Les merveilleux quartiers de la Quinta[Dark]

— Eeeehhh… Pourquoi j’ai pas de trône moi aussi?

Quelle déception de constater que ses quartiers ne ressemblaient en rien à ceux du Rey, dont elle venait tout juste de quitter après l’heureuse nouvelle. Les deux immenses portes qui s’ouvraient vers la salle principale appartenant à la jeune Espada semblaient de bonnes augures, annonçant probablement la richesse que détenait ses quartiers. En quelques pas seulement, la Quinta avait réussi à visualiser l’ensemble du tableau, qui se constituait de soyeux tissus, d’un grand lit douillet au triple matelas, de tapis faits en peau d’humain, mais surtout, d’un immense trône où reposer sa galante silhouette. Niet. Il suffit d’un simple coup d’œil pour compléter la visite de cette petite salle ringarde; rien des éléments qu’elle avait espérés ne faisait partie du pauvre mobilier présent. Rien, hormis peut-être son trône, décrit en quelques mots par : une chaise d’un bois immaculé. Contrariée, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer que personne n’allait être témoin de cette pittoresque scène, celle de l’arrivée de la grande et puissante Espada cinq dans ses moches quartiers. Elle osa un pas, provoquant l’écho de sa botte sur le plancher ciré, qui alla se répercuter sur quatre murs nus de tout ornement. Ça ne pouvait être pire. Refermant avec soins l’accès à son aile, elle alla poser son royal fessier sur l’unique meuble disponible, acculé contre le mur du fond. Cette position lui permettait au moins de contempler l’endroit; quelle vue, vraiment! La décoration était d’une délicieuse sobriété; les murs, blancs n’affichaient aucun tableau ou quelconque fioriture. Le sol, blanc encore, était au moins d’une propreté sidérante. Le plafond… Pas besoin de s’attarder sur le plafond. S’il pouvait y avoir une fenêtre, au moins…

Un soupir s'échappa de ses lèvres, suivi d’un long bâillement. Lasse, ses mimiques indiquaient pleinement sa maigre satisfaction des lieux, bien que rien ne puisse annihiler entièrement sa bonne humeur née de cette fortuite promotion. Après toutes ces années à errer par-ci par-là, elle avait su attirer l’attention du nouveau Rey, qui avait sûrement été tant impressionné par son évolution qu’il n’avait pu s’empêcher de la supplier à rejoindre ses troupes. C’était normal, après tout, elle était née à intégrer l’élite. Ce Grimmjow, même si elle l’avait toujours détestée alors qu’il faisait partie des chiens d’Aizen, était désormais devenu son supérieur. Malgré l’aversion qu’elle nourrissait à son égard, elle était bien consciente de l’opportunité et apprendrait à le respecter. Pour une fois qu’elle avait de la valeur aux yeux de quelqu’un, il était hors de question de gâcher une telle fortune. Toutefois, pour mériter le respect dû à son grade, Il fallait d’ores et déjà que les gens apprennent sa promotion et la craigne. Elle devait donc se montrer sérieuse, menaçante et responsable. Tout le contraire de sa personnalité, à vrai dire. Peu importe, elle ferait les efforts nécessaires pour conserver son titre. Sa présence ne passera pas inaperçu, elle se le promit. Il ne fallait d’ailleurs pas oublier le fameux chiffre qui venait avec le grade; l’encre indélébile incrustée dans la chair de sa main, sur le dessus, dessinait les contours du chiffre cinq, curieusement devenu son chiffre préféré depuis aujourd’hui. Personne ne pouvait le manquer. Tout le monde apprendrait son existence!

Pour fêter dans la plus alarmante solitude sa nomination à un des titres les plus convoités de la place, Lili glissa une main assurée sous sa blouse, par la mince ouverture entre deux boutons, pour y prendre sa friandise préférée. Le bonbon rouge et rond d’une taille assez importante était celui pour les occasions spéciales. Elle le déboucha et le coinça entre ses dents, tout en jetant l’emballage à ses côtés. « Décorons un peu l’endroit avec mes déchets… » Au même instant, l’immense porte en face d’elle se mit à grincer, signe évident qu’on voulait y pénétrer. Sûrement était-ce le serviteur dont parlait le Rey qui allait répondre à ses moindres demandes. Sans même lui laisser le temps d’apparaître, elle s’exprima avec empressement, étudiant en même temps la santé de ses ongles :

— Ah, enfin te voilà, microbe! Tu tombes bien. J’espère que t’as de quoi prendre note, y’a beaucoup de chose à modifier dans cette place. Je sais pas si l’ancien qui occupait l’endroit était du genre à se modérer dans les achats, mais moi pas.

Dark passa les doigts sur le dos de sa main gauche. Celle-ci était désormais frappé du numéro qui lui revenait de droit. Celui du Primera Espada. Le tatouage gravé dans son dos n'était plus. Il avait été remplacé par celui-ci après la disparition de Fou-Lu. Que l'ex-Quincy briguait depuis longtemps cette place n'était pas un secret car elle lui avait toujours appartenu. Tout ce dont il était coupable, c'était d'avoir rappelé au Shen Di que ce qu'il avait donné, il pouvait également le reprendre. Le Dragon Blanc n'avait jamais voulu le croire. Peut-être y serait-il plus disposé à présent qu'il le lui avait démontré. Quel dommage qu'il ne soit plus en état de le faire ! Revenu à la tête de l'Espada, il avait jugé bon de mettre en avant le symbole de sa position de manière à ce que nul ne puisse plus jamais l'oublier. Il n'y en avait qu'un à être au-dessus des autres et c'était lui. Il n'y avait pas de compromis.

La douleur au dos de sa main avait eu tôt fait de se dissiper après qu'il se soit enfin emparé de ce numéro tant convoité mais celle qui lui courait le long du dos durerait probablement toute la matinée. Son hierro n'était certes pas le plus solide qui soit, mais n'aurait point dû être affecté pour si peu. Plus qu'une réelle souffrance c'était plutôt l'absence de ce qui s'y trouvait autrefois qui causait ce tiraillement. Même si ce n'était en rien le reflet de la vérité, il était connu comme le numéro deux. Et aujourd'hui, ce n'était plus le cas. Il allait enfin montrer à la face du monde quelle était sa véritable place. Et il ne savait qu'en penser. Cette nouvelle situation allait-elle le changer ? Il devait avouer ne jamais s'être posé la question.

Même s'il avait toujours considéré qu'il était seul à pouvoir y prétendre, pas une seule fois il ne s'était demandé ce que cela allait impliquer lorsque ce serait devenu une réalité. Pour l'assumer, sans doute lui faudrait-il évoluer mais jusqu'où lui faudrait-il aller ? Allait-il vraiment rester lui-même ou ne pouvait-il guère plus que l'espérer ? Ce genre de question était celui qui avait le plus de chance de lui donner la migraine. Il préféra le négliger pour le moment, tout en se disant que le soir venu il serait toujours temps. Même s'il savait d'avance qu'il ne serait pas plus avancé après quelques heures passées, cela lui permettait même rien qu'un instant de s'en débarrasser. Il avait mieux à faire dans l'immédiat, à commencer par le passage en revue de ses troupes et de leur état.

Ce ne serait pas de tout repos. Borick excepté, il n'avait eu que très peu de contacts avec cette nouvelle Espada. Nonobstant celui-ci une fois encore, la défection de Fou-Lu lui avait permis de trancher les derniers liens qui l'unissaient au passé. Il n'y aurait désormais plus personne pour lui rappeler quel faible il avait été, mais il n'y avait plus personne non plus pour le couvrir sans qu'il ne leur impose à grands renforts d'autorité. Il ne connaissait plus personne, et même son alter ego n'avait pas été en mesure de le renseigner sur plusieurs d'entre eux. Compte tenu de son récent retour, il n'y avait rien d'étonnant à cela. Le Primera devrait se débrouiller seul sur ce coup-là. C'est ce qui l'avait amené à pousser la porte de la Quinta nouvellement nommée ne l'ayant jusqu'alors jamais rencontrée. Dès avant qu'il ait pu franchir le seuil lui parvint une voix haut perchée.

Le contenu de ses paroles suffit amplement à faire rejaillir quantité de ses idées malsaines et avec elles l'envie de les mettre en application. Jamais même quand il était au plus bas il n'avait admis qu'on lui parle sur ce ton et cela n'allait certainement pas commencer alors qu'il avait enfin obtenu ce titre tant attendu. La porte qu'il avait initialement prévu d'ouvrir à la main le fut finalement d'un coup de pied qui manqua de la faire sauter de ses gonds. Dans la seconde qui suivit, un Cero s'abattit sur le mur le plus proche, le ravageant sur toute sa surface jusqu'à ce qu'il n'en reste que des ruines. Puis, du nuage de fumée qui en avait jailli émergea l'auteur de cette destruction gratuite.
— Microbe, hein ? répéta-t-il d'un ton détaché.
La main tatouée rangée au fond de sa poche, il ne laissait rien paraître de son mécontentement, impassible. Intérieurement, ce n'était certes pas le cas, mais il ne tenait pas à le lui faire savoir. Pas maintenant. Pas avant de lui avoir donné la leçon de modestie qu'elle mérite. De sa main libre, il porta une cigarette à ses lèvres et l'embrasa en toute sérénité, son calme étant tel qu'on aurait pu croire qu'il n'avait pas remarqué ce qui venait de se passer. Elle ne pouvait pas savoir que Dark était semblable à une catastrophe naturelle, et que le voir vêtu de ce calme exacerbé n'était rien de moins que le calme avant la tempête. Mais pourrait-elle la surmonter ? Ce serait à lui seul d'en décider. Sa pression spirituelle qui jusqu'alors était restée presque insignifiante monta en épingle jusqu'à en devenir étouffante et emplit la pièce de fond en comble. Il posa le pied sur un tas de gravats et y prit appui.
— Et pour le droit de rester en vie, combien tu serais prête à donner ?

Lili a littéralement bondi de sa chaise, brusquement extirpée de son délicat examen des doigts de la main. Elle qui croyait que le larbin allait traverser tranquillement le seuil et venir s’agenouiller face à son supérieur, jamais elle n’aurait cru que celui-ci était en droit d’agir de la sorte à l’égard de son Espada. Si tel était le cas, alors les usages et la coutume avaient bien changé, depuis sa dernière venue. Alertée, elle eut tout juste le temps de se redresser sur son petit trône qu’elle vit partir, venue de nulle part, une attaque chargée d’énergie spirituelle qui fit trembler les fondations de tout le palais. Avant l’impact, elle eut le réflexe de protéger son visage de ses bras, croyant être la cible de cet assaut. Quelle veine qu’il l’ait manqué, cette mince protection ne lui aurait pas épargné la mort si l’intrus avait réussi à faire feu sur elle! Un vacarme immense résonna dans Las Noches à l’impact de la sphère d’énergie au même moment que la terre sous ses pieds émis de légers tremblements. À coup sûr, elle y aurait passé s’il avait fait mouche. « Par chance qu’il sait pas viser, c’t’enfoiré. » Bien sûr, elle ignorait que de faire atteinte à sa vie ne représentait pas le tout premier objectif du sibyllin personnage.

