la plupart d'entre nous j'entends."

En effet, j'avais aussi rencontré de sombres abrutis -sans compter celui enfermé au fond de mon esprit- vulgaires et irrespectueux mais pourtant bel et bien arrancarisés. Je pris ensuite le temps de répondre à la Troisième Lame.


Cela n'était que pure politesse, je me doutai que si un tel évènement arrivait, ils n'hésiteraient pas à venir me trouver, avec ou sans invitation et de préférence lorsque je ne m'y attendrais pas. Cependant, les inviter à le faire était une manière de garder ma contenance si cela devait arriver. Je préférais être prévoyant. De plus Borick semblait très attaché aux règles de savoir-vivre tout comme Esteban, dans un style différent peut-être, continuer de me montrer courtois était donc un minimum.

Oui, il marquait de précieux points. Et s'il allait devoir garder ce cap pour rester dans les bonnes grâces des Seigneurs de Las Noches, il venait quand même de franchir une étape importante. Les impressions de l'Empereur étaient pour le moment plutôt bonnes et il était heureux de constater que le Roi faisait de sérieux efforts pour garnir son armée d'Arrancars susceptible d'apporter un vrai "plus". Peu à peu, il remplaçait les membres les plus idiots par des hommes et des femmes intelligents. Une véritable victoire pour le blondinet.

Bien sûr, on ne pouvait se fier entièrement aux dires d'un homme. Mais il s'agissait là d'une piste à ne pas lâcher. En tout cas il faisait preuve d'intelligence en refusant de s'offusquer de leur visite. Plus encore en se montrant si courtois et amical. Le regard de Borick se posa un court instant sur Esteban. Nul doute que lui aussi prenait plaisir à faire cette rencontre, bien que ses motivations diffèrent des siennes. D'autant que ses remarques étaient justifiées.

Combatte ensemble était rare mais pouvait devenir capital lors de cette guerre qui les opposait aux Maho Tsukai. Et les Espadas étant les plus à même de se retrouver côte à côte au front, ils devaient apprendre à cohabiter les uns avec les autres. L'esprit pragmatique du Tercera Espada faisait donc de nouveau son apparition, preuve qu'il ne laissait une fois encore rien au hasard.

- Tes propos t'honorent. Sois assuré qu'en cas de besoin, je me présenterais à toi afin de régler le problème. Je préciserais seulement que ce n'est pas moi qu'il faudrait éviter de mettre dans l'embarras mais plutôt notre bien-aimé roi. Ce dernier n'est pas réputé pour sa patience et sa tolérance de l'échec frise le zéro. Te voilà au moins informé de nos attentions.

Il lui paraissait futile de préciser que s'il faisait n'importe quoi, il reverrait l'Exequias et que la rencontre se déroulerait nettement moins amicalement. La mise en garde était désormais inutile et Roy semblait suffisamment vif pour ne pas prendre ce genre de risques. Passant sa main dans ses cheveux afin de remettre sa mèche correctement en place, Borick poussa un petit soupir avant de marcher doucement vers l'Octava. Il y avait de la tension dans l'air, c'était une évidence. Mais la garder intacte n'était désormais plus d'actualité.

- Nous pouvons nous détendre, maintenant. Puis-je me permettre une question personnelle, Roy ?

Mains dans les poches, l'ange blond se montrait confiant à l'excès. Il souhaitait en apprendre plus sur son compte. Qu'importe que l'Octava tente de lui mentir ou refuse de lui répondre. Il obtiendrait d'une manière ou d'une autre les réponses qu'il cherchait. Il était seulement plus facile d'en apprendre plus par le biais de l'intéressé.

- Pourquoi sortir de l'ombre maintenant ? Qu'est-ce qui te pousse à servir les intérêts de notre Roi ?

Apparemment ils avaient plutôt apprécié mes mots. Il fallait dire que je m'étais appliqué à ne pas les froisser. Je prenais un plaisir certain à cette conversation, même si je savais que c'était bien plus que cela. Le seul interlocuteur récurrent que j'avais eu depuis ma... Renaissance, mon arrancarisation, était l'Autre. En effet même après mon arrivée à Las Noches l'an passé, je n'avais que rarement trouvé quelqu'un à qui parler comme je le faisais là.

Borick prit un air plus décontracté et me questionna sur mes motivations : ce qui m'avait amené à rejoindre l'armée royale. La question semblait des plus simples : une question classique de collègue à collègue. Mais il n'en était rien. La raison pour laquelle j'avais rejoint Las Noches ? Je pouvais mentir en disant que je croyais dur comme fer aux idéaux du Rey ou qu'il m'avait ouvert les yeux et que je lui vouai ma vie… mais en vérité, je n'avais pas de raison valable. Le Seigneur Grimmjow m'avait simplement trouvé lorsque plus rien n'avait de sens pour moi. Il m'avait offert une réalité alors que je n'avais rien. Cela aurait pu être n'importe qui d'autre, avec ce même présent –qui n'avait sans doute aucune valeur pour quelqu'un d'autre que moi- mais il avait été le premier, et c'était de la loyauté la plus primaire que je ressentais pour lui, celle qui venait de l'instinct ; tel un loup de la meute soumis à son alpha j'étais soumis à mon Roi.

Je ne savais pas s'ils pouvaient réellement comprendre ce sentiment, mais puisqu'on m'avait posé une question j'allais y répondre, cependant ce fut Esteban qui prit la parole. Il reprocha, amicalement, sa question à Borick mais fit ensuite part de sa curiosité quand à ma réponse. Je souris et déclarai donc :

"Pour dire vrai, il y a un an de cela je ne connaissais pas même le nom de Sa Majesté. Je n'avais jamais entendu parler de lui. J'ai pour seule excuse d'avoir été complètement isolé du reste du monde pendant de longues années. Lorsque des émissaires sont venus à ma rencontre, je les ai suivis jusqu'ici espérant trouver de quoi me changer de ma monotonie. J'ai rencontré le Roi et lui ai juré fidélité. Je ne me l'explique pas, cela m'a semblé une évidence : j'étais las de la solitude et de l'ennui, rencontrer quelqu'un qui avait un tant soit peu besoin de moi m'a convaincu."

Il était possible que cette réponse ne leur suffise pas, toutefois c'était assez proche de la vérité : le reste était trop personnel, je préférais ne pas leur parler de l'Autre pour l'instant. Pour tenter de couper court à toute interrogation supplémentaire sur ce point, j'ajoutais :

"Mais avons-nous réellement besoin de motivation autre que la loyauté pour servir Sa Seigneurie ?"

Je me doutais que c'était loin d'être le cas pour tous les Arrancars au service du Roi, mais il m'était intéressant de savoir ce qu'il en était pour eux deux, et ce par pure curiosité. Mais allaient-ils me répondre sincèrement ? Après tout j'avais moi-même omis quelques détails…