Comme si le temps s’était arrêté, ce fut les yeux énormes et la bouche entre-ouverte qu’elle observait les dégâts de cette entrée tapageuse; ce serviteur avait bien du culot. Malgré la poussière que souleva cette offensive inattendue, elle put constater l’ampleur de la rénovation; le mur qui séparait sa pièce au couloir adjacent venait de disparaître, désagrégé sous la puissance du Cero. Quelques décombres vinrent rouler jusqu’aux pieds de la Quinta, qui avait encore bien du mal à en croire les événements. Toujours figée dans une expression de surprise, elle tourna machinalement la tête vers la source de tout ce chahut. De ce léger mouvement, sa sucette alla choir sur le sol, ce qui ne la fit nullement réagir. « Le microbe a vraiment détruit mon mur? » Elle avait bien de peine à y croire, la malheureuse. Encore fut-elle davantage sidérée lorsqu’elle dénota l’impassibilité de son interlocuteur qui avançait, tout peinard, comme s’il ne s’était rien passé. « Et ce microbe s’est offusqué parce que je l’ai appelé microbe… Woa… De nos jours, les gens s’enflamment pour un rien. » Quelques secondes s’écoulèrent dans un bref silence que Lili vint briser en articulant d’une voix consternée :

— Non mais… t’es malade…

Commentaire laconique, mais qui traduisait dans la perfection toute la stupéfaction qui l’avait figée sur place. L’homme qu’elle croyait toujours être le larbin envoyé par le Rey, poursuivit après avoir savouré une bouffée de sa cigarette. Non pas que les paroles ne surent trouver chemin jusqu’à ses oreilles, mais Lili ne pipa mot. Elle était plutôt concentrée sur la lourdeur soudaine de l’atmosphère, comprenant l’ampleur de la situation en remarquant ce brusque changement. Le reiatsu émanant de son « invité » venait troubler le confort de la Quinta, qui allait répondre d’un ton cinglant lorsqu’une petite voix, faible et hésitante, surgit des décombres :

— Señora Espada? Mi reina Espada?

Dans la nouvelle entrée construite par les soins de son invité, une petite tête jaillissait des décombres. Toujours redressée sur sa misérable chaise, cette interruption fut loin d’être bien accueillie par la jeune promue, qui darda ce spectateur clandestin d’un regard mauvais, enragé… Constatant sans tarder l’humeur de sa supérieure, il préféra déguerpir sans attendre son reste, espérant que le Rey n’y apprenne pas l’échec de sa mission ici. Il reviendrait une fois l’escarmouche terminée. Sans retourner à son hôte, Lili plissa des yeux, comme si elle venait de comprendre quelque chose. Maintenant qu’elle y repensait, peut-être avait-elle prit par mégarde son invité pour le larbin que Grimmjow avait promis de lui envoyer. Cela expliquerait aussi la réaction de l’Arrancar à son joli sobriquet, autant que cette hypothèse clarifiait certaines choses à l’égard de cette puissance de frappe, sans oublier cette énergie spirituelle pesant de plus en plus sur les épaules de Lili, qui conservait néanmoins une posture exemplaire… Il fallait maintenant calmer les braises. Elle se rassit convenablement sur son trône de fortune, le dos bien appuyé et empruntant une allure plus-ou-moins confortable (à cause du reiatsu un peu trop étouffant à son goût), pour en revenir à son hôte. Un sourire amusé vint éclairer son air autrefois stupéfait;

— Et pour me tuer, combien tu es prêt à payer?

Le Rey ne serait pas content d’apprendre qu’on a éliminé sa toute nouvelle Quinta pour une broutille, tu penses pas? Une erreur, ça arrive à tout le monde, non? Sinon, y’a bien trois autres murs encore debout si l’envie te prend de te défouler à nouveau.

Oui, trois beaux murs sur quoi libérer sa colère, tant qu’elle ne soit pas au cœur de ces assauts. De toute évidence, il avait absolument tout démoli de ses quartiers; il ne pouvait y avoir pire. Elle allait devoir se remettre à la décoration, ou sinon, tout simplement changer d’aile, ce qui ne lui ferait pas de tort. Peut-être trouverait-elle mieux. Sans quitter du regard l’individu, sa main plongea une fois encore sous sa blouse blanche pour y saisir un second bonbon, depuis que son précédent venait de perdre tout attrait une fois couvert de poussière. Elle le déballa en silence, l’inséra dans sa bouche et jeta de nouveau son emballage sur le sol, parfaitement décoré désormais. Elle se croisa la jambe et regarda son interlocuteur, cette fois-ci avec moins d’hargne :

— T’en fais pas pour la réno’, ces quartiers en avaient largement besoin…

Han Lili, Quinta Espada. À qui ai-je l’honneur?

Elle allait mettre carte sur table, espérant en son for intérieur qu'il calme un peu sa spiritualité, car elle commençait sérieusement à en avoir marre de cette atmosphère étouffante.

La cigarette qu'il venait d'allumer lui permit de se détendre et de réfléchir à ses actes. Certes il en avait été soulagé, mais de tels accès de colère ne sauraient dorénavant plus être tolérés. En tant que Primera Espada, il devait faire honneur à son rang. Aussi était-il préférable de penser que ce n'était là qu'un coup d'essai qu'il allait vite rattraper. À moins qu'il voie ceci comme une ultime folie avant que ce soit officiel. Entre les deux, mon cœur balance. se dit-il non sans une touche d'ironie, sachant pertinemment que la vie d'une femme était en jeu. Car pour peu qu'il ne maîtrise pas sa force, la Quinta Espada serait tuée. Il n'était pas permis d'en douter. C'était d'autant plus vrai qu'il débordait d'énergie. Comment aurait-il pu en être autrement, à présent que l'on était enfin forcé de reconnaître sa supériorité ? Oui, il s'était contenté de reprendre ce qu'il avait donné, mais ce serait mentir que de dire qu'il ne pouvait s'en réjouir.

Avec ceci ainsi que l'ascension de Borick à la sixième place, la vérité était sur le point d'être révélée. L'Espada serait à nouveau à la hauteur de sa réputation d'ici peu de temps, à moins que ceux venant de l'intégrer n'aillent à contre-courant. C'était ce qui avait motivé sa visite dans ses appartements - et ce au plus mauvais moment. Car maintenant qu'il en exerçait le commandement, veiller à lui rendre ses lettres de noblesse était le plus important. À la vérité, il en avait même fait sa plus grande priorité. Il n'avait d'autre objectif que d'inspirer à nouveau la peur dans les esprits des Shinigami, celle qu'ils avaient ressenti quand ils avaient entendu le nom de l'Espada pour la toute première fois.

Celle d'une unité d'élite capable d'anéantir chacun de leurs capitaines. Vaste blague que cela, mais il était temps d'y remédier. Mais pour avoir constaté de ses propres yeux la fatuité des dernières recrues Dark estimait n'avoir que trop attendu pour procéder à quelques vérifications – fussent-elles mortelles pour ceux qui devaient échouer. Au sein des dix plus grands n'existait nulle place pour les perdants. S'ils n'étaient pas à la hauteur de leurs prétentions, c'était qu'ils n'étaient pas non plus à la hauteur de ses ambitions. Et s'ils ne pouvaient les servir avec loyauté, être écartés était le mieux qu'ils puissent espérer, car ils se devraient de les réaliser et Dieu seul sait qu'elles étaient démesurées.
— Je vais ignorer cette remarque, mais je te déconseille de recommencer.
Au moins était-elle clairement prévenue qu'il ne valait pas l'énerver. Il doutait fort que ce petit échantillon ait suffi à l'éclairer sur son infériorité mais elle savait désormais n'être point à l'abri du danger. Cela devrait suffire à dissiper sa vanité, au moins pour un temps. Le cas échéant, et bien, elle n'aurait qu'à s'en mordre les doigts. Le trône sur lequel elle venait de se vautrer était d'ailleurs la meilleure preuve qu'elle puisse en donner. Et à vrai dire cela suffit à l'irriter. Car s'il avait lui-même laissé intact celui de Fou-Lu en guise de trophée, il ne pouvait permettre à celui de la Quinta d'exister. Dans les cieux ne brille qu'un soleil, sur terre ne règne qu'un roi. Et à ce sujet, il y en aurait un autre qu'il lui faudrait briser. Mais chaque chose en son temps.

Une bala fusa du bout de ses doigts pour vaporiser un pan du dossier.

Il s'en était fallu de peu qu'une mèche de cheveux ne lui soit elle aussi arrachée. Bien que ce qu'il aurait le plus volontiers anéanti soit sans aucun doute cette insolente fierté. Un léger sourire étira le coin de ses lèvres lorsqu'il inhala une grande bouffée de fumée pour mieux la recracher, ayant aussitôt compris que nul n'avait pris la peine de l'éduquer. À vrai dire il n'aurait su dire s'il devait en rire ou en pleurer, mais nul doute qu'il serait bientôt fixé. Et pour l'heure le sort qu'il envisageait de lui réserver n'était guère enviable il fallait bien l'avouer. Un léger craquement s'échappa de ses phalanges, comme pour lui signifier qu'il ne faisait que plaisanter. Toutefois, si par malheur elle s'obstinait dans l'erreur, il ne serait plus question de s'échauffer.
— Je vois qu'on t'a mal informée. Les duels entre Espada sont monnaie courante et il n'est pas rare qu'ils entraînent la mort. Si tu étais tombée sur plus mal intentionné, le simple fait de l'ignorer aurait suffi à te condamner.
Ça fait relativiser, pas vrai ? faillit-il ajouter, mais il lui laissa le soin de se faire elle-même la réflexion. Si elle n'était pas capable d'y songer par ses propres moyens, son cas n'en serait que plus désespéré. Ainsi lui laissait-il une chance de se rattraper, conscient qu'il pouvait avoir tendance à s'y prendre trop en avance. Sa main frémit au creux de la poche qu'elle n'avait pas encore quitté lorsqu'elle affecta de se présenter, mais le moment n'était pas encore venu de se démasquer. Ce petit jeu ne faisait que commencer, et autant qu'il le pouvait il le ferait durer. Il n'aurait sans doute que rarement l'occasion d'échapper à tout ce que ce grade pouvait signifier et celle-ci pouvant aussi bien être la dernière, il ne la laisserait pas passer. Avec un geste d'une rare élégance il repoussa une mèche gênante derrière son oreille, ce qui laissa dénoter chez lui une certaine noblesse.

Le long du cartilage pouvaient se voir de nombreux piercings, en réalité ultimes fragments d'un masque brisé. Sa pression spirituelle explosa littéralement un court instant pour ensuite mieux se dissiper, elle et les ondes macabres du Requiem qu'elle avait entonné. Cela pouvait attendre aussi longtemps qu'il serait d'humeur à lui laisser une dernière chance. Et s'il continuait à ainsi l'accabler elle ne serait sans doute pas à même d'en profiter. Le résultat ne différerait pas tant, il aurait pu en jurer, mais lui accorder le bénéfice du doute était le mieux qu'il puisse lui donner en guise de cadeau d'adieu. Bien que revenue à une taille plus modeste, sa pression spirituelle demeurait bien présente et prête à se déployer à nouveau en cas de besoin, quand bien même il n'était plus question de sa morbide fascination. Imperceptiblement, son sourire s'élargit.
— Mon nom est Dark Ezeckiel. Tu ne sais même pas ça et tu te prétends Espada ? Te tuer maintenant me ferait gagner du temps et serait une preuve de bonté. Donne-moi une seule raison de t'épargner, toi qui n'es qu'une vulgaire enfant voulant jouer dans la cour des grands.

Ça ne lui avait pas suffi… Évidemment. Lili aurait dû se douter que cet Arrancar en mal d’éloges était à court de mobilier chez lui. Il avait dû exploser l’entièreté de ses quartiers afin de prouver qu’il avait la plus grosse. Si elle devait admettre qu’il avait une réserve de reiatsu impressionnante, elle n’était néanmoins pas ravie de constater qu’il en faisait usage pour alourdir l’atmosphère ou pour refaire la décoration. La rencontre avec cette grosse pointure avait certes débuté sur une mauvaise note, mais il n’était guère nécessaire d’envenimer la situation en agissant de la sorte. N’ayant pas encore atteint le point de non-retour, il était encore plausible pour ces deux de s’embrasser chaleureusement pour excuser les torts de l’un ou l’autre. Bombarder le peu que Lili possédait était loin d’être une bonne façon pour réparer les pots cassés. Il était évident qu’il se balançait de l’honnêteté et du respect dont elle avait témoigné quelques secondes plus tôt en espérant calmer les ardeurs de ce chien enragé. Par ailleurs, son manque de tenue avait failli coûter une chute humiliante à la pauvre enfant, dont le dossier avait disparu au moment même où elle s’apprêtait à s’y accoter. De ce fait, la plus majestueuse pirouette lui permit de retrouver un équilibre précaire sur cette chaise transformée en un piètre tabouret. Qu’importe, elle n’en avait plus besoin et elle le prouva en se levant sur ses deux jambes, espérant dépasser son interlocuteur pour l’intimider de sa grandeur. Intention quelque peu ratée, puisqu’elle constata qu’il ne lui en manquait pas gros; « pas gros » étant pour elle égal à une ou deux têtes supplémentaires.

Et tandis qu’elle reprenait son aise sur son trône de fortune en constatant que sa grandeur n’avait pas l’effet escompté, il continuait de parler. Blablabla. C’était tout ce dont elle entendait pour le moment, guère intéressée à se concentrer sur les paroles acerbes de son invité-surprise. Il se pensait tout permis en tant qu’Espada… Tiens, d’ailleurs, ce mot sut attirer son attention. Ainsi était-il de l’élite lui aussi. Il ne s’agissait pas de la révélation de l’année, puisque ses capacités lui avaient offert de bonnes pistes, mais il demeurait qu’il en confirmait les hypothèses. Une mine curieuse prit place au cœur de ce faciès juvénile, tandis que son insatiable intérêt la poussa à bouger ses fesses pour faire le tour du personnage, en quête du fameux tatouage. Cette courte promenade lui permit de se dégourdir les jambes, chose dont elle avait énormément besoin vu l’état atmosphérique inchangé. Son bref examen, suffisamment subtil pour ce qu’il en était, se révéla vain, et ainsi décida-t-elle de se poster une fois pour toutes en face de lui, tandis qu’il terminait les présentations. « Dark Ezeckiel. Voilà un nom qui lui sied à merveille! » Néanmoins, le reste de son dialogue la fit sourire, avant de lui tirer un rire niais qui se répercuta en écho dans la pièce vide. Il était amusant. Une main sur la hanche, l’autre tenant sa sucette qu’elle pointait nonchalamment vers Ezeckiel, elle ne sut retenir une ou deux taquineries, point effrayée par les menaces :

— Toi? Me tuer? Et pour quoi faire? Ce serait du gros gaspillage, non? Je suis mignonne, je suis forte et je suis amusante. On a beaucoup de points en commun, tu trouves pas? On pourrait faire mieux que s’assassiner l’un l’autre. Si tu vois ce que je veux dire…

Si elle ne se laissait guère aller à ces pertes de temps, ces aguichantes paroles n’avaient été dites que parce qu’elle était persuadée qu’il ne mordrait pas à l’hameçon. Elle se serait risquée à provoquer le pire des imbéciles que celui-ci aurait sauté sur cette opportunité pour y gagner un rencard. Qu’importe, elle s’attendait à ce qu’il se fasse violence. Il devait être aussi coincé qu’un puceau, aussi le prouvera-t-il en la bombardant d’une nuée de Cero, ou en l’effrayant avec d’indélicates paroles. Ça dissimulerait efficacement son inconfort. Munie d’un sourire en coin, elle profita de cette courte distance qui les séparait pour mordiller sa lèvre inférieure et hausser les sourcils, combinaison de mimiques qui ne pouvaient mener qu’à un seul verdict. Puis sans s’inquiéter davantage, elle remit son bonbon dans sa bouche et s’éloigna de quelques pas par prudence. La réplique qui suivit fut pleine de sous-entendus, mais elle ne s’y attarda pas davantage :

— Et si t’es pas intéressé par les femmes, tu pourrais aussi arrêter de faire le fier et le méchant loup pour qu’on puisse discuter calmement. T'es sûrement pas venu ici pour m'étouffer avec ton ego. Alors, c’est quoi ton chiffre?

Des choses en commun, hein... Cette remarque le fit sourire intérieurement. Que savait-elle de lui pour prétendre lui ressembler ? Presque rien, et c'était déjà beaucoup dire. En premier lieu, être amusant était la dernière de ses préoccupations. La seule personne qu'il entendait divertir n'était autre que lui-même. Ce n'était que la première erreur d'une longue liste, car la nouvelle venue ne pouvait qu'imaginer qui il était. Et sans doute ses estimations étaient-elles loin de la réalité, si elle croyait encore pouvoir marchander. La voir se débattre lui conférait le sentiment de lui avoir déjà la tête sous l'eau et de refuser de l'en relever. Il en fallait peu pour l'acculer et qu'elle ait si peu tardé à tenter de négocier prouvait bien qu'elle ne faisait pas grand cas de sa fierté. Des gens comme cela, il devait bien en falloir même au sein de l'Espada mais c'était une variété qu'il avait toujours eu grande peine à tolérer.

Le Primera fut pourtant partisan de n'en rien montrer, au moins jusqu'à ce que la partie se soit terminée. Ce qu'il lui laissait voir n'était qu'une façade : s'il était certes adepte de la brutalité, il avait toujours été plus réfléchi qu'il ne voulait bien le montrer. Et il n'était que temps de se servir de cela à son avantage après toutes ces années passées à feindre et celer. Après tout, le maître-mot était apparence ; qui aurait cru à le voir que sa force prenne toute son ampleur en situation de combat rapproché ? Athlétique sans être particulièrement musclé, il se faisait plus aisément passer pour un féru de rapidité. Et si celle-ci n'était pas plus à négliger, on ne pouvait s'attendre à ce que ce soit en fondant sur son adversaire qu'elle trouve son utilité. Quantité de ceux qu'il avait affronté avaient perdu la vie sur ce jugement erroné. À elle de ne point faire la même erreur si elle ne voulait pas aller les rejoindre sans plus tarder...
— Forte, ça reste à prouver. Amusante, pas au sens où t'as l'air de le penser. Mignonne... Ce serait pas plutôt à moi d'en juger ? Évite de me provoquer si tu ne veux pas en plus finir en cendrier.
La cigarette qui se consumait entre ses lèvres se mit à rougeoyer. Les cendres qui en chutèrent suite à son propos semblaient l'appuyer. Quelle que soit sa vacuité, le Hueco Mundo aurait tout de même pu se munir de cendriers. À défaut d'en posséder, Dark les éteignait sur la première surface qui se présentait – fréquemment le crâne d'un subordonné. Il était grand seigneur cela dit, et se contentait le plus souvent de souiller leur fragment de masque pour peu que celui-ci soit apparent. Dans le cas contraire, et bien, ils ne pouvaient que s'en prendre à eux-même du fait que le leur n'ait pas été plus évident. En outre, la plupart des Arrancars étant tout à fait en mesure de se régénérer, ce n'était pas pour une petite brûlure de rien du tout qu'ils allaient se révolter – du moins pas devant lui, tremblant d'avance à l'idée du sort qui les attendrait s'ils le faisaient.

Lili avait mal choisi la cible de ses moqueries. Avoir Naezka pour Fraccion et avec elle ses plus grivoises et lascives habitudes l'avait définitivement immunisé contre toute forme de lubricité. Non pas qu'il n'y porte plus le moindre intérêt, mais son esprit avait banalisé le sujet de sorte qu'il n'était plus possible de l'utiliser contre lui pour le troubler en aucune façon. Tout au mieux en fut-il blasé, quand bien même il s'efforça une fois de plus de n'en rien montrer. Pour autant, il ne poussa pas le vice à feindre d'en être déstabilisé. Le sourcil qu'il avait relevé en l'écoutant était le summum de ce qu'elle pouvait espérer. Qu'il fonde sur elle comme une ombre n'en fut que plus inopiné. Saisissant vivement sa mâchoire d'une main plus ferme qu'elle n'aurait pu le supposer, il l'obligea à relever la tête pour mieux la regarder.
T'es pas mal, c'est vrai... Mais c'est pas pour autant que ça vaut le coup de t'épargner. Si c'était une raison suffisante, ça se saurait et y'aurait moitié moins d'Arrancars à avoir été enterrés. Tout dépend de ce que t'as à me proposer...
Son second bras vint ceindre son abdomen pour qu'elle ne puisse s'échapper, lui donnant ainsi une vague idée du paroxysme de la force physique qu'il pouvait exercer. Sa prise raffermie, il ne la relâcha enfin qu'après de longues secondes d'un minutieux examen qu'elle n'avait pu que subir plaquée contre ce corps masculin. Se retrouverait-elle prise à son propre jeu ? Dark se le demandait, mine de rien. Avant qu'elle n'ait pu s'éloigner, il expira une bouffée de fumée dans le seul but de la lui infliger alors qu'il replongeait les mains dans ses poches avec vivacité. Il n'avait aucunement l'intention de tisser avec elle le moindre lien d'amitié, sinon de manière fictive pour mieux la soumettre à sa volonté. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que si elle avait conscience du fait qu'il occupait une position plus élevée, elle chercherait par tous les moyens à l'exploiter et que son attitude en serait d'autant modifiée. Pour lui qui prisait par-dessus tout l'authenticité, il n'y avait pas de meilleur prétexte pour s'en défier...
— Qu'est-ce qui te fait croire que j'en ai un ? eut-il le culot de demander. J'ai aucune envie de me faire tatouer.
Pour peu qu'elle morde à l'hameçon, même s'il était permis d'en douer, sa confiance en elle en serait sévèrement ébranlée – ce qui ne serait point pour la desservir, il fallait bien l'avouer. Une telle attitude, si elle était appelée à rester inchangée, ne pourrait que prématurément la jeter dans la tombe qu'elle aurait elle-même creusé. Et ce qu'il condescende ou non à y participer. Il finit donc par s'en écarter, moins par prudence que pour mieux observer les effets qu'aurait eu sur elle cette fugace proximité. Elle avait tenté de le faire tomber sous son charme et en avait été dûment récompensée, elle saurait désormais qu'il n'était pas si facile de faire tomber Dark dans ses filets... Mais si elle se donnait du mal, peut-être consentirait-il à la laisser l'imaginer.

[°° Priorité aux topics du HM !]

Que de vivacité dans le pas audacieux de l’Espada. La surprise devint le temps d’une brève seconde l’émotion maîtresse de son visage, tandis qu’une futile exclamation s’échappa de ses lèvres afin d’en traduire ladite stupeur du moment. Au même instant que Dark enfermait de sa ferme poigne la mâchoire de la Quinta, quelque chose venait de frapper mollement le sol, sans que personne n’en remarque l’inattendue chute. Il s’agissait de sa précieuse sucette, la dernière de sa collection qu’elle léchait avec gourmandise depuis le tout début de cette rencontre en guise de cadeau à sa promotion inopinée. La friandise avait su trouver une échappatoire à la solide prise des lèvres rosées de la Vasto Lorde, lorsque celles-ci s’étaient ouvertes spontanément. Alors qu’elle avait été le principal objet des convoitises de Lili de par sa taille et son goût, elle avait désormais perdu tout attrait aux yeux de cette dernière, dont l’attention était entièrement rivée sur l’homme en face d’elle. Et si on put lire pendant une fraction de seconde la présence d’une faible lueur au creux de son regard bleu d’azur, la peur qu’elle traduisait disparut l’instant d’après, lorsqu’elle constata avec un soulagement dissimulé que ses gestes menaçants n’étaient point le reflet de ses sombres paroles. La crainte d’avoir la mâchoire fracturée par la force surhumaine de son invité avait ébranlé durant un laps court de temps la demoiselle, qui en perdit temporairement ses moyens.

D’une brutalité propre à son caractère, son bras vint ceindre sa taille afin de la plaquer de force contre lui, tel un aimant attirant son opposé sans lui laisser l’opportunité de défier son attraction. À l’image de deux valseurs sur le point d’entamer une dance, elle n’opposa absolument aucune réticence à ce semblant d’accolade. La proximité de leurs visages créait une certaine intimité qui amusa la Quinta, dont le faciès était scindé par un large sourire teinté d’arrogance. Elle commençait à percevoir un certain charme à celui qui n’avait de cesse de se montrer froid. Dans un chuchotement suffisant pour que le mystérieux personnage entende, elle lui transmit une courte remarque, toujours avec un amusement qui altérait le sérieux de la situation : « Quelle force. C’que tu peux être impressionnant parfois. » Puis elle le laissa procéder à son analyse, sans s’en montrer offusquée. Bien que l’examen aurait probablement offert de meilleurs résultats sans cette distance anéantie par les initiatives de son hôte, elle en profita pour bomber subtilement la poitrine, non seulement dans l’espoir qu’il abandonne le détachement qu’elle croyait feint, mais pour appuyer ses précédents dires, comme quoi elle n’était pas mal du tout. Puis avant qu’il ne la libère de son emprise, elle répondit à son dernier dialogue qui invitait Lili à lui vendre le meilleur de ce qu’elle possédait :

— Ce que j’ai à te proposer? Je suis arrivée sans bagages, je n’ai aucun bien, hormis ces appartements que tu as décidé de saccager. Alors tout ce qu’il me reste, tu le tiens dans tes bras.

Une dernière provocation, pour la forme. De toute évidence, elle n’avait guère besoin de lui proposer quoi que ce soit, puisqu’il semblait agir à sa guise, qu’on l’ait invité ou non à faire ainsi. Par la force, il s’emparait de tout, et sa position loin d’être très confortable tant son maigre gabarit était broyé entre son torse et son bras en témoignait largement. Qu’importe, elle ne laissait guère paraitre son inconfort ou son insatisfaction. Pour marquer ses paroles, elle claqua sa mâchoire dans le vide à quelques centimètres de son visage. Le geste, silencieux et intense à la fois, venait de lui transmettre ses dernières pensées cocasses : elle le croquerait volontiers. En guise de réponse, elle reçut l'âcre fumée en plein visage, ce qui lui tira quelques toussotements, en plus d'une mine dégoutée.

C’est une fois les distances reprises que Lili retrouva ses airs puérils. Il ne fallait pas non plus trop jouer la carte de la femme en quête de relations palpitantes, car elle risquait de perdre plus que sa fierté. Échanger avec cet inconnu se résumait à jouer avec une bombe, puisqu’elle se doutait bien que la moindre décision irréfléchie pourrait provoquer son explosion. En aucun cas elle ne voulait se retrouver confrontée à cet être de puissance, car même s’il s’obstinait à ne rien divulguer de sa personne, il demeurait qu’elle n’était pas dupe et qu’elle soupçonnait un chiffre bien supérieur au sien. C’était en partie pour cette raison qu’elle tentait de le travailler lentement, en toute discrétion, notamment en n’ayant pas recours à son répertoire d’insultes dont elle avait coutume d’utiliser si on lui déplaisait. De toute évidence, il ne la connaissait pas; si elle pouvait se montrer enjôleuse sans qu’il ne puisse se douter de rien, alors elle en ressortirait peut-être gagnante d’une nouvelle alliance et voire même, d’un partenaire plutôt bien foutu pour combler les temps morts à Las Noches. Quoi qu’il en soit, ses efforts ne devaient pas être vains, et c’est pourquoi elle poursuivit sur la même note, quoique légèrement nuancée pour ne pas avoir à subir son courroux.

— Espada sans tatouage? Mouais, j’y crois pas trop. Me force pas à te déshabiller pour le trouver. Son doigt se balança au niveau de son visage, pour teinter sa menace inoffensive d’une certaine comédie. D’un ton plus sérieux le temps de poser sa question, elle poursuivit. Quoi qu’il en soit, qu’est-ce que t’es venu faire chez moi? Parce que je doute que tu sois venu uniquement pour un câlin et quelques frissons…

Une fois encore, un léger rire trouva moyen d’être entendu, malgré la main qu’elle vint porter à sa bouche pour éviter que son amusement ne paraisse trop. L'hypothèse que sa venue soit le fruit d'un désir à faire connaissance avec la nouvelle n'était pas loin de la certitude. Et si tel était réellement le cas, il était certain qu’il n’était pas un as dans l’art de socialiser. Elle avait plutôt de la chance d’avoir gardé son sang-froid, si on ignorait les écarts qui l'avaient bien fait frissonner de peur, car elle n’aurait pas fait long feu sous la pression de ses menaces et de son agressivité. En tirer un certain amusement dans cette situation qui penchait en sa défaveur était d’ailleurs assez exceptionnel, mais comme elle tenait particulièrement à rester indemne, elle ne devait pas s’abandonner à ce plaisir aux dépens de sa prudence. S’il décidait à lui faire payer ses audaces, elle n’allait certes pas s’en sortir indemne, encore fallait-il se demander si elle allait s’en sortir tout simplement. Pour l’instant, il semblait tolérer ses taquineries et ses provocations sans malice, mais cela n’allait certainement pas durer si elle s’obstinait à pousser le bouchon toujours plus loin. Ce Dark allait peut-être mettre ses menaces à exécution au moment où elle s’en attendrait le moins.

Dark… Dark… Ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu’elle entendait ce nom…

Sur le moment, Lili n'était pas sans lui rappeler une version plus hautaine de Naezka. C'était la réflexion qu'il venait de se faire alors qu'elle essayait d'endormir sa méfiance avec des compliments. Il n'en eut que faire mais se garda bien de le souligner. Si cela pouvait lui faire plaisir de croire qu'il suffirait de si peu pour l'amadouer, qu'elle le fasse tant qu'elle le pouvait encore. La désillusion n'en serait que plus brutale. Car brutal, il savait l'être – c'était même ce qu'il faisait de mieux. Et contre toute attente, elle semblait finalement y porter un certain intérêt. Quelle qu'en soit la raison, cela ne lui disait rien qui vaille. Il n'en fut que plus attentif à chaque mouvement qu'elle pouvait faire. Après avoir assisté à cette démonstration de puissance, elle n'aurait assurément pas la mauvaise idée de s'en prendre à lui. Un coup en traître, s'il devait échouer, lui causerait plus de préjudice qu'elle n'en pouvait supposer ; et même en cas de franc succès, ignorant à qui elle avait à faire, elle n'y mettrait certainement pas assez de force pour espérer le tuer.

Elle était arrogante, plus qu'il n'en pouvait supporter, mais il préférait penser qu'elle ne serait pas assez stupide pour s'y essayer avant d'avoir eu un plus vaste aperçu de ses capacités. Ce qu'il ne comptait, cela va sans dire, pas lui donner. S'il s'était donné tant de mal pour lui cacher son numéro, ce n'était pas pour lui servir toutes les informations qu'elle pourrait rêver d'avoir sur un plateau. C'était elle qui devrait répondre à ses exigences et non pas l'inverse – et elle était déjà en train de le faire sans même le savoir en tentant d'entrer dans ses faveurs avant même d'avoir appris qu'il était son supérieur. À défaut d'être à la hauteur de son rang au moins pourrait-elle lui être utile si elle continuait à se montrer aussi conciliante. L'aurait-il plus impressionnée qu'il ne l'aurait cru, ou était-ce elle qui avait finalement changé de politique en voyant qu'elle n'arriverait à rien en l'état ?

Cela n'avait que peu d'importance, au final, mais il était curieux de savoir si elle manquait à ce point d'amour-propre pour s'abaisser à réagir de la sorte alors qu'elle n'en pensait pas un mot. Gardant ces réflexions pour lui, il put se contenter de noter l'absence totale de résistance de sa part lorsqu'il l'avait empoignée à bras-le-corps. Peut-être n'attendait-elle que cela, au fond. C'était en tout cas ce que tendaient à faire croire les sous-entendus qu'elle lui avait asséné un instant auparavant. Quant à savoir ce que la Quinta avait véritablement en tête, il ne le saurait que s'il continuait à jouer le jeu jusqu'au bout. Le ferait-il ? Difficile à dire... Sa patience avait déjà été mise à rude épreuve jusque là et si Dark jouait déjà un rôle au quotidien en se faisant passer pour moins rusé qu'il ne l'est, cela ne voulait pas dire qu'il pourrait tolérer longtemps de faire mine d'être sous son emprise.
C'est un bon début... commenta-t-il sur le ton de la confidence.
La Quinta avait pris la peine de lui confirmer que ce n'était pas qu'une impression : elle était bel et bien en train de l'allumer. Au moins n'était-il désormais plus permis d'en douter. Tout ce qu'elle avait. Autant dire pas grand chose, pensa-t-il sans oser l'avouer. Cela risquerait de ne pas lui plaire et de ruiner tous les efforts qu'il avait fait jusqu'alors. Le Primera Espada se contenta d'esquisser un fin sourire tandis qu'il consentait finalement à la relâcher, passant sans discrétion la main sur sa hanche. La signification était on ne peut plus claire, et à voir de quelle manière elle jouait avec les mots, la demoiselle devrait n'avoir aucun mal à en saisir le sens. Il porta la main à ses lèvres pour en extraire la cigarette l'espace d'un instant, en dispersant les cendres aux quatre vents. Les yeux posés sur elle, il ne la perdit pas de vue un seul instant. Le subtil éclat de curiosité qui s'était allumé au fond de son regard devrait cependant retenir toute son attention.

À sa question, il se contenta de hausser les épaules. Si elle tenait tant que cela à savoir qui il était en vérité, elle n'aurait qu'à le trouver par ses propres moyens. C'était aussi valable pour son tatouage qu'il n'avait décidément aucune envie de lui montrer : à elle de l'en persuader... Ou de venir le chercher. Par tous les moyens qui lui sembleraient bons – même si à l'évidence, elle commencerait à comprendre que l'affrontement de force pure contre un adversaire dont on ne sait rien pouvait aussi bien mener à sa destruction. Même si l'Espada était censée être constituée des plus puissants Arrancars à avoir jamais pu voir le jour, tous ne se voyaient pas entrer dans le rang. Là-bas, dehors, quelque part, il devait y avoir une poignée de Vasto Lorde refusant de se soumettre au règne de Grimmjow et préférant donc rester dans l'ombre en attendant son heure. Et c'était précisément sur ce point qu'il allait jouer à présent.
Et qui te dit que j'en fais partie ?
Oui, des puissances insoupçonnées devaient se trouver aux confins du Hueco Mundo, guettant la moindre faiblesse de leur part pour renverser la vapeur. La pensée qu'ils étaient sans doute plus nombreux et par voie de conséquence plus puissant qu'eux à l'heure actuelle lui aurait arraché un sourire s'il n'avait pas eu à se soucier de ne pas trahir le fond de sa pensée. Il resta donc impassible tout en se rassurant sur les intentions de ces données inconnues dans la vaste équation de la course au pouvoir. La plupart pouvaient très bien ne pas même être au courant de l'existence de Las Noches. Le Yermo semblait ne pas connaître de fin. Il se pouvait fort bien qu'à l'autre bout, un autre règne ait été instauré sans qu'ils n'en aient connaissance. Il lui était arrivé d'envisager une exploration dans ces lointaines contrées pour s'en assurer. Mais si ceux-ci avaient pu se cacher pendant tout ce temps, il n'était pas impossible qu'ils puissent lui aussi le tenir en échec.

Par ailleurs, il n'avait pas la patience de mener une telle opération. L'information n'en restait pas moins présente dans un coin de sa tête et le mènerait tôt ou tard à entreprendre une pareille excursion. S'abîmer dans ses réflexions ne lui fit pourtant pas perdre une seule miette de ce qu'elle venait de lui dire – ni même de sa gestuelle. Retrousser les lèvres pour découvrir sa canine acérée et claquer des dents devrait la dissuader de continuer dans cette voie, tout en gardant ce côté provocateur qu'ils entretenaient depuis plusieurs minutes déjà. Oui, la croquer, il ne demandait pas mieux lui non plus ; mais peut-être ne voyaient-ils pas vraiment les choses de la même manière... La lueur dans son regard n'avait cependant rien perdu de son intensité, et sa couleur si singulière ne faisait qu'y ajouter. Ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu'il avait tendance à en jouer. Feignant l'amusement, il lui fit signe d'approcher.
Si t'en es si sûre, t'as qu'à venir le chercher. Mais tu perds ton temps. Je suis venu pour faire connaissance. Les nouvelles vont vite , et je voulais voir de quel bois était faite la nouvelle Quinta Espada. Je n'ai pas encore arrêté mon jugement. Il ne dépendra que de toi.
La balle était dans son camp.

Quoiqu’il puisse dire, il ne pouvait y avoir de méprise quant à l’hypothèse qu’il faisait partie de l’Espada. Il ne s’agissait plus d’une simple idée, mais d’une réelle conviction, reflet d’une vérité qu’il ne semblait vouloir lui révéler pour d’obscures raisons. Elle ne comprenait pas sa réticence. Dévoiler son chiffre représentait à ses yeux un honneur. Cette marque gravée à même la chair était son mérite, et nul doute qu’elle était emplie de fierté à l’arborer avec joie et arrogance, car parmi cette masse de Hollow au potentiel varié, elle était la cinquième puissance reconnue de cette dimension. Plus que quatre échelons et elle serait à même la droite du Rey, prête à lui servir de lame pour n’importe quelle situation. Elle mourrait pour lui prouver sa fidélité et son dévouement. Alors qu’elle réfléchissait profondément à sa fortuite promotion, sa main vint caresser le chiffre encré dans son épiderme, tandis que son regard se perdait vers les précédentes décennies où solitude et errance avaient malheureusement été ses maitres, à défaut de ne pouvoir avoir d’utilité pour quiconque. Le Rey avait reconnu sa valeur; juste pour cela, il était primordial qu’elle se montre digne et fière de son chiffre. Aucune justification ne pouvait être suffisamment bonne pour venir nier ouvertement l’existence de son tatouage. Si ce n’est qu’elle serra des poings suite à l’attitude de son hôte, elle préféra garder pour soi sa rancœur. Il n’était pas temps pour débattre sur ce point. Aussi décida-t-elle d’abandonner, se promettant de mener enquête plus tard, à l’abri de ses mensonges.

Tsk. Faire connaissance? Tu as de drôles de façons de faire connaissance, si tu veux mon avis. fit-elle une fois son esprit apaisé, alors que ses yeux embrassaient les ruines fumantes de ce qui fut autrefois un mur.
Elle allait poursuivre un peu plus sa réponse, mais aucun son ne trouva chemin hors de sa bouche. Son expression venait une fois de plus se figer, similaire à celle qui l’avait immobilisée lorsque le messager du Rey avait fait apparition dans ses appartements. Ses yeux se plissèrent, ses lèvres se pincèrent et elle demeura immobile, son regard rivé sur le visage de Dark Ezeckiel. Si elle semblait à cet instant même paralysée et inanimée, il se tramait au fin fond de son esprit des calculs, des estimations, des conjectures en vue de parer à cette inévitable conclusion. Celle qui était la cause de tout son émoi et qui avait surgi de nulle part alors qu’elle ne s’y en attendait pas. Guidée par quelques paroles issues des vestiges d’une mémoire défaillante, la conclusion, aussi horrible soit-elle, lui sauta complètement au visage et il n’y avait nul moyen de se convaincre du contraire. Je suis la partenaire de Dark ! Ces mots se répétèrent en boucle dans son esprit et quoiqu’elle fasse, elle ne pouvait plus s’en débarrasser. Partenaire. Un mot à multiples sens. En proie à d’innombrables conjectures, telles que celle qu’il s’agissait d’une fraccìon ou d’une Espada, ou mieux encore, d’un vulgaire microbe, son esprit simple et tordu en vint à la seule et unique conclusion qu’il pouvait trouver…

Ce qui vint briser le silence, ce fut un bruit, curieusement assimilable à celui d’un rire, si ce n’est l’absence totale d’énergie et d’expression qui rendait ledit son plus que déstabilisant. Il se répétait sans cesse, de plus en plus fort, sans toutefois retrouver les caractéristiques propres aux rigolades coutumières à laquelle elle s’adonnait en temps normal. Elle exécuta un pas, puis un second, répondant finalement à l’appel de Dark quand celui-ci lui avait signalé d’avancer quelques minutes plus tôt. Son visage, dont l’expression avait été glacée depuis sa surprenante découverte, venait de retrouver un peu de vivacité grâce à un rictus à la commissure de ses lèvres. Plus la distance s’égrenait, plus une colère sourde grimpait en elle, tandis qu’elle se rappelait avec rage le triste accueil que Naezka lui avait fait plusieurs heures auparavant. Les émotions malsaines créaient un torrent en elle, mais rien sur son faciès ou son attitude ne trahissait son conflit intérieur. Une fois à sa hauteur, plus aucun son. Sa main vint se glisser derrière la nuque du Primera, son autre prit appui sur son torse et elle exerça une pression pour que leurs têtes se rencontrent, et avec elles, leurs lèvres…

Elle risquait sa vie, elle risquait son honneur, elle risquait toutes ses chances, peut-être, d’avoir en allié un homme d’une puissance incontestable, mais elle le fit sans même réfléchir à tout cela. La colère n’était en rien responsable de ce geste audacieux; il s’agissait d’une douce vengeance. Partenaire de Dark. Il ne pouvait y avoir d’autres possibilités, sans compter qu’elle comprenait davantage ce pour quoi il n’avait pas certifié être intéressé par les femmes; Naezka avait davantage l’apparence du poisson que de celle de la femme. Goûter à ce qui avait été sien, se l’approprier sans gêne, c’était pour Lili une belle victoire. Garce, peut-être, elle était surtout prête à profiter des moindres occasions pour se montrer meilleure que ses ennemis, qu'importe le moyen. Elle s’était promis de se faire violence à leur prochaine rencontre, l’opportunité de vengeance semblait plus délicieuse ici. Elle l’avait offensée, elle l’avait humiliée, elle l’avait cherchée. Dark n’y verrait que du feu, ou y verrait rouge, qu’importe, il était fort probable que son initiative serait davantage assimilée à une tentative ultime pour le séduire qu’à une provocation destinée à sa partenaire, dans tous les cas, la gamine prenait réellement son pied.

J'aime que les choses soient claires.

Et c'était vrai. Elles avaient le mérite de l'être en l'occurrence, sur plusieurs points en tout cas. Sur le fait qu'il n'hésiterait pas à la tuer si nécessaire. Sur le fait qu'il pouvait la balayer d'un revers de la main. Et d'autres trivialités du même genre. En ce qui le concerne, c'était plus flou cependant. Il ne voulait pas trop en dire. Il n'était pas du genre à parler de lui, et trop savoir à quoi s'attendre lui ferait perdre de son emprise sur elle. Il avait voulu tenter une approche plus subtile que son habituel règne de terreur et y avait réussi jusque là. La Cinquième Lame avait mordu à l'hameçon – ou tout du moins avait l'air de l'avoir fait, ce qui était plus qu'amplement suffisant. Car même si elle voulait jouer à ce petit jeu-là, il se savait plus malin qu'elle car plus au fait des lois qui régissaient ce monde. Contrairement à elle, son arrogance était justifiée. À l'exception de Grimmjow, il n'existait personne qui puisse le dominer. Et c'était là que se faisait toute la différence.

Il avait l'ascendant sur elle. Le tout était de ne pas le perdre. À défaut d'être aussi futée qu'elle voulait bien le croire, la Quinta Espada était retorse. Ça, il n'en doutait pas une seule seconde. Et il ne devait pas surtout pas le perdre de vue. Ce serait courir à sa perte. D'autant plus après avoir posé de telles bases. La relation qu'ils étaient en train de tisser pouvait devenir houleuse s'il n'y prenait pas garde. À choisir, il préférait encore instaurer entre eux une relative intimité, si feinte qu'elle puisse être. Au moins la garderait-il sous contrôle. Elle ne correspondait point à ses attentes, mais avec beaucoup de patience et d'application, il n'était pas impossible qu'il en fasse quelque chose. Aussi longtemps qu'il en tirerait les ficelles, elle ne serait pas un obstacle. Si elle coupait ses fils, en revanche... Ce serait une autre histoire. L'ancien Quincy la considéra longuement d'un oeil sceptique. Et maintenant ?

Une chose est sûre, il ne s'attendait pas à ce qu'elle se jette dans ses bras. Il en laissa tomber sa cigarette. La surprise était grande, mais pas autant que la méfiance. Il s'attendait presque à recevoir un couteau dans le dos et prit soin de vérifier où elle plaçait ses mains. Il ne tolérerait pas de mauvaise surprise de ce genre. Et s'il espérait qu'elle ne s'abaisse pas jusque là, il avait appris par le passé à toujours se garder de tout et de tout le monde. Ainsi ne serait-il pas pris au dépourvu le jour où l'on tenterait de le prendre au piège ce qui lui avait plutôt réussi jusque là – preuve en était de sa position dans l'Espada. Le rire – et à plus forte raison le sourire – qui venait de faire irruption dans leur conversation n'était pas pour le rassurer, aussi préférait-il se méfier. Cela n'augurait rien de bon. Malgré cela, elle n'avait fait que répondre à son appel, il ne pouvait pas lui reprocher cela.

Qu'est-ce qui te fait rire ? eut-il tout juste le temps de demander, amusé par cette soudaine hilarité.

Ses lèvres se plaquèrent sur les siennes sans qu'il ait pu broncher. Ce n'était peut-être pas que du bluff, finalement. Pris de court, il n'eut d'autre choix que de se laisser faire – mais pas sans avoir plaqué la main sur son ventre pour la repousser. Sans jamais y arriver, toutefois, puisque le geste parut plutôt se muer en une lente caresse. La saveur excessivement sucrée du baiser passa près de l’écœurer au moment où elle décida de le relâcher. Il ne lui en laissa néanmoins pas la possibilité. Refusant de passer pour son jouet dont elle pouvait disposer à sa guise, Dark se fit une joie de planter la canine dans sa lèvre inférieure jusqu'à ce que s'en écoule un mince filet de sang. Point positif, son goût cuivré eut le bienfait de lui permettre 'évacuer celui de confiserie, qui commençait à sérieusement lui monter à la tête.

De plus, l'endroit où sa paume s'était immobilisée commença à dégager une chaleur excessive.

Si doué soit-il, aucune caresse ne pouvait être aussi torride que pour être si cuisante en si peu de temps. La faute en revenait au Cero qui était en train de vibrer au creux de sa paume, les séparant d'une poignée de centimètres. Un mot de lui et il partirait, non sans la déchirer en deux – et achever de refaire le mobilier au passage. Le regard qu'il posa sur elle à ce moment-là était indescriptible, savant mélange entre satisfaction et moquerie. Le Primera Espada avait eu ce qu'il voulait. C'était déjà un bon début. Il ignorait ce qui lui était passé par la tête mais le saurait bien assez tôt pour n'avoir pas à s'en inquiéter. Progressivement, le Cero qui avait failli la tuer se mit à refluer jusqu'à ce qu'il n'en reste plus trace au creux de sa paume. Ceci étant fait, il effleura ses lèvres des siennes sans vraiment les toucher. Un murmure finit par s'en échapper.

Jamais par surprise si tu tiens à ta vie. C'est un conseil.

Fichtre! Non seulement le grand Dark avait des manières bien à lui pour faire connaissance, mais en plus, il semblait avoir sa méthode propre pour répondre à un baiser. Elle la sentit, la canine plantée dans sa chair d’où s’écoulait désormais un mince filet de sang suffisant pour tirer une grimace à la pauvre Quinta. Il aimait la violence, elle l’avait deviné depuis les prémices de cette rencontre inopinée, mais jamais elle n’aurait soupçonné que ses préférences sadiques influençaient tous les aspects de sa vie. Elle n’imaginait pas des nuits torrides passées sous la couette de cet Arrancar, elle y perdrait probablement un membre ou deux, qui sait. Quoiqu’elle fût légèrement surprise d’être ainsi retenue par cette morsure, elle ne s’en offusqua point, préférant avaler un commentaire désagréable qui lui couterait davantage qu’une lèvre endommagée. Par ailleurs, il semblait y avoir plus important à fouetter, puisqu’une chaleur inquiétante prenait naissance là où était normalement située sa main. Retenue par ce baiser qui se prolongeait de force, elle ne pouvait constater de ses propres yeux ce qui se tramait entre eux d’eux, mais à sentir cette puissance spirituelle qui convergeait rapidement au niveau de son estomac, elle devinait qu’il lui préparait une caresse un peu plus piquante que celle auquel il avait eu droit. C’était trop d’honneur.

Il la menaçait une fois encore d’un Cero, mais cette fois-ci, il ne le laissa pas fuser en ligne droite, fort heureusement. Sa retenue fut par ailleurs largement appréciée par Lili. Ce coup-ci, il n’y avait aucun risque qu’il manque sa cible, tant l’orbe gorgé de reiatsu lui frôlait le nombril. Elle jouait avec le feu. Il s’agissait d’un canon pointé sur sa tempe. Une parole en trop et c’en était fini. Mieux valait prôner le silence que le dialogue, quand on n’était certain de rien. Quoique légèrement anxieuse quant à ce revirement de situation, elle esquissa un sourire amusé, respectant avec docilité le mutisme qu’elle s’était imposé. La main toujours posée contre son torse s’anima avec légèreté, ses cinq doigts tapotant lentement contre celui-ci, dans l’attente qu’il abandonne ses idées noires. Quand elle sentit la puissance se résorber et la sphère violacée redevenir néant, elle ne put retenir un subtil soupir, satisfaite d’être toujours en vie. Elle en profita même pour retrouver la proximité de leurs deux corps, celle qui lui fut volée durant de brefs instants par cette menace. Son regard était plongé dans le sien et toujours, ce rictus flottait à la commissure de ses lèvres, indiquant à Dark Ezeckiel à quel point l’amusement régnait en maitre chez elle.

Hoooon. Me dis pas que tu n’aimes pas les surprises, surtout dans ce genre.

Sa voix était trop élevée pour que ces mots ne soient qu’un simple murmure. Ses lèvres étaient si proches des siennes qu’il dut sentir la caresse de son souffle et avec lui, son haleine fortement sucrée. Quoi qu’il en soit, les apparences dévoilaient clairement qu’il ne se lassait pas d’une telle proximité, puisqu’il n’aurait sans doute eu aucun mal à la déloger. Il aurait réellement voulu lui faire connaitre sa désapprobation vis-à-vis tous ces jeux auxquels elle s’adonnait qu’il l’aurait chassé d’un simple revers de main. Le baiser qu’elle lui avait arraché ne représentait qu’un apéritif de ce qu’elle était prête à faire pour se venger indirectement du déplorable accueil que Naezka lui avait fait subir. Sa partenaire ne devait pas être bien chère à son cœur pour qu’il n’en défende pas leur amour inconditionnel. Elle était amusée de la situation, elle qui s’était préparée à encaisser un coup suite à son initiative. Elle pouvait aller plus loin, tant qu’il ne l’arrêterait pas. Ce n’était pas comme si ses avances lui paraissaient désagréables. Si sa partenaire avait préalablement connu les représailles qui lui étaient réservées, elle aurait probablement réagi différemment. Malheureusement pour elle, et heureusement pour eux, Lili était extrêmement rancunière, et savait tirer vengeance rapidement et efficacement. Qu’elle sache à quoi s’en tenir à l’avenir.

Bien. Je te préviens, là, maintenant.

Ce fut un murmure à peine audible et teinté d’une aguichante expression qui ne pouvait que mettre la puce à l’oreille quant à la suite des événements. Profitant de cette distance anéantie par ses audaces et conservée par la tolérance de Dark, elle vint plaquer de nouveau ses lèvres contre les siennes avec une fougue accentuée. Elle en oublia même sa retenue, tandis que ses mains se baladaient avec aise dans la chevelure violacée de l’Espada, tout en venant parsemer de caresses son échine, débordant de temps à autre des limites de l’acceptable pour venir tâter avec audace ses fesses, sans toutefois s’y attarder plus longtemps. Elle voulait toucher la moindre parcelle de son corps. Y laisser son haleine, son parfum, ses empreintes, pour que Naezka y devine qu’elle avait fait sienne sa propriété. Le marquer à coup de griffes, le blesser de toutes les manières possibles, pour qu’il en expose les balafres à sa chère rivale. Le sang commençait à lui battre les tempes tandis qu’elle repensait pour une énième fois au traitement reçu dès son arrivée à Las Noches, et avec cette rage grandissante, une excitation progressive, un plaisir certifié. Son baiser se prolongeait, ses caresses se faisaient plus vives, et dans son emportement, elle déchira inconsciemment la chair de son visiteur à la base de son cou. Une infime plaie, microscopique, similaire à un trait rouge sur du papier immaculé et vierge. Et comme on n’efface point la marque laissée par un crayon de couleur, cette blessure allait demeurer pour un certain temps, en souvenir de ce moment passionné.

Elle le libéra de son étreinte, brusquement, abruptement, contre toute attente. Un pas à reculons lui permit de retrouver une petite distance raisonnable, comme si une force étrangère l’avait repoussé de lui. Elle le darda d’un regard noir, plus enragé qu’amusé, cette fois-ci, quoiqu’on y perçoive autant du défi au fond de ses yeux couleur d’azur. Elle était animée d’une certaine sauvagerie, mais demeurait sur place, un faux sourire flottant faiblement sur les lèvres, comme si elle attendait qu’il fasse le premier pas cette fois-ci. Elle avait besoin de se défouler, là, maintenant. Les jeux étaient ouverts, c’était à lui de choisir à les poursuivre ou non.

Si le concept de promotion-canapé était largement connu même au Hueco Mundo, l'ex-Quincy n'avait pas pensé un jour en faire l'objet. À croire que cela allait de pair avec sa toute récente promotion. Du moins aurait-il pu le penser si Lili avait pu avoir ne serait-ce qu'une vague idée de son numéro. Or, ce n'était pas le cas, et le petit numéro qu'il lui avait présenté jusqu'alors ne permettait pas de déterminer comment il était situé par rapport à elle même si son niveau était effectivement selon toute vraisemblance celui d'un Espada. Et pour cause. Mais elle l'apprendrait bien assez tôt, que ce soit de sa bouche ou de celle d'autrui. Autant jouer encore un peu avec cette ignorance qui ne serait que trop tôt dissipée. Et pour ce qui est de jouer, elle semblait s'y connaître également, même si lesdites activités prenaient soudain une tournure à laquelle il ne se serait pas attendu.

S'il avait appris à vivre avec les poses lascives de Naezka si bien qu'il pouvait à présent les ignorer sans sourciller, il était bien moins ordinaire de se faire sauter dessus par la première venue – fut-elle nouvellement promue. Il aurait aimé dire que ce n'était pas pour lui déplaire mais n'en était pas vraiment sûr tant c'était inopiné, même si tout dans son attitude laissait à penser qu'il n'en était pas affecté. Mais plus que l'approche en elle-même, c'était où elle voulait en venir qui l'intriguait au plus haut point. Même si elle devait se faire posséder du début à la fin, la Quinta n'était, de ce qu'il avait pu en voir, pas du genre à se comporter ainsi si elle n'avait pas quelque chose à y gagner.

Elle pouvait le trouver charmant mais cela ne justifierait en rien un tel empressement – si directe qu'elle soit dans ses relations, et il en connaissait un rayon. Le goût cuivré de son sang lui permit de s'éclaircir les idées avant de succomber et par la même occasion de remettre entre eux un peu de cette distance qu'elle avait eu vite fait d'annihiler. Pas si vite. L'envie de lui dire qu'il ne couche pas au premier rendez-vous lui piqua la langue, mais il se ravisa lorsque certains souvenirs surgirent des profondeurs de sa mémoire. Et puis, ce serait lui servir sur un plateau l'excuse de vouloir le faire changer d'avis. Non. Trop facile. Avant qu'il ait pu trouver une solution adéquate, elle brisa à nouveau l'empan qu'il avait réussi à mettre entre eux tant bien que mal.
Et si je te le dis quand même ?
Ce qui était vrai. Il n'avait jamais aimé les surprises – même si celle-ci ne faisait, il fallait bien l'avouer, pas partie des plus désagréables qu'il ait pu connaître. Toutefois, ne plus être capable de prévoir ce qui allait se passer tendait à le rendre nerveux. C'étaient les mêmes raisons qui faisaient qu'il avait le changement en horreur. Et pourtant, celui qu'il venait de vivre était d'un radical notable. Certes pas autant que celui qui avait autrefois fait de lui un Sternritter ou celui qui l'avait intégré à l'Espada en sa précédente qualité de Segunda, mais tout de même. D'ores et déjà membre de l'élite, il en avait désormais atteint les sommets. Fallait-il voir l'attraction à laquelle la Quinta semblait succomber comme la rançon de la gloire ?

L'odeur trop sucrée qui émanait de sa bouche lui fit tourner la tête.

Lui qui avait dû apprendre à survivre par ses propres moyens lors de ses premières années dans le Yermo n'était plus habitué à de telles saveurs – à condition de l'avoir jamais été, ce dont il doutait fortement. Quoi qu'elle puisse lui vouloir, il faudrait veiller à ce qu'elle remédie à cela avant d'espérer quoi que ce soit. Sans lui laisser l'occasion de s'en apercevoir, Dark retint sa respiration pour n'avoir pas à subir cet arôme sirupeux de plein fouet. Celui-ci ne put donc pas le désorienter aussi efficacement que précédemment et il se tint sur ses gardes quand elle revint à la charge. Il ne broncha pas pour autant, la laisser agir à sa guise, l'encourageant même en allant mêler sa langue à la sienne quand elle franchit la barrière de ses lèvres.

Qu'elle ne se prive pas. Ainsi il saurait jusqu'où elle était prête à aller, et il aurait tout le loisir de l'arrêter s'il estimait qu'elle sombrait dans l'excès. Ce n'était pas désagréable, il fallait bien l'avouer, mais si elle pensait qu'il ne se doutait de rien, elle se trompait fortement. Il ne faisait d'ailleurs rien pour le cacher, gardant bien plus de réserve qu'elle qui semblait avoir abandonné toute retenue pour le séduire. À quelle fin, il n'aurait su le dire, mais à la voir si prompte à se jeter sur lui, il était facile d'en déduire qu'elle ne reculerait devant rien. Et le Primera se prenait au jeu. Il était tenté de la laisser aller jusqu'au bout, ne fut-ce que pour connaître le fin mot de l'histoire. Et aussi car plus longtemps durerait ce petit jeu et plus elle serait en son pouvoir.

Si elle pensait se servir de lui, que ce soit d'une manière ou d'une autre elle courait fatalement le risque qu'il en fasse de même... À ceci près que les moyens qu'il avait de mettre cette relation naissante à profit étaient d'une tout autre envergure. À défaut d'être à la hauteur de son rang au moins ne se mettrait-elle pas en travers de sa route, du moins pour le moment. Il n'était pas impossible qu'elle puisse même lui ouvrir la voie. Un parfait outil, au sein même du Palais des Nuits. Il était bien sûr encore trop tôt pour lui faire confiance ainsi que pour définir à quoi elle pourrait lui servir, mais cela serait sans nul doute plus utile que de périr avant d'avoir pu faire quoi que ce soit comme nombre des derniers Espada. Oui, qu'elle marche à ses côtés et elle vivrait peut-être assez longtemps pour voir la face de ce monde changer.
Et après c'est moi qui ai d'étranges manières de faire connaissance... J'aurai tout entendu. Va falloir freiner sur le sucre par contre, sinon ça va pas le faire.
Même au milieu d'un baiser passionné, il trouvait encore le moyen de plaisanter. Néanmoins, il avait le souffle court et le regard brumeux, ce qui prouvait bien que les élans affectueux que la demoiselle effectuait n'étaient pas sans lui faire de l'effet. Tout du moins feignait-il à merveille de subir la tension électrisante qui avait empli l'atmosphère. Sans qu'il s'en aperçoive, sa main s'était frayé un passage dans le corsage de la Quinta – sans jamais faire plus qu'en effleurer la peau, toutefois. Suffisant pour alimenter ses ardeurs ? Peut-être, peut-être pas. Toujours est-il que c'est sans plus attendre qu'il l'ôta de là, non sans prolonger le geste d'une caresse lascive le long de ses côtes.

Une douceur qui contrastait grandement avec le geste brusque au moyen duquel il l'avait arrêtée avant qu'elle ait pu faire plus que l'égratigner. Prisonnier de sa poigne de fer, le poignet de la jeune femme était incapable de bouger. Sans daigner le relâcher, il posa la main sur sa joue et lui fit relever le menton de sorte à la regarder droit dans les yeux afin de tenter de discerner ne serait-ce qu'une vague lueur de vérité. Peu concluant. Ainsi, il se pencha de sorte à pouvoir lui murmurer au creux de l'oreille afin de recueillir une tout autre réponse. Elle ne pensait certes pas se prendre au jeu au départ, mais à vivre de pareils moments, n'était-il pas encore temps ? Si ce n'était déjà fait, mais ceci est une autre histoire...
Ce serait dommage que je te plante là dans cet état...

Il n’était plus du tout possible de lire sur les traits de la demoiselle une excitation quelconque. Du moins, celle-ci avait été altérée par la rage naissante qui se faisait de plus en plus apparente. Inutile de déployer des efforts pour la dissimuler, la Cinquième Lame n’avait rien à cacher à son invité. Il donnait même l’impression de par sa retenue qu’il se doutait de quelque chose. Après tout, ce ne devait pas être tous les jours qu’une Arrancar lui saute dessus dès le premier rendez-vous. Qu’il soupçonne réellement anguille sous roche avait peu d’importance. Jamais il ne saurait deviner ce qui lui prenait soudainement à violer son intimé de la sorte sans au moins un indice pour l’aider à résoudre le mystère. Il devait l’avoir compris par lui-même lorsqu’il obligea d’une main à croiser son regard. Son analyse vaine, cela ne l’empêcherait pas de se laisser prendre au jeu, car ce qu’on lui proposait n’était en rien désagréable.

Si la raison première de ses avances prenait un goût de douce vengeance, Lili ne pouvait nier la fébrilité qui lui montait à la tête, offrant un curieux mélange de colère et de désir qui se ressentiraient fort probablement une fois sous la couette. Par ailleurs, un aperçu lui avait été offert lors de ce dernier baiser, où la violence commençait lentement à teinter dangereusement ces échanges. Malgré la féroce poigne par laquelle elle fut arrêtée dans son précédent élan, elle devinait que Dark ne détestait pas la situation. Peut-être se sentait-il en perte de tout contrôle, mais il n’avait qu’à lui faire confiance, car elle savait s’y prendre pour mener la danse. Qu’il cesse de se tourmenter avec le pourquoi de la chose. À lui murmurer de telles paroles, il offrait la dure illusion qu’il n’était pas plus intéressé que cela, mais foutaise! Munie d’une hargne qui contrastait abruptement avec l’amusement qui l’avait habitée durant l’introduction, elle lui répondit après s’être libérée de son emprise d’un brusque mouvement :

Fais ça et je te tue, enfoiré.

Ça avait le mérite d’être clair. À ne pas lésiner sur les mots, il y avait de fortes chances qu’elle subisse le courroux de son partenaire une fois encore, mais il s’agissait maintenant du cadet de ses soucis, ce qui expliquait pourquoi elle n’avait pas soupesé sa réponse. Il savait de toute évidence que sa menace ne pourrait être mise à exécution, l’important étant de transmettre sa vive désapprobation quant à une telle idée. Dans le besoin urgent de se défouler, il était hors de question d’être rejetée à la dernière seconde. Il était trop tard maintenant pour faire cesser les jeux. La musique avait débuté, le désir était né, il ne manquait plus aux deux valseurs à se joindre pour procéder et c’est ce que la Cinquième fit en lui offrant un nouveau baiser langoureux auquel il devait s’attendre cette fois-ci. Tout en procédant, elle guida la main de son cavalier à son bassin. Ce simple mouvement dissimulait une subtile invitation à venir caresser ses zones érogènes. Tout son corps ondulait voluptueusement contre le sien, et le frottement provoqué ne pouvait qu’amplifier l’excitation des deux acteurs. L’échange dura pendant d’interminables secondes. La colère s’était estompée pour laisser place à une tendresse imparfaite, mais au moins pouvait-on dénoter l’effort.

Un pas en arrière mit fin à la rencontre de leurs lèvres, mais sa dextre appuyée contre la main de Dark l’encourageait à garder contact avec ses courbes. Elle exerça une pression sur tout son corps du bout des doigts pour le forcer à reculer vers son « trône ». Dans un déhanchement sensuel étranger à son attitude de nature puérile, elle l’accompagna jusqu’à ce que son fessier ait trouvé confort sur la chaise abimée de ses appartements. Demeurée debout en face de lui, elle procéda dans une lenteur provocante à l’ouverture de son chemisier, bouton par bouton. Son buste se dévoilait timidement au public, et si la taille de celui-ci ne battait en rien les records, impossible de ne pas en apprécier la vue. Sitôt la tâche terminée, elle ne se dévêtit pas pour autant, préférant plutôt prendre place sur les genoux de Dark pour venir humer ses cheveux et parsemer de baisers l’entièreté de son crâne. Elle mordilla son oreille un bref instant avant de déposer au creux de celle-ci un message laconique rempli de promesses. Celle, entre autres, qu’elle allait vraiment prendre soin de lui dans l’heure à venir… :

Cette nuit, t’es à moi.
À moi seule...

* * *

Dark suivit du regard la fumée qu'il venait de recracher. Ses cercles purent ainsi poursuivre leur inexorable ascension jusqu'au plafond. Ce n'est qu'une fois celui-ci atteint qu'ils purent se dissoudre comme une vague qui s'écrase sur un brise-lames. La mélodie du silence était à n'en pas douter la plus belle qu'il ait jamais entendue. Son attitude tendait à faire croire qu'il est du genre à ne pouvoir se passer de bruit et d'agitation mais c'est faux. Qu'il ne vit, ne respire que pour détruire mais c'est faux. Qu'il ne sait pas apprécier le bien-être d'un moment de plénitude mais c'est faux. Tout ça, c'est des conneries. Pense-t-il alors qu'il écrase la cigarette qu'il vient de terminer sur un des pans de murs brisés qui jonchent le sol. Il doutait qu'ils puissent encore servir à quoi que ce soit ; Lili ne lui en tiendrait pas rigueur. L'avoir allumée sans lui demander son avis, en revanche... Bah, pour ce que j'en ai à foutre.

Il avait passé... Un bon moment. Contre toute attente, une rencontre bien partie pour être des plus chiantes avait pris une tournure intéressante. Le problème, c'est qu'il ignorait encore à ce moment où cette bifurcation allait le mener. Mais en tout cas, ce dont il pouvait être sûr, c'était que cela promettait d'être divertissant. Elle n'avait pas dû mettre longtemps à comprendre que les discussions sur l'oreiller, ce n'était pas son genre. Ce qui venait de se produire n'était que le résultat d'une pulsion, d'une envie bestiale. D'un instinct animal. Mais n'est-ce pas ce que sont tous les Arrancars ? Bien sûr, il pourrait chercher à lui donner un sens, mais ça non plus, ça ne lui ressemblait pas. Il laissait cela à ses bons soins. Certes, il n'avait pas dit non – qui l'aurait fait ? - mais c'était elle qui avait mis le feu aux poudres. Inutile de dire qu'elle ne pouvait pas ne pas savoir qu'elle risquait un retour de flammes...

La question était « pourquoi ? » mais à cet instant, il avait tout sauf envie de se le demander. À elle de l'éclairer, si tant était qu'il y ait matière à le faire. Mais il peinait à croire que ce soit le fruit de son charme irrésistible et rien d'autre. Il y avait quelque chose d'autre, quelque chose qu'il avait été incapable de déceler malgré tout le mal qu'il s'était donné pour l'étudier en toute occasion – et même pendant. Si elle avait bien laissé quelques indices, ceux-ci menaient à une piste dont il ne soupçonnait même pas l'existence, n'ayant pas de raison de le faire. Oh, il saurait. Tôt ou tard. Mais la vraie question, c'était de savoir si encore maintenant c'était là sa seule motivation où si elle s'était finalement prise au jeu elle aussi. Ce qu'elle avait à l'esprit au moment de passer à l'acte. Un mystère qui valait la peine d'être éclairci.

Mais pas aujourd'hui.

L'ex-Quincy se redressa de toute sa hauteur. Elle put ainsi à loisir contempler son dos que zébraient d'incalculables cicatrices. Chose rare pour un Arrancar. La cicatrisation empêchait en général ce genre de séquelle de se former, la régénération s'étant déjà opérée avant qu'elles n'aient eu le temps de s'installer. C'était bien normal quand l'on savait que chacune d'elle datait de l'époque où il était encore humain. Tandis qu'il s'étirait, l'idée saugrenue de lui annoncer lui passa par la tête avant de disparaître aussi sec. C'est vrai, ça. Comment réagirait-elle en apprenant qu'elle avait couché avec un humain ? Oh, certes, ils l'avaient tous été – tout du moins en théorie – à une période de leur vie, mais certainement pas autant que lui. C'était plus qu'il n'en faut pour donner des cauchemars aux Arrancars les plus chauvins. Alors imaginer en arriver à ce point...

Mais elle n'avait pas besoin de le savoir. À vrai dire, elle en savait déjà trop, mais le Primera ne s'en doutait pas. Pas encore. Et quand il saurait de quoi il retournait, Naezka s'en souviendrait, c'était certain. Du moins ferait-il tout pour que ce soit le cas. Plusieurs craquements provinrent de ses articulation alors qu'il s'efforçait de leur rendre toute leur mobilité. Pour être amnésique il n'aurait pas pensé s'en sortir aussi facilement, mais l'exercice s'était finalement avéré plutôt intuitif. Son corps, en revanche, pâtissait quelque peu de sa fougue et de son empressement - sans doute n'avait-il plus habitude, s'il l'avait eue un jour. Ce qui - à priori - n'enlevait rien à la qualité de sa prestation. Du moins Lili semblait-elle n'avoir pas eu à se plaindre, ou alors s'en était-elle bien cachée.
On dirait que je ne mourrai pas encore aujourd'hui. Peut-être une prochaine fois...
Ayant ramassé ses habits, Dark les enfila sans lui décrocher un mot de plus. À quoi bon ? Tout était dit. Non pas qu'il soit pressé de quitter les lieux, mais il n'avait plus rien à y faire. Libre à elle de le retenir, ou en tout cas d'essayer si elle s'en sentait l'envie ou même le besoin mais pour sa part il n'avait plus rien à ajouter. Pour le moment. Car il semblait évident que ce n'était là qu'un début. Ils se reverraient bien assez tôt. Cela leur laissait tout le temps de mûrir cette relation et les réflexions qu'ils pourraient se faire à son sujet. Dark trouverait-il une alliée en la personne de Lili, ou n'avait-il fait que lui donner les armes pour être son ennemie ? L'avenir le lui dirait. Mais cette nuit, ils ne l'oublieraient pas. Pas plus elle que lui. Cela, il n'en doutait pas. Viendrait le jour où cette réponse s'imposerait, claire comme de l'eau de roche. Mais ce jour, ce n'était pas celui-ci.

Par-dessus son épaule, il embrassa tout son corps d'un dernier regard, s'en abandonnant pour un bref instant à la contemplation de sa nudité. Et dire que quelques heures plus tôt, ils n'auraient pas demandé mieux que de s'entre-tuer... Ils n'avaient pas chômé. Peut-être était-ce ce qu'on appelle répliquer à la mort par la vie. À moins que derrière cet acte dont l'un comme l'autre mesuraient à peine la portée ne se cache un présage plus funeste encore. Il ne le saurait qu'en temps voulu. D'un pas leste, allégé du poids de ses doutes, Dark n'eut plus qu'à se diriger vers la sortie. L'impression de fraîcheur qui épousa chaque parcelle de peau à découvert quand il ouvrit la porte l'enivra, le grisa plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. Au dehors, ce devait être l'aube, ou ce qui s'en rapproche le plus dans un pays où la nuit ne s'achève qu'à la mort. « Cette nuit, tu es à moi » avait-elle dit. Mais il n'y en avait qu'une. Et il n'y en aurait jamais qu'une. Éternelle et immuable. Sachant cela, était-ce une parole déraisonnée, ou bien...
Au fait.
Sa main s'apposa sur le chambranle de la porte. Même de là où elle était, Lili devait pouvoir la voir sans le moindre mal. Elle, et l'inscription qui figurait en son dos. Un chiffre, inscrit si grand qu'elle se demanderait sans doute comment elle avait pu le manquer jusque là. Il n'avait sorti sa main qu'au moment où il en avait eu le plus besoin. Dark se plaisait à penser qu'elle n'était alors pas en état de se douter de quoi que ce soit, et qu'elle avait même omis avoir un jour pu se poser la question. Celle de savoir quelle était sa place. Au plus haut. Un sommet que jamais elle n'atteindrait. À moins que ce ne soit en s'y tenant à ses côtés. Et il venait de lui faire voir cette possibilité. À présent, à elle et à elle seule d'en juger. Un éclat de lumière émanant de la lune artificielle qui trônait dans le ciel au-dehors passa sur sa main, l'illuminant de sa pâleur laiteuse et dévoilant une bonne fois pour toute ce secret soi-disant bien gardé qui ne l'avait, en fin de compte, jamais été.
Je suis le Primera.
Une longue seconde plus tard, il se glissa dans l'entrebâillement, et ce fut tout.
Pour cette fois.

Un sourire satisfait s’était lentement dessiné sur ses lèvres. Jamais elle n’aurait parié sur une telle conclusion à la suite de leur échange corsé, qui n’avait en prémices qu’une houleuse introduction. Il va sans dire que ces événements survenaient pour le mieux, car quoique la vengeance ait été une de ses principales motivations, elle ne pouvait cracher sur ce début de relation avec un tel être de puissance. Qui sait, peut-être le futur lui permettrait de mettre à profit cette dernière, si besoin est, et dans l’optique qu’elle fasse des efforts pour en améliorer les conditions. Pour le moment, le contentement lisible sur son faciès, ainsi qu’une brève lueur de malice au creux de son œil n’étaient que les résultats d’un sentiment de fierté, d’une impression d’avoir gagné.

Qu’elle ne connaisse pas son chiffre avait très peu d’importance, elle saurait trouver réponse tôt ou tard, l’intérêt ici étant qu’il était à ne pas en douter un personnage influant. Avec une pareille puissance, considérant le fait que Las Noches reposait sur la loi du plus fort, on pouvait prétendre qu’elle avait fort probablement au creux de sa poche – du moins selon ses croyances, un Espada de plus haut niveau, si tant est que sa comparaison avec ses propres capacités fût exacte. Être écrasée de la sorte par son aura seulement ne pouvait signifier qu’une seule chose; elle ne serait pas de taille à l’anéantir lors même qu’elle le voudrait. Il était donc tout à son honneur de ne pas se le mettre à dos.

Assise nonchalamment sur sa chaise, petite culotte enfilée, sans plus, elle observait son nouvel amant. Si elle avait bel et bien remarqué les balafres anormales qu’il portait dans son dos, elle ne s’était pas plus questionnée à ce sujet. Non, à dire vrai, sa réflexion se concentrait principalement sur Naezka. Elle avait bien beau se répéter que la raison première de son initiative ne représentait en rien un secret, cela ne suffisait étrangement pas à la lui avouer. Après tout, les ressentiments à son égard ne concernaient pas réellement Dark, qui n’avait été au final que l’instrument de son appétissante vengeance. S’il advenait qu’il apprenne ses motifs, elle risquait de ruiner ce début de relation qu’elle s’était promis de conserver, aussi durs seraient les efforts pour y parvenir. Mieux valait ne pas trop parler. Laisser à Naezka le soin de le lui apprendre, considérant le fait qu’elle serait la première à connaitre les péripéties de cette nuit, représentait dans l’instant la plus sage décision.

Dire que le grand Dark sait faire preuve d’un peu de tendresse!
Et c’est pour dire! Il n’avait eu de cesse de lui faire montre de ses capacités tout au long de leur joyeuse rencontre, au point que plus aucun doute ne planait quant à sa supériorité et sa puissance. Avoir pensé qu’il en ferait de même une fois sous la couette respectait un raisonnement juste, d’autant plus qu’elle ne le connaissait que trop vaguement. En addition, la rage qu'elle nourrissait peu avant qu'elle lui saute dessus guidait dans le même sens, mais semble-t-il que tous les deux y étaient allés dans une douceur surprenante, rendant cette nuit bien plus agréable que ce qu’elle aurait imaginé. Somme toute, sa violence avait effectivement bien camouflé la tendresse dont il était capable. Après tout, la brutalité n’avait pas sa place dans un pareil échange. Cette nuit avait été au-delà de ses attentes, et Dark devait sans nul doute avoir constaté à quel point il avait bien exécuté le travail et que sa partenaire était plus que satisfaite.

Quand elle le vit se diriger vers la sortie, elle se dit que leur rencontre était désormais officiellement close. Ce n’était pas un mal en soi, car cela avait déjà duré bien trop longtemps. Il n’y avait plus rien à se dire dans l’instant présent. Tout ce qui lui restait à faire, c'était d'avoir confiance au futur pour que d'autres opportunités comme celle-ci se présentent afin d'améliorer les bases de cette relation. Elle allait le recroiser, ce n’était pas des adieux. Après, il y avait à espérer qu’il ne la rejette pas comme un vulgaire chiffon maintenant que ses besoins avaient été assouvis. Cela la surprendrait. Il n'était pas dupe. Cracher sur un pareil lien était se priver d'une alliée dans le futur, et si Lili en était parfaitement consciente, ce devait être de même pour lui. La Cinquième avait foi. Sans même bouger, elle le regarda disparaitre dans embrasure de la porte, jouant d’une main avec un petit débris qu’elle avait récolté peu de temps après que leur relation soit finie. Lorsque les portes se refermèrent dans un bruit sourd, un sourire carnassier vint illuminer ses traits.

Primera, hein?
D’une puissante chiquenaude, elle envoya valser le débris à l’autre bout de la pièce, contre le mur. À cet instant, sa main demeura en suspens, et son regard se perdit dans les contours du chiffre cinq, tatoué depuis peu sur tout son dessus. Elle était Quinta, il était Primera…

Mais pour combien de temps?

[Yay! o/]

Sujet: Re: Les merveilleux quartiers de la Quinta[Dark]

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Les merveilleux quartiers de la Quinta[Dark]

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